EXPOSÉ GÉNÉRAL

« Il appartient à notre Parlement (européen) de jouer un rôle d'impulsion dans la construction de l'Europe. Cela est particulièrement vrai à un moment où (...) l'Europe a d'abord besoin d'un complément de solidarité. Ce nouveau Parlement permettra aux voix de tous les citoyens de la Communauté de s'exprimer sur la scène européenne. »

Simone Veil, discours lors de la première session du Parlement européen, 17 juillet 1979

Mesdames, Messieurs,

Votre commission est saisie du projet de loi relatif à l'élection des représentants au Parlement européen (n° 314, 2017-2018), adopté par l'Assemblée nationale le 20 février 2018 après engagement de la procédure accélérée.

Ce projet de loi poursuit deux objectifs, soumis à l'approbation de votre commission : revenir à une circonscription électorale unique pour les élections européennes, d'une part, et réformer l'organisation des campagnes officielles à la radio et à la télévision pour les élections européennes et les élections législatives, d'autre part.

Débattre des modalités d'élection des parlementaires européens conduit à jeter un regard sur la genèse et le développement de cette institution depuis le début de la construction européenne.

Le Parlement européen est une des originalités de cette construction politique singulière qu'est l'Union européenne : une union conclue par accord international de nations démocratiques souveraines mais exerçant en leur nom un grand nombre de pouvoirs propres. C'est en associant une assemblée plurinationale d'élus à la décision finale que s'exercent ces compétences partagées entre l'Union européenne et les États membres, ce qu'on ne retrouve à l'heure présente dans aucune autre institution internationale.

Ce schéma institutionnel « type » vît le jour dès la création de la première « communauté européenne », la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) instituée en 1952 par le traité de Paris du 18 avril 1951, avec une Commission (alors appelée Haute Autorité) en charge de l'initiative et de la conduite des projets communs, un Conseil des ministres arrêtant les décisions au nom des État membres, une Assemblée parlementaire délibérant sur les principaux enjeux de l'institution et une Cour de Justice appelée à trancher les litiges nés de l'application du traité.

Après l'étape de l'Euratom, seconde communauté spécialisée dans l'énergie atomique, le traité de Rome du 25 mars 1957 a consacré ce système de répartition des pouvoirs, qui a ensuite connu un long processus de développement marqué d'étapes novatrices mais aussi de crises, jusqu'à l'époque actuelle.

Pendant toute la première phase de ce développement, l'Assemblée parlementaire des communautés est désignée au second degré : elle émane des parlements nationaux, issus du vote direct des citoyens. Elle ne détient que des attributions limitées, recevant communication des décisions adoptées par les autres institutions européennes et adoptant des avis et rapports. Toutefois, au terme de bien des débats, le traité de Rome a stipulé dans son article 137 que « l'Assemblée parlementaire composée de représentants des peuples des États réunis dans la Communauté exerce les pouvoirs de délibération et de contrôle qui lui sont attribués ». Dans l'article suivant, il prévoit une formule temporaire maintenant l'élection des parlementaires au second degré, dans l'attente de l'adoption d'un acte conjoint créant les bases d'un régime électoral approprié.

Malgré des initiatives instantes des membres de l'Assemblée, marquées dès 1960 par l'adoption d'un ensemble de résolutions de principe, les divergences de vues entre États membres autour du thème central de l'intégration politique ou, comme on disait alors, de la « supranationalité », ont conduit à prolonger cette période d'attente, qui incita l'Assemblée parlementaire à envisager, début 1969, de saisir la Cour de Justice de la carence du Conseil des ministres à appliquer le traité.

La réunion des chefs d'État et de Gouvernement à La Haye en décembre 1969 répondit à sa manière à cette alerte en demandant au Conseil des ministres de se saisir de la question et d'élaborer une proposition d'organisation de l'élection des parlementaires européens.

Cette élaboration avança lentement, dans un climat politique européen en évolution, jusqu'à un sommet de Paris en 1974 qui invita formellement l'Assemblée parlementaire à formuler une proposition devant être soumise au Conseil des ministres pour l'année 1976. L'adoption de l'acte électoral fut acquise le 20 septembre 1976.

Le débat sur l'adoption de cette réforme fut quelque peu influencé par les divergences qui se poursuivaient au sein de la vie politique française sur les conceptions globales de l'Europe, entre « l'Europe des patries » et une Europe à destin fédéral. Une partie des compromis alors trouvés, notamment au sein de la majorité gouvernementale de l'époque, se retrouvent dans le texte en vigueur aujourd'hui et dont la modification est l'objet du projet de loi.

C'est ainsi que la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen est restée, jusqu'à aujourd'hui, dans un texte séparé du code électoral. La loi de 1977 prenait d'ailleurs soin de ne pas reconnaître un statut plein de parlementaires aux députés européens ; de même, elle comporte toujours une disposition énonçant que « ce mode d'élection ne peut être modifié qu'en vertu d'une nouvelle loi », l'intention sous-jacente étant d'affirmer une pleine souveraineté nationale face à la suprématie de la norme européenne.

Une fois élu au suffrage universel direct (1979), le Parlement européen a acquis, au fil de la pratique et surtout des traités, sa place entière comme composante du système de décision communautaire.

Après de longs débats institutionnels et plusieurs compromis entre les parties prenantes de l'Union européenne, le traité d'Amsterdam (1997) confère au Parlement une « co-décision » de principe, qui le place sur un pied d'égalité avec le Conseil des ministres pour l'adoption des directives et des règlements. Le traité de Lisbonne (2007) parachève cette évolution en étendant à la quasi-totalité des actes décisionnels le pouvoir d'approbation du Parlement européen. Cette assemblée est ainsi devenue un pilier central de la construction européenne, alors même que la perception que les citoyens ont de son rôle reste imprécise, comme l'attestent des taux de participation généralement inférieurs à ceux des élections nationales.

Cette évolution connaît une nouvelle étape avec l'émergence du « spitzenkandidat », principe qui permet aux partis politiques européens d'influer sur la nomination du président de la Commission européenne.

Relevant la faible influence de cette procédure lors de l'échéance de 2009, marquée par la reconduction de M. José Manuel Barroso, les partis politiques européens décident en 2014 de soumettre aux électeurs, dans tous les pays où se présentent leurs partis membres, un candidat choisi par eux pour la fonction de président de la Commission. Cette tentative rencontre alors l'assentiment des membres du Conseil européen, qui proposent en effet la candidature de M. Jean-Claude Junker, « spitzenkandidat » du Parti populaire européen (PPE), arrivé nettement en tête lors des élections européennes.

Il reste à apprécier si ce dernier développement est promis à se renouveler et s'il se conforme à la bonne répartition des pouvoirs dans l'architecture démocratique de l'Union européenne.

I. LES RÉSULTATS CONTRASTÉS DE L'ACTUEL MODE D'ÉLECTION DES REPRÉSENTANTS FRANÇAIS AU PARLEMENT EUROPÉEN

Depuis 2003, les représentants français au Parlement européen sont élus dans huit circonscriptions interrégionales , comme l'autorise le droit communautaire.

La création de ces circonscriptions poursuivait des objectifs légitimes comme la volonté de rapprocher les députés européens de leurs électeurs. Quinze ans plus tard, ses résultats sont toutefois contrastés , les huit « euro-régions » ne correspondant à aucune réalité administrative ou géographique.

A. LA DÉFINITION DU MODE DE SCRUTIN DES ÉLECTIONS EUROPÉENNES : UNE COMPÉTENCE PARTAGÉE ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET LES ÉTATS MEMBRES

Si le nombre de députés européens est fixé par un acte de l'Union européenne, les États membres disposent d'une large marge de manoeuvre pour définir leur mode d'élection (nombre de circonscriptions électorales, règles pour la constitution des listes de candidats, etc .).

1. Les compétences de l'Union européenne : le nombre de députés européens et les grands principes de leur élection

Le Parlement européen compte 751 membres qui représentent les citoyens européens, conformément à l'article 10 du traité sur l'Union européenne (TUE). Ils sont répartis en 8 groupes politiques transnationaux organisés par affinités politiques 1 ( * ) .

Les groupes politiques du Parlement européen

Groupes politiques

Nombre de membres

Parti populaire européen (PPE)

219

Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D)

187

Conservateurs et réformistes européens (ECR)

71

Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ALDE)

68

Verts / Alliance libre européenne (Verts / ALE)

52

Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE /NGL)

51

Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFDD)

44

Europe des Nations et des Libertés (ENF)

34

Non-inscrits

21

Sièges vacants

4

Source : Parlement européen

Le nombre de sièges attribués à chaque État membre est compris entre 6 (Chypre, Estonie, Luxembourg, Malte) et 96 (Allemagne). Il est fixé selon une méthode de représentation « proportionnelle dégressive », qui favorise les pays les moins peuplés 2 ( * ) .

La France élit ainsi 74 députés européens (soit un pour 900 833 habitants) , quand l'Espagne en comprend 54 (soit un pour 859 971 habitants) et le Danemark 13 (soit un pour 438 532 habitants) 3 ( * ) .

Depuis le traité de Rome du 25 mars 1957, le droit communautaire prévoit l'élaboration d'une « procédure uniforme » pour l'élection des députés européens. Cette procédure doit être adoptée par le Conseil de l'Union européenne 4 ( * ) , à l'unanimité de ses membres et avec l'approbation du Parlement européen 5 ( * ) .

Faute d'accord entre les États membres, le Conseil de l'Union européenne a suivi les préconisations du groupe de travail présidé par le doyen Georges Vedel en 1972 6 ( * ) et s'est limité à définir des « principes communs » régissant les élections européennes.

Tous les députés européens sont ainsi élus au suffrage universel direct, libre et secret, pour un mandat de cinq ans 7 ( * ) . Leur mode d'élection doit respecter les grandes caractéristiques fixées par l'acte électoral du 20 septembre 1976 8 ( * ) , à savoir :

- un scrutin de liste de type proportionnel, les États membres étant autorisés à accepter les votes uniques transférables 9 ( * ) ou les votes préférentiels 10 ( * ) ;

- la faculté pour les États de plafonner les dépenses électorales des candidats et de fixer un seuil minimal pour l'attribution des sièges (« seuil d'éligibilité »), qui « ne doit pas être fixé au niveau national à plus de 5 % des suffrages exprimés » ;

- la possibilité pour les États, « en fonction de leurs spécificités nationales », de « constituer des circonscriptions pour l'élection au Parlement européen ou (de) prévoir d'autres subdivisions électorales, sans porter globalement atteinte au caractère proportionnel du mode de scrutin ».

Depuis le traité de Maastricht du 7 février 1992, les listes de candidats aux élections européennes peuvent comporter des personnes issues d'un autre État membre, à l'instar du Finlandais Ari Vatanen (2004) ou de l'Allemand Daniel Cohn-Bendit (2009) 11 ( * ) qui se sont présentés aux élections européennes sur le territoire français.

2. Les compétences des États membres : les paramètres des élections européennes

Le droit européen laisse une grande marge de manoeuvre aux États membres pour définir les paramètres des élections européennes, dans le respect des « principes communs » précités.

Les États sont notamment chargés de définir le nombre de circonscriptions électorales, les règles relatives à la constitution des listes de candidats, à l'organisation et au financement de la campagne électorale et au seuil d'éligibilité.

En France, ces règles sont fixées par la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 12 ( * ) .

Le mode d'élection des représentants français au Parlement européen

Paramètres

Élections européennes organisées en France

Mode de scrutin

Scrutin proportionnel avec des listes bloquées

Nombre de circonscriptions électorales

8 circonscriptions interrégionales

Constitution des listes de candidats

. Respect du principe de parité

. Présence d'un nombre de candidats double
du nombre de sièges à pourvoir
dans la circonscription

Seuil d'éligibilité

5 % des suffrages exprimés

(calculés au niveau de chaque circonscription)

Plafond des dépenses électorales

1,265 million d'euros pour chaque liste

Seuil minimal pour bénéficier
du remboursement forfaitaire
des dépenses de campagne

3 % des suffrages exprimés

Source : Commission des lois du Sénat

Dès lors, le cadre d'élection des députés européens diffère d'un État membre à l'autre 13 ( * ) . En ce qui concerne le périmètre des circonscriptions, les États ont opté pour trois types de découpages électoraux.

Vingt-et-un pays organisent les élections européennes dans une circonscription électorale unique , couvrant l'ensemble de leur territoire. Il s'agit surtout de pays de moins de 20 millions d'habitants (Autriche, Danemark, Hongrie, Pays-Bas, etc .) mais aussi de l'Espagne 14 ( * ) .

Trois États ont adopté un système mixte (Allemagne, Pologne, Italie) : les suffrages sont décomptés au niveau national mais des dispositifs sont prévus pour prendre en compte les spécificités régionales. En Italie , le quotient électoral 15 ( * ) est calculé à l'échelle nationale mais les sièges sont ensuite répartis entre les listes à l'intérieur de cinq circonscriptions pluri-régionales 16 ( * ) . En Allemagne , les partis peuvent déposer des listes de candidats au niveau national ou au niveau des Länder 17 ( * ) , ce qui permet notamment à la Christlich-Soziale Union in Bayern (CSU) de présenter des candidats en Bavière.

Enfin, quatre États ont mis en place des circonscriptions électorales régionales ou interrégionales : l' Irlande (trois circonscriptions), la Belgique (quatre circonscriptions), la France (huit circonscriptions) et le Royaume-Uni (douze circonscriptions).


* 1 Un groupe politique étant composé d'au moins 25 membres, élus dans au moins un quart des États membres (article 32 du règlement intérieur du Parlement européen).

* 2 Cette méthode de représentation concilie deux principes : la proportionnalité (plus un État est peuplé, plus il a de parlementaires européens) et la dégressivité (plus un État est peuplé, plus le nombre de ses députés européens par rapport à son nombre d'habitants est faible).

* 3 Source : Rapport sur la composition du Parlement européen fait par Mme Danuta Maria Hübner et M. Pedro Silva Pereira au nom de la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, 26 janvier 2018. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : www.europarl.europa.eu .

* 4 Le Conseil de l'Union européenne est composé des ministres représentant chaque État membre. Il se distingue du Conseil européen, qui comprend son président, les chefs d'État ou de Gouvernement des États membres et le président de la Commission européenne.

* 5 Article 223 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

* 6 Rapport du groupe ad hoc pour l'examen du problème de l'accroissement des compétences du Parlement européen, 25 mars 1972, consultable à l'adresse suivante : www.cvce.eu .

* 7 Article 14 du traité sur l'Union européenne (TUE).

* 8 Acte du Conseil de l'Union européenne portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct.

* 9 Pratiqué en Irlande et à Malte, le vote unique transférable autorise l'électeur à préciser le candidat auquel son vote doit être transféré lorsque son « premier choix » a déjà été élu.

* 10 Appliqué dans 17 des 28 États membres, le vote préférentiel permet à l'électeur d'exprimer des préférences entre les candidats de la liste et donc de modifier l'ordre de cette dernière.

* 11 Avant que M. Daniel Cohn-Bendit n'obtienne la nationalité française en 2015.

* 12 Loi relative à l'élection des représentants au Parlement européen.

* 13 Voir l'annexe pour une étude comparative des modes d'élection des députés européens dans les vingt-huit États membres.

* 14 Chaque parti ou groupement politique espagnol peut toutefois demander que, dans les communautés autonomes, ses bulletins de vote ne mentionnent que les candidats qui en sont issus (article 222 de la loi organique du 19 juin 1985 fixant le régime électoral général).

* 15 Égal au nombre de voix recueillies sur le nombre de sièges à pourvoir, le quotient électoral détermine les suffrages qu'une liste doit obtenir pour bénéficier d'un siège au Parlement européen.

* 16 Si la liste d'un parti recueille un nombre de voix insuffisant pour obtenir un siège dans une circonscription régionale, ses voix sont reportées vers la circonscription dans laquelle le parti a recueilli la majorité relative des suffrages.

* 17 Les suffrages obtenus par les listes nationales et régionales d'un même parti étant agrégés au niveau national.

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