B. UN EFFORT DE LA NATION AU PROFIT DES ANCIENS COMBATTANTS QUI DÉPASSE LARGEMENT LE CADRE DES DOTATIONS DE LA MISSION MAIS SE RÉDUIT AUSSI

Il convient de compléter la présentation des moyens de la mission par la prise en compte de transferts que ses crédits ne retracent pas, soit qu'ils soient financés à partir d'autres missions budgétaires, soit, c'est l'essentiel, qu'ils résultent d'avantages fiscaux ou sociaux attribués à tout ou partie des anciens combattants.

La prise en compte des seuls avantages fiscaux « hors-mission », conduit à rehausser significativement l'effort de la Nation envers les anciens combattants. Ils ne sont pas complètement évalués, ce qu'il faut déplorer, les seules dépenses faisant l'objet d'une évaluation conduisant à rehausser l'effort de la Nation envers les anciens combattants de 728 millions d'euros en 2019.

Sur cette base incomplète, l'effort pour les anciens combattants atteint un peu plus de 3 milliards d'euros en 2019 contre 2,3 milliards d'euros quand on ne prend en compte que les crédits budgétaires.

Observation : les transferts découlant d'aménagements des prélèvements obligatoires en faveur des anciens combattants sont incomplètement exposés et évalués.

Recommandation : procéder à une revue des aménagements des prélèvements obligatoires en faveur des anciens combattants afin d'en assurer un compte rendu et une estimation exhaustifs dans les annexes aux documents budgétaires.

1. Les déversements de crédits à partir d'autres missions abondent particulièrement les moyens consacrés à la Journée défense et citoyenneté

Les politiques publiques financées par la mission sollicitent des moyens qui sont loin d'être exhaustivement retracés par les dotations ouvertes en loi de finances au titre de la mission elle-même.

On doit regretter sur ce point une déperdition de l'information budgétaire de fait de la disparition des éléments permettant d'apprécier les crédits complets dédiés à une action publique donnée dans les documents budgétaires.

Recommandation : revenir à un état plus satisfaisant de l'information budgétaire en reprenant la présentation des crédits complets consacrés aux actions publiques financées par les programmes budgétaires.

Une partie, au demeurant très majoritaire, du coût de la Journée défense et citoyenneté (JDC) est prise en charge par la mission « Défense ». On peut l'estimer à près de 92 millions d'euros sur la base d'une reconstitution de données éparses.

En revanche, l'évaluation du concours de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » à la politique de réparation en faveur des victimes de l'Occupation couvert par le programme 158 n'est plus accessible.

La déperdition de l'information budgétaire sur les opérateurs de l'État, qui ne font plus l'objet que d'une présentation tronquée de leurs équilibres financiers, ajoute ses effets opacifiants sur le coût réel des missions financées par les programmes budgétaires.

Votre rapporteur spécial recommande que le retour à une présentation complète des crédits budgétaires mobilisés par les différentes interventions financées par la mission soit l'occasion de préciser dans les documents budgétaires correspondants l'ampleur du financement versé par le ministère de la santé au profit de l'Institution nationale des Invalides (INI).

2. Les transferts au profit des anciens combattants passent de plus en plus massivement par des dépenses fiscales et sociales non retracées dans les crédits de la mission
a) 728 millions d'euros de dépenses fiscales recensées

Mais ce sont principalement les différentes prestations au bénéfice des anciens combattants , financées par les dotations budgétaires du programme 169 , qui font l'objet de compléments par des transferts non retracés en crédits .

Ils sont évalués à 728 millions d'euros pour 2019 contre 743 millions d'euros pour l'année en cours.

Ceux-ci passent par une série de dépenses fiscales mais aussi de dépenses sociales dont seules certaines sont mentionnées dans les documents annexés aux différents projets de loi de finances examinés par le Parlement.

Les dépenses fiscales s'analysent comme des dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en oeuvre entraîne pour l'État une perte de recettes et donc, pour le contribuable, un allégement de la charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l'application des principes généraux du droit fiscal français.

Si une disposition applicable à la grande majorité des contribuables n'est pas considérée comme une dépense fiscale, à l'inverse, l'avantage accordé à une catégorie particulière de contribuables ou d'opérations économiques constitue une dépense fiscale.

Pouvant être assimilée à une dépense publique (il y a équivalence entre un prélèvement obligatoire suivi d'une dépense de même montant et l'abstention dudit prélèvement lorsqu'on analyse les relations entre les administrations publiques et les autres agents économiques), les dépenses fiscales doivent figurer dans les documents budgétaires, projets et rapports annuels de performances (PAP et RAP) conformément aux prescriptions de l'article 51 de la loi organique relative aux lois de finances.

Au fil du temps, l'effort de la Nation en faveur des anciens combattants tend à se déformer, le poids relatif des dépenses fiscales dans le total des transferts qui leur sont destinés ne cessant de se renforcer.

Ce processus résulte d'un effet de ciseaux entre les dépenses directes de transferts financées sur les crédits de la mission , qui suivent une trajectoire baissière, et les transferts assis sur les régimes fiscaux et sociaux réservant aux anciens combattants qui en réunissent les conditions des avantages. Comme l'indique le graphique ci-dessous ceux-ci représentent des masses financières, qui, pour apparaître stabilisées ces dernières années (toutefois, elles ne se réduisent pas), ont connu une forte hausse depuis la fin des années 2000.

Évolution du montant des dépenses fiscales associées à la mission
dans les documents budgétaires (2004-2019)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données des rapports annuels de performances et des programmes annuels de performances

b) Des dépenses fiscales et sociales toujours mal recensées qui sous-estiment les transferts en faveur de certains anciens combattants

Encore faut-il observer que seules quatre des sept dépenses fiscales recensées dans le rapport annuel de performances y sont évaluées tandis que l'inventaire des transferts alloués aux anciens combattants et à leurs ayants droits par la Cour des comptes conduit à constater que le recensement proposé par la documentation budgétaire continue d'être incomplet.

Recensement par la Cour des comptes des dépenses fiscales et sociales
non mentionnées par les documents budgétaires

L'impôt sur le revenu (IR)

Le projet annuel de performances (PAP) ne fait pas figurer :

- la part des dépenses fiscales découlant des dispositifs prévus par le programme 158 qui correspondrait à 3,5 % de la dépense n° 120126 ; le ministère de la défense, la direction du budget et le Secrétariat général du Gouvernement ont indiqué qu'ils étaient disposés à répartir la dépense fiscale qui figure aujourd'hui au titre du programme 169 entre les deux programmes 158 et 169 et à rattacher les montants correspondants dans le PAP. Des travaux seront entrepris à ce sujet ;

- l'exonération d'impôt sur le revenu des PMI reversées aux ayants droit des militaires et anciens combattants décédés, en vertu des dispositions du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre (CPMIVG) ;

- pour le programme 158, les indemnités versées aux ayants droit des victimes de spoliation qui sont exonérées d'impôt sur le revenu (IR).

Les droits de mutation

Le PAP ne mentionne pas l'exonération dont bénéficie le capital versé aux victimes de spoliations qui serait soumis au droit d'enregistrement (programme 158).

Les droits de succession

Le PAP ne mentionne pas que :

- la transmission du capital de la rente mutualiste, lorsqu'il a été opté pour le régime réservé viagèrement, se fait hors droit de succession dans la limite de la fiscalité actuelle ;

- pour les ayants droit des victimes de spoliations, les indemnités versées postérieurement au décès du bénéficiaire ne constituent pas un patrimoine taxable.

Les prélèvements sociaux

Certaines aides bénéficient d'exonérations de prélèvements sociaux :

- les PMI, la retraite du combattant, la retraite mutualiste des anciens combattants (dans la mesure où elle bénéficie de la majoration de l'État) et les allocations de reconnaissance servies aux anciens membres des formations supplétives de l'armée française en Algérie et leurs veuves sont exonérées de CSG et de CRDS. Cette exonération est d'ailleurs codifiée par l'article L. 136-2-III-3° du code de la sécurité sociale ; sur ce sujet, lors de différents échanges, le coût de l'exonération pour les retraites mutualistes a été estimé, en 2013, à 80 millions d'euros ; quant à la retraite du combattant, l'exonération est estimée à 67 millions d'euros ;

- les sommes perçues par les orphelins des victimes de la barbarie, les orphelins des victimes d'actes d'antisémitisme pendant la Seconde Guerre mondiale et par les victimes de spoliations ne sont pas soumis à prélèvements sociaux.

Bien que ces deux exonérations ne relèvent pas de la loi de finances initiale stricto sensu, et ne doivent pas figurer dans le PAP à ce titre, mais du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les montants correspondants viennent augmenter le coût global de cette politique. Ils pourraient donc être mentionnés dans les documents budgétaires pour porter à la connaissance de la représentation nationale le coût de cette politique.

L'impôt sur la fortune (ISF)

Le PAP ne fait pas figurer les dispositifs suivant qui sont exonérés d'ISF :

- l'exonération des sommes allouées aux ayants droit des victimes de persécutions antisémites en vertu de l'article 885 K du code général des impôts ;

- la rente mutualiste, sa valeur de capitalisation n'est pas imposable ;

- l'ensemble des aides financières versées aux orphelins et aux victimes de spoliations n'entrent pas dans le champ de l'ISF. Lorsque ces indemnités sont versées aux ayants droit des victimes elles sont également exonérées d'ISF.

Depuis la disparition de cet impôt, cet avantage n'est plus réservé aux personnes indiquées.

Source : note d'analyse budgétaire 2015. Cour des comptes

La montée en puissance des transferts fiscaux et sociaux dans le total des expressions de la reconnaissance de la Nation aux anciens combattants, que l'alourdissement du taux de CSG a encore alourdis, conjointe avec celle des majorations accordées aux rentes mutualistes conduit à une concentration des manifestations de soutien de la Nation à ses anciens combattants dans un contexte où les allocations les plus « universelles » ne bénéficient qu'exceptionnellement et de façon très irrégulière de revalorisations significatives.

3. Un suivi de la performance qui pourrait être plus... performant

Le suivi de la performance pourrait être complété pour mieux tenir compte de la vocation principale de la mission d'assurer des transferts au bénéfice des anciens combattants.

En l'état, la maquette de performances de la mission est centrée sur des éléments de gestion, c'est-à-dire sur des processus administratifs portant sur la productivité des services. Les indicateurs en cause apportent une information bienvenue, mais ils sont loin de traduire les enjeux sociaux et sociétaux auxquels entendent répondre les transferts au bénéfice des anciens combattants.

Pour la mission, la maquette de performance est organisée comme suit :

- un objectif et deux indicateurs pour le programme 167 ;

- quatre objectifs et quatre indicateurs pour le programme 169 ;

- un objectif et deux indicateurs pour le programme 158.

Le dispositif de performance du programme 169 illustre la polarisation du suivi de la performance sur des indicateurs de gestion.

Le suivi de la performance du programme est structuré par quatre objectifs accompagnés de quatre indicateurs.

Objectif

2019

N° Indicateur

Libellé indicateur

Prévision

2019/2018

1. Liquider les dossiers avec la meilleure efficacité et la meilleure qualité possibles

1.1

Délai moyen de traitement du flux de dossiers de pension militaire d'invalidité

260 jours/230j

2. Régler les prestations de soins médicaux gratuits avec la meilleure efficacité possible

2.1

Nombre moyen de dossiers de soins médicaux gratuits traités par agent

19 500/19 000

3. Fournir les prestations de l'ONAC-VG avec la meilleure efficacité possible

3.1

Nombre moyen de dossiers de cartes et titres traités par agent

900/1 100

4. Coût de la journée d'un pensionnaire de l'INI

4.1

Coût de la journée d'un pensionnaire de l'INI

405€/410€

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Si les délais de liquidation des dossiers de pensions militaires d'activité importent naturellement aux demandeurs, les autres indicateurs ne concernent vraiment que les gestionnaires du programme. Pour autant, les bénéficiaires des dispositifs financés par le programme sont médiocrement concernés alors même que celui-ci correspond à des politiques dont ils doivent être les premiers bénéficiaires. Quant aux parlementaires, leur attention aux coûts et aux avantages de ces dispositifs ne sauraient se borner à un chiffre de production par agent, qui, par ailleurs n'informe en rien sur la qualité des décisions prises.

L'impact social des choix budgétaires devrait être intégré à la maquette de performance du programme.

Par ailleurs, en restant dans le cadre de l'actuel suivi de la performance, votre rapporteur spécial avait pu observer que les résultats, pour s'être légèrement redressés, demeuraient fréquemment en deçà des cibles.

Il apparaissait, en particulier, que, le délai de traitement des dossiers de PMI était excessivement élevé.

Votre rapporteur spécial s'était inquiété que la modification de l'indicateur mise en oeuvre en 2018 (qui réduisait l'assiette des dossiers pris en compte aux seuls flux, à l'exclusion de nombre de demandes en stock), vienne affadir l'objectif d'une forte réduction des délais de traitement de l'ensemble des dossiers.

Une fois encore, force est de constater que le délai envisagé n'a pas été tenu. Il en est allé de même pour les deux objectifs suivants, qui ont dû être réajustés dans le sens d'une moindre ambition. Finalement, seul le coût de journée des pensionnaires de l'INI semble maîtrisé.

Dans ce panorama peu satisfaisant, il faut se féliciter que l'un des obstacles à un traitement convenable des demandes, la faiblesse du contingent des médecins participant au processus de révision des pensions, puisse peut-être être surmonté par une revalorisation des vacations versées à ce titre.

Cependant, ainsi qu'il sera montré ci-dessous, les dysfonctionnements dans l'exercice des droits ouverts tenant à la gestion des droits ne se limitent pas aux PMI.

Il convient d'en tenir pleinement compte.

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