EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Les entreprises publiques locales (EPL) et l'économie mixte occupent aujourd'hui une place prépondérante à l'échelle de nos territoires. Ces sociétés de droit privé dont le capital est totalement ou partiellement public permettent de faire converger les moyens et les énergies pour conduire nombre de projets. Ces projets concernent aussi bien l'aménagement, l'immobilier ou les services publics locaux.

Leur succès rend les EPL incontournables. Il en existe 1 300 en activité, dont plus de 900 sociétés d'économie mixte locales (SEML) ainsi que plus de 350 sociétés publiques locales (SPL) et sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA). Ensemble, elles représentent plus de 65 000 emplois, ont généré près de 14 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2017 et fournissent un logement à 1,4 million de personnes sur l'ensemble du territoire.

Ces sociétés courent aujourd'hui un danger grave. Par une décision du 14 novembre dernier, le Conseil d'État a décidé, de manière prétorienne, que chaque collectivité actionnaire doit désormais détenir l'ensemble des compétences sur lesquelles porte l'objet social de la société. D'un trait de plume, le juge a plongé dans l'incertitude la très grande majorité des EPL existantes et bloqué la plupart des projets de création. Cette jurisprudence ne s'appliquait qu'aux seules SPL, mais les SPLA et les SEML devraient également être concernées puisqu'elles sont soumises à des dispositions similaires. Or, la majorité de ces sociétés sont capitalisées par des collectivités ou des groupements de collectivités qui ne détiennent pas l'ensemble des compétences sur lesquelles porte l'objet de ces sociétés.

La proposition de loi n° 303 (2018-2019) tendant à sécuriser l'actionnariat des sociétés publiques locales et des sociétés d'économie mixte, déposée par Hervé Marseille et plusieurs de nos collègues, a pour but de contrer cette jurisprudence. Attendue par les territoires, cette proposition de loi est soutenue par quasiment tous les groupes de notre assemblée. Elle tend à préciser qu'une collectivité ou un groupement peut être actionnaire d'une SPL ou d'une SEML s'il est compétent pour au moins une activité comprise dans l'objet de cette société.

Votre commission a entièrement partagé l'objet de cette proposition. Les seuls amendements qu'elle a adoptés visaient, d'une part, à en clarifier la rédaction et, d'autre part, à en étendre le champ, notamment aux SPLA.

Elle a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

I. L'ÉMERGENCE DES ENTREPRISES PUBLIQUES LOCALES

A. LES SOCIÉTÉS D'ÉCONOMIE MIXTE

Le développement de l'économie mixte

L'émergence des sociétés d'économie mixte est le corollaire de l'interventionnisme public dans l'économie. Comme le relevait la direction générale des collectivités locales en 2007, « jusqu'au début du XXe siècle, le juge admettait peu, ou pas du tout, l'intervention des collectivités territoriales dans le domaine économique, et ce pour trois motifs. D'abord, en raison du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, car les aides financières publiques faussent les règles de la concurrence. Ensuite, parce qu'il fallait assurer la protection des collectivités publiques contre le risque de faillite auquel s'expose tout opérateur privé. Enfin, parce qu'il était nécessaire de préserver les finances des collectivités territoriales, et donc les deniers publics, des risques financiers de ces interventions » 1 ( * ) .

La première guerre mondiale et l'après-guerre ont poussé la puissance publique à assurer le ravitaillement des populations alors que cette activité relevait auparavant de la seule sphère économique marchande 2 ( * ) . Par la suite, cet interventionnisme a été reconnu par la jurisprudence du Conseil d'État. Tout en relevant que « les entreprises ayant un caractère commercial restent, en règle générale, réservées à l'initiative privée », il soulignait que « les conseils municipaux ne peuvent ériger des entreprises de cette nature en services publics communaux que si, en raison de circonstances particulières de temps ou de lieu, un intérêt public justifie leur intervention en cette matière » 3 ( * ) . L'intérêt public est ici caractérisé par la carence ou l'insuffisance de l'initiative privée.

L'intervention des collectivités dans le domaine économique a été encouragée par un décret de 1955 4 ( * ) . Il prévoyait que l'intervention des communes et des départements pouvait être mise en oeuvre dans les domaines économiques et sociaux « notamment par voie d'exploitation directe ou par simple participation financière dans les organismes ou entreprises, même de forme coopérative ou commerciale, ayant pour objet la mise au point de projets, l'exécution de travaux présentant un caractère d'intérêt public ou l'exploitation de services publics, le ravitaillement et le logement de la population, les oeuvres d'assistance, d'hygiène et de prévoyance sociale ainsi que la réalisation d'améliorations urbaines et rurales » 5 ( * ) .

La crise économique des années 1970 a eu un impact significatif sur les sociétés d'économie mixte de construction du fait de la dépression connue par le marché de l'immobilier. Ces évènements ont notamment poussé à remettre en cause l'encadrement juridique de la participation des collectivités au sein d'entreprises privées au début des années 1980.

1. Les sociétés d'économie mixte locales

Les sociétés d'économie mixte locales actuelles ont été créées par la loi du 7 juillet 1983 6 ( * ) afin de doter les collectivités territoriales d'outils efficaces pour l'exercice de leurs nouvelles compétences liées à l'essor de la décentralisation . Leur régime est prévu aux articles L. 1521-1 et suivants du code général des collectivités territoriales (CGCT). Ce régime prévoit notamment que des collectivités territoriales ou d'autres personnes publiques peuvent constituer une SEML pour « réaliser des opérations d'aménagement 7 ( * ) , de construction , pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial, ou pour toute autre activité d'intérêt général [...] des opérations de conception, réalisation, entretien ou maintenance ainsi que, le cas échéant, de financement d'équipements hospitaliers ou médico-sociaux pour les besoins d'un établissement de santé, d'un établissement social ou médico-social ou d'un groupement de coopération sanitaire » 8 ( * ) .

Les SEML sont constituées sous la forme de sociétés anonymes régies par le livre II du code de commerce. En conséquence, leur capital est divisé en actions et les actionnaires ne supportent les éventuelles pertes de la société qu'à concurrence de leurs apports. Le CGCT précise que « la participation des actionnaires autres que les collectivités territoriales et leurs groupements ne peut être inférieure à 15 % du capital social » 9 ( * ) .

En application de l'article L. 224-2 du code du commerce, le capital social des SEML doit s'élever au minimum à 37 000 € pour les sociétés anonymes ne faisant pas appel à l'épargne et à 225 000 € pour celles y faisant appel. Par dérogation, le CGCT précise que « le capital social doit être au moins égal à 225 000 euros pour les sociétés ayant dans leur objet la construction d'immeubles à usage d'habitation, de bureaux ou de locaux industriels, destinés à la vente ou à la location, et à 150 000 euros pour celles ayant dans leur objet l'aménagement » 10 ( * ) .

Le CGCT prévoit également des règles spécifiques qui encadrent les apports en compte courant des personnes publiques actionnaires des SEML 11 ( * ) . La nature, l'objet et la durée de l'apport doivent être précisés et le remboursement doit intervenir dans les deux années qui suivent le versement de cet apport 12 ( * ) . Son montant maximum est encadré et sa transformation en capital social ne peut permettre de déroger à la règle selon laquelle 15 % du capital des SEML doit être privé (voir supra ).

Le CGCT prévoit également les modalités spécifiques d'intervention des SEML lorsqu'elles sont titulaires d'une concession d'aménagement 13 ( * ) ou lorsqu'elles exercent une activité de construction ou de gestion de logements. Dans ce dernier cas, il est par exemple possible aux collectivités territoriales et à leurs groupements d'accorder « des subventions ou des avances destinées à des programmes de logements, et à leurs annexes, dont les financements sont assortis de maxima de loyers ou de ressources des occupants, déterminés par l'autorité administrative » 14 ( * ) . Ils peuvent également accorder « des subventions ou des avances destinées à des programmes d'intérêt général liés à la promotion économique du territoire ou à la gestion de services communs aux entreprises » 15 ( * ) .

Enfin, le CGCT prévoit des modalités de contrôle hybrides qui relèvent à la fois de la surveillance habituellement appliquée aux sociétés commerciales et des règles spécifiques applicables aux personnes publiques. Ainsi, les délibérations du conseil d'administration ou du conseil de surveillance et des assemblées générales ainsi que certains contrats conclus par la SEML, les comptes annuels et les rapports du commissaire aux comptes sont communiquée au préfet 16 ( * ) . Ce dernier dispose de la faculté de saisir la Chambre régionale des comptes compétente s'il détecte un risque financier pour les collectivités actionnaires 17 ( * ) . Un rapport spécial est également adressé aux collectivités actionnaires ou à leurs groupements actionnaires ainsi qu'au préfet lorsque la SEML exerce des prérogatives de puissance publique 18 ( * ) .

Les SEML ont pu se voir attribuer des délégations de service public ou des marchés publics de la part des collectivités actionnaires sans mise en concurrence jusqu'aux années 1990. Les évolutions du droit national et européen ont toutefois mis fin à cette situation et poussé à la création de nouvelles sociétés publiques.

2. Les sociétés d'économie mixte à opération unique

Le CGCT prévoit l'existence de sociétés d'économie mixte locales à opération unique (SEMOP) dont le régime juridique se rapproche significativement de celui des SEML 19 ( * ) . Alors que les collectivités actionnaires peuvent choisir librement les entités privées qui interviennent au capital d'une SEML puis mettre en concurrence cette SEML pour faire appel à ses services, le régime des SEMOP suit la logique inverse . Une collectivité ou un groupement de collectivités doit préalablement mettre en concurrence les entités privées souhaitant entrer au capital de la SEMOP . Une fois la SEMOP constituée, celle-ci n'a pas besoin d'être mise en concurrence pour effectuer l'opération unique prévue par son objet au profit de la collectivité ou du groupement qui l'a créée. De telles sociétés peuvent être créées pour « la réalisation d'une opération de construction, de développement du logement ou d'aménagement » 20 ( * ) , « la gestion d'un service public pouvant inclure la construction des ouvrages ou l'acquisition des biens nécessaires au service » 21 ( * ) ou « toute autre opération d'intérêt général relevant de la compétence de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales » 22 ( * ) .


* 1 Le guide des sociétés d'économie mixte locales, Direction générale des collectivités locales, La documentation Française, 2007, page 7.

* 2 Voir les décrets-lois Poincaré des 5 novembre et 28 décembre 1926.

* 3 Conseil d'État, section, 30 mai 1930, Chambre syndicale de commerce en détail de Nevers, n° 06781.

* 4 Décret n° 55-579 du 20 mai 1955 relatif aux interventions des collectivités locales dans le domaine économique.

* 5 Ibidem, article 1 er applicable aux communes auquel renvoie l'article 3 applicable aux départements.

* 6 Loi n° 83-597 du 7 juillet 1983 relative aux sociétés d'économie mixte locales.

* 7 L'article L. 1523-2 du CGCT prévoit des règles spécialement applicables aux contrats de concession d'aménagement conclus entre une collectivité ou un groupement de collectivités et une SEML.

* 8 Article L. 1521-1du CGCT.

* 9 Article L. 1522-2 du CGCT.

* 10 Article L. 1522-3 du CGCT.

* 11 Article L. 1522-5 du CGCT.

* 12 Ibidem.

* 13 Articles L. 1523-2 et suivants du CGCT.

* 14 Article L. 1523-5 du CGCT.

* 15 Article L. 1523-7 du CGCT.

* 16 Article L. 1524-1 du CGCT.

* 17 Article L. 1524-2 du CGCT.

* 18 Article L. 1524-3 du CGCT.

* 19 Articles L. 1541-1 et suivants du CGCT.

* 20 Article L. 1541-1 du CGCT.

* 21 Ibidem .

* 22 Ibidem .

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