II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : METTRE FIN AU SYSTÈME DES PARLEMENTAIRES EN MISSION

L'incompatibilité instituée par l'article L.O. 144 du code électoral soulève plusieurs interrogations sur le plan constitutionnel au regard du principe de séparation des pouvoirs. En l'absence de restriction particulière sur la nature de la mission confiée, cette disposition peut conduire à exercer des missions de représentation du Gouvernement ou des fonctions administratives indissociables du pouvoir exécutif, ce qui constitue une entorse au principe de séparation des pouvoirs ainsi qu'au principe de séparation des fonctions qui a pour but de protéger le parlementaire dans l'exercice de son mandat.

Cette incompatibilité est également difficilement compréhensible dans son principe. En effet, pourquoi une fonction qui serait compatible avec le mandat parlementaire pendant le délai de six mois deviendrait en soi incompatible avec ce mandat au terme de ce délai ?

Elle présente également un paradoxe :

- soit la mission temporaire peut se concilier avec un mandat parlementaire en termes de disponibilité du parlementaire et, dans ce cas, la nécessité d'une disposition organique dérogeant au principe de l'incompatibilité parlementaire avec les fonctions publiques non électives ne se justifie pas car la mission ne constitue pas une activité propre et suffisante pour être regardée comme une fonction publique non élective ;

- soit la mission suppose une pleine disponibilité du parlementaire au détriment de l'exercice de son mandat parlementaire et, dans ce cas, son existence se justifie difficilement compte tenu du renforcement croissant des incompatibilités électorales et professionnelles applicables aux parlementaires. À cet égard, la seule possibilité de déléguer son vote est insuffisante car le mandat parlementaire ne peut pas se réduire à l'exercice du droit de vote dans le cadre de la fonction législative et de contrôle du Parlement, particulièrement après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Cette incompatibilité prête d'autant plus le flanc à la critique que l'attribution de missions temporaires aux parlementaires s'est tendanciellement accrue. D'un choix ponctuel pour associer des parlementaires à l'action gouvernementale, ces désignations sont devenues un procédé commun. Ainsi, depuis 2007 et à la seule exception de l'année 2012 en raison de l'échéance électorale, entre six et neuf sénateurs ont été nommés chaque année pour une mission temporaire. Par comparaison entre 1973 et 2002, le nombre maximal de sénateurs nommés chaque année ne dépassait pas six, avec onze années sans nomination.

Nombre de missions
confiées à 22 ( * )

XI ème législature
(1997-2002)

XII ème législature
(2002-2007)

XIII ème législature
(2007-2012)

XIV ème législature
(2012-2015)

un député

71

76

77

76

un sénateur

5

32

36

24

Source : commission des lois du Sénat

Ainsi, le Gouvernement puise dans le vivier parlementaire des ressources à son seul bénéfice puisqu'il est maître de la mission et du résultat de la mission. Cette survivance est à l'opposé de la volonté du constituant qui, par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a souhaité renforcer l'activité de contrôle et d'évaluation au sein du Parlement, avec l'assistance éventuellement de la Cour des comptes.

La solution proposée par la désignation d'un parlementaire en mission n'est donc pas satisfaisante car elle place le Parlement au service du Gouvernement .

Enfin, les modalités particulières - et avantageuses pour le titulaire - de remplacement conduisent à des désignations qui ne présentent qu'une finalité électorale . Comme le souligne l'auteur de la proposition de loi organique, « la nomination d'un parlementaire en mission permet donc une sortie honorable de l'hémicycle, tout en protégeant la majorité d'une élection partielle souvent très incertaine . »

Le Gouvernement s'était défendu de telles intentions en 2013 lorsque le Sénat, à l'initiative de notre collègue Jacques Mézard et de plusieurs de ses collègues, avait obligé à pourvoir au remplacement d'un parlementaire dont la mission temporaire était prolongée par une élection, en ce qui concerne les députés et les sénateurs élus au scrutin majoritaire. M. Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, avait proposé en séance publique la suppression de cette modification en jugeant que « proposer de procéder à une élection partielle au lieu de remplacer le parlementaire concerné par son suppléant, comme le fait la commission des lois du Sénat, repose sur l'idée selon laquelle le Gouvernement provoquerait volontairement le départ d'un parlementaire à l'issue du délai de six mois à seule fin de le faire remplacer par son suppléant », ce qu'il réfutait au nom du Gouvernement.

Pourtant, deux exemples récents offrent un démenti. M. François Brottes, député, a ainsi vu sa mission temporaire prolongée, le 17 août 2015, avant qu'il ne soit nommé le 1 er septembre à la présidence du directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE). M. Pierre Moscovici, également député, avait également été nommé comme parlementaire en mission le 5 mai 2014, mais la prise d'effet de sa nomination comme commissaire européen le 1 er novembre 2014 a mis fin à son mandat sans permettre l'écoulement du délai de six mois autorisant à prolonger la durée de la mission temporaire et donc son remplacement sans organiser d'élection.

Il faut relever par ailleurs que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a transformé le remplaçant du parlementaire devenu ministre en « remplaçant temporaire » qui rend son mandat au ministre lorsque celui-ci quitte le Gouvernement, fait du ministre le titulaire d'une fonction précaire mais avec garantie du retour dans son assemblée d'origine sans élection partielle qui le rapproche du parlementaire en mission dans la pratique actuelle des institutions. Pour votre rapporteur, le remaniement gouvernemental permanent, qui se traduit par une inflation du personnel gouvernemental, a ainsi son parallèle avec l'accroissement continu du nombre de parlementaires en mission.

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission a approuvé la suppression de la possibilité pour le Gouvernement de confier une mission temporaire à un parlementaire. Toutefois, cette disparition n'empêcherait pas le Gouvernement d'associer les parlementaires au travail gouvernemental mais selon des modalités qui ne portent pas atteinte à l'indépendance du parlementaire et ne le détournent pas de l'exercice de son mandat parlementaire.

Sur proposition de son rapporteur, elle a ainsi adopté, à la proposition de loi organique n° 3, un amendement rédactionnel COM-1 à l'article 1 er ainsi qu'un amendement COM-3 supprimant l'article 2, devenu inutile en raison des modifications opérées à l'article 1 er . Seraient ainsi abrogés l'article L.O. 144 du code électoral qui prévoit la possibilité de confier une mission de temporaire à un parlementaire pendant six mois ainsi que les références à une telle mission au sein du même code. Enfin, votre commission a adopté, par cohérence, un amendement COM-2 de son rapporteur prévoyant d'abroger le 2° de l'article 1 er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 et donc la possibilité pour un parlementaire en mission de déléguer exceptionnellement son vote à un collègue appartenant à la même assemblée parlementaire.

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi organique ainsi modifiée.


* 22 Un même parlementaire peut, au cours d'une législature, se voir confier plusieurs missions successivement.

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