II. UNE PROPOSITION DE RÉFORME DU SCRUTIN MAHORAIS CONCILIANT STABILITÉ ET PLURALISME

Notre collègue Thani Mohamed Soilihi a traduit ces demandes à travers le dépôt, le 23 mars 2016 :

- d'une proposition de loi tendant à modifier le mode de scrutin de l'assemblée délibérante du Département de Mayotte ;

- d'une résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant à augmenter le nombre d'élus mahorais, de manière à l'aligner sur le nombre de représentants des collectivités comparables, après avoir « fait observer que la concentration des compétences sur les élus d'une collectivité unique accroît la charge qui est la leur et réduit leur capacité d'initiative » 3 ( * ) .

La proposition de loi que votre commission est appelée à examiner, s'inspire ainsi du mode de scrutin applicable aux élections régionales afin de l'adapter à Mayotte. Les élus seraient ainsi désignés au suffrage universel direct au scrutin de liste à deux tours. De manière classique, un second tour serait organisé si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des voix au premier tour.

Le mode de scrutin concilie plusieurs aspirations que notre collègue présente dans l'exposé des motifs : « stabilité des majorités, simplicité et lisibilité du vote, représentation des territoires, pluralisme des partis ».

La stabilité de la majorité serait assurée par l'attribution d'une prime majoritaire à la liste ayant recueilli le plus de suffrages au niveau de la collectivité. Cette liste obtientrait à ce titre un tiers des sièges.

La proximité avec les électeurs serait maintenue puisque les sièges restant, soit les deux tiers, seraient répartis au sein de chaque section à la représentation proportionnelle selon la règle de la plus forte moyenne, entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés. Mayotte serait divisée en treize sections reprenant les délimitations actuelles des cantons 4 ( * ) . Chaque section disposerait du même nombre d'élus.

Enfin, l'assemblée délibérante deviendrait l'assemblée de Mayotte, sur le modèle de celle de Guyane ou de Martinique, ses membres étant appelés des « conseillers à l'assemblée de Mayotte ».

Il existe localement un consensus sur l'adoption d'un tel mode de scrutin . Toutefois, votre rapporteur a constaté des réserves sur l'opportunité d'en débattre dès à présent .

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : PROPOSER UN DISPOSITIF COMPLET ET ACCEPTER UNE AUGMENTATION DU NOMBRE D'ÉLUS

Sollicité par votre rapporteur, le président du conseil départemental de Mayotte lui a confirmé, par un courrier du 9 juin 2016, que le présent texte « traduit la volonté exprimée par les élus du Département », tout en sollicitant le report de son examen. En effet, sans s'opposer au fond des dispositions proposées, ce président rappelait qu'une réflexion plus globale était entamée, réflexion qui devait embrasser les différents sujets en cours de discussion, dont la réforme du mode de scrutin, indissociable à ses yeux du modèle institutionnel qui en résulterait. Par un courrier du 21 juin 2016, il a précisé sa position en invitant la ministre des outre-mer à la création du groupe de travail portant sur l'évolution institutionnelle de Mayotte afin que soient abordés, de front, la révision du code général des collectivités territoriales, le traitement du régime électoral et la question de l'exercice des compétences.

Votre commission a pris en considération ces remarques méthodologiques qui ne traduisent néanmoins aucune opposition de principe au mode de scrutin qui est proposé à l'examen du Sénat. Votre rapporteur a fait valoir que la navette parlementaire offrirait l'occasion d'approfondir et suivre les évolutions de la réflexion menée localement, en donnant, le moment venu, un support législatif aux conclusions de cette concertation. L'adoption de ce texte n'est donc en aucun cas incompatible avec la poursuite des discussions locales, d'autant plus que le mode de scrutin n'a vocation à s'appliquer qu'en mars 2021, lors du prochain renouvellement général du conseil départemental.

Il a ainsi proposé à votre commission, qui l'a suivi, d'adopter, à ce stade, le principe du mode de scrutin présenté ainsi que l'augmentation du nombre d'élus que le Gouvernement suggérait en réponse aux demandes locales.

Outre un amendement rédactionnel COM-2 portant sur l'intitulé, votre commission a donc adopté un amendement COM-1 de rédaction globale de l'article unique, présenté par son rapporteur , de manière à assurer une meilleure insertion du dispositif proposé au sein du code électoral.

Reprenant les caractéristiques du mode de scrutin, cet amendement insère ces règles au sein du livre VI bis du code électoral qui rassemble actuellement les règles applicables à l'élection des conseillers à l'assemblée de Guyane et à l'assemblée de Martinique, autres collectivités régies par l'article 73 de la Constitution. Par coordination, seraient supprimées les dispositions figurant au titre I er du chapitre VI, devenues inutiles.

Cet amendement fixe également, comme pour l'assemblée de la Guyane et celle de la Martinique, le tableau de répartition des sièges entre les sections .

Il procède en outre aux coordinations nécessaires afin de déterminer l'ensemble du régime électoral de l'assemblée de Mayotte, c'est-à-dire fixer :

- la durée du mandat à six ans, comme actuellement ;

- le rythme du renouvellement intégral, calé sur le renouvellement général des conseils régionaux ;

- les règles applicables à l'organisation de ces scrutins, regroupées au sein du titre III du livre VI bis et aujourd'hui communes aux scrutins en Guyane et en Martinique (conditions d'éligibilité et inéligibilités, incompatibilités, déclarations de candidature, propagande, opérations préparatoires au scrutin, opérations de vote, remplacement des conseillers, contentieux).

Si, compte tenu de l'irrecevabilité financière fondée sur l'article 40 de la Constitution, votre rapporteur ne pouvait que proposer le maintien du nombre des élus à son niveau actuel, ce qui aurait rendu la mise en oeuvre du mode de scrutin difficile, votre commission a adopté, avec son avis favorable, un sous-amendement COM-3 du Gouvernement élevant ce nombre de 26 à 39 .

En conséquence, chaque section comporterait trois élus , et non deux comme c'est le cas pour les cantons actuels. Par cohérence, l'attribution de la prime majoritaire permettrait à la liste arrivée en tête de remporter 13 sièges, soit le tiers de l'effectif complet. Pour attribuer cette prime majoritaire, un siège serait accordé sur chaque section à la liste qui l'a remportée. Ainsi, l'expression du pluralisme politique serait renforcée au niveau de chaque section car deux sièges seraient désormais répartis à la représentation proportionnelle et non plus un seul, permettant potentiellement la représentation de deux listes.

Votre rapporteur s'est assuré que la délimitation des sections et la répartition des sièges entre elles soient compatibles avec la jurisprudence constitutionnelle qui limite à 20 % l'écart de représentation tolérée entre des élus d'une même assemblée délibérante. En effet, le Conseil constitutionnel estime que « l'organe délibérant [...] doit être élu sur des bases essentiellement démographiques selon une répartition des sièges et une délimitation des circonscriptions respectant au mieux l'égalité devant le suffrage » , ce qui implique « que, s'il ne s'ensuit pas que la répartition des sièges doive être nécessairement proportionnelle à la population de chaque [collectivité territoriale] ni qu'il ne puisse être tenu compte d'autres impératifs d'intérêt général, ces considérations ne peuvent toutefois intervenir que dans une mesure limitée » 5 ( * ) .

Sur les treize sections, onze se situeraient, compte tenu de leur population, dans l'écart de représentation admis par le juge constitutionnel. En l'état, il a paru à votre commission que les deux écarts - très limités -subsistant - l'un de sous-représentation, l'autre de surreprésentation -, qui existaient d'ores et déjà en raison de la délimitation des cantons, reposaient sur des motifs d'intérêt général justifiant une dérogation ponctuelle à l'écart imposée par la jurisprudence constitutionnelle.

Il faut enfin préciser que cette réforme entrerait en vigueur à compter du prochain renouvellement général du conseil départemental, soit en mars 2021 .

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.


* 3 Proposition de résolution n° 490 (2015-2016) de M. Thani Mohamed Soilihi et plusieurs de ses collègues, relative au nombre d'élus à l'assemblée de Mayotte : déposé au Sénat le 23 mars 2016. Cette proposition de résolution est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr15-490.html

* 4 Cette délimitation des cantons a été effectuée par le décret n° 2014-157 du 13 février 2014 portant délimitation des cantons dans le Département de Mayotte.

* 5 Conseil constitutionnel, 9 décembre 2010, n° 2010-618 DC.

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