B. LES DISPOSITIONS RELATIVES AU DROIT DU TRAVAIL ET AU HAUT CONSEIL À L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

Si l'Assemblée nationale a rétabli les dispositions bavardes supprimées par le Sénat à l'article 35 relatif à l'insertion des actions en faveur de l'amélioration de la maîtrise de la langue française dans le cadre de la formation professionnelle, elle a toutefois suivi la position de la Haute-assemblée en maintenant la suppression des dispositions relatives aux langues régionales. Votre rapporteur avait souligné le risque de discrimination que soulevait cet ajout et se félicite donc de la sagesse des députés.

Suivant la position du Sénat, l'Assemblée a également maintenu la suppression de l'article 61 concernant la portabilité du lundi de Pentecôte, dont la rédaction était incompatible avec la dernière loi sur le travail.

Les députés ont toutefois rétabli l'article 61 bis , instituant une obligation de formation à la non-discrimination à l'embauche pour tous les employés chargés du recrutement au moins une fois tous les cinq ans. À l'initiative du Gouvernement, cette obligation ne concernera toutefois que les entreprises de plus de 300 salariés et non celles de plus de 50 salariés.

Contrairement aux arguments avancés par votre rapporteur sur l'absence de portée de cette mesure et contre l'avis de sa commission spéciale, l'Assemblée nationale a rétabli l'article 61 ter qui confie aux préfets la mission d'identifier les potentiels d'embauche par bassins d'emploi en associant à la fois Pôle emploi et l'Association pour l'emploi des cadres (Apec) afin d'assurer l'inclusion économique des personnes résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Enfin, l'Assemblée nationale a confirmé la simplification de la rédaction, accomplie par le Sénat, de l'article 43 instituant le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes. Les députés, à l'initiative du Gouvernement, ont toutefois considéré que la saisine du Haut-conseil ne pouvait intervenir que du fait du Premier ministre et du ministre chargé des droits des femmes et non de tout ministre intéressé.

C. LES DISPOSITIONS RELATIVES AU DROIT DES DISCRIMINATIONS

En nouvelle lecture, à l' article 37 modifiant la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l'Assemblée nationale a rétabli à l'identique la rédaction de l'article 37 qu'elle avait adoptée en première lecture.

Votre commission spéciale déplore que l'Assemblée nationale n'ait pas estimé nécessaire d'évaluer les améliorations apportées à la loi du 29 juillet 1881, en particulier celles non contestées par le Gouvernement à savoir : la simplification de la détermination du délai entre la délivrance d'une citation et l'audience de comparution en supprimant la règle complexe des myriamètres et la fin de l'automaticité de la fin des poursuites en cas de désistement du plaignant, ce qui aurait permis d'éviter des plaintes abusives lancées contre la liberté d'expression.

Elle regrette particulièrement que l'Assemblée nationale, qui a accepté sans changement les modifications majeures apportées à la loi du 29 juillet 1881 proposées par le Gouvernement, n'ait pas tenu compte de la position de la commission spéciale quant au risque constitutionnel, au regard notamment des principes constitutionnels d'égalité devant la loi et du droit à un recours effectif.

Elle rappelle enfin que la proposition de réparer les abus de la liberté d'expression sur le fondement de l'article 1240 du code civil est conforme tant à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qu'à la volonté de la Cour européenne des droits de l'homme de sanctionner ces comportements par la voie du droit civil. 11 ( * )

À l' article 38 , l'Assemblée nationale a rétablit une rédaction prévoyant deux clauses générales d'aggravation des peines liées à des motifs racistes ou sexistes et ajoutant un nouveau motif d'aggravation à raison de « l'identité de genre ». Comme en première lecture, votre commission spéciale rappelle que cette technique légistique ne permet pas de déterminer de façon précise et claire les infractions aggravées, ce qui est contraire au principe constitutionnel de légalité en matière pénale 12 ( * ) , au principe de clarté de la loi pénale, qui découle de la combinaison de l'article 34 de la Constitution et de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme, mais également contraire à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi , qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, qui impose au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ». Or ni les notions de « prétendue race » ou « d'identité de genre », ni les clauses générales d'aggravation ne répondent à l'impératif de prévisibilité et de précision de la loi pénale . Enfin, l'extension démesurée de l'aggravation des peines potentiellement applicables à toutes les infractions a pour conséquence d'aggraver, par exemple, des infractions routières précédées d'une injure raciste, sans que celle-ci ne soit nécessairement en lien avec l'infraction aggravée. Ces conséquences imprévisibles sont manifestement disproportionnées et donc contraire au principe de nécessité des peines .

Semble également contraire au principe de nécessité des peines, mais également au principe de légalité en matière pénale l'article 39 bis rétabli par l'Assemblée nationale, créant un délit de discrimination pour faits de bizutage, sans qualifier les distinctions opérées, sans qu'il soit recherché le bien-fondé de celle-ci ou qu'il ne soit nécessaire de rapporter la preuve d'un traitement défavorable infligé à la personne.

À l'article 38 ter , l'Assemblée nationale n'est pas revenue sur la rédaction 13 ( * ) qu'elle avait adoptée en première lecture qui vise, notamment, à créer un nouveau délit de « négation, minoration ou banalisation » des crimes contre l'humanité. Le Sénat n'avait pas suivi votre commission spéciale, qui avait exprimé de sérieuses réserves sur ce sujet.

L'Assemblé nationale n'a pas pris en compte les critiques du Sénat quant aux articles 38 quater et 39, qui ne permettent plus notamment de conditionner une action en justice d'une association pour poursuivre un délit de presse à l'accord de la victime : outre que les termes retenus ne répondent pas à l'exigence de clarté de la loi, ils élargissent de manière disproportionnée les poursuites qui pourraient être engagées.

Votre commission relève néanmoins que les articles 38 bis, 38 quinquies, qui pénalise le fait d'annoncer publiquement la prise en charge d'amendes, et 40 bis ont fait l'objet d'une adoption conforme.

Sans surprise, l'Assemblée nationale a également rétabli la rédaction qu'elle avait adoptée en première lecture sur l'ajout de la notion d'identité de genre, tant en tant que critère de discrimination à l'article 41, qu'à l'article 57 bis . Votre rapporteur maintient les objections qu'elle avait formulées sur ces deux articles ainsi que ses réserves sur la constitutionnalité de ce concept.

L'Assemblée nationale a réintroduit , en le modifiant, l'article 42 relatif au testing au droit civil. Les rapporteurs ont toutefois admis que cette disposition était satisfaite par le droit en vigueur 14 ( * ) , ce qui confirme son caractère superfétatoire.

Elle est revenue sur plusieurs arbitrages rendus lors de la loi « Justice du XXI ème siècle » promulguée il y a moins d'un mois :

- en prévoyant, sans étude d'impact préalable, un fonds de soutien à l'action de groupe (article 63) que les magistrats seront bien en peine de mettre en oeuvre ;

- en permettant aux associations d'initier une action de groupe dans le monde de l'entreprise alors que cette prérogative était jusqu'alors réservée aux syndicats (article 60) .

Nos collègues députés ont également sollicité plusieurs rapports au Gouvernement avant le 31 mars 2017 (articles 54 et 54 bis ) et ont adopté une mesure contraire au droit communautaire de la commande publique (article 60 bis ) 15 ( * ) .


* 11 Dans une décision du 12 juillet 2016, Reichman c/ France, requête n° 50147/11, la CEDH relevait que « le prononcé même d'une condamnation pénale est l'une des formes les plus graves d'ingérence dans le droit à la liberté d'expression, eu égard à l'existence d'autres moyens d'intervention et de réfutation, notamment par les voies de droit civil ».

* 12 Décision du Conseil constitutionnel n° 80-127 DC, 20 janvier 1981, loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, considérant n° 7.

* 13 En application de l'article 108 du Règlement de l'Assemblée nationale, elle aurait pu remettre en cause les dispositions adaptées conformes par le Sénat, contre l'avis de la commission spéciale, afin « d'assurer le respect de la Constitution ».

* 14 Rapport n° 4191 de nouvelle lecture de l'Assemblée nationale, p. 267.

* 15 Cet article prévoit, en effet, la prise en compte de la politique menée par l'entreprise en matière de lutte contre les discriminations, même si ce critère n'a pas de lien direct avec le marché, ce qui est contraire à la directive « marchés publics » 2014/24/UE.

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