CHAPITRE III - POURSUIVRE LA DÉCENTRALISATION EN FAVEUR DE LA RÉGION

Article 17 (art. L. 4211-1 du code général des collectivités territoriales ; art. L. 5311-3, L. 5311-3-1, L. 5312-3, L. 5312-4, L. 5312-10, L. 6123-3 et L. 6123-4 du code du travail) - Compétences des régions en matière d'emploi, d'apprentissage et de formation professionnelle

L'article 17 de la proposition de loi a pour objet, d'une part, de conforter les compétences des régions en matière d'apprentissage et de formation professionnelle, d'autre part, de poursuivre la décentralisation à leur profit de la politique de l'emploi.

1. La région : un échelon stratégique, des compétences fragilisées

La région, qui exerce désormais l'essentiel des compétences dévolues aux collectivités territoriales en matière de développement économique 73 ( * ) , est, par là-même, un partenaire indispensable des politiques de l'emploi, de l'apprentissage et de la formation professionnelle.

1.1. De larges compétences en matière d'apprentissage et de formation professionnelle, aujourd'hui remises en cause

Poursuivant un mouvement de décentralisation entamée en 1983 74 ( * ) , la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale a fait de la région un acteur incontournable des politiques d'apprentissage et de formation professionnelle des jeunes et des adultes .

Certes, l'État conserve d'importantes compétences, soit exclusives (formation professionnelle initiale des jeunes sous statut scolaire et universitaire, missions de prospective et d'appui attribuées à l'Agence nationale pour la formation professionnelle [AFPA] 75 ( * ) ), soit concurrentes (participation au financement de formations 76 ( * ) ), soit conjointes (élaboration et adoption conjointes, avec la région, de documents de planification).

Néanmoins, la région « organise et finance le service public régional de la formation professionnelle 77 ( * ) ». À ce titre :

- elle participe à l'élaboration et à la conclusion du contrat de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelles (CPRDFOP), décliné en conventions annuelles et qui inclut les sections de formation professionnelle des établissements d'enseignement secondaire 78 ( * ) ;

- la création des centres de formation d'apprentis et des sections d'apprentissage des établissements d'enseignement est subordonnée à la conclusion d'une convention avec la région, ce qui permet à celle-ci de s'assurer de l'adéquation de l'offre à la demande locale et de la bonne distribution territoriale des implantations 79 ( * ) ;

- la région contribue au financement de formations grâce à la « ressource régionale pour l'apprentissage » , constituée d'une part (égale à 51 %) du produit de la taxe d'apprentissage et d'une part du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) 80 ( * ) ;

- sa compétence a été étendue par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 précitée à la formation professionnelle des personnes handicapées, des personnes détenues et des Français établis hors de France ;

- la région assure avec l'État le service public de l'orientation tout au long de la vie , et elle coordonne l'action des organismes autres que les services d'orientation internes aux établissements scolaires et universitaires.

Cette décentralisation des politiques publiques en matière d'apprentissage et de formation professionnelle, lente, hésitante, mais réelle, est aujourd'hui menacée d'un coup d'arrêt brutal.

En effet, le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel , adopté le 27 avril 2018 en conseil des ministres, tend à déposséder les régions d'une large partie de leurs prérogatives au profit de l'État et des branches professionnelles.

Les régions perdraient, en premier lieu, l'essentiel de leurs compétences en matière d'apprentissage :

- le financement des formations en apprentissage serait confié, à titre principal, aux branches professionnelles, par le biais d' « opérateurs de compétences » paritaires ; les branches fixeraient le niveau de prise en charge, par ces opérateurs, du coût des contrats d'apprentissage et de professionnalisation ;

- les régions n'auraient plus vocation à contribuer au financement des centres de formation d'apprentis que lorsque des besoins d'aménagement du territoire et de développement économique le justifient, par des subventions d'investissement ou par la prise en charge d'une partie de leurs dépenses de fonctionnement (sous forme de majoration du niveau de prise en charge défini par les branches) ;

- la création de centres de formation d'apprentis serait libéralisée et ne serait donc plus soumise à la conclusion d'une convention avec la région ;

- en conséquence, les documents de planification co-élaborés par la région (CPRDFOP, programme régional annuel d'apprentissage et de formation professionnelle continue, carte régionale annuelle des formations professionnelles initiales) ne porteraient plus sur l'apprentissage.

En outre :

- seuls les partenaires sociaux seraient associés au nouveau régime de certification des diplômes et des titres à finalité professionnelle ;

- l'État reprendrait la main sur la formation professionnelle des jeunes sans qualification et des demandeurs d'emploi , par le biais d'un programme national qui, à défaut de conventionnement avec la région, pourrait être mis en oeuvre par l'État lui-même ;

- dans ce cadre, Pôle emploi pourrait de nouveau procéder ou contribuer à l' achat de formations collectives sans conclure de convention avec la région ; il en irait de même pour l'achat de formations rares ou « émergentes ».

1.2. La timide régionalisation de la politique de l'emploi

Dans le domaine de la politique de l'emploi - qui comprend l'accompagnement et le placement des demandeurs d'emploi, le versement à leur profit d'un revenu de remplacement et la sécurisation professionnelle des salariés - le processus de décentralisation est resté très en-deçà des attentes .

Le service public de l'emploi reste en effet, pour l'essentiel, sous la dépendance de l'État . Il est principalement assuré par :

- les services de l'État chargés de l'emploi et de l'égalité professionnelle, et notamment les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), chargées de l'animation des autres acteurs ;

- Pôle emploi , institution nationale publique, pour le placement des demandeurs d'emploi et (pour le compte de l'Unédic) leur indemnisation ;

- l'Agence nationale pour la formation professionnelle , établissement public de l'État ;

- l'Unédic , association gérée paritairement par les partenaires sociaux, pour la gestion du régime d'assurance-chômage.

Contribuent en outre au service public de l'emploi :

- des organismes de placement spécialisés , tels que Cap emploi, qui se consacre à l'insertion professionnelle des personnes handicapées ;

- les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes, qui peuvent être constituées (sous forme d'associations ou de groupements d'intérêt public) par l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des organisations professionnelles et syndicales et des associations ;

- les maisons de l'emploi , dont le ressort (adapté à la configuration d'un bassin d'emploi) ne peut excéder le territoire d'une région, et qui exercent une mission d'observation de la situation locale de l'emploi et d'anticipation des mutations économiques, contribuent à la coordination des actions du service public de l'emploi et participent à l'accompagnement des personnes à la recherche d'une formation ou d'un emploi, au maintien et au développement de l'activité et de l'emploi, ainsi qu'à l'aide à la création et à la reprise d'entreprise.

Il est tout à fait paradoxal que le conseil régional, qui assume des missions importantes en matière de développement économique, de formation professionnelle et (pour l'heure) d'apprentissage, ne soit pas mieux associé à la politique de l'emploi.

Face à ce constat, est apparue la nécessité, d'une part, de renforcer la coordination des actions menées dans ces différents domaines, d'autre part, de mieux régionaliser la politique de l'emploi : ce fut l'un des objets de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 précitée puis, beaucoup plus timidement, ensuite, de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République , dite loi « NOTRe ».

Ont ainsi été créés un Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle (CNEFOP) où siègent notamment des représentants de l'État, des régions et des partenaires sociaux, ainsi qu'un Comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelle (CREFOP) . Le CREFOP, où siègent des représentants de l'Etat, de la région, des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs représentatives, des chambres consulaires et, avec voix consultative, des principaux opérateurs, est co-présidé par le président du conseil régional et le préfet de région 81 ( * ) . Cette instance de concertation et de coordination au niveau régional doit notamment adopter, avant sa signature par le président du conseil régional, le préfet et les autorités d'académie, le contrat de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelles (CPRDFOP) élaboré par la région 82 ( * ) .

Dans le même esprit, le président du conseil régional et le préfet de région ont été chargés d'élaborer une stratégie coordonnée en matière d'emploi, d'orientation et de formation professionnelles , qui doit être cohérente avec le schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation 83 ( * ) .

Enfin, et surtout, le président du conseil régional et le préfet de région doivent désormais signer avec les principaux opérateurs de la politique de l'emploi - Pôle emploi, les missions locales, les organismes spécialisés dans l'insertion professionnelle des personnes handicapées, les présidents de maison de l'emploi et les structures gestionnaires de plans locaux pluriannuels pour l'insertion et l'emploi - une convention pluriannuelle de coordination de l'emploi, de l'orientation et de la formation 84 ( * ) .

À défaut d'avoir décentralisé le service public de l'emploi au profit des régions, du moins le législateur a-t-il ainsi reconnu la nécessité impérieuse de définir une politique de l'emploi régionalisée, capable d'assurer la cohérence des actions menées et leur adaptation aux besoins locaux . Le principe a été posé selon lequel « la région participe à la coordination des acteurs du service de l'emploi sur son territoire 85 ( * ) ».

Lors de l'examen de la loi « NOTRe », le Sénat avait proposé d'aller plus loin, en confiant à la seule région le soin de coordonner les acteurs du service public de l'emploi sur son territoire, et en l'associant plus étroitement à la gouvernance de Pôle emploi , ce qui impliquait, d'une part, de soumettre à l'avis des conseils régionaux la convention pluriannuelle d'objectifs que l'institution conclut avec l'État et l'Unédic, d'autre part, d'accorder aux régions un représentant de plein droit au conseil d'administration. Seule cette dernière proposition a été reprise dans le texte définitif.

À l'initiative de nos collègues députés, a en revanche été introduite dans la loi la possibilité pour l'État de déléguer à la région « la mission de veiller à la complémentarité et de coordonner l'action des différents intervenants » du service public de l'emploi, ainsi que de mettre en oeuvre « la gestion prévisionnelle territoriale des emplois et des compétences » .

Nos anciens collègues rapporteurs Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck avaient d'emblée émis des doutes sur la portée d'une telle disposition 86 ( * ) . Leurs doutes, hélas, ont été confirmés. Une instruction ministérielle du 14 octobre 2016 a donné une interprétation abusivement restrictive de ces dispositions déjà bien limitées :

- le champ d'application de la délégation de compétence est circonscrit aux deux missions énoncées ci-dessus, et « aucune autre délégation en matière d'emploi ne peut être demandée » ;

- ces deux missions sont, en outre, étroitement définies : la coordination, comme la tâche « d'assurer la mise en cohérence des actions des partenaires autour d'objectifs stratégiques », qui se distingue ainsi du « pilotage organisationnel, qui consiste à valider les choix stratégiques et à contrôler la réalisation effective des objectifs fixés » ; la gestion prévisionnelle territoriale des emplois et des compétences, comme « une démarche globale visant la mise en oeuvre d'un plan de développement en faveur de l'emploi et des compétences dans les territoires à partir d'une stratégie partagée et anticipée, organisée autour d'un dialogue social territorialisé. La GPEC territoriale est avant tout un mécanisme de mise en cohérence et de priorisation de mesures » ;

- l'instruction dresse une longue liste de crédits qui ne sont pas susceptibles d'être délégués à la région, soit parce qu'ils couvrent les dépenses d'intervention d'opérateurs tels que Pôle emploi, soit parce qu'ils sont rattachés à un dispositif national tel que le contrat de génération, le fonds pour l'insertion professionnelle des jeunes ou les subventions aux entreprises adaptées, soit parce qu'ils ne relèvent pas de la coordination des acteurs ou de la gestion prévisionnelle territoriale des emplois et des compétences, comme les écoles de la deuxième chance ou les dispositifs locaux d'accompagnement, soit encore, en ce qui concerne les crédits des missions locales, parce que celles-ci mettent en oeuvre des dispositifs nationaux - même la ligne budgétaire « animation des réseaux des missions locales » ne peut être déléguée, en raison de l'exigence d'une « cohérence globale du pilotage du réseau » ;

- toute mise à disposition de service est exclue préalablement à l'évaluation des premières délégations accordées ;

- enfin, l'instruction préconise de fixer à trois ans au lieu de six la durée de la délégation 87 ( * ) .

Un récent rapport de l'Inspection générale de l'administration voit dans cette instruction ministérielle l'illustration d'une tentation, de la part des administrations centrales, de limiter la portée et le contenu des délégations voulues par le législateur 88 ( * ) . Il n'est pas étonnant, dès lors, qu'aucun projet de délégation n'ait abouti, malgré les demandes formulées par sept conseils régionaux 89 ( * ) .

2. Les objectifs poursuivis par la proposition de loi : consolider et renforcer les compétences des régions

Constatant que les compétences des régions en matière d'emploi, d'apprentissage et de formation professionnelle sont aujourd'hui fragilisées, tant en raison de l'application faite par l'administration de la législation en vigueur que des projets de réforme gouvernementaux, les auteurs de la proposition de loi entendent réagir à cette recentralisation qui ne dit pas son nom .

Pour ce faire, ils proposent tout d'abord d' inscrire dans la liste des compétences régionales , telle qu'elle figure dans le code général des collectivités territoriales, la conduite de la politique régionale d'accès à l'apprentissage et à la formation professionnelle des jeunes et des adultes , y compris par la conclusion des conventions prévues par le code du travail pour la création des centres de formation d'apprentis, ainsi que la coordination des acteurs du service public de l'emploi.

Ensuite, ils souhaitent confier à la seule région le soin de coordonner les acteurs du service public de l'emploi sur son territoire , sous réserve des missions incombant à l'État. Cela se traduirait par le fait que le président du conseil régional, désormais, présiderait seul le CREFOP, dont la vice-présidence serait assurée par le préfet de région, un représentant des organisations syndicales de salariés et un représentant des organisations professionnelles d'employeurs. La commission chargée spécifiquement, au sein du CREFOP, de la coordination des acteurs du service public de l'emploi, jugée redondante, serait supprimée. En outre, le président du conseil régional signerait seul - et non plus conjointement avec le préfet - la convention pluriannuelle de coordination de l'emploi, de l'orientation et de la formation avec les opérateurs du service public de l'emploi. Cette convention déterminerait la contribution éventuelle de la région aux actions entreprises.

En conséquence, la stratégie coordonnée en matière d'emploi, d'orientation et de formation professionnelle élaborée conjointement par le président du conseil régional et le préfet de région serait supprimée.

La région se verrait obligatoirement transférer - et non plus déléguer au bon vouloir de l'État - la mise en oeuvre de la gestion prévisionnelle territoriale des emplois et des compétences , sans préjudice des prérogatives de Pôle emploi. Ce transfert ferait l'objet d'une compensation financière.

Enfin, les régions seraient associées plus étroitement à la gouvernance de Pôle emploi : elles seraient consultées sur la convention pluriannuelle tripartite associant Pôle emploi à l'État et à l'Unédic et disposeraient de deux sièges, au lieu d'un actuellement, au conseil d'administration de l'institution publique.

3. La position de votre commission : poursuivre la décentralisation de la politique de l'emploi

Votre commission a souscrit à l'objectif , poursuivi par les auteurs de la proposition de loi, de préserver les acquis de la décentralisation des politiques de l'emploi, de l'apprentissage et de la formation professionnelle.

Elle a même souhaité aller plus loin, en renforçant le rôle des régions dans la conduite de la politique de l'emploi . Qui mieux que les régions, parfaitement au fait de la situation locale de l'économie et de l'emploi, compétentes en matière de développement économique et de formation professionnelle, pourrait donc apparier l'offre et la demande d'emploi sur leur territoire ? Orienter les demandeurs d'emploi vers les postes qui leur correspondent ou des formations qualifiantes ? Accompagner les salariés dans leurs transitions professionnelles ? Un rapport de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), daté de 2014, insistait justement sur la nécessité de décloisonner les politiques de l'emploi, de la formation professionnelle et du développement économique et de définir, pour chacun de ces domaines, des stratégies coordonnées à l'échelon local 90 ( * ) .

Toutefois, l'article 40 de la Constitution ne permet pas au Parlement d'aller bien loin dans cette direction. Il fait obstacle, en effet, à ce qu'un amendement d'initiative parlementaire ou une proposition de loi transfère une charge d'une personne publique à une autre 91 ( * ) . Pour décentraliser vraiment la politique de l'emploi, il faudrait transférer aux régions les services de l'État qui y participent et transformer (en tout ou partie) Pôle emploi et l'AFPA en un réseau d'établissements publics ou institutions régionaux, ce que seul le Gouvernement est autorisé à proposer.

À défaut, votre commission a choisi, sur proposition de son rapporteur, d' élargir le champ des délégations de compétences susceptibles d'être consenties par l'État aux conseils régionaux . Ce ne serait plus seulement un rôle de coordination, mais des missions opérationnelles qui seraient déléguées aux conseils régionaux, y compris la gestion de dispositifs dits « nationaux » ou le financement et l'animation des missions locales. Le champ et la durée de cette délégation, ainsi que les moyens mis à disposition de la région, seraient déterminés par convention, dans les conditions de droit commun définies à l'article L. 1111-8-1 du code général des collectivités territoriales.

On ne peut qu'espérer que de telles délégations, en démontrant leur pertinence, inciteront le Gouvernement à proposer un jour une véritable décentralisation de la politique de l'emploi.

Il a paru inutile de prévoir une compensation financière du transfert aux régions de la compétence exclusive de coordination des acteurs du service public de l'emploi. L'exclusivité de cette compétence se traduira par le fait que le président du conseil régional présidera seul le CREFOP et signera seul la convention pluriannuelle de coordination de l'emploi, de l'orientation et de la formation, ce qui n'aura aucun coût.

Pour faciliter l'exercice par la région de sa mission de coordination, en revanche, votre commission a souhaité que les conseils régionaux soient consultés sur la nomination des directeurs régionaux de Pôle emploi , avec qui ils ont quotidiennement affaire.

Il lui a semblé préférable de maintenir, au sein du CREFOP, la commission chargée de la coordination des politiques de l'emploi, ainsi que la stratégie coordonnée en matière d'emploi, d'orientation et de formation professionnelles prévue à l'article L. 6123-4-1 du code du travail, élaborée de concert par le président du conseil régional et le représentant de l'État. Même si la région devient cheffe de file en la matière, elle devra nécessairement se concerter avec l'État et les autres acteurs concernés.

Enfin, plutôt que de transférer obligatoirement aux régions la mise en oeuvre de la gestion prévisionnelle territoriale des emplois et des compétences - compétence dont les contours sont flous, de même que les moyens que requiert son exercice 92 ( * ) - votre commission a choisi de leur donner les moyens juridiques d'accomplir cette tâche si elles le souhaitent, en imposant aux administrations et aux établissements publics de l'État, aux organismes consulaires et aux organismes paritaires participant aux politiques de l'orientation, de l'emploi et de la formation professionnelle de communiquer au CREFOP les éléments d'information et les études dont ils disposent et qui lui sont nécessaires pour l'exercice de ses missions.

L'ensemble de ces modifications ont fait l'objet d'un amendement COM-53 du rapporteur , adopté par votre commission.

Votre commission a adopté l'article 17 ainsi modifié .

Article 18 (art. L. 123-1, L. 211-7, L. 214-2, L. 232-1, L. 614-3 [abrogé], L. 671-1, L. 681-1, L. 683-1, L. 683-2, L. 684-1, L. 684-2, L. 711-1, L. 711-4, L. 711-6, L. 718-5 et L. 752-1 du code de l'éducation, art. L. 812-1 du code rural et de la pêche maritime) - Renforcement des compétences des régions en matière d'enseignement supérieur

L'article 18 de la proposition de loi a pour objet de renforcer le rôle des conseils régionaux dans le pilotage national des politiques d'enseignement supérieur et de recherche, et de mieux les associer à la gouvernance des établissements.

1. L'indispensable association des régions au pilotage de la politique d'enseignement supérieur

Par ses compétences stratégiques en matière d'orientation, de formation professionnelle et de développement économique, la région est, tout naturellement, appelée à jouer un rôle croissant dans le pilotage de la politique nationale en matière d'enseignement supérieur .

Elle s'est d'ailleurs vu confier des attributions importantes en la matière.

Ainsi, la région est associée à l'élaboration de la politique nationale de la recherche et de la technologie. Elle a notamment pour mission de « veiller à la diffusion et au développement des nouvelles technologies, de la formation et de l'information scientifiques et techniques, à l'amélioration des technologies existantes, au décloisonnement de la recherche et à son intégration dans le développement économique, social et culturel de la région 93 ( * ) ».

Depuis l'adoption de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche , la région est chargée d'élaborer, en concertation avec les autres collectivités territoriales et leurs groupements compétents, un schéma régional de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation 94 ( * ) . Ce schéma définit des orientations partagées et des priorités d'interventions, et il précise les opérations que la région soutient. Il comprend également un volet relatif à l'intervention des établissements d'enseignement supérieur au titre de la formation professionnelle continue, en cohérence avec le contrat de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelles.

L'exemple du schéma régional de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation pour les années 2017 à 2022 de la région Île-de-France

Le schéma régional de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (SRESRI) pour les années 2017 à 2022, adopté par le conseil régional de la région Île-de-France le 21 septembre 2017, définit plusieurs plans d'action.

1° Afin d' améliorer l'orientation et de promouvoir l'égalité des chances , la région se propose :

- de créer un nouveau portail d'orientation à destination des lycéens, étudiants et apprentis, mais aussi des demandeurs d'emplois et salariés en réorientation ;

- d'augmenter le nombre des « cordées de la réussite », dispositifs d'accompagnement et de tutorat destinés aux élèves de milieux modestes, dans le cadre d'un partenariat entre un établissement d'enseignement supérieur et un collège ou un lycée ;

- de financer le cycle de préparation au diplôme d'accès aux études universitaires (DAEU) proposé par quatorze universités franciliennes et d'accorder des aides individuelles à plus de la moitié des étudiants inscrits ;

- d'octroyer une aide financière aux boursiers ayant obtenu la mention « très bien » au baccalauréat.

2° Pour développer la formation tout au long de la vie , la région entend soutenir des partenariats innovants entre acteurs publics et privés, en vue notamment de proposer aux salariés et demandeurs d'emploi une nouvelle offre de cursus de formation courts dans les universités et les écoles.

3° La région continue à soutenir la recherche en finançant des chaires et des appels à projets. Soucieuse de favoriser la valorisation de la recherche et le transfert de technologie , elle s'attache à renforcer les liens entre les laboratoires de recherche et le tissu économique, et apporte son soutien aux structures d'innovation et de transfert (incubateurs, partenariats au sein des pôles de compétitivité, etc. ).

4° Diverses initiatives sont également prévues pour assurer la diffusion de la culture scientifique et technique et le rayonnement de la région dans ces domaines.

5° La région veut promouvoir des « campus innovants » , notamment en orientant son soutien financier aux investissements immobiliers vers des aménagements nécessités par le renouvellement de la pédagogie. Elle apporte son soutien aux initiatives étudiantes visant à développer la vie de campus, ainsi qu'au développement de l'entreprenariat étudiant.

6° Enfin, la région s'attache à renforcer l'attractivité des établissements franciliens , en favorisant l'élaboration d'une stratégie partagée et en travaillant à l'amélioration des conditions d'accueil des chercheurs étrangers. Elle apporte aussi son aide à la mobilité internationale des étudiants franciliens.

S'agissant plus particulièrement des universités , les régions participent à leur gouvernance : elles disposent depuis 2007 d'un siège au moins dans leur conseil d'administration 95 ( * ) , et sont normalement « associées », comme les autres collectivités territoriales concernées, au contrat pluriannuel de site conclu, depuis 2013, avec les établissements regroupés sur une base territoriale 96 ( * ) .

2. Le dispositif proposé : associer les régions à l'élaboration de la carte des formations supérieures et de la recherche

Forts de ces constats, les auteurs de la proposition souhaitent que les régions soient plus étroitement associées à la planification, au niveau national, de la politique d'enseignement supérieur et de recherche . Plus particulièrement, ils proposent que les conseils régionaux ne soient plus seulement consultés lors de l'élaboration de la carte des formations supérieures et de la recherche prévue à l'article L. 614-3 du code de l'éducation, mais que chaque région dispose, pour ce qui concerne le territoire régional, du pouvoir d'approuver ou non la carte. Celle-ci devrait, en outre, prendre en compte le schéma régional de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

3. La position de votre commission : donner aux régions un rôle effectif dans l'élaboration de la politique nationale d'enseignement supérieur et de recherche et dans la gouvernance des universités

Votre rapporteur a approuvé dans son principe ce renforcement du rôle de la région dans la conduite de la politique d'enseignement supérieur et de recherche. Comme le notait le professeur Vincent Berger dans son rapport sur les assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, en 2012, « il faut reconnaitre que l'on ne peut pas tout piloter depuis Paris . La région - et les villes - se situent bien à un niveau pertinent pour réfléchir à l'orientation professionnelle, à l'organisation de la vie étudiante. Elles connaissent le tissu économique local, les besoins et les possibilités de formations par apprentissage ou en alternance, les développements à venir concernant les transports, l'immobilier, les logements étudiants. Cette connaissance leur permet d'exprimer des besoins et de viser des objectifs complémentaires de ceux de l'État 97 ( * ) . »

Toutefois, il est apparu à votre rapporteur que d'autres voies, plus effectives, pouvaient être empruntées pour parvenir à cet objectif.

En effet, dans son principe, l'attribution à chaque conseil régional d'un pouvoir d'approbation de la carte des formations supérieures et de la recherche pourrait conduire à un blocage préjudiciable, en cas de désaccord entre eux ou avec l'État. Mais surtout, la carte des formations supérieures et de la recherche est un dispositif de planification tombé en désuétude depuis plusieurs décennies 98 ( * ) .

Plusieurs autres dispositions ont donc paru plus opportunes afin de renforcer le rôle des régions, d'une part, dans le pilotage national de la politique d'enseignement supérieur et de recherche, en particulier dans la planification du développement et de la répartition territoriale des services publics d'enseignement supérieur et de recherche, d'autre part, dans la gouvernance des établissements. Ces dispositions ont fait l'objet d'un amendement COM-54 que votre commission a adopté sur proposition de son rapporteur.

En premier lieu, il convient de consolider la place des régions au sein du Conseil national supérieur de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) , organisme consultatif chargé notamment de formuler un avis sur les projets de stratégie nationale de l'enseignement supérieur et de stratégie nationale de recherche, sur les orientations générales des contrats pluriannuels d'établissement et de site, sur la répartition des moyens entre les différents établissements et sur les projets de réforme relative à l'emploi scientifique 99 ( * ) . Actuellement, la présence des régions au sein de cet organisme est prévue par voie réglementaire, et elles n'y comptent qu'un représentant. La loi imposerait désormais la présence de trois représentants des régions, désignés sur proposition du collège des présidents de conseil régional.

En deuxième lieu, votre commission a souhaité que les stratégies nationales de l'enseignement supérieur et de la recherche soient soumises pour avis à l'ensemble des conseils régionaux .

En troisième lieu, il a paru indispensable que les régions soient parties aux contrats pluriannuels d'établissement ou de site 100 ( * ) . Actuellement, la loi prévoit que les régions sont « associées » aux contrats de site, mais il apparaît, à leur lecture, qu'elles n'en sont pas signataires 101 ( * ) . Lors des assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, en 2012, avait pourtant été envisagée la conclusion de contrats tripartites entre l'État, les régions et les établissements. Les craintes qui s'étaient alors exprimées n'ont pas lieu d'être : il n'est pas question d'ouvrir la voie à une « régionalisation » de l'enseignement supérieur et de la recherche , l'État demeurant le garant de la qualité de l'enseignement et de la production scientifique ainsi que de la répartition équitable de ces services publics sur le territoire. Il conserve, à cet effet, les plus larges pouvoirs : il exerce une tutelle sur les établissements et les finance très largement ; il détermine en grande partie les orientations de la recherche publique, par le biais des financements apportés par l'Agence nationale de la recherche (ANR) ; il contrôle enfin la qualité des enseignements et de la recherche par l'intermédiaire d'une autorité administrative indépendante, le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres). En revanche, il est nécessaire que les attentes et les apports des régions soient mieux pris en compte au moment de définir la stratégie de moyen terme des établissements et de leurs regroupements 102 ( * ) .

En dernier lieu, et par cohérence, il est proposé que le conseil régional soit consulté lors de la création d'un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel .

Les dispositions obsolètes relatives à la carte des formations supérieures et de la recherche seraient par ailleurs abrogées.

Votre commission a adopté l'article 18 ainsi modifié .


* 73 Il convient d'excepter les métropoles, qui restent non seulement compétentes en matière de développement économique, comme les autres EPCI à fiscalité propre, mais qui adoptent conjointement avec les régions les orientations du schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) applicables sur leur territoire. À défaut d'accord avec la région, la métropole adopte un document d'orientations stratégiques qui prend en compte le schéma régional (article L. 4251-15 du code général des collectivités territoriales).

* 74 Loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État .

* 75 L'AFPA est un établissement public à caractère industriel et commercial de l'État. Ses missions sont définies à l'article L. 5315-2 du code du travail.

* 76 Les articles L. 6122-1 et suivants du code du travail réservent néanmoins cette possibilité aux formations dont le faible développement ou le caractère émergent justifient des actions définies au niveau national, ainsi qu'aux formations dans le secteur de l'artisanat.

* 77 Article L. 6121-2 du code du travail.

* 78 Articles L. 214-13 et L. 214-13-1 du code de l'éducation.

* 79 Articles L. 6232-1 et L. 6232-6 du code du travail.

* 80 Article L. 6241-2 du code du travail. En application de l'article 76 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels , neuf régions ont été autorisées à gérer également, à titre expérimental, le solde non affecté par les entreprises de la part dite « quota » du produit de la taxe professionnelle (décret n° 2016-1998 du 30 décembre 2016).

* 81 Article L. 6123-3 du code du travail.

* 82 Article L. 214-13 du code de l'éducation.

* 83 Article L. 6123-4-1 du code du travail.

* 84 Article L. 6123-4 du même code.

* 85 Article L. 5311-3 du même code.

* 86 Voir le rapport n° 450 (2014-2015) fait par nos deux anciens collègues, au nom de la commission des lois, lors de l'examen en deuxième lecture du projet de loi « NOTRe », p. 63-64. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l14-450-1/l14-450-11.pdf .

* 87 Instruction de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en date du 14 octobre 2016 (NOR ETSD162537J). En règle générale, la durée maximale d'une convention de délégation est fixée à six ans par l'article R. 1111-1-1 du code général des collectivités territoriales.

* 88 « Délégations de compétences et conférence territoriale de l'action publique, de nouveaux outils au service de la coopération territoriale », Inspection générale de l'administration, mai 2017, p. 39.

* 89 Ibid .

* 90 « Job Creation and Local Economic Development », OCDE, novembre 2014. Une version abrégée en langue française est consultable à l'adresse suivante : http://www.oecd.org/fr/regional/creation-d-emplois-et-developpement-economique-local-version-abregee-9789264230477-fr.htm.

* 91 Voir le rapport d'information n° 263 (2013-2014) sur la recevabilité financière des amendements et propositions de loi au Sénat fait, au nom de la commission des finances, par notre ancien collègue Philippe Marini, p. 68 sqq .

* 92 En outre, un tel transfert obligatoire serait contraire aux règles de recevabilité financière des initiatives parlementaires, comme cela a été rappelé.

* 93 Article L. 4252-1 du code général des collectivités territoriales.

* 94 Article L. 214-2 du code de l'éducation.

* 95 Article L. 712-3 du même code.

* 96 Article L. 718-5 du même code.

* 97 Rapport général de M. Vincent Berger au Président de la République sur les assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, remis le 17 décembre 2012. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Assises_esr/24/0/Assises-ESR-Rapport-Vincent-Berger-_237240.pdf .

* 98 Il avait été institué par l'article 19 de la loi n°84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur . La codification de ces dispositions, par l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de l'éducation , n'a pas fait disparaître certaines formules désuètes, comme la référence au « plan ». Pis, elle a rendu la rédaction incompréhensible : il était à l'origine question de la « carte des formations supérieures et de la recherche qui leur est liée », c'est-à-dire la recherche liée aux formations supérieures, et non pas la « carte (...) liée aux établissements d'enseignement supérieur », comme il est aujourd'hui écrit à l'article L. 614-3 du code de l'éducation.

* 99 Article L. 232-1 du code de l'éducation.

* 100 Rappelons que la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche a imposé le regroupement des établissements sur une base territoriale, soit par fusion, soit par la constitution d'une communauté d'universités et d'établissements (COMUE), soit par association (article L. 718-3 du code de l'éducation). Dans ces deux derniers cas, un seul contrat pluriannuel est conclu par l'État avec les établissements regroupés.

* 101 Ces contrats distinguent généralement entre les parties au contrat (le ministère de l'enseignement supérieur, la COMUE éventuelle et les établissements) et des signataires « en présence » desquels le contrat est conclu. Les régions ne figurent dans aucune de ces deux catégories. Voir par exemple le contrat pluriannuel de site 2014-2018 du 17 juillet 2014 relatif à la COMUE Paris Sciences et Lettres, consultable à l'adresse suivante :
http://www.chartes.psl.eu/sites/default/files/atoms/files/cdesite_psl_signature_1707_2014_2.pdf .

* 102 Ces contrats ont d'ailleurs une très faible portée normative et ne sauraient guère engager la responsabilité des parties : il s'agit plutôt de documents de programmation. Voir, à ce sujet, Ch. Maugüé, « Les réalités du cadre contractuel dans l'action administrative : l'exemple des contrats locaux de sécurité », AJDA, 1999, p. 36.

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