EXAMEN EN COMMISSION

(MERCREDI 27 JANVIER 2016)

M. Hugues Portelli , rapporteur . - Le parlementaire en mission est apparu sous la seconde République. Alexis de Tocqueville avait un ami proche, Francisque de Corcelle. En mars 1849, Tocqueville est ministre des affaires étrangères, Corcelle est député : il sera désigné comme envoyé officiel en Italie, avec rang de ministre plénipotentiaire - tout en restant député ! Première entorse au principe strict de séparation des pouvoirs. La loi du 15 mars 1849 a créé les parlementaires en mission - avec une limitation à six mois. Sous la V ème République, le législateur organique fixe des règles d'incompatibilité assez strictes entre le mandat parlementaire et les activités non électives, seuls les professeurs d'université et les ministres des cultes d'Alsace-Moselle bénéficiant d'une dérogation.

Or, dès octobre 1958, apparaît la pratique des parlementaires en mission - avec une limite de six mois, comme en 1849. Il s'agit d'une fonction publique non élective ; le parlementaire reste pleinement parlementaire pendant cette mission ; celle-ci ne donne lieu à aucune indemnité. Le contrôle de la nomination par le juge administratif est pour le moins léger, de même que pour la prolongation. Le Conseil constitutionnel a été saisi une fois, en l'occurrence, de la prolongation d'Edgar Faure, parlementaire en mission chargé des célébrations du bicentenaire de 1989. Cette mission ayant duré plus de six mois, un électeur du Doubs a saisi le Conseil constitutionnel - qui a décliné de se prononcer faute pour le bureau de l'assemblée d'origine du parlementaire d'avoir été préalablement saisi.

Le Conseil d'État a une jurisprudence aussi prudente. Dans l'arrêt Mégret de 1998, il estime qu'une mission temporaire est effective si elle s'est achevée par la remise d'un rapport. Or, ce n'est pas toujours le cas...

Certains cas sont plus surprenants : pour Christian Nucci, nommé Haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie pendant six mois, puis, après une interruption, à nouveau nommé pour une seconde mission identique, l'Assemblée nationale a considéré qu'il s'agissait d'une seule et même mission...

Le nombre de parlementaires en mission s'accroît. Certains exercent de facto une mission sans être nommés officiellement - pour préparer une proposition de loi, assurer le suivi d'une loi en vigueur, préparer une transposition de directive. Deuxième cas de figure : un décret est pris et publié au Journal officiel , sans forcément indiquer la lettre de mission...

M. Mézard estime que ces pratiques sont contraires à l'esprit de la Constitution, puisqu'elles conduisent le parlementaire à exercer à la fois une mission parlementaire et une mission administrative, chacune à plein temps. Pour son mandat parlementaire, il peut déléguer son vote à l'Assemblée nationale. Récemment, on a ainsi vu apparaître in extremis quatre délégations de vote de parlementaires en mission - qui ont fait basculer le résultat du vote !

Depuis la révision constitutionnelle de 2008, un député nommé ministre revient au Parlement quand il quitte le Gouvernement : exit les remaniements ministériels, place au turn over continu, on l'a vu encore ce matin. De même, nous avons des parlementaires en mission continue, qui tournent... La proposition de loi organique de M. Mézard me paraît parfaitement justifiée.

M. Pierre-Yves Collombat . - Bravo.

M. Hugues Portelli , rapporteur . - La première proposition de loi organique supprime le parlementaire en mission. La seconde est une solution a minima , qui prévoit une élection législative ou sénatoriale partielle plutôt que la nomination du suppléant ou du suivant de liste. J'y suis également favorable.

M. Jacques Mézard . - M. Portelli a parfaitement résumé la situation. Nous avons eu très récemment l'illustration de certaines dérives. Il est temps de remettre les pendules à l'heure, ce sera un progrès dans la transparence.

M. Alain Richard . - Notre rapporteur a méconnu une composante de la genèse de la Constitution de 1958 : la grande admiration de Michel Debré pour le système britannique, où des secrétaires parlementaires jouent le rôle d'adjoint du ministre, tout en restant parlementaires. L'Allemagne fait de même.

Exercer à plein temps plusieurs missions, c'est vrai pour beaucoup de parlementaires, dans leur département ou leur ville... Gardons-nous par conséquent d'aller trop loin dans ce raisonnement. L'important est que nommer un parlementaire en mission ne perturbe pas la vie parlementaire.

C'est une exagération théorique que de voir dans cette situation une aberration. Beaucoup de parlementaires sont intéressés par ces missions. Je reconnais toutefois qu'il faudrait supprimer la possibilité de prolonger les missions, et d'installer, par ce biais, le suppléant. Mais supprimer le parlementaire en mission serait un appauvrissement de la vie institutionnelle.

Le second texte, en revanche, ne me pose pas de problème.

M. Alain Vasselle . - Quelles seraient les conséquences de l'adoption de cette proposition de loi organique ? Le rapporteur invoque, comme principal argument, le cumul des missions. Est-ce considérer que le mandat de parlementaire ne peut être cumulé avec quelque activité que ce soit ? C'est apporter de l'eau au moulin des partisans du non-cumul, voire de ceux qui prônent l'interdiction de toute activité professionnelle. Pour ma part, je suis encore agriculteur en activité. Appuyons-nous plutôt sur la distinction entre pouvoir exécutif et législatif, puisque le parlementaire a aussi pour mission de contrôler le Gouvernement et l'application des lois !

M. Pierre-Yves Collombat . - La Constitution de 1958-1962 n'est pas celle d'aujourd'hui, où tous les pouvoirs, y compris législatifs, sont à l'Élysée ! Les parlementaires en mission sont un des outils du pouvoir exécutif, qui ne fait plus appel au référendum - sinon pour s'asseoir dessus. La première proposition de loi organique me convient.

M. René Vandierendonck . - M. Bignon et moi-même allons être désignés parlementaires en mission pour effectuer, dans un délai précis, un travail qui s'ajoutera au travail parlementaire, et qui ne donnera lieu à aucune indemnisation. Cela dit, j'estime, m'exprimant à titre personnel, qu'il est temps de mettre fin à une situation choquante, paradoxale sur les modalités de remplacement des parlementaires en mission. On pourrait citer des exemples de cooptation... Je voterai le deuxième texte et m'abstiens sur le premier.

M. Hugues Portelli , rapporteur . - Au Royaume-Uni, tout membre du Gouvernement doit être parlementaire. Les secrétaires parlementaires sont les assistants du ministre. La situation n'est en rien comparable à la nôtre.

Difficile d'être à la fois du côté du Parlement, qui vote les lois, et du Gouvernement, qui les applique. La situation est schizophrénique ! On sait, quand on est rapporteur, les pressions du Gouvernement, du président du Conseil constitutionnel, pour faire retirer tel ou tel amendement. Entorses scandaleuses au principe de séparation des pouvoirs ! Aujourd'hui, le ministre est un parlementaire en mission : son suppléant lui rend son siège dès qu'il quitte le Gouvernement... Pour mettre un point d'arrêt à cette dérive, il faut voter la proposition de loi organique.

M. Jean-Pierre Sueur . - Je demande une brève suspension de séance.

La réunion, suspendue à 10 heures, reprend à 10 h 05

M. Philippe Bas , président . - Il y a 3 amendements, rédactionnel, de cohérence et de coordination, présentés par le rapporteur. Nous lui faisons confiance.

Article 1 er

Les amendements COM-1 et COM-3 sont adoptés.

Article 2

L'amendement COM-2 de suppression est adopté.

La proposition de loi organique n° 3 est adoptée dans la rédaction issue de ses travaux.

M. Philippe Bas , président . - Compte tenu du vote intervenu sur le premier texte, le second texte perdrait son objet en séance.

M. Jacques Mézard . - Je retirerai le second texte.

M. Jean-Pierre Sueur . - Si le premier texte n'était pas voté en séance publique, il serait utile d'adopter le second.

M. Philippe Bas , président . - M. Mézard devrait le retirer.

M. Jean-Pierre Sueur . - Notre groupe aurait voté le deuxième texte, s'il avait été mis au vote.

M. Philippe Bas , président . - Il vous en est donné acte.

Mme Jacqueline Gourault . - J'aurais voulu reprendre ce deuxième texte, que j'aurais voulu voter.

M. Philippe Bas , président . - Pour la séance publique, vous pouvez toujours rédiger un amendement au premier texte qui vient d'être adopté pour arriver au résultat du second texte.

Le sort des amendements examinés par la commission pour la proposition de loi organique n° 3 est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er

M. PORTELLI, rapporteur

1

Rédactionnel

Adopté

M. PORTELLI, rapporteur

2

Coordination

Adopté

Article 2

M. PORTELLI, rapporteur

3

Coordination

Adopté

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