CONCLUSION

L'accord relatif au programme CaMo, dont il vous est demandé d'approuver la ratification, repose sur une vision très concrète des enjeux opérationnels. Il rentre mal dans les rubriques du débat politique français, car il va à l'encontre des idées reçues.

Par cet accord, un pays qui a fait de l'OTAN la référence de sa défense s'allie sur le long terme au pays qui se voit comme le plus autonome des alliés au sein de l'OTAN, pour construire ensemble une nouvelle capacité à agir et à défendre nos pays.

Avec cet accord, chacune des deux armées sera mieux en mesure de défendre son pays. Et dans le même temps, elles gagnent une capacité sans précédent à défendre ensemble leurs intérêts communs.

Sous des dehors techniques, le programme CaMo marque une étape importante de la construction de l'Europe de la défense. Dans un monde marqué par le jeu toujours plus assumé des puissances, par la remise en cause du multilatéralisme et de la sécurité collective, au profit des intérêts particuliers de chaque Etat, cet accord est une nouvelle heureuse, surprenante dans son ampleur et dans ses potentialités.

En s'engageant dans ce programme, la Belgique fait la démonstration que la construction de l'Europe, loin de s'opposer aux intérêts nationaux, en est au contraire la meilleure protectrice, dès lors que sont construits des partenariats équilibrés reposant sur des réalités concrètes et nourris de l'expérience des femmes et des hommes à qui il revient de les mettre en oeuvre.

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Au cours de sa réunion du mercredi 20 mars 2019, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a émis un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi, le groupe CRCE s'abstenant.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 20 mars 2019, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Olivier Cigolotti sur le projet de loi n° 314 (2018-2019) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à leur coopération dans le domaine de la mobilité terrestre (CAMO).

M. Olivier Cigolotti, rapporteur . - L'accord intergouvernemental dont il nous est demandé d'approuver la ratification porte sur le programme de modernisation de la capacité motorisée de l'armée de terre belge, résumé par l'acronyme CaMo pour « Capacité motorisée ».

Ce projet remarquable a pour point de départ la volonté du gouvernement belge, affirmée en 2016, de moderniser l'ensemble de son armée. C'est également dans ce cadre que la Belgique vient d'annoncer le week-end dernier l'achat conjoint, avec les Pays-Bas, de nouveaux chasseurs de mines pour un montant de deux milliards d'euros pour les deux pays. Ce contrat important a été remporté par Naval Group.

Pour moderniser son armée de terre, la Belgique a fait le choix, après avoir examiné ce que faisaient ses voisins et ses partenaires de l'OTAN, de s'associer au programme Scorpion français.

Signalons d'emblée que la Belgique ne cherchait pas du matériel, mais un partenariat structurant de long terme, dont l'acquisition d'un nouveau matériel n'est que l'un des aspects. C'est dans ce cadre que s'inscrivent le programme CaMo belge et l'accord intergouvernemental qui nous est soumis.

Premier aspect remarquable de cet accord, le contraste frappant entre son importance considérable et le faible écho qu'il rencontre. Moi qui en ignorais tout il y a encore quelques semaines, comme probablement la plupart d'entre vous, j'ai découvert que cet accord ouvrait des perspectives sans précédent pour notre armée de terre. S'il s'agissait simplement d'une vente d'armement, il ne nécessiterait pas de convention spécifique, même si l'élément matériel le plus saillant du projet est la décision du gouvernement belge d'acheter, dans le cadre de ce programme, 442 véhicules blindés du programme Scorpion, soit 382 véhicules blindés multi-rôles (VBMR) Griffon et 60 engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar. L'acquisition de ces véhicules n'a de sens qu'avec l'accès au Système d'information et de combat Scorpion (SICS).

Deuxième point saillant, l'ampleur de ce programme, qui représente pour la Belgique un investissement de l'ordre de 1,5 milliard d'euros. La presse française s'est largement fait l'écho du choix du F-35 américain pour la modernisation de l'armée de l'air belge, au détriment du Rafale ; mais mesure-t-on que le montant de ce contrat représente presque la moitié de celui contrat F-35 ? Si l'on y ajoute le montant de l'achat conjoint, avec les Pays-Bas, de chasseurs de mines que j'ai mentionné, les critiques à l'encontre de la Belgique ne sont-elles pas malvenues ?

Mais le point le plus important dans ce dossier est celui que j'évoquais en introduction : bien plus qu'un simple achat de matériel, la Belgique conclut avec la France, à travers le programme CaMo, un partenariat stratégique conduisant à une transformation complète de son armée de terre. Avec ce programme, l'armée de terre belge se dote d'une nouvelle organisation, d'une nouvelle doctrine, de nouvelles modalités d'entraînement et d'une nouvelle organisation de son soutien, selon un schéma identique à celui de l'armée de terre française.

L'intérêt de cette opération est triple. Opérationnel d'abord, car l'objectif final pour les deux armées est l'interopérabilité, à un niveau supérieur aux exigences de l'OTAN. En effet, alors que l'OTAN demande une interopérabilité entre les alliés au niveau des brigades, ce programme prévoit une interopérabilité au niveau d'un groupement tactique interarmes (GTIA), voire au niveau d'un sous-groupement tactique interarmes (SGTIA). Cela ouvre des perspectives opérationnelles totalement inédites pour nos deux pays, tout en respectant scrupuleusement la souveraineté et l'autonomie de chacun, puisque la possibilité opérationnelle d'un déploiement commun n'entraîne aucune obligation de faire.

Son deuxième intérêt est financier : le développement des synergies entre les deux armées et l'augmentation du volume des commandes seront naturellement source d'économies pour nos deux pays, en particulier dans la maintenance, la gestion des stocks et des pièces détachées. Cela devrait également être le cas des commandes ultérieures de ces véhicules, car l'amortissement des coûts fixes du programme se fera sur un nombre de véhicules bien plus importants, au bénéfice des acheteurs.

Enfin, ce programme initie un partenariat fondamental de long terme avec un pays allié et ami. En effet, en plus des acquisitions de matériels identiques et de la transformation en parallèle des deux armées de terre selon un modèle commun - doctrine d'emploi et modalités d'entraînement communes, opérations d'entraînement conjointes, dont la première devrait intervenir dès cette année -, l'accord intergouvernemental prévoit aussi un examen systématique de tout ce qui peut être conduit en partenariat avec l'armée de terre belge.

Sur le plan industriel, les premières livraisons à l'armée belge interviendront à partir de 2025, lorsque l'armée de terre française aura déjà reçu plus de 900 Griffon. Les exportations ne viendront donc pas cannibaliser le calendrier des livraisons à l'armée française, comme cela a pu se produire par le passé - notamment dans le domaine aérien.

Enfin, cet accord intergouvernemental a une signification politique importante en démontrant, de manière spectaculaire, la capacité de deux États européens à travailler ensemble pour assurer leur défense respective. La France et la Belgique sont alliées dans l'OTAN et membres fondateurs de l'Union européenne. Elles avaient déjà de nombreux projets et actions communs, comme des programmes de formation pour les pilotes de chasse, les pilotes d'hélicoptère, les personnels navigants de l'A400M ou des entraînements spécifiques : entraînement à la plongée des forces armées belges en France ou entraînement des soldats français dans les centres belges de tir sur l'eau. La France et la Belgique ont également signé, le 11 juillet 2017, un accord sur la protection réciproque d'informations classifiées, qui devrait entrer en vigueur prochainement.

Ce cadre commun a sans doute été un élément nécessaire au lancement par la Belgique du programme CaMo, mais il ne se suffisait pas à lui-même. En effet, l'armée belge est traditionnellement très intégrée avec les armées néerlandaise et luxembourgeoise : Belgique et Pays-Bas partagent un état-major de marine unique, commandé par un officier néerlandais secondé par un Belge. L'achat en commun des chasseurs de mines entre dans ce cadre. Quant à l'armée de terre, elle évolue dans un cadre d'interopérabilité avec ses partenaires du Benelux. La décision qu'a prise la Belgique de lancer une transformation profonde de son armée de terre en reproduisant intégralement le modèle français témoigne donc d'un grand courage politique. C'est un acte fort qui engage la Belgique autant que la France.

Cet accord est aussi de bon augure pour les relations entre la France et ses partenaires européens. Nous nous sommes trop souvent considérés comme un grand pays qui ne pouvait traiter, en matière militaire, qu'avec des pays de taille équivalente : d'abord le Royaume-Uni, puis plus récemment l'Allemagne et, de façon complémentaire, l'Italie et l'Espagne. Le programme CaMo montre à quel point cette opposition entre grands et petits pays est détachée des réalités concrètes. Nous avons naturellement des partenariats structurants avec le Royaume-Uni ou l'Allemagne ; mais l'achat, par la Belgique, d'un nombre de Griffon représentant plus de 40 % de celui dont nous allons doter notre armée de terre dans la loi de programmation militaire (LPM) en cours, et sur une période plus courte, montre l'importance de l'effort dont ce pays est capable. Plus fondamental encore est le choix des autorités belges de rechercher l'interopérabilité avec l'armée de terre française, dans une perspective opérationnelle.

Ces réflexions ont un lien avec la mission d'information confiée à nos collègues Hélène Conway-Mouret et Ronan Le Gleut sur la défense européenne, une question qui fait l'objet de nombreux débats, et parfois d'initiatives politiques ou institutionnelles plus ou moins coordonnées. Dans ce cadre complexe, le projet CaMo m'apparaît comme un exemple concret d'Europe de la défense qui se fait, sans grandes annonces, sur le fondement de la recherche de l'efficacité opérationnelle plus que de l'affichage politique : voilà deux pays européens capables de travailler ensemble sur des projets ambitieux de long terme, dans le respect de leur souveraineté et de leurs intérêts respectifs, tout en oeuvrant au bien commun - en l'espèce notre capacité à contribuer à notre sécurité collective. Or le point de départ du projet européen n'était-il pas de défendre la paix ?

Au-delà de cette perspective européenne, cet accord entre la France et la Belgique démontre aussi, dans la ligne du contrat australien sur les sous-marins, notre capacité de plus en plus affirmée à nous inscrire dans des partenariats militaires de long terme où l'autre pays est vu comme un allié plutôt que comme un client. C'est aussi cela que nos partenaires recherchent.

En conclusion, je vous invite à émettre un avis favorable à l'approbation de cet accord.

M. Christian Cambon, président . - Merci. Comme vous l'avez dit, il ne s'agit pas simplement de vente d'armes. Cet accord compense largement la déception qu'a engendrée le choix des F-35 par l'armée belge.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Je partage l'analyse du rapporteur : c'est un accord remarquable et un bel exemple de partenariat. À une période où l'on n'évoque que l'avenir, à une échelle de dix ou quinze ans, du couple franco-allemand dans le domaine de la défense, il est regrettable de ne pas faire état de l'existant. Il ne s'agit pas simplement de ventes d'armes, mais d'une volonté de travailler ensemble en utilisant un équipement identique, avec une formation commune. Voilà un exemple de coopération européenne très concrète.

M. Christian Cambon, président . - C'est d'autant plus remarquable au vu de la situation politique de la Belgique, qui est complexe, et c'est encourageant pour la construction européenne.

M. Ronan Le Gleut . - Le rapporteur a très bien décrit la situation. À côté de l'Europe des grands principes, dont la mise en oeuvre s'accélère depuis deux ans avec le futur Fonds européen de défense (FEDEF), le programme européen de développement industriel de défense (Pedid), la coopération structurée permanente, la revue annuelle coordonnée de défense, et hors UE l'initiative européenne d'intervention, la défense européenne se construit aussi par des choix concrets et bilatéraux. L'état-major de marine commun entre les Pays-Bas et la Belgique en est un exemple, tout comme l'intégration de deux régiments de l'armée de terre néerlandaise dans des brigades allemandes. Le programme CaMo donne la possibilité d'intégrer un sous-groupement tactique interarmes de l'un des deux pays dans un groupement tactique interarmes de l'autre, sans entraînement préalable particulier.

Mme Sylvie Goy-Chavent . - Je félicite à mon tour M. Cigolotti pour ce rapport, qui est dans le coeur de mission de notre commission. C'est une très belle opération, mais des contreparties seront-elles demandées à la France ?

En matière aéronautique, il serait souhaitable que nos partenaires optent pour du matériel européen.

M. Ladislas Poniatowski . - Le contrat de vente de vedettes chasseurs de mines - six à la Belgique et sept aux Pays-Bas - pour 1,5 milliard d'euros est assorti d'un contrat de maintenance qui devrait en doubler le montant sur trente ans. Disposez-vous d'une estimation de la maintenance pour le contrat qui nous occupe ?

M. Christian Cambon, président . - Il serait intéressant de préciser sur quels sites les engins seront fabriqués. Je crois savoir qu'il y aura une production à Bourges et à Roanne. Les entreprises impliquées sont Arquus - anciennement Renault Trucks Defense - Thalès et Nexter.

M. Jean-Marie Bockel . - La tonalité du rapport tranche avec les récriminations entendues en France lors de la perte du contrat belge d'achat d'avions de chasse. Lorsque l'on perd un marché, il faut passer à autre chose, sans amertume : ce contrat nous en offre l'occasion.

M. Alain Cazabonne . - Un contrat de cette nature pourrait approfondir notre coopération avec le Benelux. L'harmonisation du matériel et surtout des munitions est également une perspective bienvenue, après les problèmes de compatibilités que nous avons rencontrés avec l'armée allemande. Cela préfigure-t-il l'amorce d'un commandement militaire coordonné alternatif au commandement américain dans le cadre de l'OTAN, qui peut engendrer des pressions dans le choix du matériel notamment aéronautique ?

M. Olivier Cigolotti, rapporteur . - Nos amis belges ont une longue tradition de coopération opérationnelle : ils étaient présents à nos côtés au Kosovo et en Afghanistan, ainsi qu'en République centrafricaine. Cette collaboration industrielle la prolonge en l'amplifiant. La Belgique s'est dotée en 2016 de l'équivalent de notre LPM, la Vision stratégique pour la défense belge, qui détaille les caractéristiques des matériels les plus performants pour leur armée. Dans un second temps, elle a recherché des partenariats pour se procurer ces matériels, arrêtant son choix sur le Griffon et le Jaguar, jugés les plus adaptés aux besoins de son armée de terre.

Son choix est d'autant plus remarquable que la Belgique dispose d'industriels ayant des compétences dans le domaine terrestre, comme CMI Group ou FN Herstal. Le partenariat profitera à l'industrie belge. Il y aura ensuite l'importante question de la maintenance à l'industrie belge, enjeu économique majeur, même s'il peut difficilement être quantifié pour l'instant. Enfin, il y aura une mutualisation des stocks et des pièces de rechange, ce qui bénéficiera également à l'armée française, à des coûts inférieurs à ceux que prévoit la LPM. Je rappelle que les principaux industriels associés au programme Scorpion sont Nexter, maître d'oeuvre opérationnel, Arquus et Thalès.

Les Belges ont pris une décision courageuse. Sans les éloigner de l'OTAN, le programme CaMo les rapproche significativement de l'armée française en matière de matériels, de doctrine d'emploi, et de formation d'entraînement. C'est aussi un engagement de long terme qui suppose des revoyures. Je rappelle que le budget de la défense belge est de 9 milliards d'euros, pour 9 millions d'habitants, ce qui montre l'importance de l'effort de ce pays.

M. Christian Cambon, président . - Il faut se féliciter que les livraisons dans le cadre de ce contrat ne soient pas prélevées sur celles que nos armées attendent avec impatience.

Lors de notre déplacement aux Pays-Bas, la présidente du Sénat de ce pays nous avait indiqué que dans le domaine militaire, les Pays-Bas travaillent main dans la main avec les Allemands pour ce qui est des forces terrestres, et avec les États-Unis dans le domaine aérien. Pour la marine, ils recherchaient un partenariat de long terme. Ce contrat avec la Belgique pourrait aussi avoir un impact positif sur notre coopération avec les Pays-Bas ; c'est un élément important de la construction de l'Europe de la défense.

Je propose que notre commission solennise ce moment en invitant le président de la commission de la défense du Sénat belge. Comme Jean-Marie Bockel l'a souligné, nous avons souvent des aigreurs lorsque nous perdons des contrats ; il est d'autant plus opportun de souligner les réussites, et de ne pas se limiter à l'aspect économique de ces contrats.

M. Olivier Cigolotti, rapporteur . - Les officiers supérieurs de l'armée de terre qu'Hélène Conway-Mouret, Ronan Le Gleut et moi-même avons rencontrés ont une vision très positive de ce partenariat et du travail en commun qu'il permettra.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Au-delà de la dimension politique du partenariat, les militaires sont en effet très allants sur cette coopération, comme nous l'avons entendu aussi à Bruxelles. Je propose donc que nous recevions également des représentants de l'armée belge.

M. Pierre Laurent . - J'entends les arguments sur l'intérêt industriel du contrat et l'interopérabilité. Cependant, le flou demeure sur l'articulation entre l'OTAN et ce qui se construit dans le cadre de cette coopération européenne embryonnaire. Quels sont les objectifs stratégiques opérationnels de la construction de cette force commune ? Le groupe CRCE s'abstiendra donc.

Le projet de loi est adopté.

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