ANNEXES
Audition de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication

MERCREDI 16 DÉCEMBRE 2015

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie, madame la ministre, de nous consacrer ce temps d'échange dans le cadre de nos auditions préparatoires à l'examen au Sénat du projet de loi relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine, que nous continuerons en janvier. Nos rapporteurs, Françoise Férat pour le patrimoine et l'architecture et Jean-Pierre Leleux pour la création, ont souhaité associer l'ensemble des sénateurs à ces auditions. Nous avons d'ores et déjà organisé trois tables rondes sur la musique, l'architecture et, ce matin même, le patrimoine. La poursuite de notre travail en janvier nous aidera à affiner notre position.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication . - Après son adoption à une assez large majorité par l'Assemblée nationale le 6 octobre, ce sera, en effet, dans quelques semaines, à votre tour de vous prononcer sur ce projet.

Depuis les grandes avancées de la fin du XIX e et du début du XX e siècle, il est rare que soit inscrite dans une loi une liberté nouvelle ; plus rare encore d'affirmer cette liberté au moment même où elle revêt un caractère urgent et nécessaire. Ainsi, la liberté de création, reconnue dans la législation de nombreux autres pays européens, est consacrée à l'article 1 er de ce projet dans la France de l'après-13 novembre.

Chacun est conscient que les fanatiques qui nous ont attaqués s'en sont pris à la vie culturelle de notre pays, à travers une rédaction de journal, puis une salle de spectacle, des terrasses de cafés et les abords d'un stade. Ils ont voulu atteindre notre façon de vivre en société, d'agir en commun, de donner du sens à nos existences, et bien sûr notre culture.

Frappée au coeur, il est indispensable que la France réponde en réaffirmant ce qu'elle est. Nous sommes vulnérables parce que nous croyons en la liberté : cette vulnérabilité fait notre grandeur.

C'est un acte symbolique, juridique, au sens politique, voire philosophique, très fort : dans quelques semaines, si vous en décidez ainsi, la liberté de création aura force de loi au même titre que les libertés d'expression et de conscience. La portée de ce geste dépasse l'ordre du symbole. Cette liberté subit des attaques, insidieuses ou franches, de plus en plus fréquentes : oeuvres saccagées, spectacles annulés, artistes agressés, expositions remises en cause, catalogues envoyés au pilon, films pourchassés, art contemporain méprisé, artistes décrits comme des fainéants qui devraient s'occuper des enfants, et j'en passe - au nom d'une vision étroite, ethnicisée, pétrifiée de la culture et de la nation censée répondre aux craintes de nos concitoyens !

Qui douterait de la nécessité de graver cette liberté dans le marbre de la loi ? La liberté d'expression suffit-elle à garantir aux artistes leur place primordiale dans notre vie culturelle, mais aussi dans notre existence quotidienne ?

Consacrer la liberté de création est aussi une mesure pour l'avenir. Nous ne savons pas à quoi ressembleront les oeuvres de demain, mais il faut soutenir leur émergence ; car les artistes ont souvent un temps d'avance sur la société, les institutions, qu'ils expriment sous la forme de la transgression, de la remise en question de l'ordre - et la société a parfois du mal à l'accueillir. Or c'est par les chemins singuliers empruntés par les artistes que nous pouvons renouer avec notre histoire commune. Le premier article du projet de loi est un acte de protection mais aussi de confiance envers les artistes, pour renouveler chaque jour la rencontre entre ceux-ci et le public.

Des dispositions garantissant la liberté de diffusion, corollaire de la liberté de création, ont été introduites au sein de l'article 2 lors de la première lecture à l'Assemblée nationale. J'en discuterai bien volontiers avec vous. La liberté de création n'a de sens que rendue accessible au plus grand nombre.

Dans ses autres articles, le projet de loi fixe les objectifs des politiques culturelles et donne une base juridique indiscutable aux labels. Il reconnaît aussi le caractère public des collections des fonds régionaux d'art contemporain (Frac), tout en renforçant leur mission. Les pouvoirs publics seront toujours des acteurs majeurs de la vie culturelle.

Le texte offre également un cadre pérenne aux artistes ; il reconnaît les professions du cirque et les marionnettistes, en les ajoutant à la liste des métiers artistiques, ce qui leur ouvre l'accès aux droits sociaux. C'est une avancée non négligeable.

Il clarifie les relations entre les artistes-interprètes d'une part, les producteurs et diffuseurs d'autre part, dans le sens d'une plus grande transparence, alors que la mutation numérique change la donne en profondeur. De même, le médiateur de la musique créé par le projet constituera une instance de conciliation, ce qui sera particulièrement utile, dans le contexte d'une modification des relations économiques dans la chaîne de la création.

Les dispositions relatives à la musique ont été complétées à l'Assemblée nationale par l'introduction d'un partage plus équitable des revenus de la musique en ligne, aboutissement du protocole d'accord Schwartz signé, entre autres, par le syndicat des artistes-interprètes qui représente plus de 75 % des signataires de la convention collective nationale de l'édition phonographique. Historique, cet accord a été observé avec attention au niveau européen et international. Il a été signalé par la presse américaine en particulier.

Ces dispositions s'inscrivent dans le combat que je mène en faveur des droits d'auteur auprès des instances européennes ; elles modernisent les modalités d'application des quotas radiophoniques pour donner leur chance aux nouveaux talents et aux nouvelles voix.

Dans ses dispositions relatives au cinéma, le texte clarifie les relations entre producteurs et distributeurs. Je souhaiterais l'étendre, sous forme d'amendement, à la production audiovisuelle.

L'émergence des nouveaux talents sera facilitée par la révision du cadre de formation de la centaine d'établissements de l'enseignement supérieur Culture, qui forment plus de 36 000 étudiants chaque année. Les classes préparatoires publiques aux écoles d'art seront désormais reconnues, ce qui garantira à leurs élèves des droits équivalents à ceux des étudiants. C'est la correction d'une injustice.

Nous donnons enfin aux architectes la possibilité de mettre leur talent au service du bien commun et de la création contemporaine, une démarche lancée par la stratégie nationale pour l'architecture que j'ai présentée fin octobre. Il leur sera possible, à titre expérimental et sous certaines conditions, de déroger à certaines règles d'urbanisme ; pour la construction d'un bâtiment, le seuil au-delà duquel le recours à un architecte est obligatoire est abaissé de 170 à 150 mètres carrés ; enfin la construction de lotissements sera conditionnée à la réalisation d'un diagnostic urbain et paysager par un architecte.

Ces mesures contribuent à l'aménagement durable et surtout à l'embellissement du territoire, qui constituent deux défis majeurs : les Français ont droit au beau dans leur environnement quotidien. Alors qu'un accord historique vient d'être signé à la fin de la COP21, nous devons nous montrer à la hauteur de l'enjeu. Je suis convaincue de l'aide que peuvent apporter les architectes en la matière.

Le texte offre un cadre solide, pérenne et modernisé, pour l'exercice de leur liberté de création, qui doit bénéficier à tous. L'art et la culture participent de la conversation nationale, et c'est à travers une vie culturelle riche et intense que vit notre fraternité républicaine. La culture ne se conçoit que dans l'ouverture à la nouveauté, à l'autre, qui permet l'émerveillement.

Nous avons également inscrit l'éducation aux arts et à la culture comme un objectif majeur, en reconnaissant l'apport des artistes et en élargissant cette notion d'accès à tous les âges de la vie. Un mécanisme de financement des actions artistiques et culturelles par la copie privée a été instauré. Les personnes handicapées se voient assurer un accès élargi aux oeuvres. La vocation du formidable réseau des conservatoires est réaffirmée. Je mise sur des conservatoires ouverts à de nouvelles disciplines, de nouveaux publics, de nouveaux modes d'enseignement, et irriguant l'ensemble du territoire. Enfin, en reconnaissant les pratiques artistiques amateurs qui concernent 12 millions de Français, nous adaptons la loi à la réalité.

Le patrimoine est un enjeu fondamental dans la perspective d'un accès universel à la culture. Les traces du passé sont au coeur de la vie culturelle des Français, comme en témoigne l'intérêt suscité par les journées du Patrimoine. C'est également le cas des archives et des vestiges archéologiques, auxquels j'ai consacré une part importante du projet.

Nous avons souhaité créer des « cités historiques ». Les échanges que nous aurons dans votre Haute Assemblée, chambre des collectivités territoriales par excellence, nous feront avancer, je l'espère, vers une réforme comprise par tous. En effet, j'ai entendu beaucoup de propos erronés sur ce sujet : il ne s'agit ni d'un désengagement de l'État, ni d'une invitation au laisser-faire à l'égard des collectivités territoriales.

La protection du patrimoine a toujours été assurée en collaboration entre l'État et les collectivités. La création des cités historiques empêchera la disparition de plus de 600 zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) qui n'auront pas été transformées en aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (Avap) au 14 juillet 2016, en vertu des dispositions du Grenelle II. La protection du patrimoine est donc renforcée à travers le rôle majeur de l'État, qui classe les territoires concernés, détermine leur périmètre, apporte son assistance technique et financière à l'élaboration des documents d'urbanisme et donne son accord préalable, à travers l'architecte des bâtiments de France (ABF), à tous les travaux envisagés dans le périmètre des bâtiments historiques. Le rôle des associations engagées dans la préservation du patrimoine sera également amplifié.

Certains croient encore que les outils à la disposition des collectivités territoriales seront réduits ; bien au contraire, ils seront renforcés. Les plans de sauvegarde et de mise en valeur pourront être mis en place dans les 800 espaces protégés et non plus seulement les 105 secteurs sauvegardés ; et sur tout ou partie du périmètre. C'est une grande avancée ! Je vous engage à vous saisir de cet outil.

Je reviendrai sur les interrogations que suscite le PLU patrimonial. Sans hésiter, j'affirme que notre texte, avec les cités historiques, est la plus grande loi sur le patrimoine depuis celle de 1962, parce qu'elle clarifie, renforce et légitime la protection et la mise en valeur du patrimoine. À l'évidence, les Français se reconnaîtront davantage dans le label clair de « cité historique » que dans le sigle incompréhensible de ZPPAUP.

La protection des objets mobiliers est renforcée afin de protéger le patrimoine de la dispersion et de la vente à la découpe, dont la villa Cavrois a été victime. Nous travaillons avec la direction générale des patrimoines et le centre des monuments nationaux à le restaurer et à le reconstituer.

Grâce à ce texte, les vestiges archéologiques deviendront, après leur découverte, propriété de la nation. Nous créons également une nouvelle catégorie d'ensembles immobiliers, les domaines nationaux, qui seront inaliénables. La nation reconnaît avec ce texte le patrimoine mondial de l'humanité classé par l'Unesco. Les députés y ont ajouté la reconnaissance du patrimoine immatériel ; enfin, je me félicite aussi de la reconnaissance des archives.

La protection du patrimoine international, menacé par la barbarie à Nimrud, à Palmyre, mais aussi au Mali et en Afghanistan, est plus que jamais d'actualité ; c'est pourquoi le texte renforce la lutte contre le trafic des oeuvres d'art et propose, conformément à la déclaration du président de la République du 17 novembre dernier devant l'Unesco, un droit d'asile aux oeuvres menacées. Des dispositifs numériques sont développés pour la sauvegarde des oeuvres vouées à une destruction irrémédiable. Face à ceux qui tuent et qui détruisent, nous affirmons ainsi notre volonté de transmettre ce patrimoine. Ces dispositions, urgentes et attendues, ont été introduites lors de l'examen par l'Assemblée nationale en première lecture. Je salue l'engagement des sénatrices Sylvie Robert et Bariza Khiari sur ce thème.

L'avenir de notre pays se joue à travers sa vie culturelle, la liberté et la confiance accordées à l'artiste, la participation des habitants à la vie culturelle. La culture est un facteur d'ouverture à l'autre et de fierté de soi ; elle se vit dans une relation juste avec les héritages du passé et les cultures d'ailleurs. Ce projet, avec d'autres textes présentés lors de ce quinquennat, offre les conditions d'une vie culturelle riche, juste, dense et accessible à tous.

Mme Françoise Férat, rapporteure . - Sous couvert de renforcement de la qualité scientifique, vous modifiez profondément l'équilibre trouvé en 2003 sur l'archéologie préventive. Aux termes du projet, il incombe aux services régionaux d'archéologie de noter les offres des opérateurs ; dans ces conditions, comment éviter la collusion entre l'INRAP et ces services, dès lors que les mobilités se développeront entre les deux instances ?

Le projet de loi de finances a re-budgétisé la part de la redevance de l'archéologie préventive (RAP) versée à l'INRAP et supprimé l'affectation de cette redevance aux collectivités territoriales dans le cas où celles-ci réalisent le diagnostic d'archéologie préventive. Désormais, elles « peuvent » bénéficier d'une subvention de l'État. Quels sont les critères d'attribution de cette subvention ?

La disparition des ZPPAUP est programmée pour l'été 2016, avant le transfert en 2017 des compétences en matière d'urbanisme aux intercommunalités, ce qui peut justifier une réforme. Mais la loi reste muette sur la finalité exacte des cités historiques. Le contrôle de l'État ne devrait-il pas être renforcé pour éviter une trop grande hétérogénéité dans la protection du patrimoine, étant donné que pour sa mise en oeuvre, la réforme s'en remet aux PLU dont chacun connaît la réversibilité ?

L'article 30 habilite le Gouvernement à modifier le code du patrimoine par ordonnances : c'est une véritable dépossession du Parlement. Sur des dispositions comme la mesure rendant définitif le refus du certificat, je souhaiterais, en tant que parlementaire, disposer d'un texte précis afin de donner un avis en connaissance de cause.

Je me félicite qu'un grand nombre d'éléments de la proposition de loi sur le patrimoine monumental de l'État, dont je suis co-auteur, soient introduits dans ce projet. Cependant, nous proposions également de mieux encadrer les cessions, qui se poursuivent, par l'intermédiaire de France Domaine, et que l'on apprend parfois par la presse. C'est un patrimoine essentiel qui nous échappe. Ne peut-on introduire cette question dans le texte ? La nouvelle commission nationale des cités et monuments historiques ne pourrait-elle être investie d'un rôle en la matière ?

Mme Colette Mélot . - Le rapporteur a évoqué les nombreuses interrogations sur le PLU patrimonial. Le projet de loi met fin à la superposition des règles d'urbanisme, mais les acteurs du patrimoine sont inquiets.

En matière d'archéologie préventive, la création d'une présomption de propriété au profit de l'État pour l'ensemble des vestiges mobiliers remplace le partage de propriété avec le propriétaire du terrain ; mais l'on risque ainsi de décourager les propriétaires et inventeurs de déclarer leurs découvertes, au profit du marché occulte. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Enfin, nous avons été alertés sur la menace de destruction des seuils patrimoniaux des moulins en raison du principe de restauration de la continuité écologique des cours d'eau par les services du ministère de l'écologie.

M. Jean-Louis Carrère . - C'est vrai !

Mme Colette Mélot . - Nos 60 000 moulins constituent le troisième patrimoine de France après les églises et les châteaux. Lors de la discussion du texte à l'Assemblée nationale, vous avez proposé en commission une circulaire sur le sujet ; mais en séance, le 1 er octobre, vous vous êtes engagée à mettre en place un groupe de travail dans les prochaines semaines. Nous n'avons pas de nouvelles depuis... Une disposition légale s'impose sans doute pour la défense de monuments qui relèvent du patrimoine de l'État.

Mme Corinne Bouchoux . - Selon vous, ce texte offre un cadre rassurant aux professionnels. C'est bien ce qui ressort de l'étude d'impact. Quid des droits patrimoniaux des artistes des arts visuels, en particulier la photographie, qui sont spoliés par le progrès technique ? Cette question présente une dimension patrimoniale, à travers les photothèques.

Mme Marie-Pierre Monier . - Je me félicite de l'introduction en droit français de la notion de patrimoine immatériel déjà retenue par l'Unesco, ainsi que des dispositions relatives aux dépôts et aux archives.

Les intercommunalités de petite taille nous ont fait part de leurs inquiétudes quant à la charge que pourrait représenter la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV). Comment les aider ? C'est une question récurrente.

Concernant le PLU patrimonial, j'attire votre attention sur les petites modifications qui, année après année, peuvent le dénaturer. Il convient d'introduire un contrôle et une concertation avec l'ABF.

Je me félicite que la procédure de contrôle des projets scientifiques d'intervention (PSI) ait été inversée puisque désormais, elle intervient avant la mise en oeuvre du projet. Toutefois, plutôt qu'une notation et un classement, les services de l'État pourraient-ils donner une appréciation, afin de laisser à l'aménageur une marge de manoeuvre dans le choix final ?

Mme Vivette Lopez . - Ma collègue a justement soulevé le problème des moulins. Apportez-vous, madame la ministre, des solutions concrètes en faveur de la continuité écologique et de leur protection ?

Mme Dominique Gillot . - J'ai été sollicitée par des représentants de l'INRAP, qui expriment de vives inquiétudes quant à la solvabilité de leurs chantiers, compte tenu de la privatisation du marché. L'Assemblée nationale a introduit des améliorations en la matière, notamment l'extension du crédit impôt recherche à l'INRAP dans la mesure où celui-ci contribue à l'embauche de chercheurs. Toutefois, la question de la maîtrise d'ouvrage scientifique demeure. L'INRAP n'est pas opposé à l'ouverture du marché de la fouille préventive, pourvu que des garanties en matière de qualité des travaux, de recrutement de chercheurs soient apportées, et que le contrôle de la maîtrise d'ouvrage scientifique soit renforcé.

M. Jean-Louis Carrère . - J'insiste sur la problématique des moulins, véritable préoccupation pour les territoires ruraux.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Réaffirmer le rôle de l'État en matière d'architecture, de patrimoine et d'archéologie me paraît tout à fait positif. Je partage également les préoccupations exprimées quant à la solvabilité de l'INRAP.

Le texte remplace le périmètre automatique de protection de 500 mètres autour des monuments historiques par un périmètre délimité des abords. Je crains que cela n'entraîne des différences de traitement, voire des pressions de la part d'intérêts particuliers afin de continuer à construire dans des périmètres plus rapprochés.

Il est également précisé que les conseils régionaux de l'ordre des architectes assurent la représentativité des territoires ; dans le cadre de ce rôle renforcé, qu'en est-il de la féminisation de la profession ?

Mme Françoise Férat, rapporteure . - Les articles, insérés lors de l'examen à l'Assemblée nationale, qui mettent en oeuvre la stratégie nationale pour l'architecture, que vous avez évoquée, madame la présidente, sont controversés. Ainsi du 26 quater issu d'un amendement du Gouvernement, qui rend obligatoire le recours à un architecte pour les projets d'aménagement d'un lotissement ; pourquoi ne pas faire mention des compétences nécessaires en matière d'urbanisme et de paysage ? Les zones d'activité commerciale en entrée de ville sont particulièrement désagréables à l'oeil ; ne devraient-elles pas être concernées par ce dispositif ?

Je porte un regard sévère sur la question de l'instruction des permis de construire. L'État se désengage et les intercommunalités auront besoin de temps pour se doter de services susceptibles de prendre de relais. Dans ces conditions, la réduction du délai imposé pour la délivrance du permis de construire arrive à un très mauvais moment.

Enfin, quel est votre opinion sur les signatures de complaisance ? On demande aux élus locaux d'assumer un rôle de censeur qui revient en réalité à l'ordre des architectes.

Mme Maryvonne Blondin . - Les architectes d'intérieur sont capables de faire en sorte que les logements sociaux soient aussi des logements agréables à vivre ; quelle est leur place dans ce projet de loi ?

Qu'en est-il de la gestion des archives départementales et des communes ? Le directeur des archives est aujourd'hui partagé entre l'État et le conseil départemental ; sera-ce toujours le cas ?

Mme Fleur Pellerin, ministre . - En matière d'archéologie préventive, notre objectif était de trouver un meilleur équilibre que celui de la loi de 2003 qui, d'après toutes les parties concernées, n'était pas satisfaisant. L'introduction du secteur privé n'a pas eu d'effets positifs. Nous avons souhaité mieux prendre en compte les impératifs scientifiques et renforcer la qualité des fouilles.

Je puis vous assurer qu'il n'existe pas de collusion entre les agents des services régionaux d'archéologie préventive et ceux de l'INRAP - cela relève de l'éthique de la fonction publique. Leur seul critère est la qualité scientifique des fouilles.

Vous avez évoqué la re-budgétisation de la RAP. Les collectivités territoriales recevaient 2 à 3 millions d'euros à ce titre chaque année ; désormais, plus de 10 millions d'euros leur sont garantis. Nous augmentons les ressources des collectivités dans ce domaine, mais aussi leur prévisibilité. La répartition du produit de la redevance entre les communes est fixée par décret en fonction des surfaces.

Le Gouvernement a choisi de faire porter le projet de loi sur les principes et les dispositions les plus significatives. La liste des habilitations à légiférer par ordonnance est longue mais les améliorations à apporter sont importantes. L'étude d'impact en précise le champ et le contenu, et nos services sont disposés à vous communiquer au plus vite les premiers projets d'ordonnances. Quant au certificat d'exportation, il s'agit de mieux contrôler les conditions dans lesquelles les éléments du patrimoine peuvent quitter le territoire, sans porter atteinte au droit de propriété.

Les textes relatifs à la cession du patrimoine de l'État sont maintenus. L'avis de la ministre est requis et je puis saisir la Commission nationale des monuments historiques si nécessaire.

La présomption de propriété publique est consacrée pour l'ensemble du patrimoine archéologique ; nous rejoignons sur ce point de grands pays d'archéologie comme l'Italie, la Grèce, l'Espagne, l'Allemagne ou encore la Suisse. C'est une mesure de simplification. On avance que les inventeurs seront dissuadés de signaler leur découverte ; mais en réalité, les déclarations de découverte fortuite de mobiliers métalliques sont très rares : trois en 2014, 128 depuis 1941. Dans la plupart des cas, la conservation du patrimoine archéologique, qui n'est pas toujours fait d'objets précieux, est une responsabilité importante. C'est pourquoi la plupart des propriétaires renoncent à exercer leur droit en la matière. Dans le cadre des fouilles préventives menées en Poitou-Charentes depuis 2001, 90 % des propriétaires privés ont renoncé à leur droit et laissé les mobiliers à l'État.

Un dialogue a été engagé avec le ministère de l'écologie sur la question des moulins. Un groupe de travail commun a été constitué après l'examen du texte à l'Assemblée nationale ; l'une de ses premières conclusions est la nécessité de développer les contacts entre les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) et les directions départementales des territoires (DDT). Il est également suggéré de signaler le caractère patrimonial des bâtiments dans la cartographie établie par les agences de gestion des cours d'eau. Enfin, des actions de formation croisées et la mutualisation des exemples d'amélioration de la continuité écologique prenant en compte le patrimoine sont envisagées. Les membres du groupe travaillent également à la mise en oeuvre opérationnelle de ces préconisations en lien avec les associations de défense des moulins.

Sur l'analyse des PSI, je suis prête à remplacer la notion de notation par celle d'appréciation à propos de la partie scientifique du projet. Travaillons-y d'ici à la séance publique !

Le crédit impôt recherche (CIR) avantage incontestablement les opérateurs privés d'archéologie préventive. Le dispositif ne vise aucun secteur en particulier et certaines dépenses d'archéologie y sont, à l'évidence, éligibles. En revanche, toute dépense en matière d'archéologie n'est pas nécessairement éligible au CIR. Un amendement adopté à l'Assemblée nationale a pour objet d'éviter un détournement du CIR et des effets d'aubaine qui entraîneraient des distorsions de concurrence. Nous avons engagé avec le ministère de l'éducation nationale une discussion afin de faire du CIR un véritable aiguillon pour l'innovation et la recherche. J'en rendrai compte d'ici à la deuxième lecture du projet. Il convient que les opérateurs publics de l'archéologie y aient accès, afin d'éviter les distorsions de concurrence.

La notion de maîtrise d'ouvrage scientifique figure dans le projet. Différentes dispositions concourent à la renforcer.

Mme Gonthier-Maurin m'a interrogée sur les abords des monuments historiques. Le code du patrimoine rend possible une réduction ou un dépassement de la distance de 500 mètres, ajustée selon les lieux. Il ne prévoit pas explicitement que ce périmètre puisse être limité à l'emprise du monument. Cette disposition figure en revanche dans le projet de loi. Je sais qu'elle inquiète certains parlementaires. Mais il existe des cas où l'environnement est très dégradé ou la protection des abords sans enjeu. La pyramide-obélisque de Juvisy-sur-Orge donne sur la route nationale 7. C'est toujours l'ABF qui propose la délimitation des abords. Je suis ouverte à une nouvelle rédaction du texte sur ce point.

Le recours à l'architecte pour le permis d'aménager des lotissements est de nature à améliorer le cadre de vie des habitants en faisant appel à des professionnels qualifiés. Le projet n'introduit pas de monopole des architectes, mais pose le principe a minima du recours nécessaire à ces derniers. Une concertation avec des professionnels de l'aménagement et les autres ministères concernés précisera par décret les lotissements visés.

On m'a interrogée sur le permis de construire simplifié. Mon objectif est que le recours à l'architecte, d'intérêt général, soit aussi naturel en France que dans de nombreux autres pays. Il n'est pas toujours synonyme de surcoût ni de complexification. On peut obtenir un meilleur résultat à un prix abaissé. Je suis favorable par principe aux expérimentations qui encouragent à mieux légiférer.

L'Assemblée nationale a inscrit dans le projet de loi le principe d'une division par deux des délais d'instruction quand le recours à l'architecte n'est pas contraint, c'est-à-dire sous le seuil dérogatoire de 150 m 2 . Je souhaite poursuivre cette expérimentation avec les collectivités territoriales volontaires. Très prochainement, nous lancerons un appel à manifestation d'intérêt pour éclairer la mise en oeuvre de la disposition votée par l'Assemblée nationale. Cette expérimentation déterminera les conditions de mise en place d'un contrôle par l'Ordre des architectes à l'échelon régional, pour lutter contre les éventuelles signatures de complaisance.

L'architecture d'intérieur est très importante, notamment pour l'amélioration du cadre de vie dans les logements sociaux. Je ne suis pas persuadée que la seule voie soit législative. J'ai lancé très récemment plusieurs initiatives, en particulier avec la Caisse des dépôts et consignations, dont des expérimentations de réhabilitation, de rénovation ou de construction qui mettent l'accent sur l'aménagement d'intérieur, avec de grandes fédérations d'offices HLM s'adjoignant l'expertise d'architectes d'intérieur ou de designers, afin d'anticiper les besoins futurs, compte tenu de l'évolution des familles, du vieillissement, du handicap. Ces professions seront mises à contribution pour participer à cette réflexion.

Mme Bouchoux a évoqué la photographie. Je suis favorable bien sûr au respect des droits d'auteur, qui sera, même si la gestion de la photographie est éparpillée au ministère de la culture, l'un des thèmes du Conseil national, dont j'ai annoncé la création lors des rencontres d'Arles, et qui constituera le parlement des professions de la photographie. À l'Assemblée nationale, je me suis opposée à la limitation des droits d'auteur des photographes, par l'exception de panorama.

M. Jean-Louis Carrère . - Je tiens, par courtoisie, à vous informer que je vous interpellerai en séance sur le problème des arts taurins et de la corrida, en faveur desquels nous considérons, dans le Sud-Ouest, que le ministère n'a pas joué son rôle. Leur classement, grâce à Frédéric Mitterrand, au patrimoine immatériel de l'humanité, avait eu un certain relief. C'est la traduction de notre ADN. J'y suis, à titre personnel, très attaché.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Abordons à présent la partie du projet de loi relative à la création.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur . - Comme Françoise Férat l'a dit, nous avons engagé depuis quelques semaines un marathon d'auditions, passionnant et éreintant, au cours duquel nous abordons la pelote de laine des sujets évoqués par votre texte. Dès que l'on tire un fil, l'on tombe sur une autre pelote. C'est assez complexe !

Vous avez affirmé que ce projet était « historique », d'une portée aussi importante que les grandes lois culturelles des années 1960. Soit, j'en prends acte. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a émis en juin un avis un peu plus sévère sur ce texte, en disant qu'il manquait d'ambition, se limitait à des aspects déclaratifs s'inscrivant dans un droit « mou ». Qu'avez-vous à dire pour votre défense ?

L'article 2, modifié par l'Assemblée nationale, précise que les acteurs publics, État et collectivités territoriales, mettent en place une politique « de service public » en faveur de la création artistique. Pourquoi réduire le périmètre de cette politique aux services publics alors que les artistes ne sont pas des fonctionnaires mais des personnalités particulièrement indépendantes, et que de nombreuses institutions privées concourent à cette politique ? Pourquoi ne pas adopter une rédaction moins étatiste ?

L'article 3 prévoit que la nomination du dirigeant d'une structure labellisée fait l'objet d'un agrément du ministre de la culture. Pourquoi prévoir cette disposition qui ne figure pas dans le droit applicable ? Celui-ci contraindrait sensiblement le pouvoir de nomination des collectivités territoriales qui participent aux jurys. Avez-vous des exemples de nominations qui auraient posé problème ? Pourquoi ne pas en rester à la possibilité de remettre en cause le label si l'institution ne respecte pas ses engagements ? La prééminence de l'État dans la nomination est une intrusion trop forte, même si l'on en comprend les motivations, pour la qualité de la gestion de la structure labellisée.

La société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami) et la société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes (Spedidam) ont été déçues que le principe d'une gestion collective obligatoire des revenus tirés de l'exploitation numérique des oeuvres musicales n'ait pas été retenu dans le protocole d'accord de M. Schwartz. La concertation va se poursuivre. Quel risque cette absence de leur signature fait-elle courir à l'effectivité de cet accord et sur les relations à venir entre les acteurs de la filière musicale ? Il se dit que l'article 6 bis , qui étend la licence légale aux web radios, farouchement combattu par les producteurs, aurait été introduit pour contenter l'Adami dans l'espoir de la voir signer l'accord... Quid du maintien de cette disposition, alors que la signature du protocole Schwartz par l'Adami s'éloigne ?

Plusieurs articles relatifs à la copie privée ont été introduits à l'Assemblée nationale. L'un d'entre eux renforce le pôle public au sein de la commission afin d'apaiser les tensions et d'assurer plus de transparence. Si l'objectif est louable, pourquoi ne pas nommer des personnalités qualifiées comme le rapport Lescure le proposait ? Au nom de la transparence, une déclaration d'intérêts, au moins du président de la commission, ne serait-elle pas pertinente ?

Lors des dernières rencontres d'Arles, vous aviez annoncé la création, d'ici la fin de l'année 2015, d'un Conseil national de la photographie et d'un Conseil national des professions des arts visuels, sur le modèle du CNPS (Conseil national des professions du spectacle). Les professionnels en attendent beaucoup. Avez-vous avancé sur ce sujet ?

S'agissant des dispositions de l'article 17 A, quelles sont les modalités précises du réengagement de l'État dans le financement des conservatoires ? Quels seront les montants et si possible les critères d'attribution de ces financements ?

M. David Assouline . - Nous avons pris le temps d'étudier le projet de loi, depuis son adoption à l'Assemblée nationale. Il est assez vaste. L'article premier consacre la liberté de création, avec l'ambition d'un effet sur notre législation équivalent à la consécration de la liberté de la presse. C'est essentiel sur le plan politique pour toutes les raisons évoquées. Comment consacrer de façon encore plus claire la liberté de diffusion de la création, située à un endroit moins solennel que la première phrase, sur la liberté de création ? Les atteintes à la liberté de création sont concentrées sur la diffusion. Ce sont les expositions d'oeuvres qui sont remises en question.

Le projet consacre un élément essentiel, le partage et la transparence des rémunérations dans les secteurs de la création artistique. Certains sont encore insatisfaits, mais la dynamique de cet accord ne doit pas être remise en question. Il faut peut-être avancer plus, mais la transparence, la modernisation des relations entre acteurs des filières musicales et la nomination du médiateur de la musique sont satisfaisantes. Les plus gros producteurs de musique mènent un lobbying fort contre l'utilité du médiateur, afin de privilégier des rapports de force brutaux. Nous veillerons à son maintien.

Ce texte est déjà touffu, mais un secteur n'a pas été traité par la loi depuis des années alors qu'il est en terrible mutation : l'audiovisuel. Le groupe socialiste réfléchit à la façon de ne pas ignorer l'impact majeur de la création audiovisuelle, puisqu'elle charrie le plus d'argent, de controverses et de dérégulation. Au Sénat, nous sommes attachés à continuer à améliorer la loi, après l'Assemblée nationale.

Mme Marie-Christine Blandin . - Nous apprécions la phrase « La création artistique est libre » :c'est poétique, enflammé, charismatique ; mais c'est l'expression artistique qui a été foudroyée. Il faudra écrire solennellement : « la création et l'expression artistique sont libres ». Elles ne sont pas libres sans frein, puisque les textes européens sur les droits de l'homme empêchent de faire n'importe quoi - le cas de Dieudonné en est la preuve. Y faire référence nous procurerait une liberté éthique, protégée.

Je me félicite de l'article 11 A sur les amateurs et les professionnels. Il peut encore y avoir des frictions. Avant de recourir à la justice, un médiateur ne pourrait-il pas intervenir ? Le médiateur de la musique, concentré sur le partage des valeurs, ne convient pas. Il faudrait un autre lieu de médiation ou une petite mission supplémentaire à ses côtés.

Le label décerné aux structures associatives s'accompagne d'une proposition de nomination du directeur. Or l'État, à travers la signature de la nouvelle Charte des engagements réciproques entre l'État, les collectivités territoriales et les associations, a consacré la liberté des associations, notamment pour le choix de leur directeur par le conseil d'administration. Nous sommes face à une contradiction. Le temps est peut-être venu pour la rue de Valois de lâcher prise sur les nominations, quitte à retirer le label ou interrompre la convention pluriannuelle si le projet est trahi.

Nous souhaitons une action plus importante en faveur de la jeunesse, à moins que votre ministère ne participe au projet global sur la citoyenneté et la jeunesse.

Le patrimoine comprend la culture et la nature. À propos des moulins, n'oublions pas le spectacle vivant des saumons et des truites qui remontent le courant, sauvés, grâce aux passes à poissons...

M. Jean-Louis Carrère . - Ils remontaient très bien tous ces cours d'eau, avant, ce qui permettait de les attraper !

Mme Françoise Laborde . - L'article premier dispose que la création artistique est libre. C'est un peu juste. Lors des auditions, on a plaidé pour des subventions davantage consacrées à la création qu'à l'entretien des lieux. Les labels ou aides doivent-ils créer des obligations ? Comment avez-vous défini le nombre de spectacles des artistes amateurs ? On s'adresse plus à des structures qu'à des humains, or ce sont eux qui créent le spectacle vivant. Les arts plastiques ne sont pas suffisamment couverts. Notre France doit respecter ses envies et créer ses propres lois sans tenir compte de l'Europe en amont. Les lois européennes sont créées grâce aux lois de tous les pays additionnés.

M. Jean-Louis Carrère . - Je suis d'accord.

M. Pierre Laurent . - Nous serons attentifs à renforcer la dimension territoriale, chaque fois que c'est possible. D'autres questions, sur les moyens d'assurer la mission de service public, doivent être posées à ce propos. L'égalité d'accès affirmée suppose une égalité territoriale. Beaucoup d'interrogations demeurent en suspens sur les directions régionales des affaires culturelles (Drac), compte tenu de la réforme territoriale. Nous serons vigilants.

Monsieur Leleux, « mission de service public » ne signifie pas « étatisation ». Dans nombre de domaines, comme celui de la santé, cette mission est assurée par des structures non étatiques.

Mme Dominique Gillot . - L'enseignement supérieur artistique est assuré par quarante-cinq écoles, obéissant à deux logiques administratives différentes : une dizaine d'écoles nationales d'art sous la tutelle conjointe des ministères de la culture et de l'enseignement supérieur et de la recherche, et une trentaine d'établissements publics de coopération culturelle (EPCC) sous tutelle des collectivités territoriales. Le projet intègre, à l'article 17, les enseignements supérieurs de la création artistique dans le paysage de l'enseignement supérieur relevant du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.

La cotutelle des ministères de l'enseignement supérieur et de la culture peut s'entendre pour les écoles nationales, mais un problème se pose pour celles qui relèvent de la libre administration des collectivités territoriales, notamment en matière de fonctionnement et de statut du personnel enseignant.

Le statut d'EPCC est inadéquat pour les établissements d'enseignement supérieur. Il faut prévoir une meilleure articulation, demandée par les directeurs des écoles, qui correspondrait à la volonté affichée par le législateur dans la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013 d'harmoniser le statut des enseignants d'art. Les écoles supérieures d'art doivent intégrer avec leur spécificité le paysage de l'enseignement supérieur. Le projet devrait lever la confusion entre écoles nationales et territoriales, définir la cotutelle, ce qui favoriserait la mise en place d'un troisième cycle spécifique, l'inscription de la spécificité des écoles d'art et de création dans la liste des sections du Conseil national des universités (CNU) et l'intégration des représentants de ces écoles au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) où elles ne sont représentées qu'au titre des personnalités extérieures.

Mme Vivette Lopez . - Ce projet fait peser des contraintes supplémentaires sur les troupes d'amateurs, en créant un diplôme de danse hip-hop. Cette danse existe depuis 1970 ; jusqu'à présent, les danseurs ont pu rayonner dans le monde entier sans diplôme. Pourquoi le leur imposer ? Par cette pratique spontanée, les jeunes issus de classes populaires expriment leur liberté et leur créativité. Autodidactes, ils ne sont pas en mesure de financer une formation dont ils n'ont pas besoin. Pourquoi cloisonner et rigidifier leurs pratiques ?

Mme Sylvie Robert . - L'image de la pelote de laine, employée par le rapporteur, est pertinente : à chaque article ou amendement, l'on tire un fil qui peut aller très loin ! L'objectif de ce texte - et l'article premier importe en cela - est d'affirmer la liberté de création, mais aussi celle de la diffusion et de la programmation. L'inscription de ces deux termes à l'article 2 pose la question de leur valeur symbolique.

Un amendement disposant qu'un décret en Conseil d'État fixe la liste des labels a été ajouté au texte. De nouveaux labels seront-ils créés ? Le statut de marionnettiste est consacré par le projet. Pourrait-on imaginer un label pour cette filière ? Ne consacrerez-vous que les labels existants ? Il s'agit d'ouvrir le dialogue avec les collectivités territoriales sur les missions d'intérêt général et de service public.

Mme Fleur Pellerin, ministre . - Ce texte suscite beaucoup d'intérêt et d'implication. Je vous en remercie. Monsieur Leleux, je n'adopte pas du tout une posture défensive. J'avais survolé le rapport du CESE ; ses critiques, à l'époque, portaient sur notre affirmation politique très forte en faveur de la liberté de création. Je la revendique. Elle est nécessaire et utile. De surcroît, elle a un vrai sens juridique. Le CESE déplorait aussi, il y a déjà un certain temps, le manque de moyens : je les ai obtenus, ils sont conséquents. Je suis l'un des rares ministres à avoir réussi à les augmenter quand tous les autres ministères sont mis à contribution. La loi de finances répond au CESE, dont les critiques n'étaient pas constructives.

Le projet réaffirme un principe indispensable. Les artistes ont besoin d'une protection supplémentaire. La liberté d'expression est garantie, mais sa portée et sa définition sont très générales. S'il est essentiel d'affirmer clairement la liberté de création, tout ne relève pas du champ de la loi. Ma politique passe par d'autres véhicules législatifs, comme les mesures pour l'intermittence inscrites dans la loi relative au dialogue social, mais aussi des actions qui ne sont ni législatives ni réglementaires.

Pierre Laurent m'a devancée sur la notion de service public. Des personnes privées, ou n'agissant pas en tant qu'agent public, remplissent une mission de service public. L'objectif de la loi était de fixer les missions menées par les collectivités territoriales et l'État. L'apport des acteurs privés n'est pas pour autant nié. J'ai présenté ce matin l'initiative « un immeuble, une oeuvre ». Les plus grandes entreprises foncières privées s'engagent à commander une oeuvre à un artiste emblématique de la création française et à l'installer dans tout bâtiment nouvellement construit, quelle que soit sa vocation. L'art contemporain sera ainsi à la disposition de tous les publics et les artistes émergents pourront se faire connaître. Voilà un exemple de mission de service public financée par le secteur privé. Nous reconnaissons l'apport des entreprises privées et de la société civile dans les politiques culturelles. J'ai porté une grande attention au mécénat.

L'État et les collectivités territoriales travaillent en partenariat sur l'ensemble des réseaux labellisés, selon une politique de décentralisation culturelle et de responsabilité partagée. Nous travaillons en bonne intelligence. Les collectivités territoriales s'appuient sur l'expertise de l'État pour choisir les meilleurs candidats. L'évolution du droit nous amène à inscrire cette disposition dans la loi. L'agrément constitue une dimension importante de la labellisation, même si la nomination reste le fruit d'une coopération étroite.

J'ai qualifié le protocole Schwartz d'historique car il a été signé par une grande majorité des acteurs de la musique, et des organisations syndicales représentant trois quarts des salariés. La question du partage de la valeur à l'ère numérique est peu abordée. Ce protocole et l'accord qui en est issu, dont j'espère qu'il sera signé dans la foulée, portent sur la transparence, la promotion de la diversité des esthétiques, les garanties de rémunération des artistes, l'observation des données économiques de la musique, et le recours à la médiation. Tous ces aspects n'étaient pas du tout traités. Ce pas est extrêmement important. Je regrette le choix de l'Adami et de la Spedidam, mais j'espère qu'elles auront des raisons de nous rejoindre.

Rien ne s'oppose à ce que le président de la Commission pour la rémunération de la copie privée transmette une déclaration d'intérêts. Aucun de ses présidents n'a été critiqué en la matière, mais si cela est de nature à rassurer, nous pouvons y travailler. Quant à la nomination de personnalités qualifiées à la place du pôle public... L'objectif de celui-ci était précisément d'améliorer le fonctionnement de la commission, les personnalités qualifiées modifiant les équilibres et ouvrant la porte à la contestation de leur légitimité...

Je veux rassurer M. Assouline sur l'importance que j'attache à l'audiovisuel depuis ma prise de fonction. C'est une priorité, parce qu'il entre chez tous les Français et constitue l'une des pratiques culturelles les plus universelles ainsi qu'un outil de cohésion. Nous avons besoin d'un audiovisuel public fort. Ce secteur connaît des mutations considérables : profusion des offres, abolition totale des frontières, émergences de très grands acteurs mondiaux. Ma responsabilité consiste à préserver des acteurs français forts et la diversité de la création, qui est une richesse. Nous avons déjà abordé l'importance du financement de l'audiovisuel dans la pérennisation de l'exception culturelle française.

Mon premier objectif est d'encourager la création. Avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), nous avons réformé la plupart des dispositifs de soutien. J'ai obtenu une forte amélioration des crédits d'impôt en faveur de l'audiovisuel et du cinéma. J'ai lancé le chantier de la transparence des comptes de production et d'exploitation - un accord professionnel est en cours de finalisation, qu'il faudra inscrire dans la loi. Un autre chantier porte sur la relation entre producteurs et diffuseurs, que je souhaite équilibrée. Un accord a été trouvé entre France Télévisions et des producteurs. Des discussions sont en cours ailleurs. Ces accords vont dans le bon sens. J'y suis favorable. J'agis aussi pour le rayonnement de la création française. J'ai confié une mission à Laurence Herszberg sur la création d'un festival des séries en France. Ce secteur de la fiction connaît une très forte dynamique. Le soutien à l'audiovisuel public a été renforcé en loi de finances.

Vous avez émis des inquiétudes sur l'indépendance dans le secteur audiovisuel, des mouvements de concentration n'étant pas achevés. Je travaille sur des dispositions renforçant l'indépendance vis-à-vis des actionnaires et des annonceurs. Le CSA et Canal Plus travaillent actuellement sur cette question. Laissons le temps à ce groupe de travail d'aboutir à des conclusions avant d'apporter des améliorations législatives.

La régulation des relations contractuelles dans le secteur de la musique rend indispensable une procédure de médiation spécialisée, distincte du livre ou du cinéma. Le recours au médiateur ne coûte rien aux parties en présence. Actuellement, en cas de litige, la partie la plus faible renonce souvent à faire valoir ses droits. L'existence du médiateur les y incitera. Il encouragera aussi l'adoption de chartes de bonnes pratiques. Dans ces industries, les modèles économiques évoluent en permanence. Une rigidification excessive peut être contre-productive ; un mode de régulation plus souple, comme le médiateur, est plus adapté. Il ne remet nullement en cause la liberté d'entreprendre ni les relations contractuelles. Au contraire, il agit en facilitateur.

L'un de mes collègues est chargé spécifiquement de la jeunesse au sein du Gouvernement. Mais beaucoup de dispositions de ce projet la concernent au premier chef : les conservatoires, l'enseignement supérieur... Il faut réaffirmer la place de la jeunesse au coeur des politiques publiques. J'ai consacré 7 millions d'euros, dans le cadre du budget 2016, aux assises de la jeune création. Je réfléchis beaucoup à la culture hors-les-murs, à la rencontre des territoires. J'encourage l'itinérance des institutions, notamment parisiennes.

Ainsi nous avons introduit des bibliothèques mobiles au coeur des quartiers et des villages, pour tous les publics. La démocratisation n'est pas qu'une incantation, elle doit être perceptible. Oui, nous devons faire de la jeunesse un axe très fort de notre politique et bien l'expliquer.

Dans le cadre de la réforme territoriale, les Drac ont été confortées, comme instance de dialogue territorial entre les amateurs et les professionnels. Je ne suis pas sûre qu'un médiateur soit indispensable. Les dispositions du projet ont vocation à lever l'incertitude juridique actuelle. Les 12 millions d'amateurs doivent pouvoir présenter leur travail. Cette réforme nécessaire avait longtemps achoppé, comme lors de la tentative de 2008.

La question des écoles supérieures d'art, au sein des territoires, dans leur articulation avec l'enseignement supérieur, est importante. Je serai attentive à vos propositions d'amélioration. Nous avons travaillé à l'amélioration du statut de leurs professeurs, mais nous devons aussi respecter le principe de libre administration des collectivités locales.

Le hip hop a été une pratique spontanée, désormais d'une grande maturité, dont l'esthétique n'est pas encore totalement reconnue par nos institutions. Les scènes de musiques actuelles (Smac) ont beaucoup aidé à structurer ce mouvement, mais ses praticiens ont encore bien du mal à tourner, même si la discipline - musique et danse - est très populaire. La demande des jeunes est forte. Il faut des enseignants et des formateurs à même de l'enseigner. Ma volonté n'est pas de les enfermer dans un cadre, mais de les aider à se développer. Je rencontrerai leurs représentants début janvier, afin d'oeuvrer à une reconnaissance par les institutions de ce mouvement artistique, devant être respecté comme tel.

Quant aux labels, le choix des dirigeants passe toujours par un appel à candidatures - et non par le fait du prince de la rue de Valois - avec une totale transparence du processus, des jurys réalisant un choix conjoint avec les collectivités territoriales,

La liste des labels est réalisée par décret pour tenir compte des pratiques et de la discipline. Attribuer de nouveaux labels, pourquoi pas ? On pourrait en attribuer un, par exemple, à la chorégraphie équestre - Zingaro a des pratiques artistiques assez uniques pouvant justifier ce label.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie. Nous avons pu aborder d'importants sujets. Vous voyez combien ils nous passionnent tous ! Nous nous retrouverons le 13 janvier au matin pour visiter le musée de l'Homme qui vient de rouvrir, avant d'examiner les éventuels amendements à la proposition de loi créant un jour de mémoire combattante dans les établissements scolaires que nous avons examinée ce matin.

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