TROISIÈME PARTIE : PERSPECTIVES POUR UN NOUVEL ÉTAT STRATÈGE

I. LES TROIS PRINCIPES DU NOUVEL ÉTAT STRATÈGE

La mission « Économie » est, en fait, l'un des supports budgétaires de l'intervention de la puissance publique dans la vie économique. Or, force est de constater qu'elle est aujourd'hui surtout composée d'une multitude de dispositifs, plus ou moins discrétionnaires, plus ou moins bien évalués, plus ou moins concentrés ou saupoudrés, mais de toute façon sans grande cohérence d'ensemble et sans véritable portée systémique . On peut à juste titre parler d'interventions visant à favoriser l'emploi, la croissance, la compétitivité des entreprises, mais il est difficile de retrouver dans cette mission un héritage ce que fut « l'État stratège » il y a quelques décennies.

Face aux défis actuels pour la croissance et l'emploi que sont la mondialisation, la révolution technologique et l'urgence écologique , il est impératif de reconstruire un véritable État stratège, aux prises avec les enjeux du siècle à venir, mais surtout doté des moyens et instruments pour y faire face .

Certes, la « libération de l'économie » est source d'emplois et de croissance , et c'est d'ailleurs la justification de nombreuses lois votées ces dernières années, pour permettre aux entreprises de restaurer leurs marges et d'investir, pour lever certaines barrières à l'initiative privée, pour faire primer les droits réels sur les droits formels. Toutefois, promouvoir une économie libre et dynamique ne signifie pas pour autant qu'il faille renoncer à la politique, à la décision, au discrétionnaire . Ce serait là faire preuve d'une naïveté que d'autres États n'ont pas - à commencer par les États-Unis, la Chine et nos principaux partenaires européens : il n'est pas de liberté, d'égalité ni de prospérité sans souveraineté. L'intervention de l'État est légitime, surtout lorsqu'il s'agit de donner des grandes orientations ou de pallier des défaillances du marché, qui n'a ni le même horizon temporel, ni les mêmes intérêts en termes de préservation de l'outil productif et des savoir-faire technologiques, en termes d'emplois, en termes d'équité entre les individus et entre les territoires. En bref, l'État stratège doit choisir ses combats avec précaution, mais il doit les mener avec zèle .

Dans la perspective de futurs travaux de réflexion et de prospective, les lignes qui suivent évoquent trois principes de ce que pourrait être, en France, l'État stratège du 21 e siècle.

1. Un État stratège agile, réactif et maître de ses choix

L'expression même d'« État stratège » peut être trompeuse : il ne s'agit pas ici de proposer le rétablissement d'une administration centrale rigide, qui décide de plans quinquennaux et protège la rente des monopoles. Il est trop facile de tourner l'idée en ridicule en évoquant ses modalités passées. Tout d'abord, l'État stratège du 21 e siècle doit être « réactif » : une planification à cinq ans n'est pas adaptée à la rapidité de la transformation de l'économie, mais cela ne signifie pas qu'il ne faille pas donner d'orientations. La capacité à adapter celles-ci en fonction de l'évolution des circonstances serait d'ailleurs une force supplémentaire de la puissance publique.

Ensuite, l'État stratège du 21 e siècle doit être « agile » : il ne doit pas vouloir tout gérer directement, au risque de ne rien gérer du tout, mais il doit savoir confier certaines missions à des acteurs dont c'est le coeur de métier , que ceux-ci soient des opérateurs publics ou des partenaires privés, leur donner une liberté dans les moyens tout en contrôlant scrupuleusement les résultats. De fait, une multiplicité d'acteurs existant pourraient trouver leur place dans cet « État stratège en réseau », pour peu que ceux-ci soient mobilisés et organisés autour d'objectifs communs et clairement définis : Bpifrance et Business France bien sûr (cf. infra ), mais aussi la Caisse des dépôts et consignations (CDC), l'Agence des participations de l'État (APE), ou encore le Fonds pour le développement économique et social (FDES), sans oublier les collectivités territoriales et les administrations centrales. Cette liste ne doit pas interdire, toutefois, d'envisager le cas échéant la création de nouveaux acteurs.

Enfin, l'État stratège du 21 e siècle doit « assumer ses choix » . Aujourd'hui, l'intervention de l'État dans l'économie prend le plus souvent la forme de politiques « horizontales » , qu'il s'agisse d'incitations fiscales et sociales, de règles juridiques, de financement des « écosystèmes », « pôles de compétitivités » et autres « actions transversales » dont la mission « Économie » est un bon témoignage. L'efficacité de ces mesures horizontales n'est pas en cause, et elles doivent être poursuivies. Mais l'État stratège ne doit pas pour autant s'interdire les interventions « verticales » lorsqu'elles sont pertinentes - ou, pour le dire plus clairement, les choix discrétionnaires, c'est-à-dire politiques : « Gouverner, c'est choisir ». Là encore, le fait que certaines erreurs aient été faites dans le passé n'implique pas que le principe même d'un soutien ciblé soit illégitime - et d'ailleurs de tels soutiens existent, en France et dans d'autres pays, de manière plus ou moins explicite. À moyen terme, il conviendra d'ailleurs de réexaminer la logique des règles européennes en matière d'aides d'État .

2. Un État stratège numérique et écologique

L'État stratège du 21 e siècle ne doit pas se tromper de combats. L'idée de confier à l'État et à la puissance publique un rôle dans les grandes orientations de l'économie n'implique pas une préférence pour tel ou tel secteur économique ou pour tel ou tel type d'entreprises . Ce n'est pas parce que l'État assume son rôle stratégique qu'il doit exclusivement porter son effort sur les grandes infrastructures ou l'énergie, c'est-à-dire en pratique sur de grandes entreprises publiques ou vivant de la commande publique, au détriment de secteurs émergents mais tout aussi stratégiques, dont le modèle économique reposerait le cas échéant sur un tissu de TPE, PME ou ETI.

Un travail prospectif est nécessaire pour identifier les secteurs qui, demain, auront besoin de l'État stratège pour émerger et constituer des avantages comparatifs de l'économie française. Toutefois, deux domaines appellent d'ores et déjà, et de tout évidence, à la fixation d'orientations stratégiques :

- d'une part, la transition écologique : le succès de la COP 21 en décembre 2015, les tensions sur les marchés des matières premières, les progrès techniques dans les énergies renouvelables ou encore les menaces sur la biodiversité et le climat sont autant d'éléments qui rappellent l'importance cruciale de la transition écologique pour l'économie et la prospérité à long terme, mais aussi pour l'emploi et la qualité de vie ;

- d'autre part, la révolution numérique : Internet bouleverse tous les secteurs de l'économie - hier la musique et la publicité, aujourd'hui le transport et le logement, demain l'éducation et la santé -, avec des conséquences majeures sur le travail, le modèle social français, la fiscalité etc. Mais la France n'a pas été capable, du moins à ce jour, de faire émerger un « champion numérique » comparable aux Google , Amazon , et autres Uber , alors même que certaines de ses grandes entreprises (dans le secteur des télécoms et/ou de l'audiovisuel) ont un potentiel important. Les États-Unis, eux, mènent un véritable « colbertisme numérique » : la France doit avoir une ambition dans ce domaine , au risque de perdre progressivement toute prise sur la création de richesse, sur les recettes fiscales qui en découlent, sur la protection sociale des « travailleurs des plateformes », sur les règles relatives à la vie privée et à la sécurité - en un mot, sur sa souveraineté.

3. Un État stratège ouvert à la mondialisation

Une fois de plus, le terme d'« État stratège » n'est en aucun cas synonyme de protectionnisme ou de fermeture de l'économie. Le marché intérieur européen et la mondialisation sont là, et offrent d'immenses perspectives à nos entreprises : le rôle de l'État stratège ne doit pas être de les protéger, mais plutôt de les soutenir dans leurs projets à l'international, par une action volontariste et un accompagnement dans la durée. L'objectif est simple : nos entreprises doivent pouvoir vendre leurs produits, plutôt que d'en arriver à se vendre elles-mêmes.

De fait, cela requiert un certain degré de centralisation : Paris n'est pas seulement en concurrence avec Lyon ou Bordeaux, mais surtout avec Pékin et Los Angeles. Dans le contexte de la mondialisation, l'arbitrage entre la compétitivité de certains secteurs et l'aménagement du territoire n'est plus le même : parfois, il est impératif de faire cause commune, à l'échelle de la France, voire à l'échelle de l'Union européenne.

L'une des priorités doit donc être la construction d'un véritable « État stratège à l'exportation » : or, dans ce domaine précis, la France s'est récemment dotée de deux institutions performantes, Business France et Bpifrance, qui forment de solides bases pour l'avenir . Les développements ci-dessous leur sont consacrés.

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