II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Des annulations conséquentes au sein du programme 204 liées aux retards pris dans l'indemnisation des victimes de la Dépakine

L'exécution du programme 204 a été marquée par l'annulation en loi de finances rectificative de 74 millions d'euros de crédits.

La réserve de précaution établie en début d'exercice à 10,1 millions d'euros en AE et 10,2 millions d'euros en CP puis abondée par le report de crédits 2018 dédiés au financement de l'indemnisation des victimes de la valproate de sodium et ses dérivés (Dépakine), pour un montant de 24,7 millions d'euros (AE=CP) a ainsi été supprimée lors de l'adoption de la loi de finances rectificative pour 2019 322 ( * ) . La même loi a conduit à une annulation de crédits non utilisés en 2019 pour un montant de 38,3 millions d'euros et également dédiés à l'indemnisation des victimes de la Dépakine.

Le rapporteur spécial avait relevé lors de l'examen de la loi de règlement pour 2018, que le processus de collecte des informations avait conduit à des retards importants en vue d'indemniser les victimes de la Dépakine. De fait, au 9 juillet 2019, le montant total des offres adressées par l'ONIAM s'élevait à 3 384 903 euros, dont 3 150 088 euros aux victimes directes et 234 815 euros aux victimes indirectes. Les offres acceptées s'élevaient à 1 840 511 euros. Le Gouvernement a également pris acte de ces difficultés en proposant, au sein de la loi de finances pour 2020, un nouveau dispositif à même de réduire les délais d'instruction 323 ( * ) .

Dans l'attente de la mise en place de ce dispositif, l'annulation des crédits mis en réserve depuis 2018 et ceux non dépensés en 2019 apparaît logique.

2. La progression non maîtrisée des dépenses de l'agence de santé de Wallis-et-Futuna

Comme chaque année depuis 2013, l'exercice 2019 a été marquée par une nouvelle sous-budgétisation en loi de finances initiale des crédits prévus pour l'agence de santé de Wallis-et-Futuna.

L'agence avait pourtant bénéficié en 2019 d'une augmentation de 2,5 millions d'euros de sa subvention afin de lui permettre d'assurer ses missions. Le coût de celles-ci est grevé par celui des évacuations sanitaires (EVASAN) vers la Nouvelle Calédonie ou les établissements métropolitains voire australiens. Ce poste de dépenses représentait 40 % du total des dépenses en 2019. Le Gouvernement juge qu'il est difficilement maitrisable, compte tenu de la nature des pathologies de plus en plus lourdes et croissantes en volume qui se conjugue au vieillissement de la population. Il n'est pas étonnant dans ces conditions que la subvention effectivement versée à l'agence ait progressé de 64 % entre 2013 et 2019.

La dotation initialement établie en loi de finances pour 2019 s'élevait à 36,8 millions d'euros, avant application de la réserve de précaution. Le montant des dépenses exécutées a finalement atteint 42,65 millions d'euros, la différence étant financée par des mesures de redéploiements de crédits au sein du programme 204.

Évolution de la subvention versée à l'agence de santé de Wallis-et-Futuna depuis 2013

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et du contrôle général économique et financier d'avril 2019 a conduit le Gouvernement à proposer une augmentation en trois temps de la subvention versée à l'agence à partir de 2020. Une progression de 7 millions d'euros a ainsi été retenue en loi de finances pour 2020, dont 2,5 millions d'euros dédiés au remboursement de la dette 324 ( * ) . Cette majoration devrait être suivie d'une nouvelle hausse en 2021 (4 millions d'euros) puis en 2022 (1,6 million d'euros). La subvention devrait in fine atteindre 48,1 millions d'euros à cette date, soit 85 % de plus qu'en 2013.

Reste qu'en dépit de cette progression, l'écart entre l'exécution 2019 et le montant prévu en loi de finances pour 2020 atteint 2,7 %, soit une majoration inférieure à la hausse des dépenses effectivement réglées lors des deux derniers exercices (+ 5,3 % entre 2017 et 2018 puis + 6 % entre 2018 et 2019). L'augmentation décidée en loi de finances pour 2020 pourrait, dans ces conditions, s'avérer insuffisante, la trajectoire définie par ailleurs devenant obsolète.

Le rapporteur spécial rappelle que la simple rallonge budgétaire ne peut constituer une option à long terme. Un projet stratégique quinquennal élaboré en 2016 avait cerné 15 mesures en vue de parvenir à une maîtrise des coûts. Rien ne semble indiquer que ces préconisations aient aujourd'hui toutes abouti.

3. Les indicateurs, révélateurs d'une absence d'efficacité de la politique de prévention ?

Deux objectifs sont assignés au programme 204 :

- l'amélioration de l'état de santé de la population et la réduction des inégalités territoriales et sociales de santé (objectif n°1);

- la prévention et la maîtrise des risques sanitaires (objectif n°2) ;

Le premier objectif est décliné autour de trois indicateurs :

- le taux de couverture vaccinale contre la grippe chez les personnes âgées de 65 ans et plus (indicateur 1.1) ;

- le taux de participation au dépistage du cancer colorectal pour les personnes âgées de 50 ans et plus (indicateur 1.2) ;

- la prévalence du tabagisme quotidien en population de 15 à 75 ans (indicateur 1.3).

Force est de constater qu'aucun d'entre eux n'a enregistré d'amélioration significative au cours de l'exercice 2019.

Les ambitions ne semblent pas atteintes, un retard important par rapport à la cible définie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) étant même enregistré en ce qui concerne la vaccination contre la grippe (objectif de 75 %).

De tels résultats ne sont pas sans susciter une certaine réserve quant à la pertinence de la politique de prévention mise en oeuvre par la direction générale de la santé et donc sur l'efficacité de la dépense publique en la matière.

Indicateurs de l'objectif n°1 : Prévision et réalisation

(en %)

Cible OMS : 75

Donnée non disponible dans le rapport annuel de performances

Source : commission des finances du Sénat, d'après le rapport annuel de performances 2019

4. L'aide médicale d'État (AME) : une exécution quasi conforme à la prévision budgétaire qui ne saurait occulter une dynamique non-maîtrisée de la dépense

Prenant acte des sous-budgétisations constatées lors des derniers exercices, la loi de finances pour 2019 retenait une dépense prévisionnelle de 934,9 millions d'euros pour l'aide médicale d'État, soit une augmentation de 3,5 % par rapport aux crédits consommés en 2019.

Cette somme est apparue cette année légèrement insuffisante. Si l'évolution des effectifs (+ 3,5 % en un an) est moins dynamique que prévue, elle est compensée par une augmentation du coût moyen du panier de soins de 2,3 %, les estimations initiales tablant sur une progression de 1,8 %. Un besoin de financement de l'ordre de 5 millions d'euros (soit 0,5 % de la dotation initiale) est apparu en fin d'exercice. Il a été comblé par un virement de 4,8 millions d'euros en provenance du programme 204 et un redéploiement de crédits initialement dédiés au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) de 240 000 euros.

Exécution des dépenses liées à l'aide médicale d'État en 2019

(en millions d'euros)

AE

CP

Aide médicale d'État de droit commun

898

898

Soins urgents

40,007

40,007

Aide humanitaire et autres dispositifs

1,437

1,446

Total

939,444

939,452

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Si la sous-budgétisation apparaît donc relative, elle ne saurait masquer la progression continue de la dépense depuis 2012, faute de réforme structurelle du dispositif.

Se fondant sur les données collectées au cours des trois premiers trimestres de l'exercice 2019, le Gouvernement estime que l'effectif moyen des bénéficiaires de l'aide médicale d'État de droit commun s'élèverait à 328 728 en 2019, soit une augmentation de 4 % par rapport à 2018. Une telle progression, conjuguée à celles constatées au cours des précédents exercices, rend délicate toute maîtrise de la dépense.

Évolution de l'aide médicale d'État de droit commun
et du nombre de ses bénéficiaires depuis 2004

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Par ailleurs, il convient de rappeler que l'exécution 2019 ne reflète qu'une partie des sommes dédiées à l'AME par la sphère publique. Les dépenses liées aux soins urgents se sont élevées à 65,8 millions d'euros en 2019. La prise en charge n'est financée, depuis 2008, qu'à hauteur de 40 millions d'euros par l'État, le solde restant à la charge de la Caisse nationale d'assurance-maladie.

Évolution de l'aide médicale d'État depuis 2012

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

À l'initiative du Gouvernement, une réforme limitée de l'aide médicale d'État a été adoptée à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, en vue notamment de maîtriser la dépense 325 ( * ) . Le Gouvernement table ainsi sur une réduction de la dépense de 15 millions d'euros à l'issue de l'exercice en cours. L'efficacité de ce nouveau dispositif sera notamment évaluée à l'aune de cet objectif de diminution de la charge. Cette minoration - 1,6 % des crédits versés en 2019 - sera quoi qu'il en soit insuffisante au regard du poids de ce dispositif au sein de la mission « Santé » : 69,34 % des crédits de celle-ci ont, en effet, été dédiés à l'aide médicale d'État en 2019.

La minoration des crédits dédiés à l'AME apparaît de surcroît comme un trompe l'oeil. Il conviendra, en effet, de mesurer l'impact de l'article 265 de la loi de finances pour 2020 qui vise à limiter le recours à la demande d'asile pour bénéficier de la protection universelle maladie (PUMa). La suppression de cette couverture induit un accès à l'AME pour soins urgents. L'ouverture des soins urgents à une nouvelle catégorie de population pourrait conduire à une explosion des coûts - 101 737 personnes majeures ont, en effet, demandé l'asile en France en 2018 326 ( * ) - alors même que le Gouvernement ne prévoit pas d'augmenter la dotation versée à la CNAM. Aucun amendement de crédits n'a été adopté en ce sens à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances, aucune étude d'impact n'étant, par ailleurs, fournie. La mesure apparaît donc clairement non-financée.


* 322 Loi n° 2019-1270 du 2 décembre 2019 de finances rectificative pour 2019

* 323 Article 266 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 324 L'Agence française de développement a consenti à l'agence de santé de Wallis-et-Futuna un prêt de 26,7 millions d'euros en 2015, dont le remboursement, commencé en 2016 est, en principe, échelonné sur 20 ans. Le solde au 31 décembre 2019 était établi à 21,3 millions d'euros.

* 325 Article 264 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 326 Rapport annuel d'activité 2019 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

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