EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Votre commission est saisie de l'examen de la proposition de loi n° 461 (2015-2016) de MM. Alain Tourret et Georges Fenech, adoptée par l'Assemblée nationale le 10 mars 2016.

La prescription est à la fois une cause d'extinction de l'action publique par l'effet de l'écoulement d'un certain temps depuis le jour de la commission de l'infraction et un mode d'extinction des peines inexécutées à l'issue d'un certain délai intervenu après une décision de condamnation.

À l'exception des crimes contre l'humanité qui sont imprescriptibles dans la législation française depuis 1964 1 ( * ) , la prescription de l'action publique est susceptible de s'appliquer à toutes les infractions. Cette extinction de l'action publique connaît plusieurs justifications. Il vise notamment à constater la disparition du trouble à l'ordre public, progressivement apaisé par l'effet du temps selon cette formule d'Avicenne « le temps fait oublier les douleurs, éteint les vengeances, apaise la colère et étouffe la haine ; alors le passé est comme s'il n'eut jamais existé ».

La prescription se justifie également en raison du risque élevé d'erreurs judiciaires qui grandit avec le dépérissement des preuves de culpabilité mais aussi d'innocence. Elle est également nécessaire pour garantir un sens à la peine : une peine intervenant cinquante ans après les faits est-elle encore juste et utile ? Elle se justifie par ailleurs au regard du droit au procès équitable, qui favorise le jugement des auteurs d'infractions dans un délai raisonnable et exige une bonne administration de la preuve.

La prescription demeure la sanction de l'inertie, de la carence ou de la négligence de la société à exercer l'action publique puisque « tout temps mort », selon Mme Dominique-Noëlle Commaret, avocat général à la Cour de cassation, « laisse présumer le désintérêt de la victime ou du ministère public et leur renoncement, dans un système marqué par le principe d'opportunité des poursuites 2 ( * ) ». Ce principe suppose néanmoins que le délai de prescription ne court qu'à partir du moment où la société pouvait agir.

« Protectrice du genre humain introduite pour l'utilité publique 3 ( * ) » , la prescription est enfin une limite posée par le législateur, une limite aux revendications et aux besoins de justice pénale exprimées par la société, qui rappelle que le procès pénal n'est pas l'unique moyen de rétablir la paix sociale.

I. UN DROIT DE LA PRESCRIPTION PÉNALE DEVENU ILLISIBLE QUI APPELLE UNE RÉFORME D'ENSEMBLE

Actuellement, le délai de prescription de l'action publique est en principe de dix ans pour les crimes (article 7 du code de procédure pénale), de trois ans pour les délits (article 8 du code de procédure pénale) et d'un an pour les contraventions (article 9 du code de procédure pénale).

Ces délais connaissent néanmoins de nombreuses exceptions.

En matière délictuelle, certains délits sont prescrits dans un délai inférieur, à l'instar de certaines infractions au code électoral qui se prescrivent par six mois 4 ( * ) , de la plupart des délits de presse qui se prescrivent par trois mois 5 ( * ) , ou encore du délit de discrédit sur une décision juridictionnelle 6 ( * ) qui se prescrit par trois mois.

Certains délits et crimes se prescrivent également selon des délais allongés, à l'instar des infractions à la législation sur les stupéfiants 7 ( * ) , des infractions terroristes 8 ( * ) , de certains crimes et délits commis contre les mineurs ou encore des crimes d'eugénisme et de clonage reproductif 9 ( * ) .

En sus de ces exceptions, la Cour de cassation a développé une jurisprudence abondante afin de permettre la poursuite d'infractions dans certaines hypothèses où la stricte application des règles de procédure pénale ne le permettait pas.

Elle a ainsi considéré que pour les infractions « clandestines » (ou occultes) par nature, ou lorsque l'infraction s'accompagne de manoeuvres de dissimulation, le point de départ devait être fixé au jour où le délit est apparu et aurait pu être objectivement constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique.

Les interventions législatives multiples sur la prescription ainsi que les initiatives de la jurisprudence ont fait de la question de la prescription de l'action publique un domaine si complexe et mouvant qu'il en est désormais dépourvu d'unité et régulièrement contesté au regard du principe de sécurité juridique 10 ( * ) .

De nombreuses initiatives ont proposé une réforme cohérente du régime des prescriptions. En 2007, le rapport d'information de notre ancien collègue Jean-Jacques Hyest et de nos collègues Hugues Portelli et Richard Yung sur le régime des prescriptions civiles et pénales proposait une réforme cohérente des prescriptions 11 ( * ) . En 2008, la commission « Coulon » avait proposé de fixer le point de départ du délai de prescription de façon intangible tout en allongeant corrélativement le délai de prescription 12 ( * ) .

La présente proposition de loi s'inspire des conclusions de la mission d'information sur la prescription pénale créée par la commission des lois de l'Assemblée nationale et confiée à MM. Georges Fenech et Alain Tourret.

Celle-ci constatait que « la grande loi de l'oubli » est de plus en plus remise en cause par la société de plus en plus intolérante à la prescription, perçue comme une incitation à l'impunité. De plus, les progrès dans la conservation des preuves scientifiques permettent l'examen d'affaires de nombreuses années après les faits, examen facilité par l'allongement de l'espérance de vie.

Afin de répondre « aux nouvelles attentes de la société », et pour une plus grande sécurité juridique, la présente proposition de loi propose un allongement significatif des délais de prescription de l'action publique de droit commun (vingt et six ans au lieu de dix et trois ans pour les crimes et délits), l'inscription dans la loi des jurisprudences relatives aux reports du point de départ de la prescription et celle relative à la suspension du délai. Elle précise également les actes interruptifs de la prescription. Elle prévoit par ailleurs l'imprescriptibilité des crimes de guerre connexes aux crimes contre l'humanité.


* 1 Loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964 tendant à constater l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité.

* 2 Dominique-Noëlle Commaret, Point de départ du délai de prescription de l'action publique : des palliatifs jurisprudentiels faute de réforme législative d'ensemble, Revue de science criminelle, 2004.

* 3 Selon le texte de Cassiodore : « Praescriptio est patrona generis humani ad utilitatem publicam indtroducta ».

* 4 En application de l'article L. 114 du code électoral, les infractions (L. 86), (L. 87), (L. 91 à L. 104), (L. 106 à L. 108) ou (L. 113) se prescrivent six mois à partir du jour de la proclamation du résultat de l'élection.

* 5 Selon l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse .

* 6 Selon l'article 434-25 du code pénal.

* 7 Selon l'article 706-31 du code de procédure pénale, les infractions en matière d'infractions à la législation se prescrivent par vingt ans pour les délits et trente ans pour les crimes.

* 8 Selon l'article 706-25-1 du code de procédure pénale, les infractions en matière d'infractions à la législation se prescrivent par vingt ans pour les délits et trente ans pour les crimes.

* 9 Selon l'article 215-4 du code pénal.

* 10 La doctrine est particulièrement critique à l'égard de l'organisation légale de la prescription à l'instar de cet article de Christian Guéry, doyen des juges d'instruction de Nice publié en 2004 dans le recueil Dalloz : « Kafka II ou « pourquoi faire simple quand on peut faire... une nouvelle loi sur la prescription des infractions commises contre les mineurs ? ».

* 11 Rapport d'information n° 338 (2006-2007) de MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung fait au nom de la mission d'information sur le régime des prescriptions civiles et pénales, Pour un droit de la prescription moderne et cohérent. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2006/r06-338-notice.html

* 12 Elle était chargée de mener « une réflexion d'ensemble des sanctions pénales qui s'appliquent aux entreprises en matière de droit des sociétés, de droit financier et de droit de la consommation ».

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