Rapport n° 410 (2017-2018) de M. Albéric de MONTGOLFIER , fait au nom de la commission des finances, déposé le 11 avril 2018

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N° 410

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 avril 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l' érosion de la base d' imposition et le transfert de bénéfices ,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Mme Fabienne Keller, MM. Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie  Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Sénat :

227 et 411 (2017-2018)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES

Réunie mercredi 11 avril 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur, sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices.

Cette convention multilatérale permet l'application de certaines recommandations du projet « Base Erosion and Profit Shifting » (BEPS) conduit par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), réunissant plus d'une centaine de pays et de juridictions. Endossées par le G20 en novembre 2015 et articulées autour de quinze actions, ces recommandations du projet BEPS doivent toutefois être mises en oeuvre par les différents États , dans leur législation interne et dans leur réseau de conventions fiscales bilatérales. Il s'agit d'une étape essentielle pour concrétiser l'objectif de la démarche et lutter contre les phénomènes d'évitement de l'impôt .

La convention multilatérale que le présent projet de loi propose de ratifier a été signée à Paris le 7 juin 2017 par 68 territoires et réunit désormais 78 États signataires 1 ( * ) . Elle vise à assurer la mise en oeuvre de quatre des quinze actions du « paquet BEPS » au sein du réseau conventionnel bilatéral . Il s'agit de l'action 2 sur la neutralisation des effets des montages hybrides, de l'action 6 sur l'utilisation abusive des conventions fiscales, de l'action 7 sur l'utilisation artificielle du statut d'établissement stable et de l'action 14 sur les mécanismes de règlement des différends. Elle prolonge cette dernière action en déterminant les modalités de la procédure d'arbitrage (partie VI).

Prévue par l'action 15 du « paquet BEPS », la convention multilatérale constitue une démarche inédite en matière fiscale. Elle permet aux États parties d'intégrer les recommandations du « paquet BEPS » dans toutes les conventions fiscales bilatérales qu'ils désirent modifier, sans procéder à une négociation convention par convention. Il s'agit donc d' un « accélérateur » juridique qui rend possible une application rapide et effective de certaines recommandations du « paquet BEPS » , alors que la modification de chacune des conventions fiscales aurait probablement pris au total plusieurs décennies.

La convention multilatérale se caractérise par une grande flexibilité . Seuls trois articles, visant à prévenir l'utilisation abusive des conventions fiscales (articles 6 et 7) et à prévoir une procédure amiable de règlement des différends (article 16) constituent des normes minimales que toutes les juridictions s'engagent à respecter. Pour toutes les autres dispositions, les États peuvent choisir des options et formuler des réserves.

Par ailleurs, la convention multilatérale préserve le caractère bilatéral des relations fiscales entre partenaires conventionnels . Ses dispositions se superposent à celles des conventions fiscales bilatérales, sous réserve que les deux partenaires conventionnels l'aient accepté, qu'ils se soient accordés sur les articles modifiés et qu'ils aient choisi des options, réserves ou notifications qui le permettent. De fait, alors que la France a dressé une liste de 88 conventions fiscales qu'elle entend couvrir par l'instrument multilatéral, seule une cinquantaine d'entre elles seraient effectivement modifiées en l'état des signatures par ses partenaires.

Ces caractéristiques emportent trois conséquences.

Tout d'abord, elles rendent plus complexe l'appréhension des dispositions conventionnelles applicables par les acteurs économiques.

Ensuite, elles rendent difficile à envisager la portée initiale de l'instrument multilatéral , en fonction des choix actuels de deux partenaires conventionnels, mais aussi future, au gré des levées de réserves et de l'évolution des options qu'ils formulent.

Enfin, elles renforcent l'importance des choix effectués par chaque pays , lesquels demeurent provisoires jusqu'au dépôt des instruments de ratification.

À ce titre, la France a , à ce stade, opté pour une conception large de l'application de la convention multilatérale. En particulier, les articles 12 à 15 relatifs à la qualification des établissements stables ont été retenus sans réserve . Cette décision mérite d'être interrogée , dès lors que peu de pays comparables ont fait ce choix, et que les conséquences de la modification du seuil de qualification d'un établissement stable pour l'attribution de profit, non prévues par le « paquet BEPS », sont toujours en négociation à l'OCDE. Il pourrait en résulter des risques pour nos entreprises opérant à l'étranger et pour nos recettes fiscales , dont la base fiscale pourrait être réduite.

Dans ces conditions, tout en soulignant les apports de la convention multilatérale pour améliorer l'application du « paquet BEPS » en vue d'une meilleure lutte contre l'évitement de l'impôt, votre rapporteur invite le Gouvernement à :

- adopter une approche prudente sur les dispositions relatives à la qualification des établissements stables, d'autant que les négociations sur leurs conséquences en matière d'attribution de profits ne sont pas conclues ;

- assurer la sécurité juridique des acteurs économiques. S'il est utile , comme le prévoirait le Gouvernement, de publier des documents d'information lisibles (fiche présentant les effets de la convention multilatérale sur chaque convention fiscale bilatérale concernée, version consolidée desdites conventions...), il serait paradoxal que ceux-ci ne puissent être opposables à l'administration. Un risque de contentieux pourrait alors apparaître ;

- garantir l'information du Parlement sur l'évolution de l'application de la convention multilatérale.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances a adopté le projet de loi sans modification.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi du projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices.

Cette convention, signée à Paris le 7 juin 2017 par 67 États couvrant 68 territoires et réunissant désormais 78 États, marque, selon le Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) Angel Gurria, « un tournant dans l'histoire des traités fiscaux ».

L'accord multilatéral vise à assurer la mise en oeuvre effective des recommandations du projet « Base Erosion and Profit Shifting » (BEPS). Réaliser cette adaptation selon la méthode bilatérale traditionnelle aurait nécessité plusieurs décennies de renégociation des conventions fiscales, obérant de facto la portée de la démarche.

C'est pourquoi l'action 14 du projet BEPS envisageait l'élaboration d'un instrument multilatéral avec la création, en février 2015, d'un groupe ad hoc réunissant 99 pays et placés sur un pied d'égalité.

Les négociations ont abouti plus de vingt mois plus tard, le 24 novembre 2016, à la convention multilatérale dont le présent projet de loi propose d'autoriser la ratification. La convention elle-même entre en vigueur le 1 er juillet 2018.

Cette convention multilatérale traduit une démarche inédite en matière fiscale . Quoiqu'instrument multilatéral, la convention préserve la souveraineté des États et le caractère bilatéral des relations fiscales. En effet, seules les conventions fiscales de deux États parties à la convention multilatérale et ayant décidé mutuellement de couvrir la convention les liant seront modifiées. Encore, seules les stipulations de ces conventions ayant été notifiées par les deux États, et pour lesquelles les réserves et options qu'ils ont formulées correspondront, seront effectivement concernées.

En tant qu'« accélérateur » juridique concrétisant les progrès issus du projet BEPS, l'objectif de cette convention mérite d'être salué .

En tant qu' instrument venant bouleverser l'équilibre d'un nombre important de conventions fiscales bilatérales négociées en fonction des intérêts économiques respectifs de deux États, cette convention a une portée de grande ampleur et doit donc faire l'objet d'un examen particulièrement attentif.

Son caractère inédit s'accompagne en outre d'un certain nombre d'incertitudes qu'il importe de prendre en compte en amont de la ratification. Deux d'entre elles sont majeures , et peuvent en particulier ainsi être relevées.

D'une part, les modalités de son articulation avec les conventions fiscales bilatérales couvertes sont source de complexité et d'insécurité juridique.

La complexité résulte en particulier de la lecture parallèle qui devra être faite de la convention bilatérale et des modifications qui lui sont apportées par l'instrument multilatéral. L'insécurité juridique naît des risques d'interprétation divergente des stipulations fiscales en vigueur qui pourraient en résulter.

D'autre part, véritable convention « à la carte », la convention multilatérale comporte un nombre élevé de réserves et d'options possibles. Sa portée est donc difficile à évaluer à l'heure de sa ratification , et est susceptible d'évoluer au gré des conventions fiscales notifiées par la suite et des évolutions de réserves et d'options par la France et ses partenaires.

En autorisant la ratification de la convention multilatérale, le Parlement permet donc l'introduction dans la hiérarchie des normes d'un instrument « vivant » , dont les effets seront amenés à évoluer.

Aussi importe-t-il d'effectuer des choix initiaux prudents , et d' assurer l'information du Législateur sur l'évolution des modifications ultérieures apportées par cet instrument aux conventions fiscales bilatérales.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LE CONTEXTE : LA CONCLUSION D'UN INSTRUMENT MULTILATÉRAL PERMETTANT L'INTÉGRATION RAPIDE DES RECOMMANDATIONS DU « PAQUET BEPS » DANS LES CONVENTIONS FISCALES BILATÉRALES

A. LA MISE EN oeUVRE DES RECOMMANDATIONS DU PROJET BEPS PERMETTANT DE LUTTER CONTRE LES STRATÉGIES D'ÉVITEMENT DE L'IMPÔT

1. Le projet BEPS : une démarche inédite lancée en 2013 dont les résultats ont été endossés par les pays du G20 en novembre 2015

Initié par les dirigeants du G20 au sommet de Saint-Pétersbourg en septembre 2013, le plan d'action BEPS 2 ( * ) répond à la prise de conscience collective des États des importantes pertes de recettes entraînées par les stratégies d'optimisation fiscale mises en place, dans un contexte de forte mise sous tension des finances publiques.

Le plan d'action vise à cet effet les deux aspects essentiels des phénomènes d'évitement de l'impôt : la diminution du bénéfice imposable, d'une part, et le transfert des bénéfices vers des territoires à faible fiscalité, d'autre part.

Conduites par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans un cadre inclusif réunissant plus d'une centaine de pays et de juridictions, les réflexions et négociations ont abouti à la publication des résultats finaux en octobre 2015 .

Ce « paquet » a ensuite été approuvé par les chefs d'État du G20 au sommet d'Antalya le 16 novembre 2015 .

L'objectif du projet BEPS est double :

- d'une part, remettre à niveau les normes du système fiscal international , en l'adaptant au paysage actuel de l'économie mondialisée ;

- d'autre part, agréger des pays émergents et en voie de développement au respect d'un système fiscal qui a été initialement élaboré sans qu'ils y aient participé.

Dans ce cadre, il importe de « s'attaquer aux racines du problème : [...] ce n'est pas la planification fiscale qui est en cause, mais l'inaction des pouvoirs publics et du législateur (y compris de l'OCDE) qui ont laissé le système fiscal international se détériorer » 3 ( * ) .

Si Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, compare le « paquet BEPS » à une remise à niveau des normes fiscales visant à « conserver et garantir le cadre international consensuel existant » 4 ( * ) , le cadre inclusif agrège toutefois des pays aux visées économiques distinctes , avec en particulier les pays industrialisés et les pays émergents, qui constituent désormais des pôles majeurs de croissance et de consommation.

Dans ce cadre, « dès le lancement du projet en 2013, le G20 a convenu que les travaux de l'OCDE ne porteraient pas sur la répartition des droits d'imposition entre États de la source et de la résidence , mais sur la révision des normes du système fiscal international qui gouvernent l'imposition des entreprises multinationales pour s'assurer que celles-ci déclarent fiscalement leurs bénéfices dans les juridictions [...] la valeur est créée » 5 ( * ) .

Cependant, l'analyse de la création de la valeur peut faire l'objet d'interprétations divergentes , selon que l'accent est placé sur la part immatérielle - savoir-faire et marque par exemple -, sur la conception ou sur l'acte d'achat.

Ces difficultés expliquent en partie la stratégie suivie par les États-Unis à l'égard du projet BEPS.

De même, les divergences des États sur la question de la taxation du numérique expliquent que le « paquet BEPS » ne contient aucune proposition concrète en la matière. L'action 1 prévoit seulement la remise d'un rapport sur le sujet, présenté le 16 mars dernier, qui se contente de présenter les différentes pistes possibles et prend acte de l'absence de consensus au niveau international.

2. Le paquet final comprend quinze actions, dont les recommandations doivent être appliquées par les États avec la modification de leur réseau de conventions fiscales bilatérales

Le projet BEPS comprend quinze actions qui s'articulent autour de trois piliers , retracés par Pascal Saint-Amans et Éric Robert : « améliorer la cohérence des règles fiscales entre les pays (...), renforcer les exigences relatives à la substance des activités (...) et garantir plus de transparence et de sécurité juridique. » 6 ( * )

Les quinze actions du projet BEPS

Les quinze actions du projet BEPS se déclinent de la façon suivante :

- action 1 : relever les défis fiscaux posés par l'économie numérique ;

- action 2 : neutraliser les effets des dispositifs hybrides ;

- action 3 : concevoir des règles efficaces concernant les sociétés étrangères contrôlées ;

- action 4 : limiter l'érosion de la base d'imposition faisant intervenir les déductions d'intérêts et autres frais financiers ;

- action 5 : lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance ;

- action 6 : empêcher l'octroi des avantages des conventions fiscales lorsqu'il est inapproprié d'accorder ces avantages ;

- action 7 : empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d'établissement stable ;

- action 8 à 10 : aligner les prix de transfert calculés sur la création de valeur ;

- action 11 : mesurer et suivre les données relatives au BEPS ;

- action 12 : règles de communication obligatoire d'information ;

- action 13 : documentation des prix de transfert et déclarations pays par pays ;

- action 14 : accroître l'efficacité des mécanismes de règlement des différends ;

- action 15 : élaboration d'un instrument multilatéral pour modifier les conventions fiscales bilatérales.

NB : Les actions en gras correspondent aux actions visées par la convention multilatérale.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des rapports finaux de l'OCDE.

Cet ensemble de bonnes pratiques et de recommandations doit être transposé dans les législations nationales et les accords fiscaux internationaux : après la phase de réflexion et de négociation, s'est ouverte la phase de mise en oeuvre, avant le réexamen prévu en 2020 .

Le « paquet BEPS » endossé par les chefs d'État du G20 relève essentiellement du droit mou (« soft law »).

Son contenu revêt trois formes différentes :

- des recommandations consacrées au droit interne , prenant la forme de bonnes pratiques ou de modèles de législation ;

- des modifications apportées aux principes de l'OCDE applicables en matière de prix de transfert ;

- des mesures modifiant le modèle de convention de l'OCDE , destinées à être incluses dans les conventions fiscales bilatérales.

En matière de prix de transfert, des progrès ont été enregistrés avec la signature à Paris le 27 janvier 2016 de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays (action 13), dont l'approbation par la France a été autorisée par la loi n° 2017-117 du 1 er février 2017 autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays 7 ( * ) .

Parallèlement, l'Union européenne a joué un rôle moteur dans la transcription des recommandations de BEPS . Par l'intermédiaire de la directive du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur 8 ( * ) - dite « anti-tax avoidance directive » ( ATAD ) -, elle a rapidement procédé à leur intégration dans le droit de l'Union européenne.

Ses dispositions concernent en particulier les dispositifs hybrides (action 2), les sociétés étrangères contrôlées (action 3) et la limitation de la déductibilité des charges financières (action 4). Leur transposition en droit national, fixée d'ici la fin de l'année 2018, devra conduire la France à adapter son cadre juridique national 9 ( * ) .

S'agissant des mesures destinées à être intégrées dans les conventions fiscales bilatérales, la mise en oeuvre de BEPS rencontrait une difficulté majeure . En effet, comme l'a précisé Pascal Saint-Amans devant la commission des finances du Sénat le 28 juin 2017, « les pays auraient dû renégocier une à une toutes leurs conventions fiscales bilatérales. Or la France est par exemple liée à ses partenaires par environ 120 conventions fiscales, et on dénombre au total plus de 3 500 conventions fiscales bilatérales dans le monde. [...] Un pays ne pouvant guère modifier plus de six à sept conventions par an , même en y consacrant de nombreux moyens, la France mettrait de vingt à trente ans à modifier l'ensemble de ses conventions » 10 ( * ) .

Ce risque d'inertie menaçait ainsi la mise en oeuvre et la portée effectives des recommandations du « paquet BEPS ».

C'est pourquoi l'action 15 prévoit d'examiner la faisabilité juridique d'un instrument multilatéral « permettant aux juridictions qui le souhaitent de mettre en oeuvre les mesures mises au point dans le cadre des travaux relatifs au projet BEPS et de modifier les conventions fiscales bilatérales » 11 ( * ) .

B. UN INSTRUMENT MULTILATÉRAL ÉLABORÉ POUR FACILITER L'INTÉGRATION DES RECOMMANDATIONS DE BEPS DANS LES CONVENTIONS FISCALES BILATÉRALES

1. L'instrument multilatéral : un outil inédit dans le domaine fiscal, négocié par un groupe ad hoc...

Le rapport intermédiaire sur l'action 15, publié en octobre 2014 par l'OCDE 12 ( * ) , conclut à la faisabilité juridique d'un instrument multilatéral et souligne trois arguments en faveur de son élaboration :

- premièrement, « surmonter l'obstacle que représenteraient des négociations bilatérales fastidieuses » ;

- deuxièmement, « donner aux pays en développement la possibilité de bénéficier pleinement du projet BEPS » ;

- troisièmement, « améliorer la cohérence et contribuer à pérenniser la fiabilité du réseau international de conventions fiscales ».

Le rapport préconisait l'organisation d'une conférence internationale en vue d'élaborer cet instrument. Les pays du G20 ont approuvé la constitution et le mandat d'un groupe ad hoc mis en place par l'OCDE lors du sommet d'Istanbul en février 2015, afin d'aboutir d'ici la fin de l'année 2016.

Ouvert à tous les pays intéressés, membres ou non de l'OCDE ou du G20, le groupe ad hoc a rassemblé 99 États en tant que membres participant sur un pied d'égalité. Alors que le contenu des mesures du projet BEPS avait fait l'objet d'un accord dans le cadre du paquet final endossé par le G20 en novembre 2015, « l'objectif du groupe ad hoc [n'était] pas de renégocier les résultats du projet BEPS, à savoir travailler sur les problématiques de fond, mais plutôt d'élaborer un instrument destiné à mettre en oeuvre les règles conventionnelles issues du projet BEPS » 13 ( * ) .

Les dispositions relatives à l'arbitrage obligatoire ont toutefois fait l'objet de négociations spécifiques, portant également sur le fond . En effet, les recommandations de l'action 14 du « paquet final BEPS » annonçaient la définition d'une procédure d'arbitrage obligatoire, sans préciser les règles applicables. C'est pourquoi un sous-groupe dédié à l'incorporation de ces dispositions a été mis en place, réunissant vingt-sept pays.

Contrairement aux négociations des actions du projet BEPS, l'élaboration de l'instrument multilatéral s'est opérée dans le cadre de négociations intergouvernementales non soumises à consultations publiques.

Elles ont abouti le 24 novembre 2016 avec l'adoption du texte de la convention multilatérale et de la note explicative précisant ses dispositions par les membres du groupe ad hoc .

2. ... s'étant conclu par la signature de la convention multilatérale le 7 juin 2017

Le 7 juin 2017 à Paris, 67 États couvrant 68 territoires 14 ( * ) , dont la France, ont signé la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. La convention reste par ailleurs ouverte à la signature .

Selon les déclarations à cette occasion du secrétaire général de l'OCDE Angel Gurria, « l'adoption de cet instrument multilatéral marque un nouveau tournant dans l'histoire des traités fiscaux. Nous avançons vers la mise en oeuvre rapide des réformes profondes convenues dans le cadre du projet BEPS dans plus de 1 100 conventions fiscales à travers le monde. Outre le fait de libérer les signataires du fardeau de la renégociation bilatérale de ces conventions, l'instrument multilatéral donnera plus de certitude et de prévisibilité aux entreprises et rendra le système fiscal international plus efficace, au bénéfice de nos citoyens » 15 ( * ) .

Au 22 mars 2018, 78 États et territoires l'ont signée 16 ( * ) (voir carte ci-après), et cinq d'entre eux ont déposé leur instrument de ratification auprès du secrétariat général de l'OCDE 17 ( * ) , permettant une entrée en vigueur de l'instrument multilatéral à partir du 1 er juillet 2018 . En effet, conformément à son article 4, l'entrée en vigueur de la convention intervient le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date de dépôt du cinquième instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation.

Carte des États et territoires ayant signé la convention multilatérale

du 7 juin 2017 au 22 mars 2018

NB : Sont représentées en gris foncé les juridictions ayant signé la convention multilatérale.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données de l'OCDE

La liste des signataires reflète la forte implication de l'Union européenne , puisqu'à l'exception de l'Estonie 18 ( * ) , l'ensemble des États membres y figurent. De même, sauf le Brésil, les principaux émergents sont parties à la convention multilatérale.

En revanche, les États-Unis ont fait le choix de ne pas signer l'instrument multilatéral. Robert Stack, ancien membre du Trésor américain, justifie ce choix par « le fait que sa ratification aurait nécessité une mobilisation de ressources trop importante eu égard aux résultats potentiels, dans la mesure où selon le Trésor américain les conventions fiscales bilatérales des États-Unis comprennent déjà les normes minimales et présentent un faible degré d'exposition aux effets BEPS » 19 ( * ) .

Pascal Saint-Amans partage ces considérations, en indiquant que l'absence des États-Unis ne remet pas en cause la portée de l'accord : « les États-Unis, à la différence de la France, ont un réseau conventionnel robuste et par construction protégé du treaty shopping [et] les États-Unis n'ont pas conclu de convention [fiscale] avec des juridictions très attractives n'ayant pas de fiscalité » 20 ( * ) .

II. LE TEXTE : UN PROJET DE LOI AUTORISANT LA RATIFICATION D'UN INSTRUMENT INÉDIT PAR SON CONTENU ET SES MODALITÉS

Le présent projet de loi comporte un article unique autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices .

La convention multilatérale devrait entrer en vigueur au 1 er juillet 2018 maintenant que cinq instruments de ratification ont été déposés. Toutefois, s'agissant de la France, l'entrée en vigueur de la convention interviendra le premier jour du mois suivant l'expiration d'une période de trois mois calendaires suivant le dépôt de son propre instrument de ratification.

Cet instrument multilatéral, prévoyant la modification parallèle des conventions fiscales bilatérales notifiées par les deux parties qui le désirent, correspond à une démarche inédite sur le plan fiscal, tant par son contenu que par ses modalités.

A. COUVRANT QUATRE ACTIONS DU « PAQUET BEPS », LA CONVENTION SE CARACTÉRISE PAR UNE GRANDE SOUPLESSE D'APPLICATION

1. Les dispositions de la convention multilatérale couvrent quatre actions du « paquet BEPS » (actions 2, 3, 7 et 14)

L'instrument multilatéral revêt deux objets essentiels :

- d'une part, procéder aux modifications des dispositions des conventions fiscales bilatérales afin de mettre en oeuvre les recommandations du projet BEPS ;

- d'autre part, améliorer les règles fixant le cadre du règlement des différends en cas de double imposition.

Articulée autour d'un préambule et de sept parties contenant trente-neuf articles, la convention multilatérale recouvre quatre actions du projet BEPS :

- l'action 2 sur la neutralisation des effets des montages hybrides (partie II, articles 3 à 5) ;

- l'action 6 sur l'utilisation abusive des conventions fiscales (partie III ; articles 6 à 11) ;

- l'action 7 sur l'utilisation artificielle du statut d'établissement stable (partie IV, articles 12 à 15) ;

- l'action 14 sur les mécanismes de règlement des différends (partie V, articles 16 et 17).

Pour la mise en oeuvre de ces actions, la convention ne crée pas de nouvelles dispositions , mais reprend le contenu des différentes actions endossées par le G20.

Seule la partie relative à la procédure d'arbitrage (partie VI, articles 18 à 26) , annoncée dans l'action 14 de BEPS mais sans qu'aucune règle n'ait alors été précisée et négociée par le sous-groupe spécifique, est définie dans le texte de la convention .

Par ailleurs, les parties I (champ d'application et interprétation des termes) et VII (dispositions finales) précisent le contenu et le fonctionnement de la convention multilatérale.

2. Ses dispositions ménagent toutefois une grande souplesse d'application

La convention contient deux types de normes distinctes :

- des normes minimales , que toutes les juridictions s'engagent à respecter, qui modifient et complètent les conventions fiscales, au nombre de trois : les deux premières visent à prévenir l'utilisation abusive des conventions par la modification du préambule des conventions fiscales (article 6) et par l'introduction d'un mécanisme anti-abus (article 7) 21 ( * ) ; la troisième prévoit l'inclusion d'une procédure amiable de règlement des différends (article 16) ;

- des normes non minimales pour lesquelles les juridictions ont plus de flexibilité : elles peuvent décider de manière discrétionnaire d'opter contre (en émettant une réserve, « opt out ») ou pour (en activant une option facultative, « opt in ») ces stipulations.

Une majorité de stipulations relève de normes non minimales, laissées à la libre-appréciation des États parties .

Il ressort que :

- des réserves peuvent être formulées sur plus de la moitié des articles (21) 22 ( * ) ;

- les neuf articles posant les dispositions relatives à l'arbitrage correspondent à des dispositions facultatives devant être activées par les États parties ;

- seuls trois articles constituent un standard minimum devant être accepté par toutes les parties (articles 6§1, 7 et 16).

Ainsi que le relève Philippe Martin, président de la section des travaux publics du Conseil d'État et membre du groupe international d'experts ayant élaboré le rapport intermédiaire de 2014, « une des grandes particularités de la convention multilatérale réside dans la multiplicité des options et des réserves . La convention multilatérale est bien un traité unique, mais là où les traités habituels prévoient trois ou quatre réserves possibles, la convention multilatérale peut être qualifiée de convention à la carte » 23 ( * ) .

Pour l'OCDE, la flexibilité est une des caractéristiques essentielles de l'instrument multilatéral, permettant d'agréger davantage d'États.

Le tableau ci-après présente les principales dispositions de la convention multilatérale et les choix pré-notifiés par la France au secrétariat de l'OCDE à l'occasion de la signature. Ces choix, provisoires, devront être confirmés lors du dépôt des instruments de ratification.

Comme le mettent en évidence le tableau ci-dessus et les choix pré-notifiés de la France, la convention multilatérale conduit à une certaine complexité, avec un choix « à la carte » des États, et aura une portée différente en fonction des notifications adressées par chaque partie au secrétariat général de l'OCDE.

B. CETTE SOUPLESSE CONDUIT TOUTEFOIS À UNE MISE EN oeUVRE COMPLEXE DE LA CONVENTION MULTILATÉRALE

1. L'instrument multilatéral se superpose aux conventions fiscales bilatérales couvertes sans s'y substituer...

Quoique conçu comme un « accélérateur juridique » visant à modifier « d'un seul coup le réseau des conventions bilatérales » 24 ( * ) , l'instrument multilatéral ne remplace pas les dispositions des conventions fiscales bilatérales .

En effet, il « n'est ni une convention fiscale multilatérale ou un protocole multilatéral qui modifierait directement le texte des conventions fiscales existantes ; ni un simple modèle comme le modèle OCDE , proposant un ensemble de règles, à charge pour les négociateurs de les adopter telles quelles ou de les amender de manière bilatérale. L'instrument multilatéral est un ensemble de stipulations de fond nouvelles, formulées de manière générale. Il se superpose aux conventions fiscales bilatérales existantes , dont il modifiera les stipulations et l'interprétation » 25 ( * ) .

Les travaux initiaux de l'OCDE sur la faisabilité juridique de cet instrument mentionnaient deux manières de traiter la coexistence entre la convention multilatérale et les conventions bilatérales modifiées 26 ( * ) :

- en prévoyant directement cette relation dans le texte de la convention multilatérale ;

- en s'en remettant au principe de lex posterior derogat lexi priori de droit international posé par l'article 30 de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 en vertu duquel, lorsque deux normes internationales renvoient à la même matière, la norme postérieure prévaut.

Les modalités in fine définies reprennent ces deux moyens.

Si l'insertion de l'instrument multilatéral dans l'ordre juridique repose sur ce principe de droit international 27 ( * ) , des clauses de compatibilité sont également prévues dans chaque article de la convention multilatérale afin de garantir l'efficacité et la clarté des dispositifs (voir encadré ci-après).

Ainsi, il résulte des modalités d'articulation de ces différentes conventions que « les parties à une convention fiscale bilatérale modifiée par [l'instrument multilatéral] resteront libres de convenir ultérieurement entre elles de nouveaux amendements » 28 ( * ) .

L'article 30 de la convention multilatérale indique à cet effet que « les dispositions de la présente convention ne préjugent pas des modifications ultérieures d'une convention fiscale couverte susceptibles d'être convenues entre les juridictions contractantes ». Il est dès lors possible, pour les deux parties contractantes, de déroger à la convention multilatérale par une convention bilatérale postérieure, sous réserve de ne pas remettre en cause une règle minimale 29 ( * ) , soit seulement trois des trente-neuf articles que compte la convention.

Les clauses de compatibilité prévues par la convention multilatérale

L'article 1 er de la convention multilatérale précise que cette dernière « modifie toutes les conventions fiscales couvertes ».

Chaque article de la convention comprend des stipulations régissant l'articulation de la disposition qu'il prévoit avec les dispositions actuelles de la convention fiscale bilatérale visée.

De façon générale, les modifications peuvent être apportées de trois manières :

- par remplacement , une clause de la convention multilatérale remplaçant une clause préexistante de la convention bilatérale ;

- par amendement , quelques mots de plus étant insérés dans la convention bilatérale pour expliquer le fonctionnement ;

- par adjonction : un paragraphe de la convention multilatérale s'insérant dans un article de la convention bilatérale pour constituer un alinéa ou un paragraphe supplémentaire 30 ( * ) .

Ainsi, quatre types de clauses de compatibilité sont utilisés :

- « s'appliquer à la place de » : les dispositions de l'instrument multilatéral remplacent une disposition existante et ne s'appliquent pas en l'absence de dispositions existantes ;

- « s'appliquer à ou modifier » : les dispositions de l'instrument multilatéral modifient une disposition existante sans la remplacer, de sorte qu'elles s'appliquent uniquement lorsqu'une telle disposition existe déjà ;

- « s'appliquer en l'absence de » : les dispositions de l'instrument multilatéral s'appliquent uniquement si les conventions fiscales bilatérales ne comprennent pas déjà de dispositions portant sur le sujet ;

- « s'appliquer à la place ou en l'absence » : les dispositions de l'instrument multilatéral s'appliquent de manière systématique, aucune notification préalable n'étant nécessaire.

L'étude d'impact annexée au présent projet de loi précise que ces clauses « reposent sur le principe suivant : en l'absence de disposition analogue dans la convention fiscale liant deux parties, la clause multilatérale y est ajoutée ; en revanche, lorsqu'une telle stipulation est présente, elle a en principe vocation à être remplacée par la nouvelle, à moins qu'elle soit considérée comme équivalente et que les parties décident de la conserver ».

Le schéma ci-après, publié par l'OCDE, récapitule l'interprétation des clauses de compatibilité.

NB : L'abréviation IM désigne l'instrument multilatéral.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des informations publiées par l'OCDE.

2. ... ce qui pose la question de l'appréhension des modifications effectivement apportées à chaque convention fiscale couverte
a) Une complexité indéniable en termes de règles applicables

L'État signataire doit tout d'abord notifier à l'OCDE le nom et la date des conventions fiscales bilatérales qu'il entend modifier par l'instrument multilatéral, ainsi que les stipulations bilatérales affectées . Ce système parachève l'articulation entre l'instrument multilatéral et les conventions fiscales bilatérales couvertes.

Pascal Saint-Amans précisait à cet effet devant la commission des finances du Sénat le 28 juin dernier que « le mécanisme juridique implique que chaque pays nomme les conventions fiscales qu'il entend voir modifiées par l'instrument multilatéral et qu'il décide, convention par convention, pays par pays, les stipulations qui doivent être activées » 31 ( * ) .

La convention multilatérale constituant un traité unique, les réserves et les options exercées par un État s'appliquent en bloc à toutes les conventions fiscales qui sont notifiées par un État signataire.

Au 22 mars 2018, l'OCDE dénombrait 2 450 conventions fiscales notifiées et 1 245 conventions fiscales effectivement modifiées par l'instrument multilatéral 32 ( * ) .

La France a, pour sa part, déposé une liste de 88 conventions fiscales qu'elle entend couvrir , sur les 121 conventions fiscales actuellement en vigueur. Cette liste correspond à toutes les conventions fiscales en vigueur entre la France et les autres pays membres de l'OCDE et les États membres de l'Union européenne. « Toutefois, parmi ces pays membres de l'OCDE, la Norvège, la Suède et la Suisse n'ont à ce jour pas inclus leur convention avec la France dans leur liste de conventions fiscales couvertes. De plus, parmi les conventions identifiées comme couvertes par la France figurent une quinzaine de conventions conclues avec des pays non signataires de l'instrument multilatéral à ce jour, notamment les États-Unis d'Amérique, l'Arabie Saoudite, le Brésil, le Maroc, le Qatar, la Tunisie et les Émirats arabes unis - qui ne seront donc pas impactées à ce stade. Enfin, parmi les conventions en vigueur non couvertes par la France, on notera celles avec l'Albanie, Bahreïn et Panama, qui pourtant étaient membre du groupe ad hoc , et bien que Panama ait exprimé son intention de signer cet instrument à court terme. Il s'ensuit que sur les 88 conventions fiscales couvertes identifiées par la France, seules cinquante d'entre elles peuvent être impactées par l'instrument multilatéral » 33 ( * ) .

Liste des conventions fiscales que la France entend couvrir
par l'instrument multilatéral

La liste des conventions fiscales couvertes que la France a déposée à l'OCDE vise les conventions fiscales conclues avec les États ou juridictions suivantes : Afrique du Sud, Albanie, Allemagne, Andorre, Arabie Saoudite, Argentine, Arménie, Australie, Autriche, Azerbaïdjan, Bangladesh, Belgique, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Brésil, Bulgarie, Burkina-Faso, Cameroun, Canada, Chili, Chine, Chypre, Colombie, Corée du Sud, Côte d'Ivoire, Croatie, Égypte, Espagne, Estonie, États-Unis, Finlande, Gabon, Géorgie, Grèce, Hong Kong, Hongrie, Ile Maurice, Inde, Indonésie, Irlande, Islande, Israël, Italie, Jamaïque, Japon, Jordanie, Kazakhstan, Kenya, Koweït, Lettonie, Liban, Lituanie, Luxembourg, Malaisie, Malte, Maroc, Mauritanie, Mexique, Monaco, Mongolie, Nigeria, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Pays-Bas, Philippines, Pologne, Portugal, Qatar, République Tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Sénégal, Serbie, Singapour, Slovaquie, Slovénie, Sri Lanka, Suède, Suisse, Thaïlande, Tunisie, Turquie, Ukraine, Viêt Nam, Zambie et Zimbabwe.

Source : commission des finances du Sénat, à partir de l'étude d'impact annexée au présent projet de loi.

Une approche en trois étapes doit être retenue pour déterminer si une stipulation donnée d'une convention fiscale en vigueur peut être affectée par l'instrument multilatéral :

- l'instrument multilatéral est-il entré en vigueur ? La convention multilatérale elle-même entrera en vigueur au 1 er juillet 2018, mais cette question se posera tout de même au niveau des parties à chaque convention fiscale donnée, en fonction de la ratification effective de la convention multilatérale  par la juridiction partenaire ;

- la convention fiscale est-elle couverte au sens de l'instrument multilatéral ? Pour que tel soit le cas, les deux parties à la convention fiscale doivent l'avoir notifiée de concert auprès de l'OCDE comme couverte par l'instrument multilatéral ;

- quelles sont les stipulations de la convention fiscale couverte affectées ? Pour les normes non minimales, il s'agit d'analyser la concordance entre les réserves et les options retenues par les deux parties de la convention fiscale. Pour qu'une disposition de la convention multilatérale modifie la convention fiscale, il faut que les choix des deux États s'agissant des réserves, options et notifications le permettent. C'est le principe dit de la « concordance ».

En effet, la convention multilatérale prévoit que les États notifient à l'OCDE non seulement les conventions fiscales couvertes, mais également les stipulations bilatérales affectées . « Autrement dit, quand la France notifie la convention franco-allemande, par exemple, elle doit indiquer aussi, en fonction des choix qu'elle a effectués, que la convention multilatérale va affecter tel article et tel paragraphe de la convention franco-allemande » 34 ( * ) .

De fait, pour qu'une convention fiscale bilatérale soit modifiée par l'instrument multilatéral, il faut que les deux parties aient signé et ratifié la convention multilatérale, aient notifié au secrétariat général de l'OCDE leur souhait de la couvrir par l'instrument multilatéral et que leurs différentes réserves et options notifiées soient compatibles.

Le schéma ci-après, proposé par l'OCDE pour chaque article de la convention multilatérale, reproduit les différentes questions qui se posent pour déterminer comment une convention fiscale bilatérale peut être modifiée par cet article.

Exemple d'application de la convention multilatérale
pour l'article 14 relatif au fractionnement des contrats
dans le but de contourner la qualification d'établissement stable

Source : « Appariement des réserves et des notifications effectuées dans le cadre de l'instrument multilatéral », OCDE, juin 2017.

Certaines clauses de compatibilité pourraient en particulier soulever des risques d'insécurité juridique en ce qu'elles font exception à la procédure générale de notification par les deux parties des stipulations bilatérales affectées par l'instrument multilatéral.

Tel est en particulier le cas des clauses de la convention multilatérale qui s'appliquent « à la place ou en l'absence de » 35 ( * ) , qualifiées de « bombe atomique » par Philippe Martin 36 ( * ) , « dans ce cas, la convention prévoit que même en l'absence de notification, la convention multilatérale prévaudra lorsque ses stipulations seraient incompatibles avec celles de la convention bilatérale. [...] C'est une source de contentieux ».

En conséquence, ces modalités « à la carte » traduisent la recherche d'un équilibre entre la volonté d'agréger davantage de juridictions à la convention multilatérale et la définition d'un instrument juridique global.

Par là-même, elles alimentent toutefois une certaine complexité et rendent plus difficile l'appréhension des dispositions fiscales bilatérales reliant deux États parties.

Il importe donc de garantir une information claire et accessible sur l'état des stipulations fiscales en vigueur entre deux États .

b) Des outils nécessaires pour améliorer la lisibilité du droit et la sécurité juridique

Afin d'assurer un régime fiscal lisible et garant d'une certaine sécurité juridique, deux démarches complémentaires peuvent être opérées, l'une par l'OCDE, l'autre par les États parties.

En premier lieu, l'OCDE a mis en ligne une base de données pour l'appariement de l'instrument multilatéral, permettant de cibler les effets des différentes stipulations de la convention multilatérale pour chaque convention fiscale bilatérale couverte.

En particulier, pour les articles de la convention prévoyant plusieurs options, cet outil permet de vérifier la concordance entre les options choisies par deux États parties et, ainsi, de déterminer si cet article modifie effectivement la convention fiscale bilatérale qui les lie.

S'agissant, par exemple, de l'application de la convention multilatérale à la convention fiscale franco-allemande, seuls cinq articles de la convention bilatérale seraient modifiés en l'état des options, réserves et notifications soumises par les deux pays à l'OCDE 37 ( * ) .

En second lieu, s'agissant de la France, comme l'indique l'étude d'impact annexée au présent projet de loi, « l'administration assurera la lisibilité des conventions fiscales bilatérales, une fois modifiées par la convention multilatérale [...], par la mise en ligne sur un site officiel d'une fiche présentant, pour chaque convention fiscale bilatérale couverte, les modifications apportées par la convention multilatérale ».

Au-delà d'une fiche récapitulative, les acteurs économiques souhaitent qu'une version consolidée des conventions fiscales bilatérales telle que résultant des modifications apportées par l'instrument multilatéral soit publiée .

Le Gouvernement a indiqué qu'il mettrait en ligne des versions consolidées de toutes les conventions fiscales modifiées 38 ( * ) .

Si l'intérêt premier de la consolidation est de faciliter la lecture - en évitant une lecture parallèle des deux textes - les acteurs économiques souhaitent surtout conforter la sécurité juridique de l'application des dispositions fiscales.

Toutefois, la sécurité juridique demeure incertaine à ce stade à deux titres :

- il s'agit d'une démarche unilatérale de codification du droit à visée nationale ne résultant pas d'un accord avec l'autre partie : elle ne serait donc pas opposable au partenaire conventionnel, sauf accord bilatéral spécifique ;

- la question du caractère opposable à l'administration française de la version consolidée d'une convention bilatérale reste ouverte .

Philippe Martin s'interroge à ce sujet, soulignant qu'« en France, on peut se demander si l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales serait applicable. Cet article concerne les prises de position de l'administration sur l'application d'un texte 39 ( * ) et il n'est pas évident qu'il puisse jouer sur la consistance même de la norme [la consolidation unilatérale étant considérée sur le plan juridique comme la position d'un État dans un système de conventions bilatérales]. Or dans notre hypothèse, la valeur juridique d'une convention bilatérale telle que consolidée par l'administration à titre informatif concerne le texte lui-même, pas l'interprétation de ce texte. C'est donc un cas de figure original qui fera débat » 40 ( * ) .

III. LA POSITION DU RAPPORTEUR : RATIFIER TOUT EN RESTANT ATTENTIF ET EN ATTENDANT DES ENGAGEMENTS DU GOUVERNEMENT

A. AUTORISER LA RATIFICATION DE L'INSTRUMENT MULTILATÉRAL PERMETTANT D'AMÉLIORER L'APPLICATION DU « PAQUET BEPS »

1. Le défi de la mise en oeuvre effective des dispositions du « paquet BEPS » au sein des conventions fiscales bilatérales

Les crises économiques, financières et budgétaires qui se sont succédées depuis 2008 ont favorisé la prise de conscience du coût des pratiques d'évasion et d'optimisation fiscales .

De surcroît, tandis que les prélèvements obligatoires sont fortement mobilisés pour faire face à la dégradation des finances publiques, le constat d'une faible contribution de quelques multinationales a accentué la pression pour une actualisation des règles fiscales internationales .

C'est dans ce contexte « d'alignement des astres » 41 ( * ) que les pays du G20 ont mandaté l'OCDE en vue de réfléchir à une réforme de la fiscalité internationale dans une double perspective de transparence, au sein du Forum mondial 42 ( * ) , et de lutte contre les phénomènes d'évitement de l'impôt, par le projet BEPS.

Réunissant plus d'une centaine de juridictions, le cadre inclusif retenu agrège l'essentiel de l'économie mondiale . Parallèlement, selon l'OCDE, le manque à gagner pour les recettes publiques des phénomènes d'évitement de l'impôt est estimé, selon des hypothèses qualifiées de prudentes, entre 100 milliards d'euros et 240 milliards d'euros par an, soit de 4 % à 10 % des recettes d'impôt sur les sociétés dans le monde.

Le « paquet BEPS » endossé par les pays du G20 en novembre 2015 procède toutefois d' un ensemble de bonnes pratiques et de recommandations, qui doivent être transcrites en droit . Sa mise en oeuvre effective conditionne la réussite du projet 43 ( * ) , avant le réexamen à mi-parcours prévu en 2020.

L'intégration des dispositions relatives au réseau conventionnel liant les juridictions entre elles soulevait une difficulté majeure à deux égards .

D'abord, comme déjà indiqué supra , le projet BEPS aurait connu une mise en oeuvre difficile en raison du temps nécessaire pour procéder à la renégociation de chaque convention fiscale bilatérale. Ainsi que le rappelle Pascal Saint-Amans concernant le temps qui aurait été nécessaire pour adapter chaque convention fiscale, « i l est clair que, durant cet intervalle, toutes les lacunes que nous avons identifiées dans les conventions fiscales seraient utilisées à des fins de planification fiscale agressive » 44 ( * ) .

Ensuite, il existait un risque d'application en raison du manque d'homogénéité des dispositions de BEPS retenues au gré de chaque négociation bilatérale.

Ces deux facteurs auraient de facto obéré la portée effective du plan d'action BEPS.

2. L'instrument multilatéral permet d'accélérer la mise en oeuvre du « paquet BEPS » tout en préservant le caractère bilatéral des relations fiscales

C'est pourquoi l'instrument multilatéral dont le présent projet de loi propose d'autoriser la ratification constitue une avancée inédite et majeure. En agrégeant déjà 78 États et juridictions, il accélère considérablement le rythme de la réforme du droit fiscal international.

Son cadre inclusif permet également aux pays en voie développement de bénéficier des recommandations de BEPS, conformément aux objectifs que les États du G20 et du Conseil de l'OCDE s'étaient assignés.

Surtout, tout en faisant sauter « l'effet de verrou » du réseau conventionnel existant souligné par la doctrine fiscale 45 ( * ) , il préserve la souveraineté fiscale des États en restant inscrit dans le cadre bilatéral des conventions fiscales.

Quoique multilatérale, la convention constitue un ensemble de dispositions ayant vocation à modifier, point par point, les conventions fiscales bilatérales liant deux parties ayant notifié à l'OCDE leur souhait de procéder à cette modification et en laissant une grande flexibilité aux États.

De fait, « la nature bilatérale des conventions est préservée , même si l'instrument est bien multilatéral car signé par un ensemble d'États, de manière concomitante par certains à l'origine puis rejoints par d'autres : les États choisissent les dispositions qu'ils souhaitent voir appliquer dans leurs relations bilatérales et l'expriment ensemble, dans la même unité de temps et de manière coordonnée » 46 ( * ) .

L'effet potentiel pour la France est d'autant plus important qu'elle dispose du deuxième réseau conventionnel le plus vaste derrière celui du Royaume-Uni 47 ( * ) . Or, comme le précise Pascal Saint-Amans, « plus le réseau de conventions d'un pays est large, plus celui-ci est exposé au risque que ses conventions fassent l'objet de treaty shopping 48 ( * ) » 49 ( * ) .

L'adhésion à l'instrument multilatéral reflète aussi et avant tout la stratégie fiscale poursuivie par un État. C'est ce qui explique l'absence de certains pays majeurs de la liste des signataires, au premier rang desquels les États-Unis ou le Brésil . C'est également ce qui motive le choix des réserves formulées et des options activées par les différents États parties à la convention multilatérale.

B. ÊTRE VIGILANT FACE AUX LIMITES IDENTIFIÉES DE L'INSTRUMENT

1. L'instrument multilatéral pourrait entraîner des conséquences non anticipées
a) Le risque d'une modification de l'équilibre des conventions fiscales bilatérales

Les conséquences de l'instrument peuvent être difficiles à appréhender dans leur globalité, dès lors que les dispositions, même limitées, modifiées par l'instrument multilatéral peuvent conduire à en bouleverser l'équilibre initial sans que cela ne soit prévu.

Ce risque existe dans la mesure où les conventions fiscales sont négociées dans leur ensemble, les dispositions étant envisagées dans leur connexité. Or, « l'instrument multilatéral [pourrait] potentiellement affecter cette cohérence et l'équilibre obtenu par les pays contractants au cours de la négociation d'une convention bilatérale, et conduire à des situations qui n'auraient jamais été acceptées dans le cadre d'une négociation purement bilatérale » 50 ( * ) .

Cette question a été soulevée par les États-Unis, motivant en partie leur choix de ne pas signer la convention multilatérale.

b) Une portée immédiate et future complexe à appréhender

La flexibilité laissée aux États parties dans l'activation de ses clauses rend complexe l'appréhension de sa portée réelle, à la fois immédiate et future.

La portée effective des modifications apportées par l'instrument multilatéral aux conventions fiscales couvertes varie fortement d'une convention à l'autre en fonction des positions respectives des deux parties.

En conséquence, la portée dans le temps de l'instrument multilatéral est difficilement envisageable lors de sa ratification . En effet, comme le soulignait Édouard Marcus, alors sous-directeur à la direction de la législation fiscale, « l'instrument n'est pas arrivé à son état final d'impact . L'important est d'abord de créer le système. Les standards du projet BEPS vont être de plus en plus largement appliqués, et peut-être d'autres règles fiscales seront-elles adoptées : l'effet de l'instrument multilatéral va donc augmenter de manière très concrète. Cela commencera par des retraits de réserves » 51 ( * ) .

Son effet ne saurait donc être mesuré aujourd'hui, et devra être apprécié dans le temps.

2. Les choix pré-notifiés par la France traduisent une conception large de l'application de la convention, risquant notamment d'entraîner une attrition de ses recettes fiscales
a) La France a formulé peu de réserves dans sa pré-notification à l'OCDE

La conjugaison du cadre inclusif, agrégeant des pays aux intérêts économiques et fiscaux distincts, et de la portée variable de l'instrument, en fonction des dispositions effectivement couvertes par les États parties, doit conduire la France à une analyse prudente des choix des options, réserves et notifications qu'elle effectue.

À ce stade, la liste des réserves, options et notifications transmise à l'OCDE préalablement à la signature de la convention multilatérale est provisoire : elle ne deviendra définitive qu'au moment du dépôt de l'instrument de ratification.

En outre, s'agissant des réserves, une fois la ratification opérée, celles-ci ne pourront ensuite plus être retirées ni même remplacées par une réserve de portée plus limitée .

À cet égard, Édouard Marcus, alors sous-directeur à la direction de la législation fiscale, relevait trois principes ayant guidé les choix pré-notifiés par la France à l'OCDE : « donner le maximum de portée géographique à la convention multilatérale ; identifier les clauses constituant un réel progrès par rapport aux objectifs du projet BEPS [...] ; assurer la cohérence et l'homogénéité de l'application de la fiscalité internationale. Il s'agit du fameux level playing field , et de ce point de vue, nous avons décidé non seulement d'appliquer largement la convention mais également de remplacer les clauses actuelles de nos conventions par celles de la convention, ce qui facilitera le travail de consolidation des conventions bilatérales » 52 ( * ) .

De fait, ainsi que l'a souligné Pascal Saint-Amans devant la commission des finances du Sénat, « la France a une conception très large de la convention ; elle a émis assez peu de réserves ».

b) Avant d'être confirmés, ces choix doivent prendre en compte les risques identifiés

Quoique traduisant une démarche volontariste en faveur de la lutte contre les phénomènes d'évitement de l'impôt, le choix d'opter pour une application large des dispositions de la convention s'accompagne d'un double risque.

Le premier risque porte sur la sécurité juridique de nos entreprises vis-à-vis de l'application des recommandations de BEPS par certaines administrations fiscales.

En effet, « l'insécurité juridique et fiscale ainsi que les situations de double imposition vont fort probablement se multiplier dans un contexte post-BEPS . La communauté des affaires encourage donc l'OCDE et les gouvernements à améliorer radicalement le fonctionnement des procédures d'accord amiable, y compris par l'ajout d'une clause d'arbitrage obligatoire et contraignant. On peut estimer qu'un arbitrage obligatoire et contraignant serait bénéfique tant pour les gouvernements que pour les entreprises puisqu'il permettrait d'atténuer l'insécurité juridique créée du fait d'action unilatérales de la part de certains gouvernements ou de l'application incohérente des recommandations BEPS dans d'autres juridictions » 53 ( * ) .

Or la partie VI de la convention rendant obligatoire la procédure d'arbitrage n'a guère été activée . Seul un tiers des signataires a opté pour ces stipulations ; encore cette proportion intègre-t-elle essentiellement des pays européens 54 ( * ) , déjà parties à la convention multilatérale européenne d'arbitrage.

De fait, en l'état des pré-notifications, la procédure d'arbitrage obligatoire ne sera introduite que dans six conventions fiscales bilatérales, avec Singapour, la Nouvelle-Zélande, le Japon, Maurice, l'Australie et Andorre.

C'est pourquoi, comme le relève la doctrine fiscale, « compte tenu de de l'incertitude créée par l'adoption rapide d'un volume considérable de nouvelles stipulations conventionnelles et de nouvelles orientations sur les prix de transfert, nous regrettons que l'arbitrage n'ait pas été assimilé à une norme minimale et que des pays importants tels que la Chine, l'Inde, la Corée [du Sud], la Mexique, la Russie, l'Afrique du Sud n'aient pas adopté cette stipulation » 55 ( * ) .

À défaut de cette procédure obligatoire, face à une difficulté d'application ou d'interprétation des dispositions conventionnelles liant deux juridictions, une entreprise pourrait être exposée à un risque de double imposition.

Ce risque est d'autant plus prononcé que les modalités d'articulation de l'instrument multilatéral avec les conventions fiscales laissent subsister de possibles indéterminations. En particulier, si deux pays notifient conjointement une clause de l'instrument multilatéral mais, au stade de la rédaction, ne s'accordent pas sur la manière dont la convention bilatérale doit être modifiée, alors « la convention multilatérale prévoit qu'il n'y a pas de modification de la rédaction de la convention bilatérale, mais que les clauses de la convention multilatérale ont un effet sur le fond et donc une portée par rapport à la convention bilatérale » 56 ( * ) .

Le second risque porte sur l'attrition potentielle de la base fiscale nationale.

Certes, le mandat confié à l'OCDE par le G20 dans le cadre du projet BEPS ne porte pas sur la répartition des droits d'imposition entre États.

Pour autant, certaines dispositions donnent les outils pour procéder à une refonte de cette répartition . Les déclarations d'activité pays par pays transmises aux administrations fiscales (action 13) donnent ainsi une image de la réalité économique de l'implantation d'un groupe d'entreprises. De même, les mesures relatives à l'établissement stable (action 7) contribuent à abaisser le seuil de qualification. Or, « des pays émergents, voire en développement, considèrent qu'un abaissement du seuil de l'établissement stable pourrait leur permettre d'atteindre une base fiscale supérieure » 57 ( * ) .

Ces considérations rejoignent plus globalement les critiques émises en particulier par l'Association française des entreprises privées (AFEP) en France, selon laquelle le projet BEPS porterait les germes d'une révolution de l'appréhension de la valeur taxable, au profit de la consommation . Dans cette perspective, les pays émergents, disposant d'un grand nombre de consommateurs, en seraient les premiers bénéficiaires, tandis que la France serait exposée à un effritement de ses bases d'imposition.

C. S'ASSURER DE L'ENGAGEMENT DU GOUVERNEMENT À CONCILIER LA LUTTE CONTRE L'ÉVITEMENT DE L'IMPÔT ET LA PRÉSERVATION DES INTÉRÊTS DE LA FRANCE

Votre rapporteur considère que deux impératifs doivent être conciliés :

- d'une part, prolonger la dynamique internationale née du projet BEPS en renforçant les moyens de la lutte contre les phénomènes d'évitement de l'impôt par une mise en oeuvre effective et coordonnée des recommandations du « paquet » ;

- d'autre part, procéder à une analyse raisonnée des engagements auxquels la France souscrit.

Si l'instrument multilatéral constitue un gage de rapidité et d'efficacité dans la mise en oeuvre du « paquet BEPS » au sein du maillage conventionnel bilatéral, son caractère inédit et « à la carte » soulève plusieurs difficultés et risques.

Aussi votre rapporteur formule-t-il deux recommandations qui doivent accompagner la ratification de la convention par la France :

- une approche prudente doit prévaloir , en particulier s'agissant des choix initiaux de réserves et d'options ;

- une démarche de clarté et de garantie de la sécurité juridique doit guider l'administration dans la mise en oeuvre de l'instrument.

1. Une analyse prudente doit présider à la notification définitive des choix de la France, en particulier en matière d'établissements stables
a) Des dispositions ambitieuses en l'absence d'accord sur les conséquences de la modification du seuil de qualification d'un établissement stable

La flexibilité laissée aux États signataires par l'instrument multilatéral constitue ainsi un moyen de renforcer progressivement les dispositions des conventions fiscales . De surcroît, compte tenu de l'effet cliquet associé aux réserves 58 ( * ) , il importe de ne pas se lier trop vite les mains au regard des États partenaires.

Tel est essentiellement le cas des articles 12 à 15 de la convention relatifs aux établissements stables , retenus par la France et pour lesquels elle n'a pour l'instant émis aucune réserve.

Cette position , qui « peut être qualifiée d'offensive de la part de la France, dès lors qu'elle est l'un des seuls États à retenir l'ensemble des propositions de l'OCDE et à retenir les choix les plus contraignants lorsque des options sont proposées » 59 ( * ) , peut être interrogée à deux égards .

D'abord, peu de pays comparables à la France ont fait ce choix . Par conséquent, les modifications des conventions fiscales couvertes sur ce point se traduiront par une asymétrie : « l'administration fiscale française ne pourra pas utiliser la nouvelle définition de l'établissement stable dans des situations impliquant des sociétés étrangères résidentes de certains pays comme, par exemple, l'Irlande, le Royaume-Uni, le Luxembourg ou Singapour. A contrario , les sociétés françaises pourront faire l'objet d'une exposition accrue dans les pays ayant retenu la nouvelle définition d'établissement stable, comme par exemple l'Inde, l'Indonésie, le Mexique, le Nigéria ou la Russie » 60 ( * ) .

Ensuite, les conséquences de la modification du seuil de qualification d'un établissement stable à laquelle l'action 7 de BEPS procède ne font pas consensus et sont toujours l'objet de négociations. Interrogé par votre rapporteur, Pascal Saint-Amans a indiqué que des « lignes directrices » pourraient être publiées d'ici la fin de l'année 2018.

Or, en l'absence d'accord, l'incertitude demeure sur l'interprétation que les administrations fiscales seraient susceptibles de tirer de la qualification d'un nouvel établissement stable et, partant, sur la part de profit qui échappera à l'impôt national.

b) Privilégier une approche progressive et mesurée

Alors que la France n'a à ce stade formulé aucune réserve sur les articles 12 à 15 de la convention multilatérale, le Gouvernement doit privilégier une démarche certes volontariste mais aussi progressive et mesurée, compte tenu du contexte et des négociations encore en cours, notamment quant à la détermination des profits attribuables aux nouveaux établissements stables ainsi qualifiés.

De surcroît, les raisons ayant présidé à ce choix initial de la France ne sont, à ce stade, pas confirmées en pratique . Selon la direction de la législation fiscale, « en retenant ces quatre articles [articles 12 à 15], la France souhaite mettre un terme aux stratégies utilisées par des sociétés afin d'échapper à la taxation en France où elles réalisent, pourtant une partie de leur activité » 61 ( * ) . Or, comme indiqué précédemment, en l'état des signatures et des pré-notifications, la France n'est pas sûre de pouvoir appliquer en pratique ces dispositions pour qualifier de nouveaux établissements stables sur son territoire, au regard des conventions concernées.

Certains grands groupes français s'inquiètent en particulier des conséquences de l'article 14 sur le fractionnement des contrats par lots dans le cas des chantiers . La pratique consistant à fractionner les contrats en lots attribués à des sociétés du même groupe et portant chacun sur une durée inférieure au seuil de l'établissement stable correspondrait également à une réalité économique et juridique d'un chantier que ces dispositions n'appréhenderait pas.

Comme le rappelait notamment Édouard Marcus dans un récent colloque, un réexamen des positions pré-notifiées par la France à l'occasion du dépôt des instruments de ratification reste possible 62 ( * ) . Votre rapporteur invite le Gouvernement à la prudence lorsque les options et les réserves notifiées à l'OCDE seront confirmées.

2. Le Gouvernement doit garantir la sécurité juridique pour les acteurs économiques

Les modalités d'articulation de l'instrument multilatéral avec les conventions fiscales bilatérales sont susceptibles d'affecter la lisibilité des dispositions conventionnelles et, partant, leur bonne application .

Certes, la base de données développée par l'OCDE constitue un facteur de clarification, en mettant en évidence les stipulations des conventions fiscales couvertes effectivement affectées par l'instrument multilatéral.

De même, l'administration fiscale française « assurera la lisibilité des conventions fiscales bilatérales, une fois modifiées par la convention multilatérale, [...] par la mise en ligne sur un site officiel d'une fiche présentant, pour chaque convention fiscale bilatérale couverte, les modifications apportées par la convention multilatérale » 63 ( * ) .

Cette démarche devrait également être complétée par l'élaboration de versions consolidées des conventions fiscales bilatérales telles que résultant des modifications apportées par l'instrument multilatéral.

Cependant, ces différents outils répondent uniquement au besoin de lisibilité .

Comme indiqué précédemment, l'administration fiscale considère que les documents qu'elle publiera n'entreront pas dans le cadre de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales et ne pourront pas lui être opposées. La direction de la législation fiscale estime en effet que « la publication de [ces] versions [consolidées] sur le site impots.gouv.fr ne sera pas opposable à l'administration au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dès lors qu'elles ne commenteront pas les conventions bilatérales mais se limiteront à présenter les effets résultant de l'application de la convention multilatérale sur ces dernières. En cas de litige, le juge se référerait aux seuls textes ratifiés qui font foi sans être lié par le texte consolidé publié par l'administration fiscale » 64 ( * ) .

S'agissant de la doctrine fiscale, seules les instructions fiscales publiées pour chaque convention fiscale bilatérale revêtiraient un caractère opposable.

La démarche de consolidation n'apporterait alors qu'une réponse très faible au besoin de sécurité juridique indispensable pour les acteurs économiques. Elle n'aurait en effet aucune portée juridique ni vis-à-vis du partenaire bilatéral, ni vis-à-vis de l'administration fiscale française.

Surtout votre rapporteur s'interroge sur l'interprétation du caractère non opposable des conventions fiscales consolidées par l'administration elle-même, dont la portée serait alors inférieure à celle des instructions fiscales. En procédant à la consolidation tout en retenant cette interprétation, l'administration s'expose à un risque de contentieux.

3. Le Gouvernement doit assurer l'information effective du Parlement sur l'évolution des effets de la convention multilatérale

Par les réserves, options et dispositions facultatives qu'elle comporte, la convention multilatérale est qualifiée d'« instrument vivant » par Philippe Martin, dont la portée est encore difficile à estimer.

L'autorisation de ratification sollicitée au Parlement revient donc à accepter des modifications immédiates, mais aussi des évolutions ultérieures potentielles , au gré des conventions fiscales couvertes, ainsi que des notifications formulées par la France et par ses partenaires.

Cette spécificité est relevée par Philippe Martin, rappelant qu' « en matière fiscale, le Parlement autorise la ratification, tandis que la coutume constitutionnelle veut que l'exécutif décide des réserves. On peut se demander si cette coutume peut s'appliquer sans aménagement lorsqu'on a un tel volume d'options et de réserves, inhabituel en droit international public » 65 ( * ) .

Il importe donc a minima d'assurer l'information du Parlement sur l'évolution des effets de l'instrument multilatéral .

Selon l'étude d'impact, « le Parlement sera informé de l'entrée en vigueur de la convention multilatérale relativement à chaque convention couverte en fonction des ratifications par les partenaires conventionnels de la France et de l'éventuelle évolution des réserves, options et notifications. Cela pourrait par exemple prendre la forme de développements insérés dans un document existant annexé au projet de loi de finances annuel (document de politique transversal ou jaune budgétaire) ».

Selon les informations transmises par la direction de la législation fiscale, cette information devrait figurer dans le rapport annuel sur le réseau conventionnel de la France en matière d'échange de renseignements 66 ( * ) .

Or, cette annexe au projet de loi initial de l'année n'est actuellement plus publiée depuis le projet de loi de finances pour 2014.

Votre rapporteur invite donc le Gouvernement à s'engager sur la remise effective de ce rapport, une fois complété des éléments suivants qui permettraient de présenter les modalités d'application de la convention multilatérale et leur évolution, à savoir :

- l'état des réserves, options et notifications formulées par la France ;

- les conventions fiscales bilatérales couvertes ;

- les dispositions des conventions fiscales bilatérales effectivement modifiées en fonction des réserves, options et notifications formulées par les partenaires conventionnels de la France.

TRAVAUX EN COMMISSION

I. AUDITION DU 28 JUIN 2017

Réunie le mercredi 28 juin 2017, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, sur la convention multilatérale du 7 juin 2017 pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices.

Mme Michèle André , présidente . - Nous avons le plaisir de recevoir Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, qui est déjà venu s'exprimer devant notre commission au sujet des grandes évolutions de la fiscalité internationale, comme l'échange automatique d'informations et la lutte contre les paradis fiscaux.

Le 7 juin 2017, à Paris, 67 pays ont signé la nouvelle convention multilatérale de l'OCDE pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. Il s'agit d'une nouvelle étape de la mise en oeuvre du projet BEPS ( Base Erosion and Profit Shifting , érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices), et donc d'une avancée importante dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales internationales. Il était important que Pascal Saint-Amans vienne la présenter aussi vite que possible.

En effet, cet instrument multilatéral est un outil novateur, qui vise à corriger, en une seule fois, les failles des quelque 1 105 conventions fiscales bilatérales existantes entre les pays signataires, sans que chacune d'entre elles doive être renégociée, ce qui constituerait un chantier fastidieux et incertain, susceptible de durer des décennies.

Plus précisément, l'instrument multilatéral vise à traduire dans le droit positif les préconisations du plan BEPS dans quatre domaines : la lutte contre le « chalandage fiscal », ou « treaty shopping » ; l'encadrement des produits hybrides ; la définition de l'établissement stable ; l'amélioration des procédures de règlement des différends.

S'il faut d'emblée saluer l'ambition manifestée par l'OCDE et les pays signataires à travers cet accord, il faut aussi constater que de nombreuses questions se posent encore à ce stade, à commencer par la portée effective de cet instrument, qui laisse en réalité une marge de manoeuvre importante aux États - du moins pour ceux d'entre eux qui l'ont signé. Je cède donc la parole à Pascal Saint-Amans, qui nous présentera la genèse et le contexte de ce texte, son contenu précis et les grands enjeux des prochains mois.

M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE . - Avant d'entrer dans le détail de la convention multilatérale, qui sera soumise à la ratification du Parlement et dont vous aurez donc à connaître assez rapidement, je vous propose de la resituer dans son contexte, qui est celui du plan d'actions BEPS, dont j'ai eu l'occasion de vous présenter le contenu à plusieurs reprises au cours des trois dernières années.

Les choses ont commencé en 2012, lorsque le G20 a demandé à l'OCDE de modifier les règles de la fiscalité internationale pour réaligner la localisation des profits des entreprises avec celle de leurs activités - autrement dit, de mettre fin à ce que d'aucuns appellent les « paradis fiscaux ».

Sur les quinze « actions » adoptées dans le cadre du projet BEPS, trois étaient liées à la modification des conventions fiscales. Je rappelle que celles-ci sont des conventions bilatérales, inspirées d'un modèle de convention initialement développé par la Société des Nations en 1928. Ce modèle a été actualisé, de manière régulière, mais somme toute marginale, par l'OCDE et par l'ONU. Il n'a qu'une valeur de législation « molle », mais les États peuvent s'en inspirer lorsqu'ils négocient des instruments de droit contraignant.

Modifier le modèle de convention à la suite des travaux réalisés dans le cadre du projet BEPS posait une difficulté : les pays auraient dû renégocier une à une toutes leurs conventions fiscales bilatérales. Or la France est par exemple liée à ses partenaires par environ 120 conventions fiscales, et on dénombre au total plus de 3 500 conventions fiscales bilatérales dans le monde.

Aujourd'hui, les travaux BEPS ont été reconnus et endossés par 100 pays. Nous avons constitué un « cadre inclusif », au sein de l'OCDE, le « comité des affaires fiscales », qui regroupe 100 pays, sur un pied d'égalité, qu'ils soient ou non membres de l'Organisation. La dimension de l'OCDE en matière fiscale en sort totalement changée : 100 pays qui se mettent d'accord, c'est quelque 2 000 conventions bilatérales concernées... Un pays ne pouvant guère modifier plus de six à sept conventions par an, même en y consacrant de nombreux moyens, la France mettrait de vingt à trente ans à modifier l'ensemble de ses conventions ! Il est clair que, durant cet intervalle, toutes les lacunes que nous avons identifiées dans les conventions fiscales seraient utilisées à des fins de planification fiscale agressive.

Au travers de l'action 15 du plan BEPS, nous avions donc proposé d'explorer la possibilité de modifier les conventions fiscales bilatérales au moyen d'un instrument multilatéral devant être ratifié par les Parlements. Une étude de faisabilité a été réalisée à ce sujet et, en novembre 2015, lors de la présentation des conclusions du projet BEPS aux chefs d'État et de gouvernement du G20 à Antalya, nous avons conclu que cela était possible. Au cours de l'année 2016, nous avons donc réuni une conférence internationale, appelée « Groupe ad hoc », qui comprenait 102 pays et juridictions, afin de négocier cet instrument multilatéral.

En premier lieu, l'instrument multilatéral vise à modifier les conventions bilatérales de manière à mettre un terme à leurs lacunes qui facilitent l'évasion fiscale internationale. Tous les pays se sont engagés à appliquer un « standard minimum », fondé sur le principe que les conventions fiscales doivent être réparées pour mettre fin à leur utilisation abusive, le treaty shopping .

Par exemple, les investisseurs français qui veulent investir en Inde passent tous par l'île Maurice aujourd'hui, ce qui est contraire à l'esprit à des conventions, mais non à leur lettre. Ce phénomène est massif, puisque 27 % des investissements directs réalisés en Inde depuis l'ensemble du monde transitent aujourd'hui par l'île Maurice. De fait, la convention fiscale entre l'Inde et l'île Maurice, conçue à l'époque où le pays n'était pas encore devenu un centre financier et dont l'économie se limitait à la canne à sucre et au textile, prévoit qu'il n'y a pas de retenue à la source ni d'imposition en Inde sur les revenus passifs qui y sont réalisés par des étrangers. Ainsi, une entreprise constituée à l'île Maurice pour investir en Inde, une global business company (GBC), ne sera pas taxée sur ses revenus réalisés en Inde et « remontés » vers l'île Maurice. La convention fiscale entre l'île Maurice et la France, quant à elle, prévoit que ces mêmes revenus ne sont taxables qu'à l'île Maurice - où, comme par hasard, ceux-ci ne sont pas taxés. Il en résulte qu'une entreprise française désirant investir en Inde, au lieu d'investir directement, ce qui donnerait lieu à la fois à une retenue à la source en Inde et à une imposition en France (avec élimination de la double imposition par l'application d'un crédit d'impôt égal à l'impôt déjà payé en Inde), est incitée à passer par l'île Maurice, ce qui lui permet d'échapper à la fois à la retenue à la source indienne et à l'imposition en France. Ce montage aboutit donc à une situation de double non-imposition. Il faut dire que les principes conventions fiscales ont été conçus voilà à peu près un siècle, alors que l'inventivité des juristes n'était pas aussi puissante qu'aujourd'hui.

Il est assez facile de résoudre ce problème. Pour ce faire, deux options figurent dans l'instrument multilatéral. Premièrement, l'introduction d'une clause de « limitation des avantages » (LOB, limitation of benefits ) dans toutes les conventions fiscales, qui permet de n'accorder les avantages de celles-ci qu'à hauteur des intérêts détenus par les personnes qui contrôlent la chaîne de société en bout de chaîne - ainsi, l'Inde n'accorderait les bénéfices de sa convention fiscale qu'aux investisseurs effectivement établis à l'île Maurice, et non à ceux qui sont in fine établis en France. La seconde option et l'introduction d'une clause permettant d'écarter les montages à but principalement fiscal (COP, critère des objets principaux) - ainsi, le bénéfice de la convention fiscale entre l'Inde et l'île Maurice pourrait être refusé dès lors qu'il est démontré que le recours à une société mauricienne obéit à un but principalement fiscal, ce qui est relativement aisé.

Il ne s'agit que d'un exemple - je ne veux pas accabler l'île Maurice, qui d'ailleurs devrait signer l'instrument multilatéral vendredi prochain. Le phénomène est industriel. Ainsi, aux Pays-Bas, selon les chiffres officiels du gouvernement néerlandais, entre 8 000 et 12 000 avocats fiscalistes vivent exclusivement du treaty shopping ! Conséquence directe, les flux d'investissements directs étrangers (IDE), entrants comme sortants, atteignent trois fois le volume du PIB du pays : il s'agit bien d'un pays de « passage », caractéristique du treaty shopping .

Nous savions donc comment « réparer » les conventions fiscales. Encore fallait-il que tout le monde se mette d'accord, et que la convention soit signée par tous les pays massivement utilisés à des fins de treaty shopping . Or si le phénomène est important, le nombre de pays massivement utilités à cette fin est limité - l'île Maurice, les Seychelles, le Luxembourg, la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas, la Barbade, Singapour, et Hong Kong, des juridictions dont certaines comptent parmi les places financières d'envergure.

Cette stipulation relative à l'utilisation abusive des conventions fiscales est la plus fondamentale des stipulations de « substance fiscale » de la convention. Les autres dispositions de substance sont, par comparaison, de bien moindre importance.

La deuxième concerne la définition de l'« établissement stable » : à partir de quand une entreprise qui exerce des activités sur un autre territoire devient-elle taxable sur celui-ci, sans pour autant y être incorporée ? La définition de l'établissement stable, telle qu'elle existe dans le modèle de convention fiscale actuel, est dépassée, car elle permet des schémas agressifs, comme la transformation d'un « distributeur » (dont la marge est en général de 15 % à 20 %) en un simple « commissionnaire » (dont la marge peut être réduite à 2 % à 3 %), qui peut faire s'évaporer des milliards d'euros en une nuit, par un simple changement contractuel avec l'entreprise mère, souvent établie aux Pays-Bas. Toutes les administrations fiscales qui ont engagé des redressements sur ce fondement ont perdu devant les tribunaux, les conventions fiscales n'interdisant nullement la transformation d'un distributeur en commissionnaire. Nous avons proposé, dans le cadre du plan BEPS, de réparer les conventions pour mettre un terme à ce phénomène, ce qui sur le plan juridique n'était pas très compliqué.

S'agissant toujours de l'établissement stable, nous avons également prévu l'introduction dans les conventions fiscales d'une clause permettant de lutter contre le fractionnement abusif. De fait, dans un modèle économique comme celui d' Amazon , le stockage est séparé de la livraison, elle-même séparée du comptage... Or la réunion des trois activités ne permet pas pour autant d'aboutir à la qualification d'établissement stable sur le plan juridique. En réalité, pourtant, ce n'est pas parce que les activités sont fractionnées dans différents endroits ou de différentes manières qu'elles ne forment pas, ensemble, un établissement stable.

Troisièmement, nous avons introduit dans la convention multilatérale une stipulation relative à la neutralisation des produits dits « hybrides ». Tous les pays ne sont pas obligés d'utiliser cette stipulation, certains d'entre eux disposant d'un équivalent interne en vertu de leur ordre constitutionnel ou législatif. D'autres en avaient besoin. De manière schématique, un produit hybride est une obligation convertible en actions. Par exemple, si une entreprise française qui investit en Italie prête à sa filiale italienne un tel produit hybride, celui-ci sera regardé comme une obligation en Italie et une action en France : il pourra donc être déduit de l'impôt en Italie au titre des charges déductibles, alors même que son dividende sera exonéré en France, en application de la directive mère-fille. Dans le cadre de l'action 2 du projet BEPS, nous avons proposé une modification législative, qui a déjà été adoptée par la France, où le problème ne se pose plus. Dans certains pays, cette modification doit être validée par les conventions fiscales.

Enfin, et c'est une stipulation favorable aux entreprises, l'instrument multilatéral améliore les processus d'élimination des doubles impositions en cas de conflit entre deux États. Les États sont, de fait, particulièrement médiocres dans l'élimination des doubles impositions, les conventions fiscales n'ayant pas instauré de procédure très efficace en la matière, et ces procédures étant fort mal mises en oeuvre. Nous avons là encore réparé les conventions fiscales pour les rendre plus efficaces sur cet aspect, et nous organisons actuellement un « examen par les pairs » pour nous assurer que les pratiques des administrations fiscales évoluent. De fait, l'évolution est assez massive.

Voici en quelques mots ce que contiennent ces clauses qui visent à « réparer » les conventions fiscales. Mais comment faire, sur le plan juridique, pour qu'un instrument multilatéral puisse modifier les conventions fiscales bilatérales existantes ? Nous ne pouvions nous appuyer sur aucun précédent.

En 2016, le Groupe ad hoc a conçu le mécanisme multilatéral à même de modifier les conventions fiscales bilatérales. Si la lecture en est assez rébarbative, ce mécanisme n'est pas si complexe. Comme nous l'avions prévu, il a été adopté après un an de négociations, et la convention multilatérale, qui prévoit des clauses d' opt in et d' opt out , a été mise à la signature des parties en décembre 2016. Le 7 juin dernier, 67 États, couvrant 68 territoires, ont signé la convention - la différence tient à ce que la signature est ouverte aux seuls États, mais la Chine en a étendu le bénéfice à Hong Kong, avec l'accord de toutes les autres parties. Cette extension était très importante, puisque Hong Kong peut être utilisé à des fins de treaty shopping .

Le mécanisme juridique implique que chaque pays nomme les conventions fiscales qu'il entend voir modifiées par l'instrument multilatéral et qu'il décide, convention par convention, pays par pays, les stipulations qui doivent être activées. Par exemple, la France a désigné un nombre important de pays, soit 88 pays sur les 128 avec lesquels elle est liée par une convention bilatérale, sachant que 62 partenaires de la France sont également signataires de la convention multilatérale.

La France a une conception très large de la convention. Elle a émis assez peu de réserves, si ce n'est, pour une faible part, sur les dispositions relatives à l'établissement stable, et, en partie également, sur celles qui concernent les produits hybrides, dont notre pays n'a pas besoin puisqu'elles existent en droit interne.

Nous avons organisé, avant la signature de la convention, des rencontres rapides, de type speed dating , entre les différents pays, de manière que les États puissent étudier les stipulations qu'ils actionneront bilatéralement.

Une fois signé, l'instrument multilatéral doit être soumis à la ratification des parlements nationaux. Les pays devront alors arrêter la liste de leurs réserves. La liste établie lors de la signature n'est donc qu'indicative : elle peut être modifiée jusqu'à la ratification de l'accord. Cette précision est importante, car un certain nombre de pays partenaires de la France qui ont exposé des réserves, notamment sur la définition de l'établissement stable, sont susceptibles de les lever avant la ratification. Il est également possible, et même plus que vraisemblable, que la convention multilatérale soit signée par un certain nombre d'autres pays.

Nous sommes donc en présence d'un instrument vivant, dynamique, qui devrait modifier les conventions fiscales et, demain, protéger la France de l'utilisation abusive de leurs stipulations. En effet, plus le réseau de conventions d'un pays est large, plus celui-ci est exposé au risque que ses conventions fassent l'objet de treaty shopping .

La convention multilatérale est un instrument innovant, qui nous épargne vingt ans de négociations, beaucoup de ressources et d'énergie et de nombreuses ratifications. Elle intéresse en cela de nombreuses organisations internationales, qui souhaiteraient pouvoir modifier des conventions bilatérales en une fois. De fait, pourquoi renvoyer à des négociations bilatérales quand tout le monde se met d'accord sur un point ?

Tel est l'état des lieux. Nous nous tiendrons à votre disposition pour répondre à toutes vos questions et vous indiquer, pour chaque pays, les réserves qui ont été émises. D'ici à dix jours, nous aurons achevé le développement d'un système d'information qui permettra de vérifier très facilement quel est le droit applicable - c'est-à-dire quelles stipulations ont été activées de façon bilatérale via cet instrument multilatéral - entre la France et n'importe lequel de ses partenaires. Ce système permettra d'accroître considérablement la lisibilité de l'instrument.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Cet instrument multilatéral constitue une avancée considérable pour lutter contre les politiques d'optimisation fiscale. Le bureau de la commission des finances s'est rendu aux États-Unis en 2013 pour discuter de la loi FATCA, ou Foreign Account Tax Compliance Act . Nous mesurons aujourd'hui combien les choses ont évolué. Le travail de l'OCDE y est assurément pour beaucoup.

Il n'en demeure pas moins que l'intervention des États-Unis a sans nul doute eu un impact considérable pour les progrès de l'échange automatique d'informations. Avec la loi FATCA, ils ont su faire évoluer la position de la Suisse et de ses banques, et aujourd'hui, les établissements financiers du monde entier transmettent à l'Internal Revenue Service (IRS) les informations dont ils disposent - mais sur les seuls contribuables américains et non sur ceux des autres États, la loi FATCA ne reposant pas sur la réciprocité complète.

De même, les États-Unis n'ont pas signé l'accord de 2016 sur le reporting pays par pays. Aujourd'hui, à nouveau, les États-Unis ne semblent pas vouloir adopter cet instrument multilatéral. Dès lors, comment donner sa pleine portée à l'instrument multilatéral dès lors que la première puissance économique mondiale décide de rester à l'écart ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous donner quelques précisions sur les principales réserves émises par les différents États ? Avez-vous pu dégager des tendances, sinon une typologie ? Sont-elles purement techniques ou portent-elles sur le fond ? La France a également exprimé plusieurs réserves, sur lesquelles nous aimerions vous entendre.

Notre commission s'intéresse beaucoup à la question de l'optimisation fiscale des multinationales, notamment des géants de l'Internet. Cet instrument permettra d'éviter un certain nombre d'abus relatifs à la notion d'établissement stable, mais n'apporte pas une réponse parfaite au problème car il ne modifie pas la notion même d'établissement stable pour prendre en compte l'économie numérique. En France, un certain nombre de contrôles et de perquisitions fiscales ont été menés au sein de quelques grandes entreprises, notamment les GAFA - Google, Apple, Facebook, Amazon . Les contentieux témoignent de la difficulté rencontrée pour démontrer la présence d'un établissement stable, alors même que ces entreprises réalisent un chiffre d'affaires considérable dans notre pays. Certaines de ces entreprises refusent de répondre aux courriers de l'administration fiscale, estimant que leur siège ne se situe pas en France. Quelles avancées sur ces questions peut-on attendre de ce nouvel instrument ?

La Suisse a annoncé son intention de remettre en cause l'échange automatique de renseignements avec la France, et de ne pas appliquer non plus l'instrument multilatéral à la France. Comment expliquer ce choix, par ailleurs opéré par d'autres pays, tels que les Seychelles ?

Encore une fois, je tiens à saluer le travail de l'OCDE. Voilà seulement quelques années, nous n'aurions pas osé envisager l'échange automatique de renseignements en matière fiscale. Nous avons assisté à une vraie révolution, mais il faut prendre garde : l'imagination est toujours au pouvoir quand il s'agit d'échapper à l'imposition.

Mme Michèle André , présidente . - De nombreuses juridictions longtemps considérées comme opaques ou peu coopératives - Jersey, Guernesey, Malte, Maurice, les Seychelles... - ont signé ou annoncé leur intention de signer l'instrument multilatéral. Cela ne peut-il s'interpréter comme le signe de sa faiblesse ? Les réserves posées par certains États ne risquent-elles pas également d'affaiblir cet instrument ?

M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE . - Les États-Unis ne sont pas signataires de la convention multilatérale. Je souligne que cette décision a été prise par l'administration Obama, et n'a pas été remise en cause par l'administration Trump. Cela remet-il en cause la portée de cet accord ? Non, car les États-Unis, à la différence de la France, ont un réseau conventionnel robuste et par construction protégé du treaty shopping.

En effet, toutes leurs conventions fiscales bilatérales incluent des stipulations de limitation of benefits , ou limitation des avantages, permettant d'éviter les abus. Le fait que les États-Unis signent ou non cet instrument ne change rien à cet égard : ils n'ont pas besoin de le signer pour satisfaire aux standards minimum. Et en ne le signant pas, ils ne fragilisent pas les conventions fiscales des autres pays.

Par ailleurs, à la différence de la France, les États-Unis n'ont pas conclu de convention avec des juridictions très attractives n'ayant pas de fiscalité. La France a, quant à elle, conclu des conventions fiscales avec les pays du Golfe. Ces conventions fiscales ont été conclues pour de nombreuses raisons, mais certainement pas à des fins d'élimination des doubles impositions, puisqu'il ne peut y avoir de double imposition dans ce cas précis. Or le fait qu'un État dispose d'une convention fiscale avec un autre État qui ne taxe pas constitue en soi une incitation à l'évasion fiscale. Il fallait donc « réparer » ce type de conventions, que les États-Unis ne connaissent pas.

Il est vrai, toutefois, que les États-Unis auraient pu jouer un rôle utile dans la modification de la définition de l'établissement stable, notamment pour lutter contre les montages caractéristiques des entreprises de l'économie numérique, qui peuvent être très présentes dans un État au plan commercial, sans réelle présence physique. Néanmoins, dans les schémas les plus connus, la question de la définition de l'établissement stable ne se pose pas entre la France et les États-Unis, mais plutôt entre la France et un autre État européen qui vient s'interposer. Or ces autres États européens sont signataires de la convention - même si, s'agissant spécifiquement de la définition d'établissement stable, les réserves exprimées sont variables.

Sur ce point, la France a retenu les trois modifications proposées, c'est-à-dire à peu près l'ensemble de la nouvelle définition de l'établissement stable. Il s'agit d'une attitude très positive dont on ne peut que se féliciter. Tel n'est pas le cas de tout le monde : la convention fiscale entre la France et l'Irlande, par exemple, ne sera pas modifiée en ce qui concerne la définition de l'établissement stable, ce qui constitue une faiblesse pour lutter contre les comportements fiscaux agressifs, notamment ceux de certaines entreprises numériques. La faiblesse ne porte donc pas tant sur l'absence des États-Unis que sur le refus de certains pays européens de modifier leur définition de l'établissement stable.

S'agissant des réserves, la France applique la définition de l'établissement stable telle qu'elle résulte de l'action 7 du plan d'action. Elle applique également le standard minimum en matière d'abus des conventions fiscales et va même au-delà sur certains aspects.

Sa législation interne étant suffisamment protectrice, la France n'applique aucune des clauses relatives aux produits hybrides.

La France applique le standard minimum pour améliorer les procédures amiables, et permet notamment au contribuable d'engager une telle procédure dans n'importe lequel des deux États en cause. Auparavant, il ne pouvait s'agir que de l'État où le redressement avait eu lieu.

La France, enfin, a opté pour une clause d'arbitrage lorsqu'une procédure amiable ne se conclut pas dans un délai raisonnable de deux ans. Elle a émis quatre réserves sur ce dernier point, notamment en cas d'absence de double imposition, ou lorsque des procédures criminelles sont en cours.

La France a donc une approche très positive et très constructive de la convention, ce qui est d'autant plus nécessaire qu'elle dispose d'un très large réseau conventionnel.

La Suisse présente des spécificités liées à son système de démocratie directe. Il n'est pas seulement question de réticence à lutter contre la fraude ou l'évasion fiscales internationales. Son interprétation de cette convention multilatérale l'oblige à ne signer qu'avec les partenaires ayant donné leur accord, avant ratification, à l'élaboration d'un texte consolidé.

Nous pensons que les outils pratiques que nous avons développés, et qui seront bientôt disponibles, rendent inutile l'élaboration de textes consolidés pour assurer la lisibilité - qui est une exigence constitutionnelle - de ces conventions. Il faudra lire les conventions fiscales bilatérales à la lumière de l'instrument multilatéral. La Suisse a préféré exiger, pour assurer cette lisibilité, une convention consolidée avec chacun des partenaires. Certains ont répondu négativement. Les Suisses ont pris l'engagement de modifier toutes leurs conventions pour se mettre en accord avec le standard minimum. Ils en sont environ à une vingtaine de conventions modifiées, ce qui n'est pas si mal.

La signature de cet instrument par des paradis fiscaux est une excellente nouvelle. Il ne s'agit aucunement d'une faiblesse. Cet instrument vise à lutter contre l'évasion fiscale. Il est donc impératif de réunit tous les territoires, notamment ceux pouvant favoriser l'évasion fiscale, dès lors qu'ils ont signé des conventions fiscales.

En général, les pays sans fiscalité n'ont pas de convention fiscale, sauf avec la France ou avec un nombre très restreint de pays. Il suffit de la présence d'un seul pour courir des risques de treaty shopping . Il est impératif que Maurice nous rejoigne très vite, de même que la Barbade, Jersey ou les Émirats arabes unis. Une vingtaine de pays se sont ainsi engagés à signer cette convention, notamment tous les treaty shopping hubs .

Sachez enfin que les ministres des finances du G20, réunis à Baden-Baden en mars 2017, ont mandaté l'OCDE pour produire un nouveau rapport sur manière de taxer l'économie numérique, ce que les chefs d'État et de gouvernement devraient confirmer à Hambourg en juillet 2017. D'ailleurs, ce n'est sans doute pas à travers la définition de l'établissement stable que nous parviendrons à la solution la plus efficace. Le rapport sera remis en avril 2018.

M. Richard Yung . - Quand on voit les difficultés rencontrées pour faire avancer le moindre dossier au niveau international - cela fait quarante ans que l'on travaille sur la mise en place du brevet unitaire européen, par exemple -, on ne peut qu'être admiratif devant les progrès réalisés par l'OCDE en matière de fiscalité.

À la manière des cosaques de Napoléon, vous avez traversé les grandes plaines pour aboutir d'abord à la première convention multilatérale, sur l'assistance administrative mutuelle, puis à ce nouvel instrument particulièrement intelligent et simple, du moins au premier abord.

Toutefois, un certain nombre de mécanismes d'évasion fiscale vont perdurer, au-delà de la seule question des GAFA. L'Union européenne n'arrive pas à sortir du marasme sur ces dossiers. Vous avez cité l'Irlande, mais il est d'autres pays qui refusent d'appliquer les règles qui permettraient d'avancer.

Vous n'avez pas évoqué la question des prix de transfert. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ? Préparez-vous d'autres projets de convention ? Vous avez mentionné le numérique. Quid , par exemple, de la fiscalité de l'économie collaborative ?

Qu'en est-il de l'application de la convention multilatérale concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale ? Les États-Unis jouent-ils le jeu ?

M. Claude Raynal . - L'OCDE m'a toujours semblé une organisation internationale mystérieuse, très à l'aise pour présenter des statistiques, des visions générales ou des perspectives. C'est la première fois, me semble-t-il, que l'OCDE nous propose quelque chose d'opérationnel, et vous nous en donnez une excellente synthèse. Il en résulte un instrument très intéressant sur un sujet majeur. J'en conclus que l'ensemble des pays membres connaît les mêmes difficultés.

Vous avez dit que plus d'une centaine de pays ont participé à la réflexion et que 67 d'entre eux ont déjà signé cette convention. Qu'en est-il des autres pays ? Comment les choses vont-elles se poursuivre ? Un calendrier a-t-il été mis en place ?

La ratification peut être très, très longue dans certains pays. Ce processus est-il également encadré ? Quels sont les délais envisagés pour aboutir à un instrument réellement utilisable ?

Dans un récent article, le secrétaire général de l'OCDE évaluait à près de 250 milliards de dollars les pertes liées à l'évasion fiscale internationale. Pouvez-vous nous confirmer ce chiffre ? Quelle part la France représente-t-elle ?

Le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales a commencé à produire des résultats, notamment en France. Pouvez-nous dire quelques mots de ce Forum ? Est-il toujours question d'y rassembler 130 pays ? Cette question concerne davantage la fiscalité des individus que celle des entreprises, mais il s'agit, au fond, du second volet d'une même politique.

La lutte contre la montée des inégalités dans le monde réunit l'ensemble des sujets que nous avons évoqués : chaque fois qu'on triche, on rend les riches encore plus riches, et les pauvres encore plus pauvres. À cet égard, l'OCDE a posé une question pertinente, celle de la croissance inclusive. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce sujet différent ?

M. Bernard Lalande . - Votre exposé nous permet de bénéficier d'une information extrêmement claire. Cet instrument dynamique va-t-il nous protéger des petits génies qui créent leurs produits fiscaux en fonction non pas de l'endroit où le produit sera créé, mais de la rentabilité fiscale liée à sa propre évasion ? S'agit-il d'un instrument préventif ? Si oui, cette convention multilatérale prévoit-elle des sanctions ?

M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE . - Pourquoi les choses sont-elles allées aussi vite ? Claude Raynal a raison de dire que pendant très longtemps, l'OCDE n'était pas connue pour sa vitesse d'exécution. Il lui fallait en moyenne cinq ans pour changer trois virgules et deux points dans une convention fiscale, ce qui n'était guère satisfaisant. Ce n'est pas Roger Karoutchi, ancien ambassadeur de France auprès de cette institution, qui me contredira.

La crise financière de 2007-2008, qui s'est traduite en crise budgétaire et fiscale, puis sociale et enfin politique, a permis de mettre en oeuvre une nouvelle dynamique. Les États, forcés de lever des fonds pour sauver les banques, ne pouvaient plus tolérer qu'elles accueillent certains contribuables dans des paradis fiscaux et facilitent la fraude.

Quelle que soit la couleur politique des ministres des finances concernés, tous ont refusé de mettre sur la table des milliers de milliards d'euros pour sauver des banques qui continueraient d'aider des contribuables à ne pas payer les impôts sur lesquels seraient assis les emprunts en question.

Une fois cette dynamique à l'oeuvre, une seconde est venue s'y greffer : la fiscalité sur les personnes physiques - impôt sur le revenu et TVA - ayant globalement augmenté au sein des pays de l'OCDE, il n'était plus politiquement possible de laisser les multinationales payer peu, voire pas d'impôts, en raison d'obscures règles de fiscalité internationale remontant à près d'un siècle.

C'est donc une sorte d'alignement des astres qui a rendu les choses possibles : la crise, l'émergence du G20 en tant que nouvelle gouvernance mondiale - cette organisation, qui représente 85 % de l'économie mondiale, a un poids réel - et enfin la modeste contribution de l'OCDE en tant que telle, à travers son expertise technique et sa force de proposition.

La lutte contre l'évasion fiscale des multinationales va bien au-delà des modifications des conventions fiscales. C'est la raison d'être du plan BEPS - Base Erosion and Profit Shifting - demandé par les ministres des finances du G20, à l'automne 2012.

Nous avions réussi à l'inscrire dans le communiqué des chefs d'État et de gouvernement de Los Cabos, en juin 2012. Tout juste nommé directeur, j'ai introduit le plan BEPS, qui n'était encore qu'une idée que je souhaitais développer dans les années à venir, dans les paragraphes fiscaux du G20. À l'automne, le chancelier de l'Échiquier britannique, George Osborne, se trouvant confronté à des manifestations hostiles à l'entreprise Starbucks , a appelé ses homologues Wolfgang Schaüble et Pierre Moscovici pour leur proposer d'aller plus vite, et de mandater l'OCDE pour produire un rapport, que nous avons remis en février 2013.

Nous y avons souligné que l'évasion fiscale internationale des entreprises était devenue massive et qu'il s'agissait quasiment, pour certaines d'entre elles, d'un modèle d'affaires. Nous avions identifié 250 schémas fiscaux en une dizaine d'années. Mais si l'on ferme un schéma, un autre ouvre le lendemain. Il fallait s'attaquer aux racines du problème, à savoir l'absence de règles fiscales internationales dans de nombreux domaines.

Les États ont toujours été extrêmement réticents à se lier et à limiter leur souveraineté par des accords internationaux. La globalisation s'est faite de manière non régulée en matière fiscale. Il nous fallait donc développer des outils permettant d'éviter que les États ne mettent en place des pratiques fiscales dommageables. À cet égard, j'attire votre attention sur l'article 39 terdecies du code général des impôts - le régime favorable des plus-values de long terme -, qui constitue une pratique fiscale dommageable sur les brevets identifiée par l'OCDE. J'espère que vous serez invités très prochainement à le modifier.

L'opacité est un autre aspect de ces pratiques dommageables. Je pense, par exemple, au Luxembourg, connu pour ses rulings secrets.

Nous avons aussi décidé de mettre fin aux produits hybrides. J'ai déjà évoqué le schéma des obligations convertibles en actions : l'Italie considérait qu'il s'agissait d'un intérêt, et à ce titre déductible ; la France qu'il s'agissait d'un dividende, et à ce titre exonéré. Le problème, c'est qu'il n'y avait qu'un gagnant : celui qui se prêtait à lui-même pour profiter d'un crédit d'impôt.

Nous avons donc demandé aux États de regarder ce qui se passe de l'autre côté de la frontière, et d'arrêter de se retrancher derrière leur souveraineté en leur proposant un modèle de législation commune.

Nous avons ensuite voulu démontrer que les règles existantes, notamment les conventions fiscales et les prix de transfert, ne correspondaient plus à un monde devenu multilatéral et globalisé. Ces instruments, purement bilatéraux, ne fonctionnaient plus. Nous les avons « réparés ».

Nous avons à cette fin préconisé trois mesures sur les prix de transfert, en modifiant un autre instrument d'ores et déjà appliqué par les États : les Principes applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales .

Un autre volet du plan d'action était relatif à la transparence des entreprises, qu'il est impératif d'accroître. À cette fin, nous avons instauré un reporting pays par pays qui devra être remis aux administrations fiscales. Ces dernières auront ainsi la même vision d'ensemble que les directeurs fiscaux des entreprises multinationales.

Enfin, quatre actions du plan BEPS étaient relatives aux conventions bilatérales. La convention multilatérale, elle-même préconisée à l'action 15, doit permettre de les rendre immédiatement applicables.

Les processus de ratification peuvent effectivement être très longs. Parfois, ils atteignent quatre ou cinq ans - la France ne fait d'ailleurs pas partie des pays les plus diligents à cet égard.

À cet égard, nous avons mis en oeuvre un système d'examen par les pairs, du moins pour ce qui concerne le « standard minimum » dont le but est de lutter contre l'abus des conventions fiscales. Au total, 100 pays ont pris l'engagement d'appliquer ce standard minimum.

L'examen par les pairs sera mis en oeuvre à la fin de l'année 2017 : nous allons ainsi nous assurer que toutes les parties agiront bien, et ce dans les délais prévus. Il concernera notamment la Suisse, qui a été précédemment évoquée. Le cas échéant, une dénonciation sera formulée. En la matière, une véritable dynamique politique est à l'oeuvre. L'OCDE remettra des rapports publics au G20, dont l'influence politique nous permettra certainement d'avancer.

Le montant global en jeu est de 250 milliards de dollars, et encore cette estimation est-elle particulièrement prudente. Cela étant, pour l'heure, nous ne sommes pas en mesure de décliner les sommes pays par pays. Quoi qu'il en soit, les pays en voie de développement sont les grands perdants du treaty shopping : ils perdent totalement leurs droits de retenue à la source, qui sont généralement plus élevés que ceux des pays développés, ce qui leur coûte des milliards de dollars.

De nombreux professionnels du droit fiscal ne vivent que de ces secteurs, en particulier à l'île Maurice. En conséquence, ils sont extrêmement inquiets : ce pays n'a pas de modèle économique à substituer à l'existant, et elle voit donc se profiler de grandes difficultés économiques. L'OCDE travaille actuellement sur cette question en lien avec l'île Maurice.

Bien sûr, l'évasion fiscale persistera à l'avenir, mais elle deviendra de plus en plus marginale. Hier, elle était encore massive, tolérée et facilitée par l'inaction des États : elle constituait même le modèle d'affaires. Nous avons bel et bien changé de paradigme. Du fait de la publicité dont bénéficie le projet BEPS, la question de la fiscalité a atteint les conseils d'administration, où siègent désormais les directeurs fiscaux. Les dirigeants des sociétés en sont soucieux, car c'est la réputation de leur entreprise qui est en jeu. L'environnement et les instruments juridiques ont changé. La globalisation a été régulée.

Le projet BEPS présente des aspects de transparence, qu'il s'agisse du reporting pays par pays ou de la publicité des rulings . Néanmoins, le véritable enjeu en matière de transparence reste l'échange d'informations, c'est-à-dire le fait que les pays à secret bancaire échangent leurs informations avec les États tiers souhaitant taxer leurs contribuables.

Dans ce domaine, les changements sont considérables. En 2008, on dénombrait en tout et pour tout 42 conventions bilatérales d'échange de renseignements entre un pays à secret bancaire et un pays sans secret bancaire. Désormais, on en compte 7 000, grâce à une convention multilatérale étendue à l'initiative de l'OCDE. Cette convention est désormais signée par 111 pays ; 21 autres États sont en voie d'accession. On atteindra demain les 8 000 relations bilatérales. Le monde entier sera pour ainsi dire couvert, et l'échange de renseignements à la demande sera généralisé.

Il s'agit là d'un changement fondamental. Encore faut-il maintenant que les administrations fiscales nationales « requises » puissent avoir connaissance des informations demandées, ce qui souvent n'était pas possible, par exemple pour les comptes au porteur ou pour les sociétés offshore .

Le prochain défi est donc l'échange automatique d'informations. Le Forum mondial de l'OCDE, qui réunit aujourd'hui 142 pays, procède à un examen par les pairs également sur la mise en oeuvre de l'échange automatique. Il achève aujourd'hui même la première phase d'examen : sur les quinze pays évalués, tous ont été jugés « largement conformes », un seul étant jugé « partiellement conforme » et un seul étant jugé « non-conforme » - il s'agit de Trinidad et Tobago, qui n'est pas un centre mondial de l'évasion fiscale, mais un pays qui rencontre de grandes difficultés pratiques à se mettre en conformité, et auquel l'OCDE prête assistance. D'une manière générale, l'effort entrepris a porté ses fruits, et surtout, la dynamique est engagée.

Au cours des quinze derniers mois, et à la suite du scandale des Panama Papers , les États qui restaient quelque peu à la traîne ont été rappelés à la rigueur. Ils ont changé du tout au tout, par crainte de figurer sur la liste que l'OCDE a demandé au G20 et qui sera publiée en juillet 2017. Le Panama, les Bahamas et les Émirats Arabes Unis ont signé ou vont signer la convention multilatérale. Le Panama l'a même déjà ratifiée. Ce pays a été jusqu'à constituer une autorité compétente, dont il a demandé à l'OCDE de former le personnel. La dynamique est indéniable.

L'échange automatique de renseignements entera en vigueur dans 50 pays le 30 septembre 2017, et dans 50 autres pays le 30 septembre 2018. Cette seconde phase regroupera essentiellement des États qui, par le passé, pratiquaient le secret bancaire. Il s'agit ni plus ni moins que de la multilatéralisation de l'accord FATCA. En 2018, nous verrons si la législation a été adaptée dans tous les pays concernés pour assurer l'échange automatique d'informations.

Un seul pays refuse encore ces échanges automatiques : les États-Unis. Toutefois, ces derniers ne sont pas le paradis fiscal que certains se plaisent à décrire. Le problème de Delaware a notamment été réglé en 2016, ce que n'a pas remis en cause la nouvelle administration.

Tous ces changements imposent des révisions législatives majeures et de grandes évolutions dans les pratiques des banques et des administrations. Sur le plan matériel, il faut construire des milliers de « tuyaux » informatiques entre les États, en respectant tous les impératifs de sécurité des données. Or un seul « tuyau » informatique coûte plusieurs millions d'euros. Voilà pourquoi la centaine de pays concernés se sont tournés vers l'OCDE, afin que nous négociions, avec un prestataire de services, la construction d'un canal mutualisé utilisé par tous, sans pour autant qu'il y ait une centralisation de l'information, qui demeure par définition bilatérale. Nous sommes là face à un enjeu majeur de confidentialité et de sécurisation informatique. Il est impératif d'assurer un cryptage efficace.

Nous en sommes actuellement à la phase de test : nous avons recruté des hackers qui tentent de mettre en défaut le système avant son entrée en application en septembre prochain. Ce dispositif est ainsi développé à un coût extrêmement limité.

Enfin, je rappelle que l'OCDE exerce nombre d'autres compétences. Elle conçoit ainsi des instruments de lutte contre la corruption. Elle élabore également l'étude PISA, le programme international pour le suivi des acquis des élèves, qui est bien connu.

Mme Michèle André , présidente . - Les îles Vierges ont-elles rejoint l'accord multilatéral ?

M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE . - Oui. Toutes les juridictions susceptibles de poser des problèmes de transparence sont incluses, notamment Grenade et la Dominique. Si vous constatez qu'un pays n'y figure pas, dites-le-nous, et il y entrera. Un mécanisme est prévu à cet effet. Même Niue, petite île de 1 600 habitants au milieu du Pacifique, a signé la convention multilatérale sur l'échange de renseignements.

M. Éric Doligé . - Actuellement, la notion de résidence fiscale fait l'objet d'importants débats. À l'heure actuelle, il ne semble pas possible de traiter cette question à l'aide de l'instrument multilatéral. Néanmoins, elle relève du modèle de l'OCDE. Or, par deux décisions du 9 novembre 2015, le Conseil d'État a jugé que la qualité de résident ne pouvait pas être reconnue à une personne qui n'était pas effectivement imposée dans l'autre État. Cette disposition permet à l'État de la source de recouvrer son droit d'imposer.

Ces deux décisions portent sur l'Allemagne et sur l'Espagne, mais elles peuvent emporter des conséquences pour l'ensemble des conventions signées par la France. Pourraient-elles conduire à remettre en cause le statut de résident non habituel accordé par le Portugal ? Je rappelle que ce statut offre aux retraités français du secteur privé dix années d'exonération d'impôts, à condition de résider six mois par an au Portugal.

De même, pour ce qui concerne les personnes morales, une entreprise française investissant dans un autre pays pourrait-elle se voir refuser la qualité de résident si elle bénéficie, dans cet autre pays, d'une exonération, par exemple au titre d'un investissement dans un secteur particulier, ou dans une zone géographique à redynamiser ? L'OCDE a-t-elle pris position sur ce sujet ? Quelle est la position des autres pays ? Le modèle ou ses commentaires pourraient-ils évoluer afin de préciser ces différentes questions ?

M. Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE . - Le statut de résident non habituel accordé par le Portugal à des personnes physiques relève de l'interprétation souveraine par la France, et plus spécifiquement de la compétence de la direction de la législation fiscale (DLF).

Néanmoins, à titre général, je rappelle que, traditionnellement, la France se distingue de l'interprétation commune quant à la résidence fiscale. Selon l'administration française, l'assujettissement effectif à l'impôt est une condition pour être résident. Sachez que cette position sera confirmée lors de l'actualisation du modèle de convention fiscale de l'OCDE. La réserve française sera exprimée encore plus clairement que par le passé.

En la matière, on évoque souvent le cas des fonds de pension ou des fonds d'investissement souverains, lesquels peuvent être exonérés dans leur État d'origine. La France peut-elle ou non conserver son droit de retenue à la source lorsque des intérêts, des dividendes ou des plus-values sont versés à un fonds non résident qui est exonéré dans son État de résidence ? La position de la France est la suivante, et ses partenaires la connaissent : cette exonération n'est admise que si elle fait l'objet d'une mention explicite dans la convention fiscale bilatérale - celle-ci devant le cas échéant faire l'objet d'une modification. À cet égard, les deux décisions du Conseil d'État ne font que confirmer la position de l'administration fiscale française, qui est connue de ses partenaires.

Je vois bien la difficulté que cette situation peut poser, dans le cas d'un pays étranger décidant d'exonérer les retraités français.

Il y a quelques années, c'est d'ailleurs un cas inverse qui s'est produit avec le Danemark. Les retraités danois qui venaient s'installer en France ne recevaient pas leur retraite sous la forme d'une pension, mais sous la forme d'un capital versé, résultant de l'apport constitué tout au long de leur vie active. La convention franco-danoise alors en vigueur prévoyait que les pensions n'étaient taxables que dans l'État de résidence, c'est-à-dire la France. Or elles n'y étaient pas taxées, le droit français ne permettant pas de qualifier de pension une retraite versée sous la forme d'un capital. Le Danemark a tenté de renégocier cette convention fiscale pendant plusieurs années ; la proposition faite par la France en 2008 ne lui ayant pas semblé satisfaisante, il l'a finalement dénoncée. À ce jour, il n'existe donc plus de convention franco-danoise. Cet exemple illustre combien les questions relatives aux pensionnés peuvent être sensibles.

Mme Michèle André , présidente . - Les nouvelles règles adoptées en la matière vont-elles simplifier ou compliquer la tâche des entreprises et de leurs conseils ? Comment l'instrument multilatéral va-t-il s'articuler avec la proposition, formulée le 21 juin dernier par la Commission européenne, d'obliger les intermédiaires à déclarer l'utilisation d'un montage fiscal potentiellement abusif et les États à s'échanger automatiquement ces informations ? Les « marqueurs » identifiés par la Commission européenne pour caractériser ces montages correspondent-ils à ceux du projet BEPS et de l'instrument multilatéral ?

Par ailleurs, avant d'approuver l'instrument multilatéral, les pays doivent analyser chacune de leurs conventions bilatérales pour déterminer dans quel sens elles seront modifiées. En France, cette tâche incombe à la direction de la législation fiscale. Mais tous les pays ne bénéficient pas des mêmes moyens administratifs. Certains États ont-ils recours à des prestataires privés, par exemple à des cabinets internationaux ? L'OCDE peut-elle apporter son aide à ces pays, qu'ils comptent ou non parmi ses membres ?

M. Pascal Saint-Amans . - Les entreprises affirment que, pour ce qui concerne l'abus des conventions fiscales, cette convention est un casse-tête. La stipulation, à but principalement fiscal, laisserait une marge d'interprétation à l'administration, ce qui ouvrirait une situation d'insécurité juridique.

Nous avons bien conscience de cette difficulté. Notre réponse est la suivante. Premièrement, lors de l'examen par les pairs, un mécanisme de suivi sera mis en oeuvre, qui permettra notamment d'assurer que l'application de la clause à but principalement fiscal ne donne pas lieu à des abus de la part de l'administration. Deuxièmement, il faut rappeler que la sécurité juridique absolue conduit à la planification fiscale absolue. Le dispositif élaboré semble donc raisonnable. Il impose simplement de responsabiliser quelque peu les entreprises de conseil fiscal.

De plus, mieux vaut un environnement juridique où toutes les conventions fiscales suivent les mêmes règles : c'est au fond beaucoup plus sécurisant qu'une multitude de conventions bilatérales changeant sans cesse. La convention multilatérale permettra de sortir du chaos juridique.

La Commission européenne a proposé le 21 juin une directive relative aux déclarations de montages financiers. Cela correspond précisément à l'action 12 du plan BEPS, qui prévoit que les intermédiaires fiscaux doivent déclarer aux autorités fiscales les schémas qu'ils utilisent, lorsqu'ils sont susceptibles de faire perdre beaucoup d'argent aux États. Nous sommes donc bien sûr très favorables à la proposition de la Commission européenne. D'ailleurs, nous travaillons dès à présent avec la présidence bulgare, qui succèdera à la présidence estonienne qui va débuter, pour que ce dossier avance le plus vite possible.

Dans l'ensemble, l'Union européenne a plutôt bien traduit les dispositions élaborées dans le cadre du programme BEPS.

Par la déclaration adoptée à Bari en mai dernier, le G7 a annoncé qu'il allait travailler avec l'OCDE sur diverses déclarations de montage, y compris les montages destinés à détourner l'échange automatique de renseignements.

Enfin, vous avez raison de souligner que les moyens d'analyse exigent beaucoup de ressources, même si je précise qu'ils permettront, à terme, d'en économiser. Au cours des six derniers mois, notre équipe a travaillé de très près avec les pays en voie de développement et les petits États dont l'administration fiscale reste peu développée. Une vingtaine de pays sont en retard, principalement en Afrique. Nous les assistons, en lien avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

Mme Michèle André , présidente . - Je saisis l'occasion de cette audition pour saluer l'action dynamique du secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurría. Pour avoir pu travailler à plusieurs reprises au sein de l'OCDE, je peux affirmer qu'il sait créer une dynamique propice aux ambitions et aux projets. Ce cadre de travail est très précieux.

Enfin, je tiens à vous dire combien la commission des finances a été satisfaite des nombreuses communications que vous êtes venu faire devant elle depuis plusieurs années. Au nom de tous mes collègues, je vous adresse tous nos remerciements.

II. AUDITION DU 21 MARS 2018

Réunie le mercredi 21 mars 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a entendu M. Grégory Abate, sous-directeur de la fiscalité directe des entreprises à la Direction de la législation fiscale, M. Bernard Bacci, directeur fiscal du groupe Vivendi, Mme Béatrice Deshayes, directrice fiscale du groupe LVMH, M. Daniel Gutmann, avocat associé du cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats et Mme Stéphanie Robert, directeur de l'Association française des entreprises privées (Afep), sur « Adapter les règles de l'impôt sur les sociétés au nouveau contexte international et européen ».

M. Vincent Éblé , président . - En décembre dernier, le Parlement a adopté, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2018, une nouvelle trajectoire de diminution du taux normal de l'impôt sur les sociétés, qui sera réduit à 25 % à partir de 2022.

Cette mesure de convergence du taux de l'impôt sur les sociétés avec la moyenne européenne intervenait quelques semaines après l'adoption par l'Assemblée nationale de deux contributions exceptionnelles d'impôt sur les sociétés visant à compenser le coût de la censure par le Conseil constitutionnel de la taxe à 3 % sur les dividendes distribués.

Ces deux décisions montrent bien que notre législation en termes d'impôt sur les sociétés est de plus en plus soumise à un cadre international et européen, avec des enjeux importants pour notre compétitivité mais aussi pour nos finances publiques.

Au-delà de la fixation du taux de l'impôt sur les sociétés, des questions centrales se posent s'agissant des règles d'assiette. Les recommandations issues du projet BEPS ( base erosion and profit shifting ) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) vont probablement nous conduire à une adaptation de notre régime national d'imposition. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) influence fortement certaines dispositions nationales, en particulier s'agissant du régime d'intégration fiscale. Enfin, comme vous le savez, à moyen terme, une proposition d'assiette commune voire consolidée d'impôt sur les sociétés (Accis) est en cours de discussion.

Le Gouvernement a ouvert une consultation en janvier dernier en vue d'une réforme de l'impôt sur les sociétés qui pourrait être proposée dès le prochain projet de loi de finances.

C'est pourquoi nous avons souhaité anticiper sur ces propositions d'évolution de l'impôt sur les sociétés et enrichir nos réflexions en réunissant les différents acteurs. Nous avons le plaisir de recevoir Grégory Abate, sous-directeur de la fiscalité directe des entreprises à la direction de la législation fiscale, Bernard Bacci, directeur fiscal du groupe Vivendi, Béatrice Deshayes, directrice fiscale du groupe LVMH, Daniel Gutmann, avocat associé du cabinet CMS Francis Lefebvre et Stéphanie Robert, directeur de l'Association française des entreprises privées (AFEP). Cette réunion est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.

Pour commencer, je donne la parole au représentant de la direction de la législation fiscale, Grégory Abate, qui va préciser le champ de la consultation ouverte par le Gouvernement et les principales évolutions envisagées de l'impôt sur les sociétés.

M. Grégory Abate, sous-directeur de la fiscalité directe des entreprises à la direction de la législation fiscale . - La réforme de l'impôt sur les sociétés s'inscrit dans un mouvement amorcé par la baisse programmée du taux de droit commun à 25 % en 2022. Elle entrera en vigueur en 2019 ou après.

Pour sécuriser nos règles d'assiette, nous travaillons à réformer l'intégration fiscale, l'imposition des revenus afférents aux actifs de propriété industrielle et le régime de déductibilité des charges financières après la directive sur la lutte contre l'évasion fiscale du 12 juillet 2016, dite « ATAD ». Pour accroître la convergence fiscale européenne, nous travaillons activement avec l'Allemagne.

La réforme de l'intégration fiscale doit nous prémunir contre les menaces que la jurisprudence de la CJUE fait peser sur certains de ses mécanismes. Je ne pense pas tant à la consolidation des pertes et des profits qu'à la neutralisation des opérations intragroupes, remise en question par le conseil des prélèvements obligatoires (CPO).

Sur le régime des brevets, l'action 5 du projet BEPS définit un cadre selon lequel les avantages fiscaux doivent être corrélés avec les dépenses de recherche engagées sur le territoire de l'État. Cela nous impose de réformer notre système, qui n'est pas conforme à cette logique. Sur les charges financières, il s'agit essentiellement de transposer la directive ATAD, avant la fin de l'année ou en tous cas avant 2024, délai dérogatoire prévu par la directive pour cette disposition.

M. Vincent Éblé , président . - Daniel Gutmann, avocat fiscaliste, va nous présenter les modifications de règles d'assiette de l'impôt sur les sociétés que la France devra mettre en oeuvre pour procéder à la transposition de la directive ATAD, mettre en conformité le régime d'intégration fiscale avec le droit européen et intégrer les recommandations de l'OCDE.

M. Daniel Gutmann, avocat associé du cabinet CMS Francis Lefebvre . - Je suis avocat, mais aussi professeur de droit. C'est à ce titre que j'ai contribué au rapport du conseil des prélèvements obligatoires sur l'évolution de l'impôt sur les sociétés.

Nous sommes dans un univers de plus en plus contraint car le droit de l'Union européenne en matière fiscale se développe rapidement, ce qui est une rupture historique, et car l'OCDE émet des normes juridiquement non contraignantes mais qui, en pratique, nous lient, comme en témoigne notre réforme actuelle du droit des brevets - même si cette réforme répond aussi à la position de la Commission européenne.

Pour le Parlement français, la question est double. Il s'agit de savoir quelles sont les marges de manoeuvre dont il dispose encore, et quelles marges de manoeuvre il souhaite conserver. Pour lutter contre l'optimisation fiscale, s'est récemment imposée l'idée qu'il ne sert à rien d'agir seul et que les États doivent prendre des mesures concertées. C'est ce qu'ils font, comme en témoigne l'actualité immédiate avec la présentation par la Commission européenne d'une proposition de directive sur la fiscalité des activités numériques.

Peut-on défendre seul la compétitivité de ses entreprises ? La fiscalité sert aussi à cela. L'Union européenne doit devenir un espace commun de compétitivité fiscale, car la concurrence fiscale intracommunautaire est nuisible. Actuellement, la France possède certains avantages systémiques qui contrebalancent une certaine lourdeur globale du dispositif de l'impôt sur les sociétés. Voulons-nous les conserver ? L'Accis annonce une unification européenne des règles d'encouragement de la recherche. Tant mieux ! Mais voudrons-nous supprimer notre crédit d'impôt recherche (CIR) ?

Ce que nous devons déjà faire, c'est transposer les règles contre l'évasion fiscale, par exemple sur la déduction des intérêts ou le transfert de siège et d'actifs. Cela dit, sans en avoir l'air, ces règles changent profondément la structure du système fiscal.

M. Vincent Éblé , président . - Béatrice Deshayes, directrice fiscale du groupe LVMH et Bernard Bacci, directeur fiscal du groupe Vivendi, quel est votre point de vue de professionnels sur les caractéristiques françaises actuelles de l'impôt sur les sociétés et sur les évolutions qui pourraient, selon vous, être envisagées ?

Mme Béatrice Deshayes, directrice fiscale du groupe LVMH . - LVMH est avant tout l'un des derniers grands exportateurs français. Le made in France est un actif majeur pour nous, et c'est une composante essentielle de la désirabilité de nos produits. LVMH se réjouit de la baisse tendancielle des taux d'impôt sur les sociétés, qui nous semble saine : au sein de l'Union européenne, ces taux sont passés d'une moyenne de 35 % en 1997 à 25 % aujourd'hui.

Le chiffre d'affaires de LVMH est de 42 milliards d'euros, dont 10 % sont réalisés en France. Notre premier marché est le marché américain, qui représente 25 % du total. L'Asie, elle, représente 28 %. En 2017, nous avons réalisé 40 % de nos profits en France et nous y avons payé 52 % de nos impôts - chiffre un peu accru par les contributions exceptionnelle et additionnelle. Les Chinois constituent 30 % de notre clientèle et nous réalisons 7 % de notre chiffre d'affaires en Chine, et 4 % de nos résultats ; nous y payons 4 % de nos impôts.

Chacun estime aujourd'hui qu'il faut taxer les profits là où la valeur est créée. Ce principe, affirmé par Emmanuel Macron à la Sorbonne, ou par Bruno Le Maire au G20, est séduisant. Encore faut-il savoir comment appréhender la création de valeur. Nous estimons que, chez LVMH, l'essentiel de la création de valeur est fait en France et en Italie, puisque c'est là que l'on trouve nos ateliers, nos créateurs et nos savoir-faire. Cela est reflété par la répartition de notre charge fiscale. Mais les Chinois nous expliquent que les clients contribuent aussi à cette création de valeur, et aimeraient que cela se reflète dans les impôts que nous leur versons. La Chine représente notre troisième plus grand nombre d'employés, car nous y avons de nombreuses boutiques - même si 70 % de nos clients Chinois n'achètent pas en Chine ! La question est donc entière : où est créée la valeur ? Et elle n'a rien à voir avec la fraude fiscale. La France et l'Union européenne ont exacerbé les tensions nées de ces appréciations divergentes de la création de valeur en tentant d'attaquer le numérique.

Les conventions fiscales sont là pour éviter la double taxation. Avec la Chine, la convention n'est pas assortie d'une clause d'arbitrage. Et il n'y a pas de Cour où porter nos contentieux... Avec les déclarations d'activité pays par pays, ou country by country reporting (CBCR), l'administration chinoise aura bientôt sous les yeux nos chiffres, pays par pays, et verra que nous payons l'essentiel de nos impôts en France alors que l'essentiel de nos clients sont chinois.

M. Bernard Bacci, directeur fiscal du groupe Vivendi . - Vivendi est actif dans la télévision payante et gratuite ainsi que dans la musique et les jeux en ligne : à la frontière entre l'ancien et le nouveau monde !

Le numérique a conduit les États à s'interroger sur la taxation des GAFA, qui se sont structurés de manière à éviter l'impôt. Pour nous, ce sont parfois des concurrents, et leur exemple peut inciter à s'attaquer à toutes les grandes entreprises, ce qui serait une erreur. La question de la localisation de la création de valeur concerne moins les entreprises que les États. Le projet BEPS n'apporte aucune réponse pour taxer l'économie numérique, mais il impose des obligations à tous.

Le CBCR éclairera les administrations fiscales, mais les pays qui ne sont pas dans l'OCDE détournent massivement cette procédure. En effet, les travaux de l'OCDE sont effectués par des pays ayant un système fiscal stable et contrôlé par le juge. Et ils profitent directement à des pays aux administrations fiscales naissantes et au système judiciaire malveillant envers les entreprises étrangères, qui entrent en compétition pour récupérer autant d'impôts que leurs voisins. En principe, le CBCR n'a pas à être communiqué aux administrations locales mais uniquement à l'administration dont on dépend ; mais en cas de contrôle, il est difficile de refuser de le remettre sous peine de se voir accuser d'obstruction.

Les entreprises françaises sont légalistes, ce qui les rend parfois vulnérables. Les États sont en compétition au travers de leurs politiques de compétitivité ; à peine sortis du G20, chacun met en place ses propres mesures.

La liste des pays et des territoires non coopératifs est établie au niveau de l'Union européenne. La première version de cette liste recensait une centaine de pays, ce qui était pour le moins étrange, car cela signifiait que la moitié des juridictions était au ban de l'autre moitié. En décembre 2017, la liste a été réduite à 17 pays. En janvier 2018, n'y figurent plus que 9 pays, sans doute ceux qui n'ont pas d'amis parmi la communauté internationale. Qu'en conclure sinon que l'entreprise est prisonnière des conflits diplomatiques entre les États ? Lorsque le législateur ne prend pas la peine de s'interroger sur les enjeux profonds de telle ou telle disposition, il prend le risque d'alimenter un régime défavorable aux entreprises françaises et in fine à la France.

M. Vincent Éblé , président . - Merci d'avoir partagé votre point de vue nourri par votre expérience au sein d'une grande entreprise. Stéphanie Robert va désormais nous éclairer, de manière plus globale, sur les attentes des grandes entreprises françaises en matière d'évolution de l'impôt sur les sociétés.

Mme Stéphanie Robert, directeur de l'Association française des entreprises privées (AFEP) . - L'AFEP regroupe 120 grands groupes privés français, ancrés sur le territoire national et très internationalisés. En 2017, les 115 entreprises de l'association représentaient 13 % du PIB français et payaient 19 % des prélèvements obligatoires sur les entreprises, dont 25 % d'impôt sur la production, 16 % d'impôt sur les sociétés et 19 % d'impôt sur les salaires. Il est très important que la France puisse s'appuyer sur ces grands groupes qui non seulement font sa fierté à l'international, mais qui sont aussi source de richesse fiscale.

Mes collègues ont dressé l'inventaire des évolutions contradictoires qui affectent le monde. La réforme fiscale américaine est une bombe dans le paysage fiscal actuel. Déjà en vigueur, elle s'inscrit à rebours des lignes défendues par l'OCDE et des règles sur lesquelles s'appuient un certain nombre de pays émergents, en tirant l'imposition du produit vers les États où il est consommé. La France compte plus de 60 millions d'habitants. Elle peut difficilement rivaliser avec des pays comme le Brésil, l'Inde ou la Chine en matière de consommation. Ne nous y trompons pas. La réforme américaine est très favorable aux entreprises françaises qui bénéficieront d'effets fiscaux attractifs dès lors qu'elles investiront localement. Les investissements risquent de se déplacer aux États-Unis sous l'effet d'un appel d'air immédiat puissant, à savoir la déductibilité totale des investissements réalisés en 2018. Il faut absolument prendre la mesure de cette réforme américaine, stable dans le temps, bipartisane et pensée depuis longtemps. Encore une fois, elle ne pénalise en rien les entreprises européennes, mais leur offre un appel d'air pour localiser leur activité outre-Atlantique.

Certains pays cherchent à tirer parti de la base taxable défavorable à la France en termes de brevets. Depuis le démarrage du projet BEPS, la possibilité de redistribuer le droit d'imposer entre les États fait débat, car certains ont beaucoup à y perdre. Le produit de nos entreprises risque de se répartir différemment. Ce qui ne sera plus taxé au titre de la redevance du brevet sera taxé localement par la Chine, l'Inde ou le Brésil. Pourquoi ces États se sont-ils ralliés à l'OCDE plutôt qu'à l'Organisation des Nations Unies, sinon parce que l'OCDE leur ouvre la possibilité d'une taxation de la consommation ?

La France doit faire entendre sa voix dans cette cacophonie. Les perspectives d'évolution du régime de groupe, du régime des charges financières et des redevances de brevet sont intéressantes. Il faudrait en mesurer les conséquences. L'audition que vous avez organisée est particulièrement bienvenue, car vous avez parfaitement saisi les enjeux de demain en définissant son sujet. La baisse du taux de l'impôt sur les sociétés à 25 % en 2022 arrivera trop tard, dès lors que les États-Unis viennent de passer de 35 % à 21 % entre 2017 et 2018. Il nous faut développer une vision commune des évolutions en cours et savoir ce que nous souhaitons taxer : voulons-nous continuer à attirer de la valeur et taxer les incorporels parce qu'ils sont rémunérés et détenus en France ?

Il faut continuer à renforcer la concertation avec les entreprises. La directive anti-évasion ATAD est difficile à mettre en oeuvre : règle de base, clause de sauvegarde, etc. Ces dispositions sont extrêmement compliquées. L'Union européenne fixe la règle. Le législateur national doit la clarifier, la rendre intelligible et intelligente.

Enfin, il convient de définir rapidement l'agenda et le contenu des réformes à mener. La propriété intellectuelle est un sujet majeur, car les États-Unis sont en train de mettre en place un système aspirant. Nous devons clarifier notre dispositif et nous donner la latitude de choisir parmi les grandes lignes tracées par l'OCDE, celles qui sont bonnes pour la France.

M. Vincent Éblé , président . - Merci pour ce propos qui ne se limite pas à défendre les intérêts des contributeurs économiques privés. Vous nous avez rappelé les deux termes de la problématique fiscale que doit tenir le législateur : être raisonnable dans la contribution prélevée et couvrir les charges de l'action publique.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La réforme fiscale américaine aura probablement des conséquences sur les recettes fiscales en Europe...

Nous avons récemment vécu l'épisode douloureux de la compensation de la taxe à 3 % sur les montants distribués par une surtaxe mal calibrée. Considérez-vous que d'autres régimes d'imposition spécifiques à la France risquent d'être remis en question pour leur non-conformité au droit de l'Union européenne et notamment au principe de la liberté d'établissement ?

La commission des finances s'est beaucoup interrogée sur la taxation de l'économie numérique, notamment au sujet de la taxe sur le chiffre d'affaire. Cette taxe constitue-t-elle une solution pertinente ? Le projet de directive Accis n'a-t-il pas pour grande faiblesse de ne pas prendre en compte le numérique ? BEPS ne prévoit pas de modifier les conventions bilatérales sur ce point. Quelle serait la bonne solution pour taxer les profits des GAFA qui font des parts de chiffre d'affaires considérables en France et en Europe tout en échappant à l'imposition ?

Quant à la directive ATAD, la nouvelle règle de plafonnement de la déductibilité des intérêts d'emprunt ne risque-t-elle pas de nuire à la compétitivité de notre régime fiscal ? Quelles sont les attentes des entreprises sur ce point ?

M. Vincent Éblé , président . - Le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, a indiqué à l'automne dernier devant l'Assemblée nationale qu'il souhaitait procéder à une convergence des règles d'assiette de l'impôt sur les sociétés avec l'Allemagne d'ici la fin de l'année. Est-ce toujours d'actualité ? Quelles sont les divergences qui devront être corrigées ? Par ailleurs, alors que la diminution du taux de droit commun sur l'impôt sur les sociétés sera pleinement effective en 2022, quel calendrier retenir pour l'évolution des règles d'assiette ?

M. Grégory Abate . - Pour éviter la répétition du scénario de la taxe à 3 % sur les montants distribués, nous nous sommes engagés dans une revue des différents régimes de taxation existants en France à l'aune de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et en tenant compte également de la jurisprudence constitutionnelle. Le régime de l'intégration fiscale focalise nos inquiétudes. Le coeur du dispositif, à savoir la consolidation des pertes et des profits des entreprises membres d'un même groupe à l'échelle du territoire national, n'est pas remis en cause par la jurisprudence européenne. Au contraire, ce principe a été validé par la CJUE. En revanche, les mécanismes qui neutralisent et atténuent la taxation sur les opérations à l'intérieur du groupe (versement de dividendes donnant lieu à une exonération de 1 % au lieu de 5 % dans le droit commun, ou cession d'actifs neutralisée entre sociétés du même groupe) constituent des avantages qui s'exercent dans le périmètre restreint des entreprises établies en France. À ce titre, ils ne sont pas forcément compatibles avec la liberté d'établissement définie par le droit européen.

Il est difficile d'évaluer si ces règles sont conformes à la jurisprudence de la CJUE qui ne se prononce que sur des cas particuliers sans dégager de grands principes. Il n'en reste pas moins que certains sujets sont plus sensibles que d'autres, comme le traitement des dividendes qui ne bénéficient pas de l'exonération du groupe mère-fille et sont neutralisés à l'intérieur du groupe fiscal lorsqu'ils sont versés entre sociétés françaises du groupe. La revue que nous menons vise à sécuriser le plus possible notre environnement sur le plan juridique.

En France, nous disposons d'un arsenal législatif conséquent pour limiter la déduction des intérêts d'emprunts. L'articulation des régimes de limitation des charges financières avec le régime de l'intégration fiscale fait débat. Le dispositif du rabot sur les charges financières nettes consiste à ne pas admettre en déduction 25 % des charges financières nettes d'une entreprise. Le dispositif de lutte contre la sous-capitalisation consiste à réintégrer les intérêts d'emprunts au-delà du seuil qui caractérise aux yeux de la loi la sous-capitalisation d'une entreprise. D'un côté, on part du principe qu'un groupe d'intégration fiscale constitue un redevable unique ; de l'autre, on privilégie une approche individualisée, puis on calcule un surcroît d'intérêts déductibles à l'échelle du groupe. Est-il possible de raisonner à partir du groupe fiscal pour calculer un plafond de charges financières d'intérêts d'emprunts déductibles ? Il semble que raisonner à cette échelle procure des avantages que la CJUE pourrait considérer comme non compatibles avec la liberté d'établissement.

Cependant, la directive ATAD prévoit un mécanisme de plafonnement des charges financières que les entreprises membres peuvent appliquer en fonction de leur bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement (EBITDA), au niveau du groupe fiscal national. Par conséquent, si l'on doit transposer cette nouvelle règle, il nous semble à tout le moins que l'on pourrait continuer à raisonner à l'échelle d'un groupe considéré comme une entité unique en matière fiscale. Et si la directive ATAD reconnaît le groupe comme une entité fiscale unique au niveau européen, pourquoi ne pas appliquer le même raisonnement au niveau national ?

D'autres sujets qui touchent aux charges financières ne sont pas moins surprenants. Ainsi, en 2012, on a introduit dans la législation française une mesure pour lutter contre certains dispositifs hybrides, notamment ces instruments financiers grâce auxquels on peut considérer dans un État qu'on a affaire à de la dette donnant lieu à des intérêts déductibles, et dans un autre État qu'il s'agit d'instruments de capital de sorte que les intérêts sont exonérés au titre d'un régime mère-fille. La loi française prévoit que les charges financières ne peuvent être déductibles qu'à condition que celui qui les reçoit soit imposé au moins à 25 % sur ces flux de revenus. Ce mécanisme est-il compatible avec la liberté d'établissement ? La CJUE peut considérer que ce dispositif est dirigé contre des entreprises non françaises et porte atteinte à la liberté d'établissement. En réalité, il s'applique aussi quand le flux d'intérêts est versé en France à une société exonérée d'impôts, ce qui arrive par exemple dans le secteur immobilier. Même si ce régime s'exerce dans le champ transfrontalier, il n'exclut pas les autres.

M. Bernard Bacci . - Les entreprises sont informées d'un certain nombre de contentieux de place, qu'il s'agisse de la taxation sur les dividendes ou sur les plus-values. Je ne suis pas persuadé que ces zones de risque soient comparables à la taxe à 3 %.

On n'a jamais autant légiféré sur la déduction des intérêts que lors de ces dernières années, alors même que les taux d'intérêt ont atteint leur niveau le plus faible et que les entreprises dégagent des produits d'intérêts nets. Ce déchaînement a quelque chose d'étrange. S'agit-il d'un effet retard ? On empile des dispositions législatives les unes sur les autres : l'amendement Charasse, l'amendement Carrez, la limitation aux fonctions des capitaux propres, le rabot... Le projet de directive ATAD est intéressant. Cependant, ne vaudrait-il pas mieux procéder à un toilettage qui simplifierait la vie des entreprises plutôt qu'ajouter une couche de plus à l'empilement ?

Une taxe sur la consommation réglera-t-elle le problème de la taxation sur le numérique ? Si les GAFA ne payaient pas d'impôts avant la réforme Trump, le débat a changé, car ils sont désormais taxés aux États-Unis, de sorte qu'on ne pourra pas les soumettre à l'impôt sans une confrontation directe avec les Américains. La non taxation des GAFA relevait d'une décision des parlementaires américains qui souhaitaient aider ces entreprises à se développer. Est-il juste de taxer la consommation d'un point de vue technique ? Je n'en sais rien. Cela nécessitera de déterminer l'assiette de la taxe, mais aussi la manière dont on la contrôle. Les arbitrages dépendront de pays qui n'ont pas les mêmes intérêts à défendre.

Mme Béatrice Deshayes . - La réponse américaine constitue un frein fort en matière de taxation numérique. Où se trouve la création de valeur ? Telle est la question fondamentale. La valeur est-elle là où se trouvent les incorporels, le savoir-faire et les marques ou bien là où se trouve le marché ? La France doit définir ce qu'elle veut être : un pays de savoir-faire ou bien un pays de marché.

Il est compliqué de s'attaquer aux GAFA alors que le numérique est désormais omniprésent. Que deviendront les boutiques ? Darty vend très peu en magasin, car les clients préfèrent acheter sur le site internet de l'enseigne. L'empreinte physique est condamnée à disparaître. On ne peut pas segmenter le numérique et le reste du monde.

Dans ce contexte international nouveau, l'impôt sur les sociétés est-il encore le bon moyen de taxer les entreprises ? Les frontières sont perméables, l'assise de nos bases fiscales se dilate considérablement, de sorte que l'impôt sur les sociétés ne semble pas destiné à durer à jamais. L'avènement du numérique pose la question de la finitude de cet impôt.

Mme Nathalie Goulet . - Il a été mentionné la nécessité d'agir à plusieurs plutôt que tout seul. Cependant, quand il s'agit de lutter contre la fraude fiscale, ne risque-t-on pas d'être tirés vers le bas à attendre l'Europe ?

Il a été dit que les paradis fiscaux sont le résultat d'un club d'amis. Les contentieux sont nombreux. Je vous invite à lire la proposition de résolution pour une conférence des Parties de la finance mondiale, l'harmonisation et la justice fiscale, qui a été débattue en séance publique au Sénat le 7 mars dernier. Je crois que les paradis fiscaux profitent surtout d'un défaut de volonté politique, qui s'explique par le fait que certaines entreprises ont besoin de ces paradis.

Enfin, est-il légitime de taxer les GAFA ? Les États-Unis avaient décidé d'exempter d'impôts ces grandes entreprises. Faut-il considérer qu'ils avaient raison ?

M. Sébastien Meurant . - Nous n'avons pas d'autre choix que de continuer à créer de la richesse en France. Les grands groupes sont notre atout. En revanche, la France est le pays avec la taxation la plus élevée d'Europe. La convergence fiscale risque de se réaliser à nos dépens. Le contexte européen est à l'exacerbation de la concurrence fiscale, avec en particulier des États membres spécialistes de l'optimisation fiscale sur les holdings . Nous tenons depuis bien trop longtemps le rôle des idiots utiles. Cessons de nous voiler la face, en attendant que l'Europe prenne des décisions qui nous seront forcément défavorables. D'autant que les pays de l'Est risquent eux aussi d'entrer dans la concurrence pour attirer la richesse fiscale.

Les États-Unis nous imposent des chocs violents. Les Chinois ont choisi de créer leurs propres GAFA et de ne pas les fiscaliser. Les Européens restent impuissants. Quels sont nos atouts pour faciliter la constitution de GAFA européens qui créeront de la richesse et que l'on pourra ensuite taxer ?

M. Claude Nougein . - Voilà quinze ans que l'on parle de la baisse de l'impôt sur les sociétés en France : on en parlait déjà sous le président Jacques Chirac ! En 2022, on parviendra enfin à réaliser l'objectif à 25 % fixé il y a quinze ans, ce qui est un gros progrès. On nous dit que la tendance pourrait s'accélérer. Je n'en suis pas certain. Les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ont besoin de gros investissements pour faire face à la concurrence des industries allemandes. Or, le taux qu'on leur applique est toujours à 33,1/3 %, alors qu'il est moindre en Allemagne, et nous restons avec un taux de droit commun parmi les plus élevés en Europe. Quant aux États-Unis, ils ont décidé il y a quelques mois de passer de 35 % à 21 %, et ils ont déjà atteint leur objectif. Bien sûr, tout va toujours plus vite aux États-Unis qu'en France. Cependant, ce serait une erreur grossière d'attendre 2022.

En France, on est unanime à célébrer le crédit d'impôt recherche (CIR). Il est efficace, il coûte cher à l'État, mais il nous permet d'avoir des brevets. Cependant, beaucoup de ces brevets finissent par être exploités à l'étranger, de sorte que leurs bénéfices nous échappent. Ne faudrait-il pas associer le CIR à l'accompagnement de l'exploitation du brevet en France ?

M. Éric Bocquet . - Faut-il s'accrocher à un impôt sur les sociétés qui va inexorablement disparaître ? Le processus est déjà engagé. En 2009, l'impôt sur le revenu produisait 50 milliards d'euros de recettes et l'impôt sur les sociétés 37 milliards d'euros ; dans les prévisions de la loi de finances pour 2018, les recettes d'impôt sur le revenu sont évaluées à 72 milliards d'euros et celles d'impôt sur les sociétés à 25 milliards d'euros. C'est un vrai débat de fond. Le monde économique a aussi besoin d'impôts pour former les salariés, ouvrir des crèches, etc. Le monde économique doit aussi contribuer au fonctionnement de la société sans pour autant rendre gorge, mais grâce à un impôt progressif, juste et applicable à tous.

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le rapport annuel du groupe Vivendi datant de 2017. On y parle de « conseils extérieurs auxquels il est fait appel dont la qualification adéquate a une réputation justifiée » : cela signifie-t-il que vous auriez éliminé des groupes comme Mossack Fonseca et Appleby qui ont été impliqués dans des scandales récents ?

On peut également lire que « le groupe témoigne d'un seuil de tolérance très bas à l'égard du risque fiscal et notamment refuse de localiser des bénéfices dans les paradis fiscaux ». Ne vaudrait-il pas mieux préciser qu'il s'agit d'un seuil de tolérance zéro plutôt que d'un seuil très bas ?

Enfin, LVMH compte plus de 900 entités dans le monde, avec 25 % de son marché implanté aux États-Unis, surtout dans l'état du Delaware qui accueille 50 % des groupes côtés à Wall Street. Cet état offrirait des conditions particulièrement attractives ?

M. Emmanuel Capus . - Dans son rapport publié en janvier 2017, le Conseil des prélèvements obligatoires tend à considérer que la convergence européenne fera disparaître le taux réduit accordé aux petites et moyennes entreprises (PME). Je crois au contraire que dans le contexte du plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), il est essentiel que nous préservions nos PME. Quels arguments justifieraient que l'on supprime ce taux réduit ? La convergence européenne nous forcera-t-elle à le supprimer ?

La Grande-Bretagne a un taux d'impôt sur les sociétés de 19 % et elle laisse entendre qu'elle pourrait le baisser à 10 % dans le cadre d'une sortie brutale de l'Union européenne. Aurons-nous un paradis fiscal à nos portes ?

Le président de la République et Bruno Le Maire ont relancé le groupe de travail franco-allemand sur les questions fiscales. Comment cette initiative s'articule-t-elle avec les travaux en cours sur l'assiette commune ? Pouvons-nous aller encore plus loin en matière de convergence avec l'Allemagne ? Notre tissu industriel, plus faible qu'outre-Rhin le supportera-t-il ?

M. Grégory Abate . - La France et l'Allemagne travaillent sur un chantier de convergence fiscale qui rejoint la proposition de directive Accis discutée à Bruxelles. Les deux pays ont formé un groupe de travail pour définir une position commune sur cette directive. Nous avons déjà passé en revue les dispositions du texte et identifié des points de convergence. Il nous reste à traiter les points de divergence qui subsistent en raison du caractère particulier du système fiscal et social tel qu'il s'exerce dans chacun des deux pays : les provisions pour retraite, par exemple, ne sont pas déductibles en France, mais le sont en Allemagne. Si la France devait s'aligner, les conséquences budgétaires seraient considérables.

Les règles sur les amortissements constituent une autre difficulté. La proposition de directive prévoit trois catégories de biens avec un dispositif de panier d'amortissement assez étranger à notre système français d'amortissement individuel des actifs. Nous sommes d'accord avec nos homologues allemands pour défendre le rejet de ce dispositif global. Cependant, des questions restent non résolues, notamment en ce qui concerne les amortissements dérogatoires et les provisions réglementées déductibles en France. Une convergence bilatérale entre nos deux pays préfigurerait la transposition de la directive Accis. Elle pourrait se fonder sur les principes arrêtés dans la position commune que nous aurons définie. La stratégie consisterait à défendre une position commune, puis à créer un effet d'entraînement, au vu de l'avancée des négociations européennes, grâce à des mesures dont on envisagerait l'entrée en vigueur dès la fin de cette année.

M. Daniel Gutmann . - Nous n'avons pas attendu l'Europe pour lutter contre l'évasion fiscale. Dès le début des années 1980, nous avons adopté des instruments anti-abus sans équivalent en Europe, notamment en matière d'impôt sur les sociétés ou de taxation des profits. Mais nous avons besoin de l'Europe pour lutter contre l'évasion fiscale, et surtout contre la fraude fiscale, qui nécessite une coopération internationale des administrations fiscales. Les directives communautaires vont dans ce sens.

Même pour lutter contre la sous-imposition des GAFA, qui fait consensus, il faut de la coopération internationale. En France, un dispositif adopté il y a quelques années pour imposer des établissements stables fictifs avait été censuré par le Conseil constitutionnel ; s'il avait été promulgué, les avocats l'auraient immédiatement contesté comme contraire aux conventions fiscales conclues par la France : mieux vaut s'accorder avec nos voisins que d'adopter, seuls, des dispositifs généreux mais sans portée réelle.

L'idée de lier le CIR au fait que les produits de la recherche soient exploités en France peut sembler séduisante, mais j'y apporte deux bémols. D'abord, il est par nature difficile de prévoir le résultat de la recherche - et a fortiori , l'exploitation qui pourra en être faite ! Ensuite, le cadre européen nous incite plutôt à faire bénéficier du taux réduit les produits retirés de la recherche. Évidemment, cela altèrera notre compétitivité : l'arbitrage est complexe.

Je n'ai pas à défendre la position du CPO sur le taux réduit pour les PME. Selon les économistes, les arguments traditionnels en la faveur de ce taux réduit sont discutables. Le premier est le besoin de fonds propres des PME, mais il n'y a plus de lien avec le taux réduit, puisque de nouveaux instruments de financement sont apparus. On allègue aussi leur capacité contributive inférieure : cet argument est démenti par les faits. Elles auraient, aussi, de moindres marges d'optimisation fiscale : là aussi, l'expérience ne confirme pas cet argument. Un récent rapport du CPO montre que leur taux réel d'imposition ne diffère guère de celui des grands groupes. Enfin, comme tout avantage fiscal, le taux réduit peut être instrumentalisé ; de fait, on observe un décrochage assez curieux à l'approche du seuil correspondant à la fin du taux réduit.

M. Bernard Bacci . - Vivendi était au régime des bénéfices consolidés jusqu'en 2011. Ce régime consistait à taxer les entreprises sur l'ensemble de leurs profits mondiaux, ce qui répondait à toutes les problématiques de paradis fiscaux et de prix de transferts. Et il a été supprimé à l'unanimité par le Parlement !

Notre description de la politique fiscale de Vivendi répond à une démarche citoyenne. Nous parlons de tolérance très faible et non de tolérance zéro car cette expression est connotée. En réalité, nous ne pratiquons pas ce genre d'opérations. Non par vertu, mais tout simplement parce que la loi fiscale change chaque année, en France comme ailleurs.

Il aurait été stupide de travailler avec Mossack Fonseca alors que nous étions au régime des bénéfices consolidés. Nos conseils sont de premier plan : nous nous assurons de leur réputation auprès des autorités fiscales.

Enfin, le Delaware n'est pas un paradis fiscal ! Le régime d'imposition américain est fédéral. Partout, le taux d'impôt sur les sociétés était de 35 % jusqu'à l'an dernier, et il est désormais de 21 % sous certaines conditions. La spécificité du Delaware est son régime juridique, qui assouplit certaines formalités, notamment pour tenir un conseil d'administration. D'ailleurs, la France a aussi assoupli ses règles en la matière.

La liste des paradis fiscaux est la liste des pays qui n'ont pas d'amis : les îles anglo-normandes, qui dépendent de la couronne britannique, n'y figurent pas, non plus que le Panama... J'ai ma propre liste, bien plus large. Et je m'assure que mes fournisseurs ne sont pas engagés dans des schémas d'évasion fiscale, car je ne voudrais pas être complice de telles opérations.

Mme Béatrice Deshayes . - LVMH compte 70 maisons dans 70 pays. Les maisons sont gérées en toute autonomie et disposent de leur propre structure juridique.

Le Delaware n'est pas un paradis fiscal, puisque l'impôt aux États-Unis est fédéral. En 2017, LVMH a payé 39 % d'impôt aux États-Unis, ce qui correspond au montant de l'impôt fédéral et de l'impôt étatique auxquels nous sommes soumis, pour un montant de plus de 500 millions de dollars. Le Delaware offre des facilités juridiques, mais pas fiscales. Pour ce qui est de l'impôt étatique, nos activités sont très matérielles, de sorte que nous sommes taxés sur nos magasins sur la côte ouest et la côte est. Je ne crois pas que nous ayons de boutiques dans le Delaware.

Mme Stéphanie Robert . - Vous avez mentionné le risque que le Royaume-Uni se transforme en paradis fiscal. À voir les faibles taux d'impôt sur les sociétés pratiqués en Irlande et au Royaume-Uni, on n'en est pas très loin. L'arbitrage prend en compte l'assiette et le taux, l'idéal étant que l'on ait une assiette pertinente relativement large avec un taux faible. Si on élargit l'assiette sous l'effet d'une convergence avec l'Allemagne, sans être capable de réagir sur le taux, l'assiette risque de fuir. Quant au taux de l'impôt sur les sociétés allemand, il est de 15 %, pas de 30 %. Il faut prendre en compte l'impôt local sur les bénéfices pour atteindre ce taux.

M. Marc Laménie . - Merci pour ces témoignages qui rendent compte de vos expériences dans un domaine complexe. L'impôt sur les sociétés n'est pas la première recette du budget de l'État. Il n'est qu'un impôt parmi ceux auxquelles les entreprises sont soumises, sans compter les charges sociales qui pèsent sur elles. Comment pourrait-on simplifier cette fiscalité ? Stéphanie Robert a surtout parlé des grands groupes privés français. Les entreprises plus modestes appellent tout autant de leurs voeux une fiscalité simplifiée.

Vos groupes portent le made in France au niveau international. Développez-vous une stratégie particulière pour continuer à le défendre ?

La lutte contre l'évasion fiscale concerne autant la fraude que la contrefaçon. De quels outils disposez-vous dans ce domaine ? Et comment lutter contre les dangers du commerce en ligne ?

Mme Sylvie Vermeillet . - Béatrice Deshayes a insisté sur l'importance que le groupe LVMH accordait au made in France . Pourriez-vous nous éclairer sur la stratégie de développement des sites de production de votre groupe et sur la décision d'en créer deux nouveaux aux États-Unis, l'un en Caroline du Nord et l'autre au Texas ? Cela signifie-t-il que vous freinerez votre production en France ?

LVMH a doublé sa taxe carbone de 15 euros à 30 euros par tonne produite. Faut-il comprendre qu'il y aurait de bons impôts, en l'occurrence ceux que vous décidez, et de mauvais impôts, décidés par l'État ?

M. Didier Rambaud . - Nathalie Goulet a questionné la légitimité d'une taxe sur les GAFA. Un grand nombre d'entreprises françaises souhaitent qu'on taxe les géants du numérique. Dans mon département, les entreprises du jouet se plaignent de la concurrence déloyale d'Amazon et consorts. L'été dernier, le tribunal administratif de Paris a rendu plusieurs jugements au sujet de Google, entreprise domiciliée en Irlande et ne disposant d'aucun établissement stable en France, ce qui l'exonère de l'impôt sur les sociétés et de la TVA pour un enjeu dépassant le milliard d'euros. Quelle définition de l'établissement stable permettrait de mieux prendre en compte le cas des entreprises du numérique ?

Enfin, je profite de la présence de maître Daniel Gutmann pour lui poser la question du verrou de Bercy : s'agit-il d'un dispositif efficace ?

M. Jean-Marc Gabouty . - Faut-il taxer là où se produit la valeur ? Dans un contexte mondialisé, les entreprises créent de la marge à la conception et à la création, mais aussi à la fabrication et à la commercialisation. La somme de toutes ces marges crée la valeur globale. Il serait logique qu'à la fin du processus la marge bénéficiaire soit répartie entre les différents lieux qui ont contribué à la créer. Une telle conception est certainement codifiable au niveau européen. Qu'en est-il au niveau international ?

Je ne comprends pas que l'on s'acharne sur la déductibilité des charges financières. C'est une marotte d'autant moins justifiée que les taux d'intérêt sont particulièrement faibles.

Je ne suis pas d'accord sur la manière dont les grands groupes et les PME ont été comparés. Comme patron d'une PME, je sais combien il est difficile d'obtenir un crédit. C'est moins le cas pour les grands groupes.

Quel lien établir entre le taux d'impôt sur les sociétés qui est d'affichage et qui relève plus de l'attractivité d'un État que de sa compétitivité, et le taux de croissance d'un pays ? Entre la nécessité d'améliorer la compétitivité des entreprises en diminuant les charges et celle de diminuer la taxation d'une production qui s'est améliorée grâce à la diminution des charges, le boyau se rétrécit. Plutôt que de faire évoluer le taux, les entreprises gagneraient à ce que l'on travaille sur la constitution des bases, la simplification des mécanismes et la stabilité. Le taux d'impôt sur les sociétés est-il déterminant ou ne s'agit-il que d'un affichage ?

M. Bernard Delcros . - Vous avez raison, il faut être prudent en comparant des taux. Les nouvelles orientations fiscales prises par les États-Unis sont une bombe dans le paysage fiscal international. Elles provoqueront un fort appel d'air. Quelles mesures pouvons-nous prendre en réponse et, surtout, comment pouvons-nous les prendre assez rapidement pour qu'elles soient efficaces ?

M. Patrice Joly . - Comment prendre en compte la marque France dans le débat sur la localisation de la valeur ?

M. Daniel Gutmann . - Un établissement stable est le fait, pour une société étrangère, d'avoir en France soit du matériel fixe et durable, soit des personnes qui agissent en son nom. Google Irlande a une filiale en France, qui y est taxée. Y a-t-elle des représentants qui peuvent l'engager ? Le tribunal administratif de Paris a répondu que non. La solution passe, avec le projet BEPS, par une définition plus large de l'établissement stable. La convention multilatérale signée à Paris en juin dernier prévoit de transposer d'un seul coup dans les conventions fiscales bilatérales les innovations proposées par l'OCDE. Mais elle peut faire l'objet de réserves, et l'Irlande en a émis, notamment sur la notion d'établissement stable - ce qui explique pourquoi l'on réfléchit à une taxation du chiffre d'affaires.

Le verrou de Bercy fait qu'une personne ne peut être attaquée au pénal que si l'administration fiscale porte plainte, et impose que cette plainte soit d'abord examinée par la commission des infractions fiscales. Il me semble que c'est une protection bienvenue du contribuable, car le droit fiscal est complexe et la notion de fraude fiscale n'est pas toujours claire : la frontière entre habileté fiscale et fraude est souvent difficile à tracer. Le juge pénal n'est pas nécessairement spécialisé en matière fiscale, et il a souvent autre chose à faire !

Oui, le taux de l'impôt sur les sociétés est presque secondaire. Un impôt est le produit d'un taux et d'une assiette. L'Allemagne a fait passer son taux de 40 % à 15 % en huit ans, sans perdre beaucoup de recettes, car l'assiette a crû et la baisse du taux a relancé les recettes publiques.

M. Grégory Abate . - Comment simplifier l'impôt sur les sociétés ? Vaste question. Par quoi pourrait-on le remplacer ? Je ne sais pas. Ce qu'il faut avant tout, c'est de la stabilité et de la prévisibilité. C'est pourquoi nous lançons toujours une réforme longtemps à l'avance, pour que le Gouvernement ait le temps de lancer une consultation. Et le Gouvernement inscrit chaque réforme dans la durée et s'efforce de sécuriser juridiquement les dispositifs fragiles. À l'échelle européenne, la convergence ne peut qu'apporter de la stabilité.

Oui, le produit final de l'impôt résulte de l'assiette et du taux. La France souhaite accompagner l'harmonisation européenne des règles d'assiette d'une réflexion sur la convergence des taux. Cela a été dit par Emmanuel Macron à la Sorbonne, et c'est à l'ordre du jour de nos discussions avec nos partenaires allemands.

Mme Béatrice Deshayes . - Le made in France est l'essence même de notre métier. En 2017, notre chiffre d'affaires a crû de 12 %, nous avons plus de 100 sites en France, et nous continuons à en ouvrir. Notre stratégie n'est donc pas de remplacer du made in France par du made in China . Aux États-Unis, nous avons huit sites de production car nous avons des marques américaines. Nous y avons aussi - exceptionnellement, car les Américains aiment le made in America - un atelier Vuitton, mais cette décision a été prise il y a déjà bien longtemps et n'a rien à voir avec les récentes évolutions fiscales américaines.

Pour ce qui est de la taxe carbone, nous avons souhaité investir dans un projet vertueux avec le souci de développer une politique environnementale gérable. Loin de nous l'idée de distinguer de bons et de mauvais impôts : il s'agissait simplement d'instaurer en interne un usage vertueux de l'impôt.

Enfin, la chaîne de valeur d'une entreprise se définit par la manière dont le profit se distribue entre les acteurs. Comment la répartir ? C'est bien là la question que nous nous posons. Elle reste ouverte.

M. Bernard Bacci . - Il a été rappelé que le rendement de l'impôt sur les sociétés était faible en France. Mais on oublie trop souvent que notre pays dispose d'un régime d'impôt de production unique au monde. Les entreprises françaises sont soumises à l'obligation de recenser tous les impôts de production dont elles s'acquittent chaque année. Vivendi en paie la plus grosse partie en France et le reste au Maroc. Les taxes que nous payons en France représentent plus de 100 millions d'euros par an. Il s'agit peu ou prou d'une fiscalité affectée, car ces taxes alimentent des budgets particuliers sans passer par la case du budget général.

M. Vincent Éblé , président . - C'est particulièrement vrai dans votre domaine d'activité, pas forcément dans l'industrie traditionnelle.

M. Bernard Bacci . - Les entreprises traditionnelles doivent aussi s'acquitter de leur lot d'impôt de production, telle l'imposition forfaitaire pour les entreprises de réseaux (IFER).

Mme Stéphanie Robert . - La concentration est considérable, puisque les 115 entreprises membres de l'AFEP paient 25 % de l'impôt sur les productions. On méconnaît trop souvent le paysage fiscal de notre pays, avec pour conséquence des choix pas toujours pertinents.

La réforme fiscale américaine est le fruit d'une démarche personnelle, très éloignée des logiques de l'OCDE. La France gagnerait à appliquer avec mesure ses engagements à l'international, avec pour objectif de préserver les intérêts nationaux. Par exemple, nous devons pouvoir continuer à rémunérer nos brevets.

M. Vincent Éblé , président . - Je vous remercie pour les éclairages précieux que vous nous avez donnés.

III. EXAMEN EN COMMISSION DU 11 AVRIL 2018

Réunie le mercredi 11 avril 2018, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a examiné le rapport et le texte de la commission relatifs au projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices.

M. Vincent Éblé , président . - Le 21 mars dernier, notre commission organisait une table ronde sur le thème de l'adaptation des règles de l'impôt sur les sociétés au nouveau contexte international et européen. À cette occasion, la convention multilatérale destinée à prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices, dite convention BEPS ( base erosion and profit shifting ), avait été évoquée à plusieurs reprises par les intervenants, pour en souligner les apports ou les limites, notamment au regard de la nécessaire contribution de l'économie numérique au paiement de l'impôt. Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification de cette convention multilatérale.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Nous sommes saisis du projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, dite convention BEPS.

Cette convention, signée à Paris le 7 juin 2017 par 68 juridictions, vise à intégrer certaines dispositions figurant parmi les 14 actions du projet dit BEPS conduit par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Au 22 mars dernier, elle réunissait la signature de 78 États, dont cinq l'ont déjà ratifiée, ce qui permet son entrée en vigueur au 1 er juillet 2018. Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscale de l'OCDE, était venu nous présenter ce texte peu de temps après sa signature.

Conduit par l'OCDE à l'initiative du G20, le projet BEPS vise à actualiser les règles du système fiscal international, afin de supprimer notamment les vides laissés par la législation en vigueur et que certains acteurs exploitent pour réduire leur niveau d'imposition.

Les recommandations du « paquet BEPS » n'abordent toutefois pas la question du régime fiscal applicable au secteur numérique. Son action 1 prévoit seulement la remise d'un rapport sur le sujet.

Le sujet est complexe et les enjeux s'avèrent cruciaux à plus d'un titre. Je m'arrêterai principalement sur deux défis majeurs.

Tout d'abord, la mise en oeuvre effective des recommandations du « paquet BEPS ». La France a déjà intégré dans son droit plusieurs dispositions, par exemple pour les déclarations d'activité pays par pays. De même, l'Union européenne a adapté son cadre juridique avec la directive contre l'évasion fiscale, dite « ATAD » ( anti tax avoidance directive ), du 12 juillet 2016, dont nous devons transposer les dispositions d'ici la fin de l'année.

Plusieurs recommandations du projet BEPS nécessitent la modification des conventions fiscales bilatérales. Quatre actions sur les quinze du paquet BEPS sont ainsi concernées : l'action 2 sur la neutralisation des effets des montages hybrides, l'action 6 sur l'utilisation abusive des conventions fiscales, l'action 7 sur l'utilisation artificielle du statut d'établissement stable et l'action 14 sur les mécanismes de règlement des différends. En procédant selon la méthode traditionnelle de négociation, convention par convention, de nombreuses années auraient été nécessaires pour tirer les conséquences du projet BEPS dans chaque convention. La lutte contre les phénomènes d'évitement de l'impôt en aurait été fragilisée.

C'est dans ce cadre que s'inscrit l'instrument multilatéral, signé par la France en juin 2017, dont il nous est proposé d'autoriser la ratification aujourd'hui. Cet outil inédit en matière fiscale a été prévu par l'action 15 du projet BEPS. Il permet, tout en préservant la souveraineté fiscale des États, de procéder aux modifications des conventions fiscales. Il est le fruit de plusieurs mois de travail technique puis de négociations réunissant 99 États.

La préservation de notre base d'imposition nationale et de nos recettes fiscales constitue un second défi.

Quoique multilatéral, l'instrument consacre la dimension bilatérale des relations fiscales, puisqu'il ne les remplace pas mais s'y superpose. Il s'agit en quelque sorte d'un calque à apposer sur chaque convention fiscale bilatérale, dont il modifie certaines stipulations.

Cet instrument s'inscrit donc dans les stratégies fiscales mises en oeuvre lors de la négociation de chaque convention fiscale.

Les modalités d'articulation de la convention multilatérale avec les conventions fiscales bilatérales sont complexes à trois égards. Premièrement, seules les conventions fiscales notifiées par les deux parties entrent dans le champ de l'instrument multilatéral. Deuxièmement, seules les dispositions de ces conventions effectivement visées par les deux parties sont susceptibles d'être modifiées. Troisièmement, pour être effectivement touchées par la convention multilatérale, les deux parties doivent avoir formulé des réserves ou des options qui le permettent.

Or, sur trente-neuf articles de l'instrument, seuls trois relèvent de normes minimales ne pouvant faire l'objet de réserves. Pour obtenir davantage de flexibilité et agréger le maximum de relations bilatérales entre États, c'est une convention multilatérale « à la carte » qui a été conclue, laissant une grande flexibilité aux États.

De ces principales caractéristiques, je retiendrai principalement deux points de vigilance.

D'abord, il y a un risque d'effets non anticipés. De façon générale, les changements apportés par l'instrument multilatéral au sein de chaque convention fiscale pourraient se traduire par une modification de son équilibre initial. Ce risque avait en particulier été soulevé par les États-Unis lors des travaux préparatoires.

En outre, la portée de l'instrument est susceptible d'évoluer au gré des modifications des conventions fiscales et sous l'effet des réserves et options formulées tant par la France que par ses partenaires conventionnels. Si la France a dressé une liste de quatre-vingt huit conventions fiscales qu'elle entend couvrir par l'instrument multilatéral, seule une cinquantaine d'entre elles seraient, en l'état des signatures, effectivement modifiées.

Il en résulte une double difficulté : d'abord, pour les acteurs économiques, qui pourraient davantage méconnaître l'interprétation des dispositions conventionnelles que les administrations fiscales seraient susceptibles de retenir ; ensuite, pour le Parlement, qui autorise la ratification d'un instrument qui peut être loin de son état final d'impact.

En second lieu, il y a un risque que la conception initiale de la convention multilatérale soit trop large. À l'occasion de la signature de la convention multilatérale, la France a fait part de ses réserves, options et notifications provisoires. Ces choix peuvent encore être modifiés et ne deviendront définitifs qu'à l'occasion du dépôt des instruments de ratification.

Ces choix traduisent la conception très large de la convention retenue par la France, comme Pascal Saint-Amans lui-même l'a souligné devant notre commission en juin dernier. Les réserves, qui permettent ou non l'application d'un article optionnel, ne peuvent plus, une fois rendues définitives, être modifiées que dans un sens moins restrictif.

À cet égard, la partie de la convention multilatérale concernant les établissements stables, sur laquelle la France n'a formulé aucune réserve, mérite notre attention. Elle modifie le seuil de qualification d'un établissement stable. Cependant, les conséquences qui en seront tirées pour l'attribution de profits aux nouveaux établissements stables ainsi qualifiés demeurent en négociation à l'OCDE.

Certains groupes français sont notamment inquiets en raison de l'article 14 et de la pratique du fractionnement des contrats par lots.

Il convient donc de rester vigilants, car l'absence de réserve pré-notifiée sur la qualification de l'établissement stable pourrait avoir des conséquences lourdes, tant pour les entreprises françaises, qui seraient exposées à une utilisation accrue de ces dispositions dans les pays où elles opèrent, que pour la France, dont les recettes fiscales nationales pourraient être plus ou moins réduites.

Dans ces conditions, si je vous propose d'autoriser la ratification de cette convention multilatérale, qui améliore l'application du « paquet BEPS », dans l'objectif d'une meilleure lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, je souhaite inviter le Gouvernement à s'engager sur trois points.

En premier lieu, l'absence de consensus, à ce stade, sur les conséquences susceptibles d'être tirées des nouveaux critères de qualification d'un établissement stable doit nous conduire à envisager une position de prudence sur ces articles. Il convient de mesurer avec attention les conséquences de l'absence de réserve et d'éviter peut-être de se lier définitivement les mains sur ce sujet. La France doit utiliser la flexibilité offerte par la convention multilatérale pour privilégier une démarche certes volontariste mais aussi progressive et mesurée.

En second lieu, la sécurité juridique des acteurs économiques doit être assurée par la possibilité d'opposer à l'administration l'interprétation des dispositions des conventions fiscales telles que modifiées par l'instrument multilatéral.

Selon la direction de la législation fiscale, plusieurs documents d'information seront publiés : une fiche présentant les effets de la convention multilatérale sur chaque convention fiscale bilatérale ainsi qu'une version consolidée permettant la lecture en un document unique des dispositions conventionnelles résultant de l'articulation des deux conventions. Cependant, l'administration considère que ces documents ne relèveront pas de la doctrine fiscale et ne pourront donc pas être opposables.

J'y vois un paradoxe, car l'administration fait le choix de consolider, ce que l'OCDE ne prévoit pas, sans consacrer la valeur juridique de cette version. J'y vois également une possible source de contentieux.

En troisième lieu, il importe d'assurer une bonne information du Parlement dans le cadre de la ratification d'une convention correspondant à un instrument inédit, en particulier du fait des effets multiples et variables qu'il est susceptible d'engendrer en fonction des options et réserves qui seront réellement retenues par la France et par ses États partenaires. En conséquence, sa portée réelle nous échappe en partie au moment d'autoriser sa ratification.

Dans l'étude d'impact annexée au projet de loi, le Gouvernement indique qu'il procédera à cette information. Il vise toutefois un rapport annexé au projet de loi de finances initial qui n'est plus remis depuis 2014.

J'invite donc le Gouvernement à s'engager à remettre effectivement ce rapport à l'occasion des prochains projets de loi de finances, en le complétant pour présenter les modalités d'application de la convention multilatérale s'agissant de l'état des réserves, options et notifications formulées par la France, des conventions fiscales bilatérales couvertes et des dispositions des conventions fiscales bilatérales effectivement modifiées en fonction des réserves, options et notifications formulées par les partenaires conventionnels de la France.

M. Éric Bocquet . - On ne peut pas s'opposer à la philosophie de BEPS. Il faut tendre vers le multilatéral, et même le global : le temps du bilatéral est révolu. Je ne voudrais pas jouer les Cassandre, mais ce texte soulève tout de même quelques questions. D'abord, cela part dans tous les sens. Tout le monde bouge sur ces sujets : tant mieux ! Mais il faudrait de la coordination. Par l'OCDE, l'UE ? Sans cet effort, l'efficacité sera moindre. Nous devons songer à une coordination à l'échelle mondiale et pour les prochaines décennies. De même qu'il existe une organisation mondiale de la santé (OMS) ou une organisation mondiale du commerce (OMC), les questions fiscales doivent être envisagées par une institution globale.

Ces sujets sont en évolution constante. Partout, la fiscalité bouge -souvent dans le sens du dumping fiscal. Fixer des règles sur un terrain aussi mouvant pose problème, et il faut prendre en compte cette tendance de fond. Vous dites que revisiter les conventions bilatérales prendrait des décennies : raison de plus pour centraliser ces questions !

Je regarde la liste des 68 pays ayant signé la convention au 7 juin 2017. Y figurent Guernesey, Hong-Kong, l'île de Man, l'Irlande, Jersey, la Suisse, Monaco, Singapour... Je m'en félicite, mais quels engagements ces pays ont-ils pris exactement ?

Enfin, nous devons aller plus loin en ce qui concerne l'information du Parlement. Nous votons le budget ! Aussi faut-il associer le Parlement étroitement, et de manière permanente, à la réflexion sur les sujets fiscaux: il doit avoir voix au chapitre.

M. Marc Laménie . - Ces sujets sont complexes. Quel sera l'impact de ce texte sur nos entreprises ? Quelles sont les entreprises concernées ? De quelles masses financières parlons-nous ?

M. Yannick Botrel . - Le principe de cette convention n'est pas contestable. Elle constitue une avancée considérable sur un sujet sensible : le transfert des bénéfices des entreprises. Le fait que le numérique en soit absent m'interpelle, car c'est un sujet lourd. Pourquoi n'est-il pas traité ?

Il est vrai que l'adoption de conventions multilatérales permet d'avancer plus rapidement, et de manière plus homogène, que des discussions bilatérales, qui prennent des années. Le fait que les États-Unis ne figurent pas parmi les signataires ne relativise-t-il pas la portée de ce texte ? On sait l'unilatéralisme dont ils ont fait preuve depuis quelques années, notamment lors de conflits commerciaux où des entreprises américaines étaient impliquées.

Quant aux effets non anticipés, ils doivent être pris en compte. Ils peuvent concerner non seulement les entreprises mais aussi les particuliers. On aboutit parfois à des situations kafkaïennes : ainsi, des quelque sept cents Américains accidentels, c'est-à-dire nés aux États-Unis mais n'y vivant aucunement, auxquels le fisc américain réclame des comptes - les menaçant au besoin de fermer leurs comptes en banque.

M. Jean-Claude Requier . - Cette convention va dans le bon sens. Je pensais que le numérique y était inclus, mais il n'y est pas. Il faut continuer à avancer sur ce sujet, car c'est de là que vient la menace.

M. Charles Guené . - Les risques de conflits juridiques lors de l'application de la convention ne sont-ils pas sous-évalués ? Je me demande aussi si le « paquet BEPS » n'est pas déjà dépassé, vu que le numérique n'y est pas compris. Il est vrai que les Américains ont le sentiment qu'on fait fausse route en traitant le numérique distinctement, puisque la numérisation de l'économie sera totale. La notion même d'établissement stable sera remise en question, ce qui pourrait nous obliger à refondre la fiscalité en la déplaçant vers la consommation : déjà, les États-Unis et la Chine y réfléchissent. Comment faire de ce texte une étape dans le fil de cette évolution ?

M. Bernard Lalande . - Comme le disait Raymond Devos, une fois rien c'est rien, deux fois rien, ce n'est pas grand-chose, mais trois fois rien, on commence à discuter. Nous savons que la vertu n'est pas la première qualité des professionnels du conseil international dans le domaine de la fiscalité. Pour faire bouger les choses, il ne suffit pas d'un cri dans la basse-cour : il faut y créer un règlement. Cette convention a l'avantage de poser des principes communs. D'abord, sur la neutralisation des montages hybrides ou des utilisations abusives des conventions - deux pratiques bien connues des experts. Puis, en s'intéressant aux critères de qualification d'un établissement stable. L'OCDE est parvenue à convaincre que les États doivent adopter une convention multilatérale, c'est déjà une avancée notable. Mais nous devons rester vigilants sur la sécurité des acteurs économiques, qui ne peut être garantie que s'ils disposent d'éléments opposables aux administrations fiscales. Sinon, à quoi bon ?

M. Pascal Savoldelli . - On ne peut pas s'opposer à cette démarche, même si ce texte me paraît très prudent, puisqu'il évoque l'idée « d'inciter à mettre un frein »... Le Parlement devrait disposer d'un état des lieux des conventions bilatérales. Nous sommes tous d'accord sur le périmètre de ce texte, mais nous savons bien que, de ce point de vue, tous les pays n'ont pas le même impact. La France, en particulier, comptera beaucoup plus si elle modifie ses règles.

On évoque un manque à gagner de 100 milliards à 240 milliards d'euros par an, soit 4 % à 10 % des recettes d'impôt sur les sociétés dans le monde. Comment ce montant est-il calculé ? Si nous entrons dans un processus tendant à faire disparaître l'impôt sur les sociétés, ce calcul a-t-il encore un sens ? Des flexibilités sont prévues : je ne suis pas très enthousiaste. Quelles sont, pour la France, les marges de manoeuvre ?

M. Claude Raynal . - Ce texte est, d'abord, un pas de plus. En quelques années, les choses ont beaucoup évolué. Ce n'est pas le grand soir, mais une étape de plus. Déposerez-vous un amendement d'appel sur l'opposabilité des documents de l'administration, monsieur le rapporteur ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - L'enjeu est simple : l'OCDE considère que les pratiques comme les transferts de bénéfice génèrent chaque année pour les États un manque à gagner de 100 milliards à 240 milliards d'euros, soit entre 4 % à 10 % des recettes de l'impôt sur les sociétés - selon des estimations prudentes, car par définition il est difficile d'évaluer les impôts non payés. Ce texte n'est qu'une étape, en effet, mais il constitue une réelle avancée. Je me rappelle qu'en 2008, on ne pouvait pas même rêver de la fin du secret fiscal en Suisse, par exemple ! La situation a beaucoup évolué, grâce notamment au Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca), et maintenant au projet BEPS.

S'il comporte des avancées, il suscite aussi des réserves. L'absence du numérique, d'abord. La semaine prochaine, nous débattrons de la proposition européenne de taxe à 3 % sur le chiffre d'affaires des grands groupes, voulue notamment par la France. Cette taxe, qui frapperait les groupes faisant plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires au niveau mondial, dont 50 millions d'euros en Europe, rapporterait environ 5 milliards d'euros par an. En vérité, la cohérence de nos débats est mise à mal par le télescopage des initiatives : le G20, l'OCDE, l'Union européenne donnent concurremment des impulsions, sans réelle coordination.

Pour obtenir la signature du plus grand nombre possible de pays, on a accepté beaucoup de souplesse, sous la forme d'options et de réserves. Les pays les plus réticents ont signé en ne prenant qu'un socle minimal, et en émettant des réserves pour le reste des dispositions... Et les États-Unis ne vont pas signer ce texte, car ils estiment que leur réseau conventionnel leur offre déjà les outils nécessaires à lutter contre les phénomènes d'évitement de l'impôt. La question des Américains accidentels n'a rien à voir avec ce débat.

Les Gafa vont s'efforcer de tirer tout le bénéfice de la réforme fiscale américaine. Plus la peine d'aller en Irlande ou aux Pays-Bas ! Ils vont fixer leur établissement stable aux États-Unis, où le taux de l'impôt sur les sociétés a été considérablement abaissé et où les dispositions nouvelles leur permettront de rapatrier des dizaines de milliards d'euros de liquidités. Ils pourront ainsi, de surcroît, offrir un visage plus présentable à l'opinion publique. Mais c'est vrai que l'absence des États-Unis est une vraie limite à ce texte.

Celui-ci ne changera pas la vie des entreprises, ni celle des particuliers : il ne concernera que quelques grands groupes opérant à l'échelle internationale. Encore ne signifie-t-il pas la fin des paradis fiscaux ! Je vous recommande de le ratifier, tout en étant conscients de ses limites. En effet, nous devons améliorer notre vigilance sur le suivi des conventions. Il ne suffit pas qu'elles soient signées ! À cet égard, le fait qu'un rapport ne nous soit plus remis depuis 2014 constitue une alerte.

Je ne pourrai pas déposer un amendement d'appel s'agissant de l'opposabilité de l'interprétation des dispositions des conventions fiscales telles que modifiées par l'instrument multilatéral car cela ne relève pas du domaine législatif. Mais nous interrogerons le Gouvernement. Il est étrange de consolider des conventions sans les rendre opposables. Il est vrai que les instructions fiscales qui en découleront le seront.

M. Vincent Éblé , président . - Vous nous proposez donc d'adopter ce projet de loi sans modification.

Le projet de loi est adopté sans modification.

ANNEXE - EXEMPLE D'APPARIEMENT ENTRE LA CONVENTION MULTILATÉRALE ET LA CONVENTION FISCALE FRANCO-ALLEMANDE

Source : Base de données pour l'appariement de l'instrument multilatéral, OCDE.


* 1 Selon l'OCDE, au 22 mars 2018.

* 2 « Base erosion and profit shifting » ou « érosion de la base imposable et transfert des bénéfices ».

* 3 « Le projet BEPS et la longue marche en direction d'une fiscalité globale pour l'économie du XXI e siècle », Pascal Saint-Amans et Éric Robert, Revue de droit fiscal n° 49, 3 décembre 2015.

* 4 Art. précité.

* 5 Art. précité.

* 6 « Le projet BEPS et la longue marche en direction d'une fiscalité globale pour l'économie du XXI e siècle », Pascal Saint-Amans et Éric Robert, Revue de droit fiscal n° 49, 3 décembre 2015.

* 7 Voir le rapport n° 307 (2016-2017) d'Eric Doligé, au nom de la commission des finances, 18 janvier 2017.

* 8 Directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur.

* 9 Cf le compte-rendu de l'audition organisée par la commission des finances du Sénat le 21 mars 2018 sur les adaptations de l'impôt sur les sociétés au nouveau contexte international et européen.

* 10 Voir le compte-rendu de l'audition de Pascal Saint-Amans devant la commission des finances du Sénat, 28 juin 2017.

* 11 Cf la note explicative portant sur la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, OCDE.

* 12 L'élaboration d'un instrument multilatéral pour modifier les conventions fiscales, OCDE, octobre 2014.

* 13 « OCDE : la mise en oeuvre des mesures conventionnelles issues du projet BEPS par la création d'un instrument multilatéral », Caroline Silberztein et Jean-Baptiste Tritram, Droit fiscal n° 42-43, octobre 2016.

* 14 La distinction tient à ce que la signature est ouverte aux seuls États, mais la République populaire de Chine en a étendu l'application à Hong-Kong, avec l'accord de toutes les autres parties.

* 15 Voir le communiqué de presse de l'OCDE à l'occasion de la cérémonie de signature de la convention multilatérale le 7 juin 2017.

* 16 À savoir l'Afrique du Sud, l'Allemagne, Andorre, l'Argentine, l'Arménie, l'Australie, l'Autriche, la Barbade, la Belgique, la Bulgarie, le Burkina Faso, le Cameroun, le Canada, le Chili, la République populaire de Chine, Chypre, la Colombie, la Corée du Sud, le Costa Rica, la Côte d'Ivoire, la Croatie, le Curaçao, le Danemark, l'Égypte, l'Espagne, les Fidji, la Finlande, la France, le Gabon, la Géorgie, la Grèce, Guernesey, Hong-Kong, la Hongrie, l'Île de Man, l'Inde, l'Indonésie, l'Irlande, l'Islande, Israël, l'Italie, la Jamaïque, le Japon, Jersey, le Koweït, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, la Malaisie, Malte, Maurice, le Mexique, Monaco, le Nigeria, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan, Panama, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République slovaque, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, Saint-Marin, le Sénégal, la Serbie, les Seychelles, Singapour, la Slovénie, la Suède, la Suisse, la Tunisie, la Turquie et l'Uruguay.

* 17 À savoir l'Autriche, l'Île de Man, Jersey, la Pologne et la Slovénie.

* 18 L'Estonie a toutefois fait part de son intention de signer la convention multilatérale.

* 19 « La convention multilatérale de l'OCDE : vous ne lirez plus les conventions fiscales comme avant ! », Carole Silberztein, Benoît Granel et Jean-Baptiste Tristram, Droit fiscal n° 39, septembre 2017.

* 20 Voir le compte-rendu de l'audition de Pascal Saint-Amans devant la commission des finances du Sénat, 28 juin 2018.

* 21 Deux options sont possibles, soit un mécanisme a priori de limitation des bénéfices tirés d'une convention fiscale (« limitation on beneficits », LoB), soit un mécanisme a posteriori d'analyse des bénéfices tirés d'une convention fiscale (« principal purpose test », PPT), visant à assurer que ce dernier ne revêt pas un caractère essentiellement fiscal mais peut être justifié par des motifs économiques.

* 22 L'article 28 de la convention énumère les réserves possibles.

* 23 « La convention multilatérale OCDE : quel impact sur la fiscalité internationale ? », Actes de la soirée d'étude annuelle de l' International fiscal association (IFA), 4 octobre 2017, in Droit fiscal n° 51-52, décembre 2017.

* 24 Selon les termes de Philippe Martin, art. précité.

* 25 « La convention multilatérale de l'OCDE : vous ne lirez plus les conventions fiscales comme avant ! », Carole Silberztein, Benoît Granel et Jean-Baptiste Tristram, Droit fiscal n° 39, septembre 2017.

* 26 L'élaboration d'un instrument multilatéral pour modifier les conventions fiscales, OCDE, octobre 2014.

* 27 Bien que la convention de Vienne n'ait pas été signée par la France, la jurisprudence du Conseil d'État reconnaît que ce principe appliqué aux conventions constitue une codification de la coutume internationale.

* 28 Étude d'impact annexée au présent projet de loi.

* 29 Voir à cet effet l'interprétation de Philippe Martin, président de la section des travaux publics du Conseil d'État, art. précité.

* 30 Voir à cet effet l'interprétation de Philippe Martin, président de la section des travaux publics du Conseil d'État, art. précité.

* 31 Voir le compte-rendu de l'audition de Pascal Saint-Amans devant la commission des finances du Sénat, 28 juin 2017.

* 32 Il s'agit des conventions fiscales bilatérales notifiées par les deux parties contractantes et, de ce fait, couvertes par l'instrument multilatéral.

* 33 « La convention multilatérale de l'OCDE : vous ne lirez plus les conventions fiscales comme avant ! », Carole Silberztein, Benoît Granel et Jean-Baptiste Tristram, Droit fiscal n° 39, septembre 2017.

* 34 « La convention multilatérale OCDE : quel impact sur la fiscalité internationale ? », Actes de la soirée d'étude annuelle de l' International fiscal association (IFA), 4 octobre 2017, in Droit fiscal n° 51-52, décembre 2017.

* 35 Cette clause figure aux articles 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 16, 17 et 26 de la convention multilatérale.

* 36 « La convention multilatérale OCDE : quel impact sur la fiscalité internationale ? », Actes de la soirée d'étude annuelle de l' International fiscal association (IFA), 4 octobre 2017, in Droit fiscal n° 51-52, décembre 2017.

* 37 Cf l'Annexe du présent rapport qui reproduit une partie des informations figurant dans la base de l'OCDE pour la convention fiscale liant la France et l'Allemagne.

* 38 Voir, par exemple, les déclarations à ce sujet d'Édouard Marcus, alors sous-directeur de la sous-direction prospective et relations internationales à la direction de la législation fiscale, art. précité.

* 39 En application de cet article, « il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration.

Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales. »

* 40 Philippe Martin, art. précité.

* 41 Selon les propos de Pascal Saint-Amans, à l'occasion de l'audition par la commission des finances du Sénat le 28 juin 2017.

* 42 Le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales est la continuation d'un forum qui a été créé au début des années 2000 dans le cadre des travaux de l'OCDE pour aborder les risques de conformité fiscale posés par les paradis fiscaux.

* 43 « Mise en oeuvre du projet BEPS : le moment de vérité approche », Grégory Abate, Revue de droit fiscal n° 5, Février 2016.

* 44 Voir le compte-rendu de l'audition de Pascal Saint-Amans devant la commission des finances du Sénat, 28 juin 2017.

* 45 Voir à ce sujet les travaux de Richard Vann dès 1991, in « A model tax treaty for the Asia-Pacific region ? », Bulletin for international fiscal documentation n° 45, mars 1991.

* 46 « L'instrument multilatéral vient bouleverser les relations fiscales entre États : consacre-t-il l'apparition d'un nouvel outil juridique international efficace ? », Éric Lesprit, Marie-Charlotte Mathieu et Julie Mussard, Revue européenne et internationale de droit fiscal, décembre 2017.

* 47 Voir l'étude d'impact annexée au présent projet de loi, page 8.

* 48 Le « treaty shopping » désigne les pratiques de chalandage fiscal, à savoir la pratique consistant à rechercher les conventions fiscales internationales offrant les meilleures possibilités de réduire la charge globale d'impôt.

* 49 Voir le compte-rendu de l'audition de Pascal Saint-Amans devant la commission des finances du Sénat, 28 juin 2017.

* 50 « OCDE : la mise en oeuvre des mesures conventionnelles issues du projet BEPS par la création d'un instrument multilatéral », Caroline Silberztein et Jean-Baptiste Tritram, Droit fiscal n° 42-43, octobre 2016.

* 51 « La convention multilatérale OCDE : quel impact sur la fiscalité internationale ? », Actes de la soirée d'étude annuelle de l' International fiscal association (IFA), 4 octobre 2017, in Droit fiscal n° 51-52, décembre 2017.

* 52 « La convention multilatérale OCDE : quel impact sur la fiscalité internationale ? », Actes de la soirée d'étude annuelle de l' International fiscal association (IFA), 4 octobre 2017, in Droit fiscal n° 51-52, décembre 2017.

* 53 « OCDE : la mise en oeuvre des mesures conventionnelles issues du projet BEPS par la création d'un instrument multilatéral », Caroline Silberztein et Jean-Baptiste Tritram, Droit fiscal n° 42-43, octobre 2016.

* 54 Parmi les pays extra-européens ayant opté pour cette procédure, figurent l'Australie, le Canada, Singapour et la Suisse.

* 55 Art. précité.

* 56 Voir les propos d'Édouard Marcus, in « La convention multilatérale OCDE : quel impact sur la fiscalité internationale ? », Actes de la soirée d'étude annuelle de l' International fiscal association (IFA), 4 octobre 2017, in Droit fiscal n° 51-52, décembre 2017.

* 57 « OCDE : la mise en oeuvre des mesures conventionnelles issues du projet BEPS par la création d'un instrument multilatéral », Caroline Silberztein et Jean-Baptiste Tritram, Droit fiscal n° 42-43, octobre 2016.

* 58 Pour rappel, une fois les instruments de ratification déposés au secrétariat de l'OCDE, une réserve ne peut être retirée ou remplacée que par une réserve de portée plus limitée. Par conséquent, une application plus poussée de la convention multilatérale est possible par la suite, alors qu'il est impossible pour une partie de revenir sur l'application de stipulations, sauf à dénoncer la convention multilatérale elle-même.

* 59 « L'instrument multilatéral vient bouleverser les relations fiscales entre États : consacre-t-il l'apparition d'un nouvel outil juridique international efficace ? », Éric Lesprit, Marie-Charlotte Mathieu et Julie Mussard, Revue européenne et internationale de droit fiscal, décembre 2017.

* 60 « La convention multilatérale de l'OCDE : vous ne lirez plus les conventions fiscales comme avant ! », Caroline Silberztein, Benoît Granel et Jean-Baptiste Tristram, Droit Fiscal n° 39, septembre 2017.

* 61 Réponse de la direction de la législation fiscale au questionnaire de votre rapporteur.

* 62 « Nous avons notifié les choix de la France à l'OCDE. Ils [...] deviendront définitifs lors du dépôt des instruments de ratification de la France et des autres juridictions. Évidemment, nous allons observer ce qui se passe au niveau international pour nous adapter mais les raisons qui ont présidé à telle ou telle option restent valables tant qu'elles ne sont pas remises en cause », in « La convention multilatérale OCDE : quel impact sur la fiscalité internationale ? », Actes de la soirée d'étude annuelle de l' International fiscal association (IFA), 4 octobre 2017, in Droit fiscal n° 51-52, décembre 2017.

* 63 Voir l'étude d'impact annexée au présent projet de loi.

* 64 Réponse de la direction de la législation fiscale au questionnaire de votre rapporteur.

* 65 « La convention multilatérale OCDE : quel impact sur la fiscalité internationale ? », Actes de la soirée d'étude annuelle de l' International fiscal association (IFA), 4 octobre 2017, in Droit fiscal n° 51-52, décembre 2017.

* 66 Réponse de la direction de la législation fiscale au questionnaire de votre rapporteur.

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