N° 385

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 mars 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1)
sur le projet de loi de
finances rectificative , adopté par l'Assemblée nationale,
pour
2020 ,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Rapporteur général,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Mme Christine Lavarde, MM. Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Jean Bizet, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

2758 , 2761 et T.A. 411

Sénat :

384 (2019-2020)

PREMIÈRE PARTIE
UNE TRAJECTOIRE DES FINANCES PUBLIQUES BOULEVERSÉE PAR LA CRISE SANITAIRE

I. LE GOUVERNEMENT ANTICIPE DÉSORMAIS UN RECUL DU PRODUIT INTÉRIEUR BRUT, DONT L'AMPLEUR RESTE TRÈS INCERTAINE

A. LA MISE EN oeUVRE DE MESURES DE CONFINEMENT POUR LUTTER CONTRE L'ÉPIDÉMIE DE CORONAVIRUS BOULEVERSE LES PERSPECTIVES DE CROISSANCE

1. Avant même l'épidémie de Coronavirus, l'économie française se dirigeait vers une croissance plus faible qu'escompté par le Gouvernement

La loi de finances pour 2020 a été construite sur la base d'une hypothèse de croissance de 1,3 % . Le produit intérieur brut (PIB) a toutefois reculé de 0,1 % au dernier trimestre 2019 , ce qui n'avait pas été anticipé.

Cette mauvaise performance pèse sur les perspectives de croissance pour 2020 , qui dépendent du profil de la croissance 2019.

L'économie française bénéficie ainsi d'une « rampe de lancement » nettement moins favorable que lors des exercices précédents : l'acquis de croissance - qui correspond au niveau de la croissance en 2020 si le PIB restait au même stade qu'au dernier trimestre 2019 - est ainsi limité à 0,2 %, contre 0,6 % en 2018 et 1,1 % en 2017. Un rythme de croissance trimestriel conforme au potentiel de l'économie française (0,3 %) tout au long de l'année 2020 aurait par exemple abouti à une croissance annuelle de seulement 0,9 %, soit 0,4 point en-deçà de la prévision gouvernementale.

Avant même la propagation de l'épidémie de Coronavirus, les instituts de conjoncture du Consensus forecasts avaient d'ailleurs sans surprise abaissé leur prévision de croissance à 1,1 % pour la France.

2. La propagation de l'épidémie de Coronavirus constitue un choc de grande ampleur pour l'économie française, dont l'impact sur la croissance reste aujourd'hui très incertain

Si la prévision gouvernementale pouvait donc déjà apparaître légèrement optimiste, c'est naturellement la crise sanitaire du Coronavirus qui a contraint le Gouvernement à la revoir fortement à la baisse.

Pour apprécier son impact sur l'économie française, il est utile de distinguer deux phases .

Avant sa propagation à l'échelle mondiale, l'épidémie de Coronavirus a d'abord pesé sur l'économie française indirectement, du fait de son effet sur la croissance chinoise.

Pour contenir la diffusion du virus, le gouvernement chinois a en effet imposé des mesures de quarantaine très strictes, entraînant un fort ralentissement de l'activité économique . Les statistiques publiées pour les deux premiers mois de l'année 1 ( * ) conduisent ainsi les instituts de prévision à anticiper une contraction du PIB chinois de l'ordre de 10 % au premier trimestre , bien au-delà des estimations initiales 2 ( * ) .

Cela constitue à la fois un choc de demande et un choc d'offre pour l'économie française .

Sur le plan de la demande, le ralentissement chinois pèse sur la croissance par le canal du commerce extérieur . En effet, la Chine représentait 4,2 % des exportations françaises en 2018 3 ( * ) . Or, une baisse de 1 % de la demande mondiale adressée à la France pèse sur le PIB à hauteur de 0,13 % au bout d'un trimestre et de 0,22 % au bout d'un an, d'après le modèle de prévision Opale de la direction générale du Trésor 4 ( * ) .

Sur le plan de l'offre, les mesures de quarantaine chinoises perturbent les chaînes de production françaises , à la fois directement via les importations de produits intermédiaires chinois et indirectement, du fait de la valeur ajoutée chinoise incorporée à d'autres intrants. Une récente étude de l'Institut des politiques publiques (IPP) estime ainsi qu'un choc négatif de 10 % sur la production chinoise pourrait réduire le PIB français de 0,3 % uniquement à travers les chaînes de valeur, ce qui serait « suffisant pour que la croissance de 0,2 % sur le premier trimestre 2020 qui était prévue par l'INSEE en décembre 2019 se transforme en réduction de l'activité » 5 ( * ) .

Circonscrite à la Chine, l'épidémie de Coronavirus aurait néanmoins constitué un choc d'ampleur raisonnable pour l'économie française - et ce d'autant plus que les indicateurs conjoncturels les plus récents suggèrent qu'un fort rebond de l'économie chinoise est déjà en cours .

Sa propagation à l'échelle mondiale, qui a conduit à la mise en oeuvre de mesures de confinement de plus en plus strictes en France et à travers le monde, est toutefois à l'origine d'un deuxième choc pour l'économie française, à la fois plus direct et plus significatif.

Là encore, il s'agit à la fois un choc d'offre, lié principalement aux absences au travail , et un choc de demande, lié notamment au report des décisions de consommation et d'investissement des agents économiques ainsi qu'à à la contraction de la demande de nos partenaires commerciaux.

À ce stade, il est toutefois très difficile d'apprécier l'ampleur du choc sur la croissance liée aux mesures de confinement récemment mises en oeuvre .

D'une part, il n'y a pas réellement de précédent en la matière . En effet, si des études existent sur les effets économiques des stratégies de confinement, elles portent sur des mesures beaucoup plus ciblées que celles mises en oeuvre en France. À titre d'exemple, le coût d'une politique de fermeture des écoles de douze semaines aux États-Unis a été estimé à près d'un point de PIB 6 ( * ) .

D'autre part , le coût économique des mesures de confinement dépendra de leur durée de mise en oeuvre et de la vitesse de rebond de l'économie française, qui restent à ce jour très incertaines .

Dans ce contexte, l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et la Banque de France ont fait le choix de renoncer temporairement à leur exercice de prévision . L'Insee a néanmoins précisé, dans le cadre de son communiqué de presse annonçant l'ajournement de sa note de conjoncture prévue le 24 mars, que les informations collectées avant le durcissement des mesures « laissaient envisager une prévision en légère baisse du produit intérieur brut au premier trimestre 2020, et une baisse plus significative au deuxième trimestre », avec une « dégradation du climat des affaires en France au moins du même ordre de grandeur qu'à l'automne 2008 » 7 ( * ) .


* 1 À titre d'illustration, les ventes de détail ont chuté de 20,5% sur un an tandis que la production industrielle a chuté de 13,5 %, au plus bas depuis plus de trente ans. Cf. Xavier Diaz, « La récession est au bout du confinement », L'AGEFI Quotidien, 17 mars 2020.

* 2 Voir par exemple : Deutsche Bank Research, « Impact of Covid-19 on the global economy - Update 2 : Severe recession », 18 mars 2020 ; « Goldman Sachs voit le PIB de la Chine en contraction de 9 % au 1 er trimestre », Reuters, 17 mars 2020.

* 3 Camille Bortolini et Estelle Jacques, « Les relations commerciales entre la France et la Chine en 2018 », direction générale du Trésor, 4 avril 2019.

* 4 Aurélien Daubaire, Geoffroy Lefebvre et Olivier Meslin, « La maquette de prévision Opale », direction générale du Trésor, 2017, p. 74.

* 5 Institut des politiques publiques, « Propagation des chocs dans les chaînes de valeur internationales : le cas du coronavirus », Note IPP n° 53, mars 2020.

* 6 Howard Lempel, Ross A. Hammond et Joshua M. Epstein, « Economic Cost and Health Care Workforce Effects of School Closures in the U.S. », PLoS Currents, 2009.

* 7 Insee, « Missions de l'Insee dans les semaines à venir », communiqué de presse, 16 mars 2020.

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