II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : RATIFIER EN L'ÉTAT L'ORDONNANCE TOUT EN APPELANT À UNE SIMPLIFICATION PLUS VASTE DU DROIT DES SOCIÉTÉS ANONYMES

Dans le cadre du présent projet de loi de ratification, la ratification de l'ordonnance n° 2015-1127 du 10 septembre 2015 portant réduction du nombre minimal d'actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées ne se prête guère à l'ajout de modifications supplémentaires du régime des sociétés anonymes. En effet, l'ordonnance ne porte que sur le nombre d'actionnaires des sociétés anonymes non cotées et ne prévoit aucune autre modification, tout comme le présent projet de loi, qui n'apporte aucune modification à l'ordonnance.

Pour autant, la simplification du régime des sociétés anonymes, cotées ou non, devrait être une priorité selon votre rapporteur, que l'ordonnance sur le nombre minimal d'actionnaires est très loin de satisfaire.

A. RATIFIER L'ORDONNANCE EN L'ÉTAT, ASSORTIE DE MODIFICATIONS TECHNIQUES PONCTUELLES

Sur la proposition de son rapporteur, votre commission a adopté deux amendements COM-3 et COM-4 , comportant quatre modifications destinées à apporter des ajustements techniques, procéder à des coordinations ou corriger une malfaçon de l'ordonnance. Votre commission a approuvé la ratification de l'ordonnance du 10 septembre 2015 précitée.

Ces modifications ponctuelles portent sur les éléments suivants.

Premièrement, à l'article L. 225-1 du code de commerce, l'ordonnance a réduit de deux à sept le nombre minimal d'actionnaires dans les SA, ce nombre étant maintenu à sept pour les SA dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé. S'agissant des sociétés cotées, qui font appel public à l'épargne, ce minimum de sept est évidemment assez théorique, car elles ont vocation à avoir un nombre bien plus grand d'actionnaires, mais la loi doit fixer en droit un nombre minimal d'actionnaires pour constituer ces sociétés.

La notion de titre retenue par l'ordonnance pour identifier les sociétés cotées recouvre à la fois les titres de capital que sont les actions et les titres de créance que sont notamment les obligations, que les sociétés peuvent émettre pour contribuer à leur financement 8 ( * ) . Or, il ne semble pas justifié d'exiger des sociétés dont seuls des titres de créance sont cotés et non des actions un nombre minimal de sept actionnaires. Des sociétés dont les actions ne sont pas cotées peuvent occasionnellement procéder à des émissions obligataires, sans que ce mode de financement par le marché, plutôt qu'un financement bancaire par exemple, justifie une exigence renforcée dans la composition de l'actionnariat. Selon l'ANSA, quelques dizaines de sociétés seraient concernées, émettant leurs obligations à Paris ou Luxembourg le plus souvent, étant souvent des filiales chargées du financement au sein de groupes de sociétés.

La formulation de l'habilitation, visant globalement les sociétés cotées, ne semblait toutefois pas permettre une telle distinction, selon les représentants du ministère de la justice entendus par votre rapporteur.

L'amendement COM-3 a ainsi limité aux seules SA dont les actions sont cotées l'obligation d'avoir au moins sept actionnaires, et pas à l'ensemble des SA dont les titres sont cotés. Cette modification a été approuvée par les organisations représentant les entreprises sollicitées par votre rapporteur.

Par ailleurs, il existe des sociétés dont les actions ne sont pas cotées sur un marché réglementé classique, mais sur d'autres systèmes de négociations de titres. Dans la perspective de la séance publique, votre rapporteur s'interroge sur l'exclusion juridique de ces sociétés de la possibilité de n'avoir que deux actionnaires, dans un souci de cohérence de périmètre, même si la question peut paraître assez théorique.

Deuxièmement, l'article 4 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé prévoit que le nombre minimal d'associés pour les sociétés d'exercice libéral (SEL) à forme anonyme (SELAFA) doit être de trois, alors qu'il est désormais de deux pour le régime de droit commun des SA. Votre rapporteur observe que ce minimum de trois était jusqu'à présent une dérogation par rapport au nombre de sept prévu pour les SA, l'ordonnance du 10 septembre 2015 précitée ayant ainsi eu pour effet paradoxal de faire passer les SELAFA d'une situation de dérogation à la baisse à une situation de dérogation à la hausse.

Aussi votre rapporteur a-t-il proposé à votre commission de supprimer ce régime dérogatoire, de sorte que le nombre minimal d'associés au sein d'une SELAFA soit de deux, par application du nouveau droit commun fixé par le code de commerce. Cette modification figure dans l'amendement COM-4.

Sollicité par votre rapporteur, le Conseil national des barreaux (CNB) a approuvé cette modification pour ce qui concerne les avocats, par cohérence avec le nouveau régime de droit commun des SA non cotées 9 ( * ) .

Troisièmement, il est apparu à votre rapporteur que l'ordonnance du 10 septembre 2015 précitée comportait une malfaçon concernant les sociétés détenues par l'État. En effet, avant la prise de cette ordonnance, l'article 32 de l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique, par dérogation au régime commun des SA, prévoyait qu'aucun nombre minimal d'actionnaires n'était applicable aux sociétés dont l'État détient la majorité ou la totalité du capital. L'ordonnance de 2015 ayant abrogé, par coordination semble-t-il, cette disposition de l'ordonnance de 2014, elle a eu pour effet en réalité d'imposer le minimum de deux actionnaires à ces sociétés, alors qu'il existe aujourd'hui des sociétés dont l'État est l'actionnaire unique, cette situation n'ayant pas vocation à être remise en cause.

Il convient donc de maintenir une disposition dérogatoire spéciale en ce sens, prévue par l'amendement COM-4, lequel rétablit, dans une rédaction adaptée, l'article 32 de l'ordonnance du 20 août 2014 précitée.

Quatrièmement, l'amendement COM-4 procède à une coordination manquante, en modifiant à l'article L. 521-18 du code de l'énergie le régime de la société d'économie mixte hydroélectrique, lequel est conçu sous forme de régime dérogatoire avec deux actionnaires au moins, alors que c'est dorénavant le droit commun. Cette forme particulière de société résulte de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, contemporaine de la prise de l'ordonnance du 10 septembre 2015 précitée.

Par ailleurs, votre rapporteur s'est interrogé sur les conséquences qui pourraient résulter de la modification que l'ordonnance du 10 septembre 2015 précitée a apporté à la procédure de demande de dissolution judiciaire d'une société dont le nombre d'actionnaires est inférieur au minimum légal. En effet, selon l'article L. 225-247 du code de commerce, toute personne intéressée peut demander au tribunal de commerce de prononcer la dissolution de la SA qui ne remplit plus cette obligation légale depuis plus d'un an, le tribunal pouvant accorder un délai de régularisation de six mois au plus.

L'ordonnance a limité cette procédure, dans le code de commerce, aux seules SA cotées, de sorte qu'un raisonnement a contrario pourrait laisser penser qu'aucune procédure de dissolution ne peut être engagée à l'encontre d'une SA non cotée, alors qu'en pratique ce sont elles qui semblent davantage concernées par un tel manquement, qui peut révéler des difficultés importantes ou une mise en sommeil de la société. Certes, l'article 1844-5 du code civil comporte une procédure identique, qui serait applicable aux SA non cotées en vertu de l'article 1834 du même code selon lequel le régime de la société institué par le code civil est applicable « à toutes les sociétés s'il n'en est autrement disposé par la loi en raison de leur forme ou de leur objet ».

Toutes les personnes entendues par votre rapporteur ont estimé qu'il n'existait aucun risque de mauvaise interprétation quant à l'application aux SA non cotées de la procédure établie par l'article 1844-5 du code civil.

Enfin, entendu par votre rapporteur, le professeur Bruno Dondero a souligné le risque de discordance en matière d'exonération de l'application du régime des conventions dites réglementées au sein des groupes de sociétés 10 ( * ) pour les SA non cotées constituées avec un minimum de sept actionnaires, en qualité de filiales, avant la prise de l'ordonnance du 10 septembre 2015 précitée. En effet, cette exonération prenant en compte dorénavant le minimum de deux actionnaires, elle pourrait ne plus s'appliquer aux filiales déjà constituées. Votre rapporteur approfondira cette question d'ici la séance publique.


* 8 Selon l'article L. 211-1 du code monétaire et financier, les titres financiers sont les titres de capital émis par les sociétés par actions, les titres de créance, à l'exclusion des effets de commerce et des bons de caisse et les parts ou actions d'organismes de placement collectif.

* 9 Selon le CNB, il existerait 59 SELAFA pour la profession d'avocat au 1 er janvier 2015.

* 10 Articles L. 225-39 et L. 225-87 du code de commerce.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page