B. L'ABSENCE D'ALTERNATIVE CRÉDIBLE POUR RÉFORMER LE MODE D'ÉLECTION DES CONSEILLERS MÉTROPOLITAINS

Dans son rapport de janvier 2017 sur les modalités d'élection des conseillers métropolitains au suffrage universel direct, le Gouvernement a constaté l'absence de consensus politique sur cette question :

« Si la majorité des présidents de métropole est favorable au principe du renforcement du caractère direct de l'élection des conseillers métropolitains, ils s'accordent à reconnaître la nécessité de maintenir une capacité pour chaque commune de participer au processus décisionnel, soit en amont, soit dans le cadre de l'assemblée délibérante de chaque métropole. Toutefois, certains sont opposés à toute évolution du mode de scrutin, évoquant la remise en cause d'équilibres politiques locaux et le conflit de légitimité qui naîtrait entre l'exécutif de la métropole et les maires des communes membres ».

Sur le plan technique, aucune des hypothèses étudiées par le Gouvernement ne permet de répondre aux objectifs que l'on peut assigner au mode d'élection des conseillers métropolitains .

Les quatre principaux objectifs du mode d'élection des conseillers métropolitains

Pour respecter la jurisprudence constitutionnelle tout en assurant la gouvernabilité des métropoles, le mode d'élection des conseillers métropolitains doit remplir quatre objectifs :

a) garantir la représentation des communes membres dans le conseil métropolitain, les métropoles étant des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, non des collectivités territoriales .

Comme le rappelle le Gouvernement, dans ce type d'établissements publics, « il est nécessaire, afin d'assurer le respect du principe de non tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre, de s'assurer que chaque commune membre de l'établissement dispose d'au moins un siège ; à défaut, les communes représentées prendraient des décisions engageant les communes non représentées ».

D'après l'article 72 de la Constitution, dont l'application est contrôlée avec attention par le Conseil constitutionnel 58 ( * ) , « aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre . Cependant, lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune » (désignation d'un « chef de file »).

De même, les fondements de la coopération intercommunale exigent que les EPCI à fiscalité propre, qui « exerc(ent) un certain nombre de compétences en lieu et place des communes, (soient) administrés par des représentants des conseils municipaux des communes membres » 59 ( * ) ;

b) réaliser une répartition des sièges entre les communes ou sections électorales sur des bases « essentiellement démographiques » , comme l'impose la jurisprudence du Conseil constitutionnel 60 ( * ) ;

c) assurer l'intelligibilité du mode de scrutin , exigence qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle 61 ( * ) , et sa lisibilité pour les citoyens ;

d) permettre l'émergence d'une majorité politique stable au sein du conseil métropolitain.

Dans son rapport publié en janvier 2017, le Gouvernement a d'emblée écarté l'extension du mode de scrutin lyonnais aux autres métropoles .

Cette hypothèse nécessiterait, en effet, de convertir toutes les métropoles en collectivités territoriales 62 ( * ) , et donc de créer un échelon de collectivités supplémentaire qui s'ajouterait aux communes, aux départements et aux régions.

Elle remettrait en cause la pérennité des conseils départementaux . Pour reprendre l'exemple du Gouvernement, « au sein du département du Nord, la métropole de Lille compte 90 communes et est située au centre du département. Si la métropole de Lille devenait une collectivité territoriale et qu'elle récupérait l'exercice de l'ensemble des compétences départementales, le conseil départemental du Nord se verrait de fait divisé en deux parties non contigües, de part et d'autre de la métropole, cette scission étant accompagnée de la réfaction de plus de la moitié de sa population actuelle » 63 ( * ) .

Partant de ce constat, le Gouvernement a étudié trois hypothèses, dont aucune ne donne entière satisfaction : (1) la désignation des conseillers métropolitains dans deux collèges distincts mais siégeant dans une même assemblée, (2) l'élection d'une assemblée métropolitaine dans des circonscriptions communales distinctes et (3) son élection dans une circonscription unique dotée de sections électorales 64 ( * ) .

1. Hypothèse n° 1 : la désignation des conseillers métropolitains dans deux collèges distincts mais siégeant dans une même assemblée

Le conseil métropolitain regrouperait deux collèges siégeant dans une même assemblée :

- le premier collège serait composé d'un membre du conseil municipal de chaque commune désigné lors des élections municipales par la voie du « fléchage » ou dans l'ordre du tableau du conseil municipal ;

- le second collège comprendrait des conseillers métropolitains élus au suffrage universel direct (scrutin proportionnel de liste à deux tours, sans possibilité de panachage) dans le cadre d'une circonscription métropolitaine unique ou de plusieurs circonscriptions supra communales.

Cette première hypothèse, qui s'inspire du dispositif que le précédent gouvernement avait envisagé lors de la discussion du projet de loi MAPTAM 65 ( * ) , présente plusieurs inconvénients .

Contrairement aux exigences de la jurisprudence constitutionnelle, le premier collège ne serait pas composé sur des bases « essentiellement démographiques » , les petites communes bénéficiant du même nombre de sièges que la commune-centre.

En outre, la constitution du second collège reviendrait à dissocier les élections municipales et les élections métropolitaines 66 ( * ) , ce qui s'écarterait des principes de la coopération intercommunale .

Difficilement compréhensible pour les électeurs, ce mode de scrutin conduirait à élire des conseillers métropolitains sur des bases représentatives de nature différente 67 ( * ) , ce qui ne semble pas opportun pour le bon fonctionnement des métropoles.

2. Hypothèse n° 2 : l'élection d'une assemblée métropolitaine dans des circonscriptions communales distinctes

Les conseillers métropolitains resteraient élus dans chaque commune mais l'élection municipale et l'élection métropolitaine seraient dissociées . L'électeur voterait donc, le même jour, pour désigner les conseillers municipaux, d'une part, et les conseillers métropolitains, d'autre part.

Contrairement à l'exemple lyonnais, chaque commune constituerait une circonscription électorale et élirait donc au moins un conseiller métropolitain.

Dans les communes disposant de moins de trois sièges au conseil de la métropole, les conseillers métropolitains seraient élus au scrutin majoritaire direct ; dans les communes de plus grande taille, ils seraient désignés au scrutin proportionnel de liste, une prime majoritaire étant accordée à la liste arrivée en tête dans chaque commune.

À l'instar du premier scénario, cette hypothèse aurait pour conséquence de « séparer » les élections municipales et métropolitaines , ce qui entrerait en contradiction avec les fondements mêmes de l'intercommunalité.

En outre, elle n'aurait que peu d'effet sur la stabilité politique des métropoles : la prime majoritaire octroyée à la liste arrivée en tête serait calculée au niveau de chaque circonscription communale, non à l'échelle de la métropole.

3. Hypothèse n° 3 : l'élection d'une assemblée métropolitaine dans une circonscription unique dotée de sections électorales

La métropole constituerait une circonscription électorale unique mais serait divisée en autant de sections électorales qu'elle compte de communes . Les conseillers métropolitains seraient élus au scrutin proportionnel de liste à deux tours, sans possibilité de panachage.

Ce scénario serait une variante de la deuxième hypothèse 68 ( * ) : les communes membres de la métropole ne seraient pas des circonscriptions à part entière mais des sections électorales, ce qui permettrait d'assurer leur représentation au conseil métropolitain.

L'électeur voterait pour une liste de candidats constituée à l'échelle de la métropole ; chaque liste aurait l'obligation de présenter un nombre de candidats équivalent au nombre de sièges à pourvoir dans chaque section communale.

En outre, une prime majoritaire serait accordée à la liste arrivée en tête à l'échelle métropolitaine , garantissant ainsi la stabilité politique du conseil de la métropole et renforçant le caractère métropolitain du scrutin.

Les sièges de conseillers métropolitains seraient d'abord répartis entre les listes de candidats puis, à l'intérieur des listes, entre les sections communales, en s'inspirant du mode de scrutin des élections régionales .

Le mode d'élection des conseillers régionaux 69 ( * )

Les conseillers régionaux sont élus au scrutin proportionnel de liste, sans possibilité de panachage. Les listes de candidats sont établies au niveau régional mais comportent autant de sections qu'il y a de départements dans la région 70 ( * ) .

À l'issue du scrutin, il est d'abord procédé à l'attribution des sièges entre les listes de candidats . La liste arrivée en tête au niveau régional se voit accorder un quart des sièges (prime majoritaire). Puis, les autres sièges sont répartis entre toutes les listes ayant obtenu plus de 5 % des suffrages exprimés, à la représentation proportionnelle et suivant la règle de la plus forte moyenne.

Les sièges attribués à chaque liste sont ensuite répartis entre les sections départementales, au prorata des suffrages que les listes ont obtenus dans chaque département 71 ( * ) .

Depuis 2015 72 ( * ) , une représentation « plancher » est prévue pour les sections départementales 73 ( * ) : les départements dont la population est inférieure à 100 000 habitants doivent comporter au moins deux conseillers régionaux ; ceux qui ont une population égale ou supérieure à 100 000 habitants doivent en compter au moins quatre.

Pour assurer le respect de ces seuils « plancher », des sièges de la liste arrivée en tête au niveau régional peuvent être redistribués aux candidats qui figurent sur cette même liste et qui se sont présentés dans des sections départementales « carencées » en sièges.

En janvier 2017, le précédent Gouvernement a semblé privilégier cette hypothèse n° 3 qui aurait « pour avantage de permettre la représentation des communes (au conseil métropolitain) tout en favorisant l'émergence d'une majorité politique stable à l'échelle de la métropole » 74 ( * ) .

Il a toutefois souligné ses inconvénients , au premier rang desquels figure la complexité de ce mode de scrutin . À titre d'exemple, un bulletin de vote pour l'élection des conseillers de la métropole du Grand Paris comporterait 209 candidats, répartis dans 131 sections communales, « soit quasiment autant que les bulletins de vote des élections régionales en Ile-de-France (225 candidats répartis en 8 sections départementales) ».

Certes, le Conseil constitutionnel a admis le mode d'élection des conseillers régionaux en considérant que sa complexité était justifiée par des motifs d'intérêt général et en enjoignant aux autorités compétentes d'expliquer son mode de fonctionnement 75 ( * ) .

Pour l'élection des conseillers métropolitains, ces motifs d'intérêt général seraient toutefois plus délicats à démontrer, le mode de scrutin en vigueur étant plus simple et présentant lui aussi de nombreux avantages (représentation de toutes les communes dans la métropole, système du « fléchage » pour identifier les candidats aux sièges de conseiller métropolitain dans les communes de 1 000 habitants et plus, etc .).

De même, cette hypothèse n° 3 pourrait créer des biais de représentation non négligeables , comme l'a démontré le Gouvernement : « à titre d'exemple, dans les sections communales ne comportant qu'un seul siège, un candidat issu d'une liste A - arrivée en tête au niveau de la métropole - pourrait être élu dans sa section communale, en application de la prime majoritaire, alors que dans cette même commune, la liste B est arrivée en tête. Dans les communes disposant de peu de représentants (un par exemple), il n'est pas à exclure que le conseiller métropolitain élu selon ce mode de scrutin ne soit pas le maire mais un conseiller de l'opposition, voire une personne extérieure au conseil municipal » 76 ( * ) .

En outre, il serait plus difficile de constituer des listes de candidats pour l'élection des conseillers métropolitains , ces listes devant comporter des candidats dans toutes les communes de la métropole. À titre d'exemple, cette exigence s'avérerait problématique pour la métropole européenne de Lille (90 communes, dont la moins peuplée compte 225 habitants) ou la métropole Rouen Normandie (71 communes, dont la moins peuplée compte 393 habitants).

D'après le Gouvernement, il n'est pas exclu que le Conseil constitutionnel « censure ce mode de scrutin pour non-respect de l'objectif constitutionnel du pluralisme des courants de pensées et d'opinion, comme il a pu le faire dans sa décision n° 2004-497 DC du 1 er juillet 2004, loi relative aux communications électroniques et aux services » 77 ( * ) .

Enfin, comme dans les deux premiers scénarios, l'hypothèse n° 3 conduirait à dissocier les élections municipales et métropolitaines , ce qui serait contraire aux principes mêmes de la coopération intercommunale.


* 58 Voir, à titre d'exemple, la décision suivante : Conseil constitutionnel, 6 décembre 2017, Loi organique tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française , décision n° 2007-559 DC.

* 59 « Les modalités d'élection des conseillers métropolitains au suffrage universel direct », op. cit. , p. 6 et 11.

* 60 Conseil constitutionnel, 20 juin 2014, Commune de Salbris (Répartition des sièges de conseillers communautaires entre les communes membres d'une communauté de communes ou d'une communauté d'agglomération) , décision n° 2014-405 QPC.

* 61 Conseil constitutionnel, 3 avril 2003, Loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques , décision n° 2003-468 DC.

* 62 Toutes les communes n'étant pas représentées au conseil métropolitain de la métropole de Lyon, ce qui est contraire aux principes de l'intercommunalité et de non tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre (voir supra ).

* 63 « Les modalités d'élection des conseillers métropolitains au suffrage universel direct », op. cit. , p. 7.

* 64 Voir l'annexe 5 pour une synthèse de ces hypothèses.

* 65 Voir notamment le compte rendu intégral de la deuxième séance de l'Assemblée nationale du jeudi 18 juillet 2013.

* 66 À titre d'exemple, un conseiller métropolitain du second collège, directement élu par les citoyens, ne serait pas obligatoirement conseiller municipal, ce qui entrerait en contradiction avec le principe fixé par l'article L. 273-5 du code électoral.

* 67 Le premier collège représentant les communes, le second représentant les électeurs.

* 68 Comme dans la deuxième hypothèse, l'électeur voterait le même jour, pour élire les conseillers municipaux, d'une part, et les conseillers métropolitains, d'autre part

* 69 Articles L. 338 et L. 338-1 du code électoral.

Pour plus de précisions, voir le mémento à l'usage des candidats aux élections régionales de décembre 2015, consultable à l'adresse suivante : www.interieur.gouv.fr.

* 70 Au sein de chaque section, la liste doit être composée alternativement d'un candidat de chaque sexe.

* 71 La répartition des restes entre les sections départementales étant réalisée selon la règle de la plus forte moyenne.

* 72 Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

* 73 Cette disposition visait notamment à répondre aux difficultés rencontrées par la Lozère, qui était représentée par un seul conseiller régional (sur un total de 158 sièges) au sein de l'assemblée délibérante de la nouvelle région Languedoc-Roussillon.

* 74 « Les modalités d'élection des conseillers métropolitains au suffrage universel direct », op. cit. , p. 11.

* 75 Ces motifs d'intérêt général étant, pour les élections régionales : la représentation proportionnelle dans le cadre d'un vote régional, la constitution d'une majorité politique au sein du conseil régional et la restauration d'un lien entre conseillers régionaux et départementaux.

Conseil constitutionnel, op.cit. , décision n° 2003-468 DC.

* 76 « Les modalités d'élection des conseillers métropolitains au suffrage universel direct », op. cit. , p. 15.

* 77 « Les modalités d'élection des conseillers métropolitains au suffrage universel direct », op. cit. , p. 14.

Page mise à jour le

Partager cette page