B. UNE AMBITION FORTE POUR DES DISPOSITIONS MODESTES AUX DIFFICULTÉS JURIDIQUES ET PRATIQUES NOMBREUSES

Votre rapporteur constate avec regret le décalage entre l'ambition forte de l'intitulé de la proposition de loi et la modestie des dispositions proposées. Il n'est pas certain que l'ancrage des parlementaires, à la suite de la fin du cumul d'un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale, sera renforcé par leur présence obligatoire au sein des CDCI ou des CTAP. En outre, les dispositions de la présente proposition de loi pourraient entraîner des effets contraires aux objectifs recherchés.

1. Une proposition de loi à l'ambition forte mais aux réponses inadaptées

Bien que M. René Vandierendonck ait indiqué que cette proposition de loi visait essentiellement à aménager certaines dispositions de la loi NOTRe, votre commission estime qu'elle entend aussi et peut-être de manière plus déterminante corriger les effets attendus de la loi organique interdisant le cumul du mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale. Or, selon la majorité de votre commission, la réponse proposée n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Elle aurait même pour conséquence paradoxale de faire apparaître davantage les parlementaires comme témoins passifs de la vie institutionnelle de leur territoire sans leur donner un rôle à la mesure des responsabilités nationales qu'ils exercent.

En premier lieu, aux yeux de votre rapporteur, les dispositions envisagées ne répondent que modestement à l'objectif clairement affiché par l'intitulé de la proposition de loi de maintenir et de renforcer l'ancrage territorial des parlementaires de demain. En effet, l'élargissement aux parlementaires de la composition des CDCI et des CTAP et la communication des projets retenus par les préfets de département au titre de la DETR et de la dotation « politique de la ville » ne devraient que partiellement répondre aux effets attendus de la fin du cumul. M. Yannick Botrel a justifié ce choix auprès de votre rapporteur en estimant que la présence obligatoire des parlementaires dans l'ensemble des commissions locales, dont le nombre est estimé à environ 80, serait excessive et pas toujours justifiée. Les CDCI et les CTAP sont, selon lui, des commissions stratégiques dans la mesure où elles permettraient aux parlementaires de bénéficier d'informations majeures sur la vie de leur territoire qui leur seraient utiles pour leur activité législative et de contrôle.

On peut en outre s'interroger sur la compatibilité des objectifs de la présente proposition de loi avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, constante et ancienne, selon laquelle, les députés et les sénateurs, élus au suffrage universel, « représente [nt] au Parlement la Nation tout entière et non la population de sa circonscription d'élection » 24 ( * ) . L'un des interlocuteurs de votre rapporteur a par ailleurs estimé au cours des auditions que le meilleur ancrage des parlementaires résidait moins dans leur participation dans des commissions locales que dans les relations personnelles qu'ils entretiennent avec leurs électeurs. On peut donc s'interroger sur la pertinence d'institutionnaliser la présence des parlementaires dans certaines commissions locales pour maintenir et renforcer leur lien avec leur territoire d'élection.

En outre, notre collègue Mme Jacqueline Gourault a rappelé à votre rapporteur que la loi organique précitée du 14 février 2014 autorisait toujours le cumul du mandat parlementaire avec celui d'un élu local de base, ce qui permettra aux députés et aux sénateurs de continuer à participer à la vie institutionnelle locale en assistant, par exemple, aux assemblées délibérantes de leur collectivité ou en la représentant dans diverses instances locales.

L'article 3 est à cet égard particulièrement révélateur du manque d'ambition des dispositions proposées. La communication des projets éligibles aux dotations d'équilibre des territoires ruraux et de la politique de la ville est déjà assurée par les représentants de l'État dans le département auprès des parlementaires, par courtoisie républicaine. Dans le cas contraire, les parlementaires peuvent aussi à leur initiative réclamer ces informations. Une récente instruction conjointe du ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales et du ministre de l'intérieur recommande aux préfets de régions et de département « de bien veiller à informer régulièrement les parlementaires [des] départements respectifs de l'utilisation des crédits en question, dans un souci de bonne information de la représentation nationale . » 25 ( * ) En d'autres termes, l'article 3 ne renforcerait nullement l'information dont disposent aujourd'hui les parlementaires.

2. Des dispositions aux difficultés juridiques et pratiques

Au-delà du manque d'ambition de la proposition de loi, les articles 1 er et 2 soulèvent des difficultés juridiques et pratiques.

a) Une composition des CDCI bouleversée

Sur le plan juridique, l'article 1 er apparaît superfétatoire puisque chaque CDCI bénéficie d'une certaine latitude pour organiser ses travaux. Elle peut ainsi entendre tout élu qui le souhaite. Dans le cadre des travaux de la mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des dernières lois de réforme territoriale mise en place par votre commission auxquels votre rapporteur a participé, le rapporteur de la CDCI de la Marne a proposé que tout élu qui le souhaitait soit entendu par la commission. Les parlementaires ont été les premiers à répondre à cette sollicitation. Cet exemple démontre que la fin du cumul d'un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale n'interdira nullement les parlementaires de participer aux travaux de la CDCI, par l'organisation d'auditions, pour apporter aux élus locaux des éclairages particuliers sur l'intention du législateur.

En outre, les parlementaires pourront toujours être membres des CDCI au titre de l'un des collèges prévus par l'article L. 5211-43 du code général des collectivités territoriales. En effet, pour chaque collège, peuvent siéger des élus locaux de base 26 ( * ) .

Par ailleurs, la rédaction de l'article 1 er pourrait conduire à un bouleversement de la composition des CDCI. En application de l'article L. 5211-43 du code général des collectivités territoriales, chaque collège d'élus au sein de la CDCI dispose d'un nombre de sièges prévus par la loi. L'élargissement de la composition des CDCI à un nouveau collège
- celui des parlementaires - dont l'effectif serait différent dans chaque département, ne permettrait plus de respecter la proportion de chacun d'entre eux conformément à la loi. Les simulations réalisées par votre rapporteur, en prenant l'hypothèse qu'aucun parlementaire n'appartiendrait à l'un des collèges d'élus, sont particulièrement éclairantes. Si dans les départements ruraux, le nombre des parlementaires ne devraient pas fondamentalement bouleverser la part respective de chaque collège au sein des CDCI, il n'en est pas de même pour les départements urbains. Dans le département du Nord, dont la CDCI compte aujourd'hui 62 membres, la participation des parlementaires augmenterait son effectif de 32 membres, soit de 50 %. Il en serait de même pour la Seine-et-Marne, dont l'effectif actuel - 56 - augmenterait de près d'un tiers pour atteindre 73. Pour la Gironde, 18 parlementaires complèteraient l'effectif actuel de la CDCI qui s'élève aujourd'hui à 45.

Une autre conséquence résiderait dans la présence de deux catégories de parlementaires, ceux qui, au titre d'un mandat local, siègerait dans l'un des collèges de la CDCI et pourrait, à ce titre, participer pleinement à ses travaux en disposant du droit de vote, de ceux qui n'en disposeraient pas.

Sur le plan pratique, la direction générale des collectivités locales a exprimé de vives réserves sur les conséquences générées par cet élargissement de la composition des CDCI en termes d'organisation (allongement de la durée des travaux, possibilité de disposer de locaux accueillant l'ensemble des membres, questions protocolaires). En outre, plusieurs associations nationales d'élus ont souligné le risque de confiscation des débats au sein des CDCI par les parlementaires. Les élus locaux pourraient considérer la présence obligatoire des parlementaires comme une ingérence dans la vie publique locale. M. Yannick Botrel a estimé ce risque très faible puisque l'article 1 er prévoyait une présence des parlementaires aux travaux de la CDCI sans possibilité de vote qui n'appartiendrait qu'aux seuls élus locaux.

Enfin, la nouvelle carte intercommunale devant être mise en oeuvre le 1 er janvier 2017, les CDCI ne devraient se réunir que ponctuellement, ce qui conduirait à une association très limitée des parlementaires aux travaux de ces commissions et, in fine , à la vie institutionnelle locale. Là encore, l'article 1 er ne semble pas répondre à l'objectif affiché de la proposition de loi.

b) Des CTAP à l'effectif pléthorique

S'agissant de l'article 2, l'élargissement des CTAP aux parlementaires renforcerait le caractère pléthorique de ces commissions que votre commission avait dénoncé lors des débats parlementaires sur la loi précitée de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles et, plus récemment, sur celle portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite loi « NOTRe ») 27 ( * ) . L'élargissement de la composition de ces conférences pourrait affaiblir leur fonctionnement et, à terme, leur utilité. Là encore, les simulations réalisées par votre rapporteur sont particulièrement éclairantes. En Bretagne, la CTAP est composée de 51 élus. En rajoutant les 41 parlementaires de la région, elle compterait 92 membres. Pour la région PACA, le collège des parlementaires - 62 - serait supérieur à l'effectif global de la CTAP qui s'élève aujourd'hui à 56 membres. Ainsi, l'article 2 conduirait dans certains cas à une surreprésentation des parlementaires, ce qui modifierait la nature des CTAP.

On notera que le législateur a laissé une certaine souplesse aux CTAP pour organiser leurs travaux, avec la faculté d'entendre toute personne ou organisme sur tout sujet prévu à leur ordre du jour.

Enfin, l'élargissement des CDCI et des CTAP aux parlementaires a fait l'objet, depuis 2010, de plusieurs amendements et de débats au Parlement. Le Sénat, suivant l'avis de votre commission, avait rejeté ces propositions. Notre ancien collègue, M. Jean-Patrick Courtois, rappelait que les réunions des CDCI étant publiques, les parlementaires avaient toute latitude pour y assister 28 ( * ) . S'agissant des CTAP, votre commission, sur la proposition de ses rapporteurs, notre collègue M. René Vandierendonck et notre ancien collègue M. Jean-Jacques Hyest, avait émis un avis défavorable à l'élargissement de la composition des CTAP aux parlementaires au motif que ces conférences étaient un lieu de dialogue et non de décision. C'est la raison pour laquelle le législateur avait estimé qu'on ne pouvait voter au sein des CTAP. Et notre ancien collègue M. Jean-Jacques Hyest de rappeler que « la place des parlementaires [était] au Parlement, non dans les instances locales » 29 ( * ) .

Ainsi, en conclusion, les dispositions proposées ne permettent pas de répondre à l'objectif de l'intitulé de la proposition de loi. Elles pourraient au contraire conduire à de nombreuses difficultés juridiques ou pratiques et aboutir à des conséquences contraires à l'ambition initiale. L'application dans quelques mois de la loi organique précitée du 14 février 2014 permettra d'apprécier le bien-fondé des craintes sur l'émergence de parlementaires « hors sol ». Un bilan des nouvelles modalités d'exercice du mandat parlementaire induites par cette réforme sera l'occasion de constater les éventuelles difficultés des députés et des sénateurs dans leurs relations avec leurs électeurs et leur territoire, pour y apporter les correctifs nécessaires.

C'est pourquoi votre commission n'a pas adopté la présente proposition de loi.

En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.


* 24 Le Conseil constitutionnel a rappelé ce principe pour la première fois dans sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie.

* 25 Instruction NOR : ARCC16115045 du ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales et du ministre de l'intérieur, « Information des parlementaires - DETR et fonds de soutien à l'investissement local », 27 avril 2016.

* 26 Article L. 5211-43 du code général des collectivités territoriales.

* 27 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

* 28 Cf . séance du 4 février 2010 au Sénat.

* 29 Cf . séances du 23 janvier 2015 et du 29 mai 2015 au Sénat.

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