B. LES MESURES RELATIVES AU PATRIMOINE CULTUREL ET À LA PROMOTION DE L'ARCHITECTURE

1. Archéologie préventive : une tentative de régulation du secteur sous couvert d'amélioration de la qualité scientifique

Sous prétexte d'améliorer la qualité scientifique de l'archéologie préventive, le projet de loi se concentre exclusivement sur le renforcement du contrôle de l'État sur les opérateurs de droit public ou privé soumis à agrément et sur le déroulement des opérations de fouilles, dans le but affiché de restreindre l'ouverture à la concurrence du secteur de l'archéologie préventive au bénéfice de l'INRAP .

Quatre axes d'action sont privilégiés :

- L'interventionnisme plus fort de l'État

L'Assemblée nationale a confié à l'État la maîtrise scientifique des opérations d'archéologie préventive afin de justifier sa plus grande immixtion dans les opérations de fouilles. Les aménageurs seraient désormais obligés de soumettre l'ensemble des offres aux services régionaux archéologiques qui non seulement examinent leur conformité au cahier des charges, mais également notent le volet scientifique.

- L'alourdissement des contraintes administratives et financières pour les opérateurs de droit public ou privé soumis à agrément

Le projet de loi allonge considérablement la liste des documents à fournir pour une demande d'agrément ou de renouvellement.

En outre, le projet de loi contraint les opérateurs de droit public ou privé soumis à agrément à transmettre chaque année un bilan scientifique, administratif, social, technique et financier de leur activité en matière d'archéologie préventive : il est à craindre que la multiplication de ces tracasseries administratives porte préjudice aux opérateurs et pourrait même conduire à faire disparaître les plus petites structures.

Dans sa volonté de réguler le secteur de l'archéologie, l'Assemblée nationale a même décidé de supprimer aux opérateurs privés la possibilité de bénéficier du crédit impôt recherche pour les dépenses engagées dans le cadre des contrats de fouilles , alors même que ces dépenses font régulièrement l'objet de contrôles fiscaux qui ne révèlent pas d'utilisation frauduleuse de cet avantage fiscal (article 20 bis ).

- Une restriction du champ d'intervention des services archéologiques des collectivités territoriales qui contraste avec la reconnaissance de leur rôle spécifique

La reconnaissance par l'Assemblée nationale du rôle spécifique des services archéologiques des collectivités territoriales conduit à faire bénéficier ces derniers d'un dispositif d'habilitation à la place de l'agrément actuel.

Le projet de loi exige néanmoins que, tous les cinq ans, lesdits services transmettent un bilan scientifique, technique et financier de leurs activités.

En outre, en contrepartie de cette habilitation, les compétences des services archéologiques des collectivités territoriales sont limitées géographiquement, ce qui va à l'encontre de la tendance à la mutualisation des compétences entre collectivités territoriales. Par ailleurs, l'habilitation est conditionnée à la remise d'un projet de convention avec l'État dont le contenu reste vague.

Enfin, les dispositions visant à la notation des offres et à une interprétation stricte des contrats de travail des responsables scientifiques peuvent également se retourner contre les services archéologiques des collectivités territoriales.

- Les mesures en faveur de l'INRAP

D'abord, le projet de loi instaure un monopole pour l'INRAP en ce qui concerne les opérations de fouilles sous-marines intervenant dans le domaine public maritime, en contradiction même avec l'esprit de la loi de 2003 qui avait ouvert les fouilles archéologiques à la concurrence.

Par ailleurs, il confie systématiquement à l'INRAP le soin de reprendre des travaux inachevés en raison de la cessation d'activité de l'opérateur de fouilles ou de retrait de son agrément, en obligeant en outre l'aménageur à repayer pour l'opération. Il est clair que cette mesure vise à dissuader les aménageurs à travailler avec d'autres opérateurs que l'INRAP en faisant peser sur eux le risque d'avoir à payer deux fois des travaux de fouilles en cas de défaillance de l'opérateur pendant la réalisation des travaux.

Cette menace financière est d'autant moins justifiée que, depuis 2015, le Gouvernement a mis en place une subvention pour charges de service public critiquable qui vise notamment à compenser les coûts engendrés par ce type d'opération.

Quant à la notation des offres par les services régionaux archéologiques, il est à craindre que cela conduise à favoriser les offres que déposera l'INRAP et à pousser l'aménageur à les choisir afin de s'assurer qu'il obtiendra l'autorisation de fouilles.

2. L'introduction d'un régime de propriété publique des biens immobiliers et mobiliers archéologiques

Le livre blanc sur l'archéologie préventive constatait que « le patrimoine archéologique, bien matériel enfoui dans le sol, est encore considéré dans la législation française comme un gisement lié à une propriété foncière (selon le régime de droit commun défini par le code civil). Dans la plupart des pays développés, il est considéré au contraire comme un « bien immatériel », dont la valeur culturelle implique une appropriation collective, sous la tutelle des pouvoirs publics. »

Il préconisait donc une révision du régime de propriété des mobiliers issus des fouilles archéologiques dans le sens d'une harmonisation du régime de propriété quelles que soient les conditions de découverte et leur reconnaissance comme propriété publique en tant que témoins matériels des sociétés passées.

Le présent projet de loi tire les conséquences législatives de ce rapport et crée un régime de propriété publique des biens immobiliers et mobiliers archéologiques.

Afin de garantir la protection constitutionnelle du droit de propriété, l'appropriation publique des biens archéologiques mobiliers doit respecter trois conditions :

- elle est soumise à la reconnaissance de leur intérêt scientifique ;

- elle doit s'effectuer dans des conditions procédurales encadrées par la loi ;

- elle peut être contestée à tout moment dans le cadre d'une action en revendication par le propriétaire d'origine ou ses ayants droit.

Par ailleurs, dans l'objectif de protéger les biens archéologiques mobiliers qui constituent un ensemble cohérent dont l'intérêt scientifique justifie la conservation dans son intégralité, le présent projet de loi subordonne leur aliénation à une déclaration préalable.

Enfin, le projet de loi prévoit la possibilité d'un transfert à titre gratuit par l'État des biens archéologiques à toute personne publique et notamment aux collectivités territoriales.

3. Les modifications apportées au statut des archives

Lors de son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, le présent projet de loi ne comportait aucune disposition sur les archives. Plusieurs amendements ont ensuite été adoptés sur proposition de la commission des affaires culturelles, qui opérait des actualisations bienvenues.

D'abord, la définition des archives et leur conservation ont été adaptées au développement des documents numériques.

Ensuite, le dépôt des archives des communes a été assoupli en distinguant les archives récentes, qui peuvent être déposées aux archives du groupement de collectivités territoriales dont elles sont membres ou aux archives de la commune désignée par ce groupement pour gérer les archives, et les archives anciennes, conservées dans les services d'archives départementaux.

Enfin, les possibilités de démembrement des fonds d'archives privés classés comme historiques ont été encadrées.

4. Une refonte en profondeur des règles relatives à la protection du patrimoine, dont l'ampleur peut cependant surprendre

Le projet de loi comporte un important volet consacré à la modernisation du droit du patrimoine. Il est vrai que, depuis bientôt une décennie, le législateur avait manifesté sa volonté de renforcer la protection juridique du patrimoine . Plusieurs propositions de loi, parmi lesquelles la proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État, dont l'initiative revient aux sénateurs Françoise Férat et Jacques Legendre, avaient fait l'objet de débats au sein du Parlement, mais l'examen d'aucune d'entre elles n'avait jamais pu aller jusqu'à son terme 4 ( * ) .

Le projet de loi en reprend plusieurs des dispositions phares, allant même parfois au-delà , ce dont votre commission ne peut que se réjouir. Parmi ces mesures, figurent en particulier l'introduction de dispositions législatives relatives à la protection des biens français inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO (article 23), la mise en place d'une protection spécifique aux domaines nationaux , dont la définition est plus large que les anciens domaines de la Couronne (article 24) et le renforcement de l'arsenal législatif de lutte contre le dépeçage et la dispersion de notre patrimoine (article 24) avec, en particulier, l'instauration d'un classement pour les ensembles ou collections d'objets mobiliers, la mise en place d'une servitude de maintien dans les lieux pour les objets et ensembles mobiliers présentant un lien fort avec l'immeuble classé dans lequel ils sont situés, l'institution d'une autorisation préalable au détachement des effets mobiliers attachés à perpétuelle demeure d'un immeuble classé ou inscrit, ou l'introduction du principe de nullité de l'acquisition d'un bien meuble ou immeuble illégalement détaché d'un monument historique.

Mais c'est avant tout la réforme des espaces protégés au titre du patrimoine qui constitue le coeur de ce volet du projet de loi (article 24). Or, rien n'imposait à l'origine une réforme d'une telle ampleur, qui plus est cinq ans à peine après la mise en place du dernier-né des espaces protégés - les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP) -, si ce n'est la perspective de la fin du délai prévu pour la transformation des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP). Face à un patrimoine dont la protection nécessite de s'ancrer dans la durée et à des collectivités territoriales de plus en plus déboussolées devant une frénésie législative, on peut s'étonner que le Gouvernement ait fait le choix de venir modifier une législation qui ne faisait pas vraiment l'objet de critiques .

« Simplifier pour mieux protéger », voilà l'objectif affiché de la réforme voulue par Aurélie Filippetti dès 2013. De fait, le projet de loi fusionne les trois catégories d'espaces protégés soumis aujourd'hui chacun à des règles différentes (secteurs sauvegardés, ZPPAUP et AVAP) au sein d'un nouveau régime de protection, les « cités historiques », et fait du plan local d'urbanisme (PLU) l'outil de droit commun en matière de protection du patrimoine pour permettre que l'enjeu patrimonial soit intégré à la définition des règles en matière d'urbanisme. Si le classement devrait relever d'une décision du ministre de la culture, en lien avec la collectivité territoriale concernée, la mise en oeuvre de la protection serait dorénavant entièrement déléguée aux collectivités territoriales . C'est ainsi que le projet de loi laisse aux collectivités territoriales le libre choix du document d'urbanisme à adopter pour fixer les règles patrimoniales sur le périmètre de la cité historique, leur permettant même de diviser la cité historique en plusieurs parties, chacune régie par un document différent.

Cette refonte des espaces protégés se caractérise également par une réforme des règles relatives aux abords de monuments historiques . L'objectif est de mettre en place des périmètres délimités autour des monuments historiques, dont le tracé ferait l'objet d'une décision de l'autorité administrative, après accord de la commune ou de l'EPCI. Le périmètre automatique des cinq cents mètres, auquel s'ajoute le critère de la co-visibilité, aurait vocation à devenir une exception. Il serait conservé dans les cas où aucun périmètre n'aurait été délimité.

Au demeurant, cette réforme des régimes de protection comporte, sur plusieurs points, une simplification effectivement opportune , qui conduit votre commission à espérer que l'objectif de rendre les règles applicables aux espaces patrimoniaux plus compréhensibles et lisibles pour les citoyens pourrait être atteint. Votre commission souhaite en particulier mettre en exergue :

- les améliorations apportées au régime d'autorisation préalable des travaux , qui devraient se traduire par une harmonisation des règles en cités historiques et dans les abords des monuments historiques, une réduction ou une stabilisation des délais d'instruction et une généralisation du principe de l'accord tacite ;

- la disparition des superpositions de servitudes d'utilité publique , le projet de loi s'attachant à définir la règle applicable pour l'instruction de chaque projet d'aménagement, lorsqu'un immeuble fait l'objet de plusieurs servitudes. C'est ainsi que la règle la plus protectrice pour le patrimoine devrait systématiquement prévaloir, c'est-à-dire celle relative aux monuments historiques si l'immeuble est protégé à ce titre, puis celle relative aux cités historiques, puis celle relative aux abords des monuments historiques et enfin celle relative aux sites protégés au titre du code de l'environnement.

Cette démarche de rationalisation se retrouve également dans d'autres modifications apportées au livre VI du code du patrimoine, en particulier la fusion des commissions consultatives nationales intervenant dans le domaine du patrimoine et la fusion des commissions territoriales (article 23), ainsi que la refonte du régime des sanctions en cas d'infractions aux règles du code du patrimoine relatives aux monuments historiques et aux cités historiques (article 25).

5. Architecture : un volet inégal qui vise à favoriser le recours à l'architecte

Si le volet du projet de loi relatif à l'architecture ne comportait à l'origine qu'un unique article, il a été largement complété lors de l'examen en première lecture à l'Assemblée nationale, dans la droite ligne des mesures prévues par la Stratégie nationale pour l'architecture.

L'article 26 introduit la notion de qualité architecturale dans le code du patrimoine et crée un label dédié au patrimoine récent. Ce label concernerait les immeubles, les ensembles architecturaux et les aménagements de moins de cent ans dont « la conception présente un intérêt architectural ou technique suffisant » et qui ne font pas l'objet d'un classement ou d'une inscription au titre des monuments historiques. Il crée une protection particulière des biens concernés, sous la forme d'une obligation d'information des services de l'État avant le dépôt de toute demande de permis ou déclaration préalable.

Deux mesures ayant pour objet d'étendre le champ du recours obligatoire à l'architecte ont été introduites lors de l'examen par l'Assemblée nationale.

L'article 26 quater , adopté à l'initiative du Gouvernement , rend obligatoire le recours à un architecte pour la réalisation du projet architectural, paysager et environnemental d'un lotissement faisant l'objet d'une demande de permis d'aménager. Tout aussi discuté, l'article 26 quinquies abaisse à 150 mètres carrés de surface de plancher le seuil en deçà duquel il peut être dérogé, pour des constructions individuelles réalisées par des personnes physiques, à l'obligation de recourir à un architecte .

Afin d'encourager le recours à l'architecte, même lorsqu'il n'est pas obligatoire, l'article 26 duodecies prévoit la réduction de moitié des délais d'instruction des permis de construire établis par un architecte pour les constructions situées en deçà du seuil dérogatoire mentionné précédemment.

L'article 26 octies permet aux services chargés de l'instruction des demandes d'autorisations délivrées au titre du code de l'urbanisme de saisir le conseil régional de l'ordre des architectes lorsqu'ils soupçonnent un faux ou une signature de complaisance en matière de projet architectural.

D'autres articles ont trait aux procédures en matière de construction. L'article 26 bis vise à améliorer le fonctionnement du « 1 % artistique » lorsqu'il est mis en oeuvre par les collectivités territoriales. L'article 26 sexies consacre dans la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 le principe du concours d'architecture et rappelle qu'il comporte une phase de dialogue.

Autre mesure introduite par l'Assemblée nationale et qui a suscité beaucoup d'interrogations voire d'inquiétude, l'article 26 undecies crée le cadre d'une expérimentation en matière de normes applicables à la construction : pour une durée de sept ans à compter de la publication de la présente loi, l'État et les collectivités territoriales peuvent, pour la réalisation d'équipements publics, substituer des objectifs à atteindre à des normes en vigueur, dans les conditions définies par un décret en Conseil d'État.

L'article 26 quaterdecies encadre le recours aux marchés publics globaux de performance par les acheteurs publics.

Les conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement (CAUE) voient leur champ de compétence étendu par les articles 26 ter et 26 septies du projet de loi. Enfin, les articles 26 nonies , 26 decies et 26 terdecies ont trait au fonctionnement de l'ordre des architectes.


* 4 Récemment encore, deux propositions de loi ont fait écho à cette préoccupation : proposition de loi visant à protéger les monuments historiques, présentée par M. Antoine Lefèvre , proposition de loi sur l'avis des architectes des Bâtiments de France pour certains travaux, présentée par MM. Alain Fouché, Guy-Dominique Kennel, Rémy Pointereau, Roger Karoutchi, Philippe Mouiller, Hugues Portelli et René-Paul Savary. Ces deux propositions de loi ont été jointes à l'examen du présent projet de loi.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page