II. LES TROIS OBJETS DU PROJET DE LOI ORGANIQUE

Reconnaître la « dette nucléaire » de la France à l'égard de la Polynésie française, faciliter l'exercice de ses compétences par le pays et garantir la stabilité des institutions territoriales, tels sont les trois principaux objets du projet de loi organique portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française.

A. RECONNAÎTRE LA « DETTE NUCLÉAIRE » DE LA FRANCE À L'ÉGARD DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE

Son article 1 er prévoit d'inscrire, au titre I er de la loi organique statutaire, une déclaration de principe selon laquelle la République reconnaît la contribution de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et à la défense de la Nation et s'engage à en assumer les conséquences , qu'il s'agisse de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires, de l'entretien et de la surveillance des sites d'expérimentation ou de la reconversion de l'économie polynésienne à la suite de la cessation des essais.

Quoique ces dispositions aient une portée essentiellement symbolique, votre commission a considéré qu'elles pouvaient avoir leur place en préambule d'une loi organique statutaire, dont le rôle est de définir les modalités d'intégration d'une collectivité d'outre-mer à la République.

B. FACILITER L'EXERCICE PAR LA POLYNÉSIE FRANÇAISE DE SES COMPÉTENCES

Un autre objectif poursuivi par le projet de loi organique est de faciliter l'exercice par la Polynésie française de ses compétences, en diversifiant les moyens dont elle dispose à cet effet, en précisant les attributions de ses institutions, en clarifiant ou en réorganisant les modalités de sa coopération avec l'État et avec les communes ou autres personnes publiques polynésiennes, et en procédant à divers autres ajustements.

1. Diversifier les modes d'organisation de l'action administrative
a) Élargir la possibilité de créer des autorités administratives indépendantes locales

À l'initiative de notre ancien collègue Christian Cointat, le législateur organique a autorisé en 2011 la Polynésie française à instituer des autorités administratives indépendantes (AAI) locales pour des « missions de régulation dans le secteur économique ». Seule AAI créée à ce jour 15 ( * ) , l'autorité polynésienne de la concurrence (APC) est compétente pour contrôler et sanctionner les pratiques anticoncurrentielles.

L' article 4 du projet de loi organique tend à élargir le périmètre des AAI locales , qui pourraient désormais assurer des missions de régulation dans tous les domaines relevant de la compétence de la Polynésie française (santé publique, communications électroniques, etc .).

Il vise, en outre, à inscrire au niveau organique un régime particulièrement exigeant d'incompatibilité pour les membres des AAI locales. Ces derniers auraient notamment l'interdiction d'exercer tout mandat électif (y compris les mandats locaux) et d'accéder à la plupart des emplois publics.

Suivant son rapporteur, votre commission a supprimé ce nouveau régime d'incompatibilité, considérant qu'il relevait de la compétence de l'assemblée de la Polynésie française et qu'il assècherait le vivier de compétences des AAI locales 16 ( * ) . Seule serait maintenue au niveau organique l'incompatibilité entre les fonctions de membre d'une AAI locale, d'une part, et de membre de l'assemblée ou du gouvernement de la Polynésie française, d'autre part 17 ( * ) .

b) Autoriser la création de sociétés publiques locales

L' article 5 du projet de loi organique vise à permettre à la Polynésie française et à ses établissements publics de créer des sociétés publiques locales (SPL) , c'est-à-dire des sociétés commerciales par actions dont le capital est exclusivement détenu par des personnes publiques, pour réaliser des opérations d'aménagement ou de construction, pour exploiter des services publics à caractère industriel et commercial, ou pour toute autre activité d'intérêt général. En métropole et sur le territoire des collectivités d'outre-mer où s'applique en la matière le principe d'identité législative, les collectivités territoriales et leurs groupements disposent de cette faculté depuis 2010.

Sur proposition de son rapporteur, et à la demande de l'assemblée de la Polynésie française, votre commission a assoupli le régime proposé pour permettre la création de SPL unipersonnelles et pour autoriser les SPL polynésiennes à exercer des activités accessoires , à côté de celles qu'elles exerceraient pour le compte de leurs actionnaires.

En contrepartie, et pour éviter toute dérive financière, votre commission a renforcé les pouvoirs de contrôle de l'assemblée de la Polynésie française et du haut-commissaire sur la gestion des SPL qui auraient bénéficié d'une aide financière ou d'une garantie d'emprunt octroyée par le pays.

2. Consolider les compétences de la Polynésie française
a) Élargir le champ des activités internationales de la Polynésie française

Le statut de la Polynésie française reconnaît à cette collectivité de larges compétences internationales . Elle peut ainsi participer à la négociation des accords internationaux aux côtés de la France, négocier et conclure des accords de manière autonome, disposer de représentations auprès de tout État et participer aux organisations internationales du Pacifique en tant que membre, membre associé ou observateur.

L' article 6 du projet de loi organique tend à élargir le périmètre géographique des organisations internationales auxquelles peut participer la Polynésie française , avec l'accord des autorités de la République. Cette prérogative n'étant plus réduite à la zone Pacifique, il lui serait ainsi possible d'adhérer à des institutions spécialisées de l'Organisation des nations unies (ONU), ou encore à l'Organisation internationale de la francophonie (OIF).

b) Consolider la compétence du pays en matière de terres rares

Les gisements minéraux des fonds océaniques du Pacifique constituent aujourd'hui un enjeu économique et géostratégique considérable. Il en va ainsi, tout particulièrement, des gisements de « terres rares », ces dix-sept métaux aux propriétés voisines, nécessaires à la fabrication de produits de très haute technologie.

La Polynésie française exerce aujourd'hui les droits d'exploration et d'exploitation des ressources naturelles biologiques et non-biologiques de ses eaux intérieures, ainsi que du sol, du sous-sol et des eaux sur-jacentes de la mer territoriale et de la zone économique exclusive . Afin de lever toute ambigüité sur ce point, l' article 9 du projet de loi organique vise à préciser que ces droits s'étendent aux terres rares . Sur proposition de son rapporteur, votre commission y a ajouté les droits de conservation et de gestion des ressources naturelles, qui concernent les ressources biologiques.

3. Ajuster les attributions des institutions polynésiennes
a) Étendre les compétences du Conseil économique, social et culturel (CESC)

Le Conseil économique, social et culturel est la quatrième institution de la Polynésie française mentionnée par la loi organique. Il est chargé de rendre des avis sur les projets ou propositions de loi du pays à caractère économique ou social, et peut être consulté sur tout autre projet ou proposition de loi du pays ou de délibération ainsi que sur toute question à caractère économique, social ou culturel.

L' article 14 du projet de loi organique vise à transformer le CESC en un Conseil économique, social, environnemental et culturel (CESEC) . Les modalités d'organisation de cet organisme étant fixées par une délibération de l'assemblée de la Polynésie française, il reviendrait à cette dernière d'y intégrer effectivement la dimension environnementale. Votre commission a néanmoins souhaité indiquer dans la loi organique que le CESEC pourrait également être saisi des questions à caractère environnemental , en cohérence avec sa dénomination. Elle a également précisé le régime des autorisations d'absence et des crédits d'heures , pour répondre à une difficulté concrète rencontrée aujourd'hui par les membres de cette institution, et introduit une disposition indiquant que le mode de désignation des représentants au sein de cette institution favorisait la parité.

b) Retoucher et clarifier la répartition des attributions entre le président, le gouvernement et l'assemblée

L'article 11 du projet de loi organique prévoit que le président de la Polynésie française, lorsqu'il est déclaré comptable de fait, puisse être remplacé en sa qualité d' ordonnateur par son vice-président mais également par un autre membre du gouvernement (article 11) .

À la demande des institutions polynésiennes, votre commission a apporté quelques retouches aux attributions du conseil des ministres ( articles 11 bis à 11 ter nouveaux ) :

- les conventions conclues avec les personnes morales en application de lois du pays ou de délibérations de l'assemblée ne seraient plus soumises à son approbation préalable, mais relèveraient de la seule compétence du président ;

- l'attribution d'aides financières ne devrait être approuvée par le conseil des ministres que lorsque ces aides sont destinées à des personnes morales ;

- le conseil des ministres serait désormais chargé d'approuver les conventions avec les établissements publics et organismes métropolitains, au lieu de l'assemblée ;

- la liste des emplois qui doivent être pourvus en conseil des ministres serait étendue au chef du secrétariat du conseil des ministres et pourrait être complétée par une loi du pays ;

- le conseil des ministres serait chargé de déterminer les modalités de prise en charge - et non plus de remboursement - des frais de transport et de mission du président de la Polynésie française et des autres membres du gouvernement.

Votre commission a également précisé que l'assemblée de la Polynésie française était compétente pour déterminer les modalités de prise en charge des frais de transport et de mission de ses représentants, rétablissant une disposition malencontreusement supprimée en 2007 ( article 13 bis nouveau )

Par ailleurs, le Conseil d'État serait désormais seul chargé d'examiner les questions de droit adressées par le président de la Polynésie française ou le président de l'assemblée à la juridiction administrative, lorsqu'elles portent sur la répartition des compétences entre le président, le gouvernement et l'assemblée ( article 19 nouveau ).

4. Faciliter la coopération entre le pays, les communes et les autres personnes publiques polynésiennes

Le projet de loi organique tend également à faciliter l'exercice concomitant de certaines compétences par les communes et la collectivité de Polynésie française .

La loi organique statutaire définit en effet un certain nombre de compétences dans le champ desquelles les communes peuvent être autorisées par la Polynésie française à intervenir , sous réserve du transfert par cette dernière des moyens nécessaires à l'exercice de ces compétences. Répondant à une demande conjointe du pays et des communes, l' article 7 du projet de loi organique supprime l'obligation de transfert des moyens . La Polynésie française conserverait néanmoins le pouvoir de réglementer les matières dans lesquelles les communes pourraient intervenir ainsi que le champ exact de ces interventions. Cet article élargit également le champ des compétences pouvant être exercées concurremment par le pays et les communes ou leurs groupements, dans le but de faciliter le développement de l'intercommunalité.

Les compétences de production et de distribution d'électricité sont aujourd'hui réparties entre la Polynésie française et les communes selon des modalités complexes qui sont un héritage de l'histoire. Afin d'assouplir les règles de répartition actuelles, l' article 8 du projet de loi organique tend à permettre à une commune de transférer sa compétence au pays, et à autoriser les groupements de communes à intervenir dans ce domaine.

Le projet de loi organique vise également à donner une base légale aux syndicats mixtes « ouverts » comprenant la Polynésie française ou l'un de ses établissements publics . Le Conseil constitutionnel a en effet jugé, dans sa décision n° 2014-2 LOM du 26 juin 2014, que de telles dispositions relevaient de la loi organique. Le régime de droit commun des syndicats mixtes ouverts, tel que prévu par le code général des collectivités territoriales, est ainsi légèrement adapté pour prendre en compte les spécificités de la Polynésie française ( article 10 ).

Votre commission a par ailleurs souhaité procéder à quelques ajustements relatifs aux ressources des communes polynésiennes en :

- permettant au fonds intercommunal de péréquation de recevoir des subventions de la Polynésie française et en associant un maire à la présidence du comité des finances locales , ce comité étant notamment chargé de répartir les ressources du fonds intercommunal de péréquation ( article 9 bis nouveau ) ;

- permettant aux communes de confier à la Polynésie française le recouvrement des impôts et taxes locaux ( article 9 ter nouveau ).

5. Parfaire la coordination entre l'État et le pays

Afin de parfaire la coordination de l'action publique sur le territoire polynésien, le projet de loi organique vise tout d'abord à clarifier le domaine de compétence de l'État en Polynésie française . L' article 3 tend, d'une part, à préciser que l'État est compétent pour fixer les règles relatives à son domaine privé et au domaine public et privé de ses établissements publics , et non seulement à son domaine public. Il vise, d'autre part, à mettre en cohérence le statut de la Polynésie française avec les catégories de navires définies par le droit international et national, en indiquant que l'État est compétent pour assurer la sécurité des navires de plus de 24 mètres , et non plus de ceux de plus de 160 tonneaux de jauge brute (cette unité de mesure n'étant plus utilisée).

Les articles 15 à 17 sont relatifs aux concours apportés par l'État à l'exercice des compétences de la Polynésie française . Il s'agit tout d'abord de lever toute ambiguïté sur le fait que l'État peut apporter son concours financier et technique au pays dans l'ensemble de ses domaines de compétence. Ensuite, il s'agit de conforter la base juridique de la mise à disposition par l'État à titre gratuit des personnels de l'éducation nationale, pour permettre à la Polynésie française d'exercer ses compétences en matière d'enseignement. Enfin, afin de désengorger l'assemblée de la Polynésie française, il est opéré une distinction entre les conventions-cadres conclues entre l'État et le pays, qui resteraient soumises à l'approbation préalable de l'assemblée, et les conventions d'exécution, qui relèveraient de la seule responsabilité du président. Dans le même esprit, et conformément à une demande de l'assemblée de la Polynésie française, votre commission propose que les conventions conclues avec les établissements publics et organismes métropolitains soient désormais approuvées par le conseil des ministres et seulement transmises pour information à l'assemblée.

Par ailleurs, le projet de loi organique tend à clarifier les modalités de gestion de la fonction publique de l'État en Polynésie française . Il vise ainsi à sécuriser le versement de primes non statutaires, comme la nouvelle bonification indiciaire (NBI), aux agents de l'État exerçant dans cette collectivité d'outre-mer (article 2) .

6. Procéder à divers ajustements

Dans le même souci d'améliorer l'efficacité de l'action publique en Polynésie française et de lever certaines ambiguïtés du droit en vigueur, votre commission a apporté plusieurs autres ajustements au statut de la collectivité.

a) Réformer le régime contentieux des lois du pays

Afin d'accélérer l'entrée en vigueur des lois du pays sans compromettre les droits des justiciables ni la responsabilité incombant à l'État de veiller au respect des normes de rang supérieur, votre commission a souhaité aménager les modalités du contrôle juridictionnel de ces actes ( article 20 nouveau ). Les lois du pays resteraient soumises, sauf en matière fiscale, au contrôle a priori du Conseil d'État, saisi par les autorités habilitées ou par toute personne intéressée. Toutefois, à l'expiration du délai de trois mois imparti au Conseil d'État pour se prononcer, la loi du pays contestée pourrait être promulguée ; le Conseil d'État resterait saisi des recours formés contre l'acte et pourrait, le cas échéant, en prononcer l'annulation totale ou partielle.

b) Assouplir les procédures administratives

Votre commission a souhaité tenir compte des contraintes géographiques de la Polynésie française en :

- assouplissant le régime des délégations de pouvoir et de signature pour les membres du gouvernement ( articles 10 bis et 11 quinquies nouveaux ) et pour le président de l'assemblée de la Polynésie française ( article 13 ter nouveau ) ;

- favorisant la dématérialisation des actes et documents administratifs de la Polynésie française mais également des relations entre l'État ou la chambre territoriale des comptes et la Polynésie française, ainsi qu'entre les institutions de la collectivité ( articles 2 bis , 2 ter et 14 bis nouveaux ).

c) Préciser le régime de protection fonctionnelle des élus

Votre commission a clarifié le périmètre de la protection fonctionnelle pour les responsables publics de la Polynésie française, en y incluant le vice-président et les membres de l'assemblée. Elle a également permis à la Polynésie française de se porter partie civile en cas de violences, menaces ou outrages contre ces responsables publics (nouvel article 14 ter ) .


* 15 Loi du pays n° 2015-2 du 23 février 2015 relative à la concurrence, aujourd'hui codifiée au sein du code la concurrence de la Polynésie française .

* 16 À titre d'exemple, trois des quatre membres actuels de l'autorité polynésienne de la concurrence se trouveraient en situation d'incompatibilité et devraient quitter leurs fonctions en cas d'adoption du projet du Gouvernement.

* 17 Cette incompatibilité relève d'une loi organique et non d'une loi du pays, sur le fondement de l'article 74 de la Constitution. Voir le commentaire de l'article 4 du projet de loi organique pour plus de précisions.

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