Rapport n° 234 (2017-2018) de Mme Jocelyne GUIDEZ , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 24 janvier 2018

Disponible au format PDF (502 Koctets)

Tableau comparatif au format PDF (19 Koctets)


N° 234

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 janvier 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , créant un dispositif de don de jours de repos non pris au bénéfice des proches aidants de personnes en perte d' autonomie ou présentant un handicap ,

Par Mme Jocelyne GUIDEZ,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; MM. René-Paul Savary, Gérard Dériot, Mme Colette Giudicelli, M. Yves Daudigny, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, MM. Michel Amiel, Guillaume Arnell, Mme Laurence Cohen, M. Daniel Chasseing , vice-présidents ; M. Michel Forissier, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, Corinne Féret, M. Olivier Henno , secrétaires ; M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Jean-Noël Cardoux, Mmes Annie Delmont-Koropoulis, Catherine Deroche, Chantal Deseyne, Nassimah Dindar, Catherine Fournier, Frédérique Gerbaud, M. Bruno Gilles, Mmes Nadine Grelet-Certenais, Jocelyne Guidez, Véronique Guillotin, Victoire Jasmin, M. Bernard Jomier, Mme Florence Lassarade, M. Martin Lévrier, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Monique Lubin, Viviane Malet, Brigitte Micouleau, MM. Jean-Marie Mizzon, Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Frédérique Puissat, Laurence Rossignol, Patricia Schillinger, M. Jean Sol, Mme Claudine Thomas, M. Jean-Louis Tourenne, Mme Sabine Van Heghe, M. Dominique Watrin .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

228 , 425 et T.A. 43

Sénat :

146 et 235 (2017-2018)

Les conclusions de la commission des affaires sociales


LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Réunie le mercredi 24 janvier 2018 sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission des affaires sociales a examiné, sur le rapport de Mme Jocelyne Guidez, la proposition de loi n° 146 (2016-2017) adoptée par l'Assemblée nationale relative au don de jours de repos non pris au bénéfice des proches aidants de personnes en perte d'autonomie ou présentant un handicap .

Ce texte applique au cas des proches aidants de personnes handicapées ou de personnes âgées en perte d'autonomie le dispositif issu de la loi du 9 mai 2014 permettant le don de jours de congés payés non pris au parent d'enfant gravement malade.

Cette proposition de loi pose le premier jalon d'une réforme plus ambitieuse à terme du droit de l'aidant, dont votre commission des affaires sociales souhaite qu'elle englobe tous les aspects de sa vie touchés par la tâche qu'il assume auprès du proche aidé. Soucieuse de répondre aux attentes exprimées par les aidants, la commission n'a pas souhaité apporter d'enrichissement à ce texte, issu du droit de tirage d'un groupe minoritaire, afin de permettre son adoption définitive et son entrée en vigueur rapide.

Sur l'avis de sa rapporteure, la commission des affaires sociales a donc adopté ce texte sans modification.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi relative au don de jours de repos non pris au bénéfice des proches aidants de personnes en perte d'autonomie ou présentant un handicap est issue d'une initiative de notre collègue député Paul Christophe (UDI, Agir et Indépendants) et a été transmise à notre assemblée après avoir fait l'objet d'un très large consensus à l'Assemblée nationale.

Le dispositif proposé présente en effet tous les critères pour susciter l'adhésion. Son premier mérite est de consacrer un texte législatif entier à une partie de la population qui n'a jusqu'ici fait l'objet que de dispositions incidentes au sein de textes plus larges : les proches aidants. Estimés à près de 8,3 millions de personnes en France, ils désignent ceux qui assument des tâches de suivi et d'accompagnement quotidien auprès d'une personne dont l'état de santé ou d'autonomie requiert l'intervention étroite d'un proche. Ces tâches, qui ne s'inscrivent normalement pas dans un lien de subordination, s'effectuent le plus souvent à titre bénévole et s'ajoutent aux propres impératifs professionnels et personnels de l'aidant.

Les grandes lois sociales de ces dernières années n'ont jamais manqué de réserver à l'aidant un ou plusieurs articles enrichissant leurs droits sociaux, que ces derniers regardent leur dédommagement financier , leur retraite , leur droit au congé ou leur droit au répit . Ces apports consécutifs sont indéniablement utiles mais, apposés par petites touches, ils peinent à construire un droit cohérent de l'aidant et laissent subsister d'importantes disparités selon son activité professionnelle ou les publics aidés.

La proposition de loi qui nous est soumise, en plus de faire honneur à l'initiative législative du Parlement, poursuit l'objectif louable de rajouter à l'éventail des droits sociaux de l'aidant celui, inspiré du salarié parent d'un enfant gravement malade, de bénéficier d'un don de jours de congés payés. Du point de vue politique, l'avancée est indéniable et il faut se réjouir que le droit des aidants refasse ainsi son entrée dans le débat public. Du point de vue juridique et technique, le texte s'expose à plusieurs risques qui menacent de le réduire à une simple déclaration d'intention.

Votre rapporteure se trouvait donc confrontée au dilemme suivant : apporter au texte proposé les correctifs nécessaires susceptibles d'étoffer les droits sociaux de l'aidant afin de leur donner une pleine effectivité, mais alors prendre le risque de subordonner la poursuite du parcours législatif du texte à son inscription à une date indéterminée à l'ordre du jour réservé aux groupes minoritaires de l'Assemblée nationale, ou bien recommander l'adoption conforme de ce texte et saisir l'opportunité de ce premier pas pour relancer le débat de la place des aidants dans notre société. Consciente de l'importance de cette main tendue à une population dont on occulte trop facilement les souffrances et les difficultés, c'est à la seconde option que votre rapporteure s'est ralliée.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LES DROITS DE L'AIDANT : UNE oeUVRE INACHEVÉE PEINTE À PETITES TOUCHES

A. L'AIDANT : UNE RÉALITÉ JURIDIQUE PROTÉIFORME

L'émergence d'un statut juridique unifié de l'aidant s'est jusqu'à présent heurtée à la diversité des situations auxquelles pouvaient être confrontées les personnes assurant ce rôle. Outre l'évolution de leur appellation, qui entend prendre en compte les évolutions progressives de la fonction, l'aidant se voit reconnaître un éventail de droits différents selon qu'il accompagne un enfant atteint d'une pathologie grave , une personne atteinte de handicap ou une personne en perte d'autonomie . Les deux derniers cas doivent cependant être distingués du premier, en raison du versement par le conseil départemental de deux allocations compensatrices - prestation de compensation du handicap (PCH) et allocation personnalisée à l'autonomie (Apa) - sur lesquelles le financement de l'aidant peut être assuré.

1. Des appellations diverses

Les différences d'appellation entre aidants selon le public auquel l'aide est apportée peuvent être génératrices d'importantes confusions.

Le statut de la personne apportant de l'aide à un enfant atteint de pathologie grave ne fait pas l'objet de dispositions dérogatoires au droit de la politique familiale. L'article L. 222-2 du code de l'action sociale et des familles (CASF) ne limite pas la notion d'aidant, sans toutefois la désigner par cette appellation, aux seuls parents de l'enfant puisqu'il dispose que « l'aide à domicile est attribuée sur sa demande, ou avec son accord, à la mère, au père ou, à défaut, à la personne qui assume la charge effective de l'enfant, lorsque la santé de celui-ci, sa sécurité, son entretien ou son éducation l'exigent ». Cette aide à domicile peut prendre la forme d'une aide financière ou d'une aide humaine définie au cas par cas par le conseil départemental.

Pour le cas des personnes venant en aide aux personnes atteintes de handicap , le CASF retient la notion d' aidant familial , définie à l'article R. 245-7 comme « le conjoint, le concubin, la personne avec laquelle la personnes handicapée a conclu un pacte civil de solidarité, l'ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu'au quatrième degré de la personne handicapée, ou l'ascendant, le descendant ou le collatéral jusqu'au quatrième degré de l'autre membre du couple qui apporte l'aide humaine [...] et qui n'est pas salarié pour cette aide ».

Pour le cas des personnes âgées en perte d'autonomie , la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement 1 ( * ) (ASV) a introduit la notion de proche aidant , définie à l'article L. 113-1-3 du CASF comme le « conjoint, le partenaire avec qui [la personne âgée] a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, un parent ou un allié, définis comme aidants familiaux, ou une personne résidant avec elle ou entretenant avec elle des liens étroits et stables, qui lui vient en aide, de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel , pour accomplir tout ou partie des actes ou des activités de la vie quotidienne ». On constate que la notion de proche aidant est appréhendée de façon plus extensive que celle d'aidant familial, puisque sont explicitement incluses des personnes non liées à la personne âgée par des liens de parenté,

2. Dédommagement et rémunération : des distinctions nécessaires

Malgré la diversité de ses appellations, la qualité d'aidant reste définie par un critère déterminant : l'absence de lien de subordination l'unissant à la personne aidée . La personne aidée reste cependant tout à fait libre d'employer son aidant par conclusion d'un contrat de travail.

Dans le cas de l'aide apportée aux personnes handicapées, l'article L. 245-3 du CASF prévoit expressément que la PCH peut être affectée au financement des aides humaines apportées par les aidants familiaux. L'article L. 245-12 rappelle bien que ce versement n'induit pas de « lien de subordination avec la personne handicapée », lui conférant la qualité de dédommagement et non celle de rémunération. Un arrêté du 28 décembre 2005 2 ( * ) limite le dédommagement mensuel de l'aidant familial à 85 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) mensuel net, montant majoré de 20 % lorsque l'aidant n'exerce aucune activité professionnelle afin d'apporter une aide à une personne handicapée dont l'état nécessite une présence constante 3 ( * ) .

En revanche, contrairement à l'aidant familial pour le cas d'une personne handicapée, aucune disposition du CASF ne prévoit de dédommagement du proche aidant d'une personne âgée en perte d'autonomie sur le versement de l'Apa . Ainsi, le seul mode possible de financement du proche d'aidant est la rémunération par la personne aidée en qualité d'employeur. L'article L. 232-15 du CASF, qui régit la partie de l'Apa destinée à la rémunération d'un intervenant, a été profondément modifié par la loi ASV afin de dépasser le seul cas d'intervention de services d'aide à domicile (Saad), mais ne mentionne pour autant pas explicitement le proche aidant comme récipiendaire potentiel de cette rémunération 4 ( * ) .

Cette première différence de financement des aidants, distingués selon le public auquel ils apportent leur aide, pour surprenante qu'elle paraît, se justifie par l'élasticité de la notion de proche aidant prévue par la loi ASV . En effet, l'extension de la notion de proche aidant à des personnes extérieures au cercle familial, utile pour lutter contre l'isolement de certaines personnes âgées en perte d'autonomie, présente un risque d'abus dès qu'est ouverte la possibilité d'un dédommagement financier.

Pour autant, cette différence entre aidant familial et proche aidant soulève un problème important d'égalité de traitement, d'autant plus préoccupant qu'elle se double d'une seconde discrimination, de nature fiscale .

En effet, la nature du dédommagement financier reçu par l'aidant familial sur la PCH perçue par la personne aidée le fait logiquement échapper à l'impôt sur le revenu (IR), dont l'assiette est limitée aux revenus professionnels. Les dédommagements financiers des aidants familiaux sont ainsi imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC), avec la possibilité pour eux de recourir au régime déclaratif spécial prévu par l'article 102 ter du code général des impôts. Ce régime déclaratif, ouvert aux cas de revenus non professionnels annuels inférieurs à 33 200 euros 5 ( * ) , permet aux aidants familiaux de bénéficier d'un abattement de 34 % sur les sommes effectivement touchées.

Par ailleurs, les dédommagements des aidants familiaux n'ayant pas la qualité de revenus professionnels, ils ne sont pas assujettis aux cotisations sociales, contrairement aux rémunérations éventuelles touchées par les proches aidants. Jusqu'en 2018, l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale prévoyait que les dédommagements financiers, comme revenus assujettis au régime des BNC et exclus de l'assiette des cotisations sociales, seraient assujettis aux prélèvements sociaux (CSG et CRDS) sur les revenus du patrimoine au taux global de 15,5 %. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 6 ( * ) est revenue, pour l'assujettissement à la CSG, sur cette disposition et a assimilé le dédommagement financier de l'aidant familial à un revenu d'activité ou de remplacement, rabaissant ainsi le taux de leur CSG à 9,2 %. Cette mesure, favorable aux aidants familiaux, a néanmoins eu pour conséquence de creuser un peu plus l'écart financier entre ces derniers et les proches aidants .

B. LES DROITS SOCIAUX DE L'AIDANT : UNE SOLIDARITÉ À GÉOMÉTRIE VARIABLE

Les droits sociaux de l'aidant se sont étoffés à la faveur de textes législatifs ponctuels et prennent deux formes principales : ils se manifestent soit par la création de droits nouveaux et spécifiques , soit par le renforcement de prestations contributives de droit commun par plusieurs mécanismes de solidarité . Par ailleurs, on observera que les disparités constatées entre aidants en matière de rétribution financière se confirment en matière de droits sociaux, qui montrent une importante disparité selon le public aidé.

1. Le congé de proche aidant : un calque inopportun du congé de solidarité familiale

Les contraintes liées à l'exercice d'une activité professionnelle salariée à temps plein par l'aidant ont appelé la prise de dispositions spécifiques relatives à ses congés. Historiquement, le premier congé véritablement spécifique aux aidants fut le congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie créé par la loi du 9 juin 1999 7 ( * ) , rebaptisé congé de solidarité familiale en 2003, et figurant au nombre des congés non rémunérés . L'ouverture du droit à ce congé était alors réservée aux salariés dont un ascendant, descendant ou une personne partageant son domicile souffrait d'une pathologie mettant en jeu son pronostic vital .

Ce n'est qu'en 2007 que ce congé spécifique fut étendu aux aidants de personnes dont le pronostic vital n'était pas engagé. Il fut ainsi créé un congé de soutien familial qui, dans sa version initiale, était ouvert aux salariés ayant au moins deux ans d'ancienneté dans l'entreprise et dont un membre de la famille jusqu'au quatrième degré présentait « un handicap ou une perte d'autonomie d'une particulière gravité ». On peut à ce titre remarquer que le congé de soutien familial inaugure la série des droits sociaux accordés aux aidants sans distinction entre personne âgée et personne handicapée.

Ce congé était d'une durée de trois mois renouvelable et ne pouvait excéder la durée d'un an pour l'ensemble de la carrière . L'extension de ce congé non rémunéré aux aidants de personnes dont la vie n'était pas en danger partait sans doute d'une intention fort louable mais présentait l'inconvénient d'un calque intégral du congé de solidarité familiale , conçu spécifiquement pour l'accompagnement de proches en fin de vie sur des périodes courtes.

La loi ASV 8 ( * ) , prenant acte de l'introduction de la notion de proche aidant, a renommé le congé de soutien familial en congé de proche aidant . Cette dénomination peut être source de confusion, car elle désigne un droit autant ouvert aux proches aidants de personnes âgées en perte d'autonomie qu'aux aidants familiaux de personnes handicapées. Les conditions d'éligibilité au congé sont inchangées, à la différence que le salarié proche aidant d'une « personne âgée ou [...] handicapée avec laquelle il réside ou entretient des liens étroits et stables, à qui il vient en aide de manière régulière et fréquente à titre non professionnel », sans nécessairement être de sa famille, peut désormais y prétendre.

La loi ASV a également modifié en profondeur les modalités d'exercice du droit au congé de proche aidant, en permettant que ce dernier prenne la forme, avec l'accord de l'employeur, d'une période d'activité à temps partiel ou encore que le proche aidant y ait recours de façon fractionnée . Ces inflexions permirent de mieux faire correspondre les possibilités offertes par le congé du proche aidant aux nécessités d'un accompagnement sur le long terme. La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a néanmoins indiqué à votre rapporteure que la possibilité de convertir le congé de proche aidant en activité à temps partiel était très peu employée.

Une dernière série de modifications furent apportées au congé du proche aidant par la loi du 8 août 2016 9 ( * ) dite « loi Travail », dont la principale figure à l'article L. 3142-16 du code du travail, qui dispose désormais qu' une seule année d'ancienneté est requise dans l'entreprise pour y prétendre. Par ailleurs, votre rapporteure signale que l'article L. 3142-24 du code du travail, qui prévoit qu'un décret détermine les critères d'appréciation de la particulière gravité du handicap ou de la perte d'autonomie de la personne aidée, n'a toujours pas reçu d'application .

Ainsi, à l'issue de plusieurs modifications législatives intervenues ces dix dernières années, le congé du proche aidant continue pourtant de présenter d'importantes similitudes avec le congé de solidarité familiale, alors même que les deux dispositifs répondent à des exigences très différentes en termes de durée d'accompagnement . Les auditions menées par votre rapporteure l'ont convaincue que la solution du congé, adéquate pour l'accompagnement d'une personne en fin de vie, n'était que très partiellement satisfaisante pour un accompagnement sur un plus long terme, et que devait lui être préféré le recours à l'aménagement du temps de travail .

2. La retraite des aidants : le maintien de distinctions peu justifiables

Outre les dispositifs relatifs aux aménagements du temps de travail, les droits sociaux de l'aidant comprennent un important volet relatif à leur retraite , leur permettant ainsi de ne pas subir la perte de trimestres correspondant aux périodes non travaillées.

Cependant, alors que le congé de proche aidant s'applique aux aidants d'une façon très large, les mesures s'appliquant à eux en matière de retraite maintiennent de très importantes distinctions, peu justifiables, selon la nature et le degré d'activité professionnelle de l'aidant .

a) L'interruption ponctuelle de l'activité professionnelle : une relative homogénéisation du régime de retraite de l'aidant

L'article L. 381-1 du code de la sécurité sociale prévoit l'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse du régime général de sécurité sociale des personnes salariées bénéficiaires du congé de proche aidant, malgré l'interruption du versement de la rémunération.

La même affiliation obligatoire est prévue pour les travailleurs non-salariés , mais est étrangement limitée aux seuls membres du cercle familial jusqu'au quatrième degré qui interrompent leur activité professionnelle pour s'occuper d'une personne atteinte de handicap ou d'une perte d'autonomie d'une particulière gravité. De façon plus synthétique, la personne aidante extérieure au cercle familial peut bénéficier de l'affiliation à l'assurance vieillesse du régime général si elle fait valoir son droit au congé de proche aidant et si elle est salariée, mais ne bénéficie pas de cette affiliation si elle n'est pas salariée . C'est là une inégalité de traitement que votre rapporteure tient à signaler et à laquelle il paraît urgent d'apporter une correction de simple justice.

b) L'absence ou la diminution de l'activité professionnelle : un régime de retraite limité aux aidants de personnes handicapées

L'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse du régime général est également possible pour les aidants n'exerçant aucune activité professionnelle ou seulement une activité à temps partiel 10 ( * ) , dans les cas limitatifs où la personne aidée est soit un enfant handicapé dont le taux d'incapacité permanente est au moins égal à 80 % 11 ( * ) et qui n'a pas atteint l'âge limite d'attribution de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) soit un adulte handicapé dont le taux d'incapacité permanente est au moins égal à 80 % avec une condition restrictive d'appartenance au cercle familial.

Autrement dit, l'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse du régime général n'est pas ouverte aux personnes ayant cessé ou diminué leur activité professionnelle pour venir en aide à une personne âgée en perte d'autonomie . Votre rapporteure est bien consciente que cet état du droit se justifie en partie par le fait que les aidants de personnes âgées en perte d'autonomie sont très fréquemment membres du cercle familial étroit et souvent elles-mêmes à la retraite .

Elle tient néanmoins à dénoncer cette inégalité, qui lui paraît ne pas devoir être maintenue pour plusieurs raisons. En premier lieu, l'ouverture du droit à l'affiliation obligatoire permettrait de couvrir les aidants actifs de personnes âgées, même s'ils sont minoritaires ; en second lieu, il ne paraît pas justifiable de ne pas prévoir de dispositif de solidarité en direction des aidants retraités alors même que les textes législatifs les plus récents établissent des droits sociaux de l'aidant sans distinction (congé de proche aidant).

Elle souhaite souligner une autre inégalité, elle aussi difficilement justifiable, inscrite à l'article R. 381-1 du code de la sécurité sociale. Ce dernier prévoit en effet que l'affiliation de la personne ayant la charge d'un enfant handicapé est faite « soit à sa demande, soit à la diligence [de la Caf] », alors que l'affiliation de la personne assumant au foyer familial la charge d'un adulte handicapé ne peut se faire que sur l'avis conforme et motivé de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Il paraît anormal qu'une inégalité d'accès à l'affiliation à l'assurance vieillesse soit inscrite dans la loi, sur le seul fondement d'une différence entre la charge d'un enfant ou d'un adulte handicapé.

Tableau synthétique des droits à la retraite de l'aidant

Activité professionnelle
de l'aidant

Bénéfice de l'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse du régime général en cas d'interruption de l'activité professionnelle

Salarié à temps plein

Sans restriction (dans le cadre du congé de proche aidant)

Non-salarié à temps plein

Uniquement si l'aidant appartient au cercle familial jusqu'au quatrième degré

N'exerce aucune activité professionnelle ou une activité à temps partiel

Uniquement si l'aidant appartient au cercle familial restreint et si la personne aidée est une personne handicapée au taux d'incapacité permanente de plus de 80 %.

L'affiliation est de droit dans le cas d'un enfant handicapé mais doit recevoir l'avis conforme de la CDAPH dans le cas d'un adulte handicapé.

c) La prise en charge financière de l'assurance vieillesse des aidants

Votre rapporteure tient à souligner que le financement de l'assurance vieillesse des aidants est assuré par une cotisation à la charge exclusive des caisses d'allocations familiales (Caf) .

Cependant, de façon surprenante, la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) ne reçoit de remboursement de ces cotisations de la part de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) que pour les aidants salariés ou non-salariés ayant effectué une interruption ponctuelle de leur activité dans le cadre d'un congé de proche aidant.

Les sommes remboursées par la CNSA à la Cnaf au titre de l'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse des aidants se sont élevées en 2016 à 10 625 euros . Ce montant dérisoire, considéré par rapport au nombre total d'aidants, fait craindre que le dispositif du congé de proche aidant soit peu connu ou peu activé 12 ( * ) .

Pour la dernière catégorie d'aidants, celle qui n'exerce aucune activité professionnelle ou une activité professionnelle à temps partiel, l'affiliation à l'assurance vieillesse se fait dans le cadre de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) .

De façon surprenante, la prise en charge de cette dépense, exclusivement supportée par la Cnaf, continue de se faire de facto au titre de la politique de l'enfance, alors que l'intégration du cas de l'aide apportée à un adulte handicapé et la suppression de la condition de ressources opérée par la loi du 20 janvier 2014 13 ( * ) militeraient davantage pour une prise en charge au titre de la politique de la perte d'autonomie, et donc par la CNSA.

Ce maintien est d'autant plus surprenant que la loi du 20 janvier 2014 prévoit que, pour le cas spécifique de l'aide apportée à l'adulte handicapé par n'importe quel assuré social - indifféremment donc de son activité professionnelle - l'aidant bénéficie d'une majoration de durée d'assurance d'un trimestre par période de trente mois, dans la limite de huit trimestres 14 ( * ) . L'adoption de dispositifs spécifiques en matière d'AVPF plaide ainsi pour son absorption au régime de l'assurance vieillesse de l'aidant.

3. Le droit au répit : un droit réservé aux aidants de personnes âgées

Le droit au répit est inscrit à l'article L. 232-3-2 du CASF par la loi ASV. Il dispose que le proche aidant qui assure une présence ou une aide auprès d'un bénéficiaire de l'Apa peut ouvrir droit, dans le cadre de cette allocation, à des « dispositifs répondant à des besoins de répit ». L'article D. 232-9-1 du CASF prévoit quant à lui que l'équipe médico-sociale chargée de l'élaboration du plan d'aide propose le recours à « un ou des dispositifs d'accueil temporaire, en établissement ou en famille d'accueil, de relais à domicile, ou tout autre dispositif permettant de répondre au besoin de l'aidant et adapté à l'état de la personne âgée ». Enfin, le recours au droit au répit est financé à hauteur d'environ 502 euros par mois, au-delà du plafond d'Apa .

Trois formes de répit sont décrites par le CASF : l' accueil temporaire de la personne aidée en établissement ou en famille d'accueil et le relais à domicile . Les deux premières, qui sont jusqu'à présent les seules vraiment réalisables, se heurtent non seulement à la carence de places disponibles mais présentent une difficulté importante susceptible d'affaiblir leur recours : elles nécessitent le déplacement de la personne âgée, allant ainsi à l'encontre de la continuité domiciliaire . C'est pourquoi la solution du relais à domicile, inspirée des expérimentations québécoise et belge du « baluchonnage », a récemment fait l'objet de plusieurs études.

Un rapport de notre ancienne collègue députée Joëlle Huillier 15 ( * ) mentionnait que « le relayage, pour qu'il offre un réel bénéfice à l'aidant, [doit être] d'au moins deux jours et une nuit soit 36 heures ». Cet impératif suppose qu'un cadre partiellement dérogatoire aux règles relatives au temps de travail soit défini, ce que le projet de loi ASV avait initialement tenté en permettant l'expérimentation de prestations de suppléance à domicile du proche aidant. Dans l'état du droit actuel, aucune convention collective du secteur des services à la personne n'autorise un temps de travail consécutif supérieur à 12 heures, en dehors de la convention collective du particulier-employeur signée par la Fédération des particuliers employeurs de France (Fepem). Dans les faits, le droit au relayage n'est donc actuellement mobilisable qu'en emploi direct et non en ayant recours au mode mandataire et au mode prestataire, qui facilitent pourtant grandement les démarches administratives de la personne employeur.

Votre rapporteure souligne avec satisfaction que l'article 29 du projet de loi pour un État au service d'une société de confiance se saisit à nouveau de ce sujet en permettant, à titre expérimental, que les établissements et services médico-sociaux chargés de la prise en charge de personnes âgées puissent recourir à leurs salariés volontaires pour réaliser des prestations de suppléance du proche aidant dans la limite de six jours consécutifs.

Elle tient néanmoins à rappeler que la consécration législative du droit au répit, intervenue à la faveur d'un texte relatif aux personnes âgées, ne s'étend pas aux aidants familiaux agissant auprès de personnes handicapées âgées de moins de 60 ans . Les mêmes facilités -accueil temporaire en établissement ou accueil familial- peuvent être offertes aux aidants familiaux de personnes handicapées, mais elles restent à la discrétion des établissements et services médico-sociaux qui les définissent dans le cadre des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (Cpom). Elles ne sont pas accessibles aux aidants en vertu d'un droit légalement garanti .

C. LA MOBILISATION FINANCIÈRE DES POUVOIRS PUBLICS EN FAVEUR DES AIDANTS

Les crédits financiers consacrés au soutien des aidants sont retracés au sein de la section IV du budget de la CNSA , consacrée à la « promotion des actions innovantes, formation des aidants familiaux et accueillants familiaux et renforcement de la professionnalisation des métiers de service exercés auprès des personnes âgées et des personnes handicapées ». Ces crédits se sont élevés en 2016 à près de 6,4 millions d'euros, soit 2,4 millions de plus qu'en 2015 16 ( * ) .

L'Association française des aidants

Il s'agit d'un collectif de plus de 200 porteurs de projets locaux, parmi lesquels des centres communaux d'action sociale (CCAS), des services d'aide à domicile (Saad), des établissements, des réseaux de santé, des centres locaux d'insertion et de coordination (Clic). Ils sont destinataires d'une subvention d'environ 300 000 euros par an.

Ses actions permanentes sont actuellement de deux ordres. En premier lieu, 150 « cafés des aidants » sont organisés chaque année sur l'ensemble du territoire, afin d'offrir à tous les aidants un espace et un temps d'échange destinés à enrichir leur expérience. En second lieu, l'Afa finance plus de 80 actions de formations, qui ont touché 5 000 aidants en trois ans.

Une expérience ponctuelle a été menée en 2017, sans que les financements ne permettent de la prolonger : la montée d'un « atelier santé des aidants », qui fait suite à une mission d'observation menée par l'Afa dans le cadre d'une convention avec la DGCS et dont les conclusions indiquaient que 48 % des aidants déclarent avoir des problèmes de santé qu'ils n'avaient pas avant d'être aidant.

Ces dépenses sont à plus de 50 % consacrées aux subventions de têtes de réseau et de grandes associations, dont les principales sont l'Association française des aidants (Afa) et Union France Alzheimer. En 2016, seize accords-cadres sont signés entre la CNSA et de nombreuses associations pour un montant global de 3,3 millions d'euros.

D'autres dépenses sont, pour un quart, consacrées à des financements définis par les conventions départementales de modernisation de l'aide à domicile avec les conseils départementaux. En 2016, 33 départements sont signataires d'une convention comportant un axe spécifiquement dédié aux aidants familiaux , pour un engagement financier de la CNSA de 1,7 million d'euros. Le reliquat des crédits a été délégué par la CNSA aux agences régionales de santé (ARS) pour 1,4 million d'euros dans le cadre du plan Maladies neurodégénératives à des fins d'accompagnement des proches aidants .

Financements de la CNSA en faveur des aidants

Subventions aux associations

3,3 millions

Conventionnement avec les conseils départementaux
dédié aux aidants familiaux

1,7 million

Crédits délégués aux ARS pour le plan MND
à destination des proches aidants

1,4 million

Total

6,4 millions

Selon le dossier de presse consécutif au dernier Conseil de la CNSA du 21 novembre 2017, les crédits de la section IV consacrés au financement des actions destinés aux aidants devraient connaître une certaine stabilité en 2018 .

La CNSA a néanmoins souhaité alerter votre rapporteure sur le risque d'éparpillement de ces crédits , dont l'usage n'obéit jusqu'ici à aucune stratégie d'ensemble (la répartition de ces crédits entre aidants familiaux et proches aidants ne répond à aucune clef de répartition particulière).

Les crédits nationaux ventilés par la CNSA dans le cadre de la section IV ne sont employés que pour les actions de soutien et de formation des aidants. Les sections II et III, qui retracent les crédits destinés au financement national de l'Apa et de la PCH, contribuent ainsi partiellement à financer le dédommagement financier des aidants familiaux (pour le cas des personnes handicapées) et la rémunération des proches aidants (pour le cas des personnes âgées).

Par ailleurs, les conseils départementaux peuvent tout à fait mener des actions autonomes en matière de soutien aux aidants. Il est donc impossible aujourd'hui de construire un agrégat d'ensemble des crédits fléchés vers l'aide aux aidants , faute d'un canal unique et cohérent.

Une stratégie nationale de soutien et d'accompagnement des aidants de personnes en situation de handicap a été lancée en 2016, structurée autour de quatre axes : le repérage des aidants familiaux, leur formation , la valorisation de leur expertise et le développement d'une offre de répit adaptée.

Votre rapporteure accueille favorablement toute initiative du Gouvernement visant à dégager une vision plus globale de la condition d'aidant mais tient tout de même à alerter sur le nouveau risque d'une stratégie uniquement concentrée sur les aidants familiaux de personnes handicapées : les axes du repérage, de la formation et de la valorisation de l'expertise sont autant de piliers communs à l'ensemble des aidants .

II. LE TEXTE EN DISCUSSION : ADOPTER LA PROPOSITION DE LOI TOUT EN MAINTENANT LA VIGILANCE

A. LA PROPOSITION DE LOI : UNE TRANSPOSITION DE LA LOI DU 9 MAI 2014

1. La loi du 9 mai 2014 : une avancée notable de la solidarité en entreprise

La proposition de loi opère une transposition presque intégrale de la loi du 9 mai 2014 permettant le don de jours de repos à un parent d'un enfant gravement malade 17 ( * ) . Le dispositif de cette loi, issue d'une proposition de notre ancien collègue député Paul Salen, prévoit qu'en sus du congé de solidarité familiale, qui n'était indemnisé que par une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie 18 ( * ) , la possibilité soit ouverte au sein de l'entreprise de faire le don de jours de congés payés à un collègue dont « l'enfant âgé de moins de vingt ans [et] atteint d'une maladie, d'un handicap ou victime d'un accident d'une particulière gravité rendant indispensables une présence soutenue et des soins contraignants ».

Le congé ne peut être cédé que « pour sa durée excédant vingt-quatre jours ouvrables ».

Ce don de jours de congés payés présentait un triple avantage : il intégrait dans l'environnement de travail un mécanisme de solidarité facultatif et strictement volontaire, il permettait au bénéficiaire de prolonger sa présence auprès de l'enfant gravement malade au-delà de la limite du congé de solidarité familiale, il garantissait également au bénéficiaire le « maintien de sa rémunération pendant sa période d'absence ». La loi Salen organisait ainsi une sorte de subrogation de congés payés non pris au bénéfice de parents d'enfants gravement malades .

2. Les limites de la subrogation de congés payés non pris
a) Une loi dépassée par les accords d'entreprise

La loi Salen avait pour intérêt de consacrer au niveau législatif une pratique que plusieurs entreprises avaient déjà mise en oeuvre par accord d'entreprise . De façon générale, la loi n'a pas présenté d'avancée substantielle majeure par rapport au contenu de ces accords d'entreprise, dont certains offraient des garanties plus nombreuses que celles énoncées par le dispositif légal, et n'a véritablement fait oeuvre utile qu'en plaçant au niveau législatif une matière qui ne dépendait jusqu'alors que du champ de la négociation collective.

Deux accords d'entreprise antérieurs à la loi Salen : Saint-Maclou et Peugeot Citroën

L'accord d'entreprise de Saint-Maclou sur l'égalité entre femmes et hommes de juin 2012 prévoyait, au bénéfice des salariés comptant au moins un an d'ancienneté, le droit de s'absenter une heure par jour sans perte de salaire, en cas d'hospitalisation d'un enfant de moins de 12 ans. Depuis le 1 er novembre 2015, Saint-Maclou applique un accord relatif au don de jours, selon lequel tout salarié de l'entreprise a la possibilité de faire un don de jours limité à cinq jours par année civile. L'entreprise s'est engagée, en plus des démarches volontaires des salariés, à alimenter le fonds de solidarité chargé de recueillir ces dons de 50 jours. Par rapport à la loi Salen, l'accord prévoit que le bénéfice du don de jours peut être également ouvert lorsque la personne gravement malade est le conjoint, le concubin ou le partenaire pacsé .

Peugeot Citroën a pour sa part conclu un accord triennal quelques jours après l'entrée en vigueur de la loi Salen. Fortement inspiré de l'accord d'entreprise de Saint-Maclou, il précise le champ d'application des dons de jours de congés en y incluant, contrairement à la loi, les enfants de plus de 20 ans à charge . Le fonds de solidarité créé à cette occasion a été abondé de 100 jours lors de son lancement, puis de 50 jours les deux années suivantes. L'accord a été modifié par avenant en octobre 2016 pour étendre aux salariés dont le conjoint, concubin ou partenaire de Pacs est gravement malade le bénéfice de ces dons.

On constate donc que, pour les entreprises dont la taille permet l'élaboration d'accords collectifs, les dispositions issues de la négociation collective vont souvent plus loin en matière de don de jours de congés payés que celles de la loi Salen .

b) Entreprises de petite taille : la loi a-t-elle vraiment aidé ?

Largement dépassée par le contenu des accords d'entreprise, la loi présentait cependant l'avantage de garantir aux salariés des entreprises de taille plus modeste des droits qu'il ne leur était pas possible d'acquérir par la négociation collective. De fait, la plupart des accords de branche se contentent de prendre acte des nouvelles dispositions de la loi Salen sans leur apporter de modification 19 ( * ) .

L'avancée juridique, pour certaine qu'elle était pour les entreprises de petite taille, n'a jusqu'ici rencontré que très peu de réalisation effective. D'après une étude menée en octobre 2016 par la société Nereo, le nombre de jours annuels moyens pris au titre des congés légaux dans une entreprise de moins de dix salariés ne dépasse pas 27 (dont 21 au titre des congés payés et 6 au titre des RTT) , soit seulement trois jours de plus que le seuil défini par la loi Salen pour déclencher la possibilité du don.

Ainsi, pour les entreprises de grande taille couverte par des accords de branche, la loi n'a fait que consacrer un droit déjà largement garanti par la négociation collective ; pour les entreprises de moyenne ou petite taille, la loi a au contraire créé un droit nouveau que la négociation collective n'avait que rarement prévu mais qui rencontre très peu d'effectivité. Votre rapporteure en déduit que, plus de trois ans après sa promulgation, le dispositif de la loi du 9 mai 2014 n'a connu dans le secteur privé qu'un très faible nombre de recours .

c) Un véritable progrès : l'application à la fonction publique

La véritable avancée de la loi Salen réside paradoxalement dans son article 2, qui prévoit qu'un décret en Conseil d'État détermine les conditions de l'application du dispositif aux agents publics civils et militaires . Exclue du champ de la négociation collective, la fonction publique se trouvait avant la loi dans l'incapacité totale de procéder au don de jours de congés payés.

Le décret, tardivement pris le 28 mai 2015 20 ( * ) , détaille les modalités de transposition du dispositif de la loi Salen aux agents de la fonction publique. Il procède à certaines adaptations en étendant les jours pouvant faire l'objet d'un don aux jours d'aménagement et de réduction du temps de travail spécifiques aux fonctions publiques d'État, territoriale, hospitalière ainsi qu'à la magistrature. Il établit également, contrairement au droit applicable en entreprise, que le congé annuel ne peut être donné pour tout ou partie de sa durée excédant vingt jours ouvrés . Enfin, il plafonne la durée du congé dont l'agent public bénéficiaire peut bénéficier à 90 jours par enfant et par année civile.

3. L'extension au proche aidant par la présente proposition de loi

La proposition de loi reprend de façon identique les termes de la loi Salen applicable au « salarié de l'entreprise qui assume la charge d'un enfant âgé de moins de vingt ans atteint d'une maladie, d'un handicap ou victime d'un accident d'une particulière gravité » en visant le « salarié qui vient en aide à une personne atteinte d'une perte d'autonomie d'une particulière gravité ou présentant un handicap ». Sans le nommer expressément, la proposition de loi étend donc la possibilité de subrogation de jours de congés payés non pris au proche aidant .

Votre rapporteure tient tout d'abord à souligner que le dispositif de la proposition de loi, contrairement à celui de la loi Salen, ne consacre pas au niveau législatif des stipulations déjà existantes au sein d'accords d'entreprise. Si le don de jours de congés pour le cas d'enfant ou de parent gravement malade faisait déjà l'objet de négociations collectives avant qu'il ne soit inscrit dans la loi, il semble que le législateur fasse davantage preuve d'innovation en étendant cette possibilité au proche aidant . En effet, aucun des accords d'entreprise précédemment mentionné ne prévoit de stipulation expresse en sa faveur. En outre, l'article 2 de la proposition de loi prévoit l'extension nécessaire du dispositif à la fonction publique.

En revanche, votre rapporteure craint que le problème d'effectivité de ce nouveau droit en petite ou moyenne entreprise, déjà signalé pour la loi Salen, ne se retrouve dans des termes identiques pour la présente proposition de loi.

Par ailleurs, il faut signaler que la stricte transposition du dispositif de la loi Salen au cas des proches aidants rencontre une limite importante, susceptible de partiellement dépouiller la proposition de loi de son intérêt. En effet, le bénéfice d'un petit nombre de jours de congés payés non pris par ses collègues permet à un salarié d'accompagner un parent gravement malade dans les derniers jours de sa vie ; il se montre beaucoup moins efficace et pertinent s'il s'agit d'accompagner une personne en situation de handicap ou de perte d'autonomie dont l'état de santé requiert une aide constante mais dont l'espérance de vie n'est pas immédiatement menacée .

B. LA POSITION DE LA COMMISSION : ADOPTER LE TEXTE EN L'ÉTAT MAIS MAINTENIR UN HAUT DEGRÉ D'EXIGENCE

Bien que consciente des limites de ce texte et des risques d'ineffectivité auxquels il s'expose, votre rapporteure en recommande l'adoption sans modification , pour deux raisons.

La première tient aux conditions de son examen. Adoptée à une large majorité à l'Assemblée nationale à l'issue d'une inscription à l'ordre du jour au titre du droit de tirage d'un groupe minoritaire, les modifications substantielles que le Sénat pourrait légitimement apporter à cette proposition de loi en retarderaient inévitablement l'adoption définitive.

La seconde est de nature politique. Malgré le risque d'ineffectivité, le dispositif du texte n'en propose pas moins d'enrichir l'arsenal juridique à disposition des aidants et leur envoie le signal fort de la prise en compte de leur situation par le législateur. À l'issue de l'examen de ce texte, votre rapporteure, convaincue que les droits sociaux de l'aidant ne peuvent désormais faire l'économie d'une réforme ambitieuse, ne peut que souhaiter que son adoption suscite le lancement d'une réflexion plus profonde et plus globale.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (art. L. 3142-25-1 [nouveau] du code du travail) - Don de jours de congés payés non pris à un proche aidant

Objet : Cet article organise la possibilité pour un salarié de renoncer à des jours de congés payés au bénéfice d'un autre salarié proche aidant d'une personne âgée en perte d'autonomie ou handicapée.

I - Le dispositif proposé par l'Assemblée nationale

L'article 1 er prévoit la transposition aux proches aidants de personnes âgées en perte d'autonomie ou handicapées du dispositif contenu dans la loi du 9 mai 2014 dite loi Salen, qui ouvre la possibilité d'un don de jours de congés payés au bénéfice de salariés ayant un enfant de moins de vingt ans atteint d'une maladie grave.

L' alinéa 1 er de cet article décrit les conditions générales du dispositif applicables au donateur des jours de congés payés, qui doit respecter le caractère anonyme et gratuit du don. Il précise également les conditions d'éligibilité à ce don du bénéficiaire, qui doit venir « en aide à une personne atteinte d'une perte d'autonomie d'une particulière gravité ou présentant un handicap » et qui doit avoir avec cette dernière le même type de lien que celui lui ouvrant droit au congé de proche aidant (membre du cercle familial jusqu'au quatrième degré ou existence de « liens étroits et stables, [avec] aide de manière régulière et fréquente, à titre non professionnel »). L'alinéa 1 er organise la cohérence et la continuité de ces deux dispositifs, qui comptent parmi les seuls conçus à destination des aidants compris dans le sens plus large. Le don de jours de congés payés est ainsi naturellement appelé à prendre le relais du congé de proche aidant au moment de l'épuisement de ce dernier.

L' alinéa 2 précise que le don de jours de congés payés ne peut intervenir pour le donateur que pour leur durée excédant vingt-quatre jours ouvrables . Ainsi, l'article L. 3141-3 du code du travail limitant à trente jours ouvrables la durée totale du congé exigible par le salarié au titre des congés payés, le donateur ne peut donner plus de six jours de congés payés par an .

L' alinéa 3 organise un véritable régime de subrogation de congés payés. Le bénéficiaire du don de jours de congés payés bénéficie ainsi des droits qui leur sont attachés : il voit sa rémunération maintenue pendant sa période d'absence et ne perd ni les avantages liés à son ancienneté ni les avantages acquis avant le début de sa période d'absence.

II - La position de la commission

Votre commission a adopté cet article sans modification, en rappelant toutefois les réserves qu'elle émet sur l'effectivité de ce dispositif. L'accompagnement d'une personne âgée en perte d'autonomie ou d'une personne handicapée nécessiterait en effet un temps de congés supplémentaire bien supérieur à ce que l'article 1 er de la proposition de loi rendra possible.

Article 1er bis - Rapport au Parlement

Objet : Cet article prévoit la remise par le Gouvernement au Parlement d'un rapport relatif à la situation des aidants familiaux.

I - Le dispositif proposé par l'Assemblée nationale

Cet article propose la remise au Parlement par le Gouvernement d'un rapport structuré autour de deux thèmes :

- la révision de l'imposition des sommes versées à titre de dédommagement financier des aidants familiaux, prolongeant ainsi les dispositions prises par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 relatives à l'assujettissement de ces dédommagements à la CSG ;

- la possibilité de maintenir l'affiliation à l'assurance vieillesse pour les parents aidants d'un enfant handicapé de plus de vingt ans. Cet aspect particulier du rapport sera particulièrement bienvenu en ce qu'il clarifiera les droits à la retraite de l'aidant familial de la personne handicapée, qui varient considérablement selon que l'aidant touche l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) ou a la charge d'un adulte handicapé de plus de vingt ans.

II - La position de la commission

Votre commission a adopté cet article sans modification.

Article 2 - Décret d'application

Objet : Cet article prévoit l'application par décret en Conseil d'État des dispositions de l'article 1 er aux agents publics.

Votre commission a adopté cet article sans modification. Elle souhaite toutefois rappeler que le décret d'application prévu à l'article 2 de la loi du 9 mai 2014 a été publié plus d'un an après la promulgation de cette dernière. En raison de l'urgence évidente de certaines situations, votre commission souhaite une publication plus réactive du décret prévu à l'article 2 de la proposition de loi, d'autant plus faisable que les autorités réglementaires pourront procéder à une transposition du décret du 18 mai 2015.

EXAMEN EN COMMISSION

___________

Réunie le mercredi 24 janvier 2018 sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission des affaires sociales procède à l'examen du rapport sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, créant un dispositif de don de jours de repos non pris au bénéfice des proches aidants de personnes en perte d'autonomie ou présentant un handicap.

Mme Jocelyne Guidez , rapporteur . - Le texte soumis à notre examen fait honneur à l'initiative législative du Parlement. Il s'agit d'une proposition de loi rédigée par notre collègue député Paul Christophe, inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale au titre de l'espace réservé du groupe UDI, Agir et Indépendants, appuyée par le Gouvernement et adoptée en séance publique par une très large majorité. Tant par la forme de son dispositif, court et précis, que par son objet, ce texte ne peut que susciter l'adhésion.

Il propose que, dans le cadre de l'entreprise, soit rendu possible un don de jours de congés payés non pris, pour autant qu'ils excèdent la durée légale des congés payés, en faveur d'un collègue contraint d'assurer le rôle de proche aidant auprès d'une personne de son entourage handicapée ou en perte d'autonomie. Ce dispositif, fortement inspiré de la loi du 9 mai 2014 permettant le don de jours de repos à un parent d'enfant gravement malade, dont le rapport avait été assuré par notre collègue Catherine Deroche, présente l'avantage d'étendre un mécanisme de solidarité bienvenu au sein de l'entreprise à une population dont nous ne savons que peu de choses : les proches aidants.

Ceux-ci sont actuellement près de 8,3 millions en France. Ils assurent bénévolement et en plus de leurs propres activités professionnelles et personnelles, le soutien et l'accompagnement d'une personne dont la perte d'autonomie rend nécessaire un suivi quotidien par son entourage. Les impacts économiques et sociaux de ces nouveaux rapports familiaux et extra-familiaux ne sont pas sans effets dommageables sur la carrière et la vie personnelle des aidants qui, outre leur propre vie, sont souvent contraints d'en vivre une deuxième au travers de la personne à laquelle ils apportent leur aide. Le phénomène est connu, lié à l'allongement de la durée de vie et au souhait légitime de maintien à domicile aussi longtemps que possible, mais on peine à se figurer les sacrifices et les heurts que les aidants doivent subir en rétribution du don de leur temps.

C'est pourquoi la proposition de loi qui nous est soumise, et surtout l'intention qui l'anime, sont bienvenues. Je vous avoue que, si c'est la sénatrice qui assure devant vous le rapport de ce texte, c'est à quelqu'un dont l'entourage familial proche est très directement affecté par les difficultés de la condition d'aidant que ce texte parle. En toute honnêteté, il me faut reconnaître que l'avancée contenue dans cette proposition de loi, pour louable qu'elle soit, ne saurait en aucun cas prétendre corriger toutes les carences, très importantes, que les droits de l'aidant continuent de présenter.

La proposition de loi en elle-même ne fait pas de différence entre les entreprises en fonction de leur taille, alors que nous savons pertinemment que les dons de jours de congés payés entre collègues entraîneront des coûts et des procédures que seules les structures d'une certaine dimension seront capables d'absorber. Par ailleurs, la transposition du dispositif permettant le don de jours de repos à un parent d'enfant gravement malade présente une limite évidente : si l'accompagnement d'une fin de vie justifie le recours à des jours de congés payés généreusement donnés par des collègues, un tel don ne pourra que très imparfaitement et partiellement soulager les aidants qui apportent leur soutien au long cours à des personnes handicapées ou en perte d'autonomie dont l'espérance de vie n'est pas en jeu.

Courte et précise, cette proposition a le mérite de réaliser très rapidement une avancée concrète. Toutefois, les dispositifs apposés par petites touches masquent parfois la complexité d'un portrait d'ensemble auquel le législateur ne s'est jusqu'à présent jamais attaqué. La loi de 2005 sur le handicap, celle de 2014 sur les retraites, celle de 2015 sur l'adaptation de la société au vieillissement ont chacune apporté leur pierre à l'édifice compliqué et encore en construction des droits de l'aidant. Ces apports ponctuels ont toujours été inspirés par les meilleures intentions mais ont souffert d'un défaut de coordination et de cohérence, qui se fait cruellement sentir.

L'aidant familial, qui apporte son soutien à l'enfant ou à l'adulte handicapé, et le proche aidant, qui accompagne la vieillesse d'une personne en perte d'autonomie, ne constituent pas deux réalités juridiques strictement homogènes et, surtout, ne bénéficient pas toujours des mêmes droits. Les droits à la retraite de l'aidant, sujet particulièrement sensible quand on connaît les heurts et les interruptions que connaît leur carrière, ont été progressivement définis sans que le moindre cap n'ait été donné à l'action législative, et sont actuellement victimes d'un double échec : premièrement, les aidants ignorent dans leur très grande majorité le droit à l'affiliation à l'assurance vieillesse du régime général qui leur est garanti ; deuxièmement, et c'est aussi malheureux qu'inexplicable, ce droit s'exerce à géométrie variable, selon le public auquel l'aidant apporte son soutien et le degré d'activité professionnelle qu'il continue ou non d'exercer.

Le congé de proche aidant inséré dans le droit par la loi de 2015 sur le vieillissement, que l'on ne doit pas confondre avec le dispositif qui nous est aujourd'hui proposé, a posé la première pierre d'un droit véritablement commun à tous les aidants, sans pour autant rencontrer le succès qu'on espérait.

Pourquoi, dès lors, vous recommander d'adopter ce texte en l'état ? La raison est simple : je préfère le petit pas que je suis sûre de franchir à la longue marche dont j'ignore la durée. Ce texte, adopté à l'Assemblée nationale au titre de l'ordre du jour réservé aux groupes minoritaires, risquerait de ne jamais être promulgué si nous nous aventurions à lui apporter des correctifs.

Or il répond à une attente profonde et réelle des aidants qui, outre l'enrichissement de leurs droits, attendent simplement que le législateur leur porte l'attention exclusive, et pas seulement incidente au gré de textes plus larges, que leur situation réclame. Ce texte est une première main tendue et, bien que je mesure les limites du geste, je me refuse à la retirer au motif pourtant légitime qu'il y a beaucoup plus à accomplir.

C'est aussi pourquoi, lors de l'examen de ce texte en séance publique mercredi prochain, je rappellerai au Gouvernement sa promesse de lancer une réflexion autour d'une stratégie nationale des aidants. Je m'engage à alimenter son travail de propositions ambitieuses relatives aux droits sociaux de l'aidant pris au sens le plus large, de la retraite au répit, en passant par la formation et l'aménagement de leur temps de travail.

À l'issue de ce rapport, confiante dans la lecture que vous saurez faire de mes recommandations, je vous demande d'adopter cette proposition de loi sans modification.

Mme Laurence Rossignol . - Cette proposition de loi prend place dans un cadre plus large, qui s'est notamment mis en place avec la reconnaissance du statut des aidants par la loi sur le vieillissement. Leur droit au répit a été d'emblée conçu en lien avec l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), ce qui fait que sa mise en oeuvre est tributaire des ressources et des pratiques de chaque département. Mon groupe se prononcera en faveur de ce texte. Les salariés ont déjà droit à des jours de congé pour enfant malade. Pourquoi ne pas prolonger ce droit en faveur des aidants ? Dans une vie, les deux situations se superposent rarement : en général, elles se succèdent. Et les aidants ont besoin de temps, ne serait-ce que pour effectuer les démarches administratives requises par l'état de la personne qu'elles soutiennent. La loi pourrait fixer le niveau du groupe iso-ressources (GIR) de la personne dépendante à partir duquel le droit serait ouvert. J'ai noté que vous réclamez un vote conforme, mais je n'exclus pas de déposer un amendement pour soumettre au Sénat cette idée.

M. Michel Amiel . - Oui, l'aide aux aidants est malheureusement à géométrie variable selon la situation sociale et financière de la famille touchée. L'idée de Mme Rossignol est intéressante, à condition d'être assortie de critères précis. À titre personnel, je me demande si nous ne devrions pas aller jusqu'à définir un statut professionnel d'aidant. Dans les Bouches-du-Rhône, nous organisons souvent des journées de l'aide aux aidants. L'appel à la générosité est une chose, mais elle ne doit pas occulter la dimension sociale de leur activité.

Mme Patricia Schillinger . - En effet. La proposition de Mme Rossignol est intéressante et fait écho à des idées que nous avons déjà creusées. Ce texte est bienvenu mais donne une impression de bricolage : chacun a besoin de ses cinq semaines de congé annuel ! Et un aidant a souvent besoin de plusieurs semaines... Bref, il faut retravailler la question. Bien sûr, il est plus facile de faire face quand on a les moyens.

M. Philippe Mouiller . - Je comprends qu'il faille avancer à petits pas. Il serait bon, toutefois, d'établir un panorama des avancées possibles, notamment en agissant sur la fiscalité. Profitons de ce texte pour prévoir un débat sur la question. L'allongement de la durée de la vie et la volonté de maintenir les personnes à domicile le plus longtemps possible posent la question, essentielle, de l'accompagnement individuel.

M. Bernard Bonne . - Le système dont nous parlons a été expérimenté pour la première fois en 2014 dans mon département, la Loire, où deux parents en avaient besoin pour accompagner leur enfant qui était en phase terminale d'un cancer. Cette proposition de loi doit être une première étape car elle ne règle rien. Les jours de congés concernés sont pris en sus des cinq semaines obligatoires. Chaque salarié n'en a pas le même nombre. Sous quelle forme seront-ils donnés ? Souvent, un aidant a besoin d'un assez grand nombre de jours ; quid si le nombre de jours disponibles fluctue d'une année sur l'autre ? Bref, ce texte ne représente qu'un stade qui doit être rapidement dépassé, notamment par des mesures fiscales et par l'adaptation des droits à retraite. Je salue l'élargissement du champ de ce texte, décidé à l'Assemblée nationale, aux aidants soutenant des personnes handicapées. Autant la loi de 2014 avait été assez facile à appliquer, autant celle-ci sera sans doute plus lourde à mettre en oeuvre.

M. Dominique Watrin . - Bravo pour la qualité de votre exposé et son objectivité. Vous avez bien analysé les limites de ce texte, sur lesquelles nous sommes tous d'accord, je crois. On ne peut que déplorer l'absence d'une approche globale et cohérente de la question, ce qui conduit à un problème d'inégalité selon la taille des entreprises concernées. La loi sur l'adaptation de la société au vieillissement a posé le droit au répit des aidants, ce qui est fondamental car ceux-ci sont près de 8,3 millions - il s'agit donc d'un sujet de société. Deux ans après sa promulgation, les départements appliquent différemment, ou pas du tout, ses dispositions. Il va falloir prendre le taureau par les cornes et s'attaquer à ce problème par une politique publique et solidaire. Le député Pierre Dharréville, rapporteur de la mission flash sur les aidants familiaux, a formulé trois propositions : assouplir le congé du proche aidant en permettant de le fractionner ; mettre en place une indemnité pour les aidants, sur le modèle de l'allocation journalière de présence parentale - ce qui serait justifié car le travail des aidants représente entre 12 et 16 milliards d'euros de PIB - ; compenser les droits à retraite perdus par les aidants par une majoration, comme dans le cas du soutien à une personne handicapé. Sur cette proposition de loi, nous nous abstiendrons, comme nous l'avions fait sur la loi prévoyant le don de jours de congés pour prendre soin d'un enfant malade. Nous souhaitons en effet un engagement public et solidaire fort. Nous déposerons des amendements en ce sens. S'ils ne sont pas adoptés, nous voterons contre ce texte.

Mme Nassimah Dindar . - Bravo pour la qualité et l'objectivité de votre rapport. Cette proposition, qui élargit la loi de 2014, part d'une bonne intention, mais elle sera difficile à appliquer. Je serais plus favorable à une approche globale de l'aide aux aidants. Ils sont près de huit millions, sans statut, sans reconnaissance. En l'état, ce texte n'est guère applicable. Pour mettre en oeuvre la notion de répit, il faut structurer l'accueil temporaire. Le vieillissement des personnes handicapées est un défi, surtout quand leurs propres parents arrivent à l'extrême vieillesse, et se demandent qui prendra soin de leur enfant. Un grand débat est nécessaire, auquel je compte bien prendre part.

M. Daniel Chasseing . - La loi sur le vieillissement a montré les limites des possibilités de l'État. Le cinquième risque, qui avait été évoqué, a finalement été éliminé. La loi reconnaît les aidant et leur droit au répit, mais sans aller beaucoup plus loin. Ce texte réalise un petit progrès, qui sera surtout utile dans les épisodes aigus, par exemple quand l'équipe médico-sociale du département a mis en place un plan de maintien à domicile mais que l'aidant doit tout de même rester auprès de la personne. Je voterai le texte.

Mme Élisabeth Doineau . - Je suivrai également les recommandations de la rapporteure et souhaite qu'une stratégie nationale soit mise en place pour aider les aidants. Cela dit, avant de parler fiscalité ou retraite, la plupart des aidants demandent de la reconnaissance et un accompagnement, par exemple sous la forme de groupes de parole ou d'entretien avec des psychologues ou des professionnels. Sait-on combien d'aidants ont craqué avant la personne qu'ils accompagnaient ? Chez les personnes âgées, on voit souvent le conjoint partir avant celui qu'il a aidé pendant de longues années...

M. Jean Sol . - Les aidants deviendront de plus en plus nombreux, vu l'allongement de la durée de la vie et la volonté - légitime - de maintien à domicile. Ce dispositif semble adapté à une phase aiguë, il l'est moins pour une durée plus longue. Quel serait son impact économique et financier ? Les groupes de parole permettent aux aidants, qui ne sont pas tous formés, d'acquérir des connaissances nécessaires à la prise en charge. L'aide psychologique qui leur est offerte devrait aussi être développée.

Mme Victoire Jasmin . - Beaucoup d'aidants décompensent, ou sont épuisés. Quant à ceux qui leur donnent leurs jours de congés, il faudrait que cette solution - par essence limitée - soit encadrée par l'avis du médecin du travail, car nous savons comme les ordonnances ont changé la donne dans les entreprises.

Mme Catherine Deroche . - J'avais été rapporteure de la loi prévoyant le don de jours de congés pour s'occuper d'enfants malades. Nous l'avions votée conforme pour en accélérer l'application, ce qui était nécessaire non pas pour les salariés du secteur privé - car la plupart des conventions collectives prévoient ce type de dons - mais pour le secteur public, où nous avions le cas d'un couple dont la petite fille devait recevoir une greffe de moelle à l'hôpital Necker. Une fois le texte adopté, j'avais écrit à la ministre de la fonction publique Mme Lebranchu pour lui signaler l'urgence de prendre les décrets d'application. Elle m'avait répondu, mais neuf mois plus tard, ceux-ci n'étaient pas parus ! Il a fallu une nouvelle vague de mobilisation de l'opinion publique, au sujet d'un enfant en fin de vie, que ses parents souhaitaient accompagner dans ses dernières semaines, pour que la fonction publique bénéficie enfin de ces dispositions.

Mme Viviane Malet . - Comment faire bénéficier de ces dispositions les salariés qui travaillent dans l'aide à la personne, et sont rémunérés à l'heure ?

Mme Jocelyne Guidez , rapporteur . - Dans certains cas, l'aménagement du temps de travail peut être préférable au don de jours de congés. Oui, il y a une inégalité entre les proches aidants de personnes handicapés, qui peuvent être dédommagés grâce à la prestation de compensation du handicap (PCH), et ceux qui aident des personnes âgées qui ne le peuvent pas. Je comprends le désir d'amender ce texte mais, en relançant la navette, il aurait pour effet de différer son entrée en application à une échéance indéterminée. Mieux vaut voter cette proposition de loi telle quelle, car elle répond - partiellement - à une réelle demande. Rien ne nous empêche ensuite de mettre en place un groupe de travail pour aller plus loin.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue de l'Assemblée nationale.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

___________

• Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA)

Stéphane Corbin , directeur de la compensation de la perte d'autonomie

• Direction générale du travail (DGT)

Charlotte Carsin, adjointe au sous-directeur des relations individuelles et collectives du travail (RT)

Bruno Campagne , adjoint au chef de bureau du bureau des relations individuelles du travail (RT1)

• Association française des aidants

Luc Heid , administrateur

• Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)

Dominique Renard , sous-directrice adjointe aux personnes âgées, sous-direction de l'autonomie des personnes handicapées et des personnes âgées

Nadia Arnaout , cheffe de bureau des droits et aides à la compensation


* 1 Loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement.

* 2 Arrêté du 28 décembre 2005 fixant les tarifs de l'élément de la prestation de compensation mentionné au 1° de l'article L. 245-3 du code de l'action sociale et des familles.

* 3 Ces plafonds sont actuellement de 960 euros et 1 152 euros mensuels respectivement.

* 4 « La partie de l'allocation destinée à rémunérer un salarié, un accueillant familial ou un service d'aide à domicile [...] peut être versée au bénéficiaire de l'allocation sous forme de chèque emploi-service universel ».

* 5 Le dédommagement d'un aidant familial étant limité à 1 152 euros mensuels, le régime déclaratif spécial leur est normalement ouvert à tous.

* 6 Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, article 8. Cette modification fut introduite à la faveur d'un amendement n° 219 déposé lors du passage du texte en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale.

* 7 Loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, article 11.

* 8 Article 53.

* 9 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, article 9.

* 10 D'après l'article R. 381-2-1 du code de la sécurité sociale, une activité à temps partiel se caractérise par une perception annuelle de revenus professionnels inférieurs à 25 031 euros.

* 11 Article D. 381-3 du code de la sécurité sociale.

* 12 D'après la CNSA, ces sommes ne concerneraient que 3 à 6 aidants par an.

* 13 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, article 38.

* 14 Article L. 351-4-2 du code de la sécurité sociale.

* 15 Joëlle HUILLIER, « Du baluchonnage québécois au relayage en France : une solution innovante de répit », mars 2017.

* 16 Rapport d'activité de la CNSA pour 2016.

* 17 Loi n° 2014-459 du 9 mai 2014.

* 18 D'un montant de 54,17 euros par jour d'après l'article D. 168-6 du code de la sécurité sociale.

* 19 Ainsi de la convention collective des coopératives agricoles de céréales, de meunerie, d'approvisionnement, d'alimentation du bétail et d'oléagineux, dont l'article 45 reprend les termes de l'article 1 er de la loi Salen et qui se contente d'inciter les entreprises à « négocier un accord collectif d'entreprise fixant les modalités du don de jour de repos à un parent d'enfant gravement malade », ou encore de la convention collective nationale de la restauration rapide (article 37)...

* 20 Décret n° 2015-580 du 28 mai 2015 permettant à un agent public civil le don de jours de repos à un autre agent public parent d'un enfant gravement malade.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page