II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une poursuite de la sur-exécution chronique des dépenses d'asile, résultant d'une demande délibérément sous-évaluée par le Gouvernement en loi de finances initiale

Les dépenses de l'action n°02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » concentrent à elles seules plus de 87 % des crédits de paiement de la mission. Cette action, qui finance les dépenses relatives à l'asile, fait l'objet d'une sur-exécution chronique, particulièrement importante depuis le début de la crise migratoire, en 2015.

Elle a ainsi connu en 2019 une sur-exécution de 171 millions d'euros en AE et 174,58 millions en CP (hors FDC) résultant des dépenses d'ADA, à hauteur de 161,7 millions d'euros en AE et en CP. L'exécution de cette action s'élève en 2019 à 1 441,7 millions d'euros en AE et à 1 113,1 millions d'euros en CP, les crédits prévus s'élevant à 1 299,9 millions d'euros en AE et à 1 299,9 millions d'euros en CP.

Les dépenses relatives à l'ADA, qui a remplacé, à compter du 1 er novembre 2015 l'allocation temporaire d'attente, connaissent ainsi pour la quatrième année consécutive une sur-exécution massive.

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes à l'allocation temporaire d'attente (ATA) et à l'allocation pour demandeur d'asile (ADA)

(en CP, en millions d'euros)

ATA

ADA

LFI

Exécution

LFI

Exécution

2009

30

68,4

2010

53

105

2011

54

157,8

2012

89,7

149,8

2013

140

149,2

2014

129,8

169,5

2015

93,3

81

2016

0

30

148,8

316,1

2017

0

177,3

220

348,8

2018

0

9,9

317,7

424,23

2019

0

5,01

335,83

492,5

Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)

La sur-exécution des dépenses d'ADA s'élève cette année à plus de 46 %.

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes à l'allocation
pour demandeur d'asile en 2019

(en AE/CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)

Outre la sur-exécution de l'ADA en elle-même, cette sous-estimation de la demande d'asile a aussi mécaniquement entrainé une hausse des dépenses relatives à l'hébergement d'urgence (+ 20,97 millions d'euros en CP, soit une hausse de 5,3%), notamment des nuitées hôtelières.

Cette sur-exécution s'explique principalement par la hausse de la demande d'asile plus élevée que celle retenue dans la prévision du projet de loi de finances : avec plus de 132 800 demandes de protection à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) en 2019, la progression représente 7 % alors que le projet de loi de finances envisageait une stabilisation de la demande d'asile. De même, le nombre des demandes sous procédure Dublin enregistrées en guichet unique a augmenté de 5 %, portant le total des demandes sous procédure Dublin à 46 400, mineurs inclus, alors que le projet de loi de finances reposait sur l'hypothèse d'une baisse de 10 %.

Hypothèses de demande d'asile retenue pour l'élaboration
des projets de loi de finances

2015

2016

2017

2018

2019

Hypothèse de hausse des flux de demandes d'asile retenue en PLF

7,50%

10%

10%

10%

0%

Hausse des flux constatés

23,50%

7,50%

17,50%

22%

7,2 %

Flux Dublin constaté sur l'année en guichet unique pour demandeur d'asile

35 967

40 190

46 400

Source : commission des finances, d'après le ministère de l'intérieur

Comme l'a relevé le rapporteur spécial à l'occasion de l'examen de projets de loi de finances initiale pour 2018 212 ( * ) et 2019 213 ( * ) , les hypothèses de demande d'asile retenues pour l'élaboration du projet de loi de finances sont systématiquement sous-évaluées. Ces sous-évaluations chroniques s'assimilent davantage à une volonté délibérée, de la part des gouvernements successifs, de masquer le niveau réel des dépenses afférentes à la prise en charge sociale des demandeurs d'asile .

2. Une augmentation du délai d'examen des demandes à l'Ofpra préjudiciable à la soutenabilité de la mission

Comme le rapporteur spécial l'avait anticipé lors de l'examen de la loi de finances pour 2019 214 ( * ) , les délais d'instruction de l'Ofpra, fixés à 60 jours, se sont révélés également beaucoup trop optimistes . Il s'agit pourtant d'un facteur important puisqu'il permet de limiter le coût budgétaire de l'ADA en limitant sa durée de perception. La réduction des délais d'instruction des demandes constitue un important levier de réduction du coût de la mission, puisque le coût budgétaire mensuel de la demande d'asile est estimé à plus de 104,3 millions d'euros en 2020, rendant d'autant plus nécessaire la poursuite des efforts en ce sens.

En 2019, le délai moyen de traitement d'un dossier par l'Ofpra était de 161 jours, en augmentation par rapport à 2018 (150 jours).

Hypothèses de demande d'asile retenues pour l'élaboration
des projets de loi de finances

(en jours)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Le flux des demandes entrantes, supérieur chaque mois de l'année 2019 aux décisions rendues par l'établissement, a entraîné une reconstitution du stock des demandes de plus de deux mois, à hauteur de 44 545, contre 26 492 au 31 décembre 2018. L'âge moyen du stock s'élève au 31 décembre 2019 à 174 jours. En 2019, le stock a progressé de 41 %.

Pour faire face à cet afflux, l'Ofpra a bénéficié d'une augmentation de 10 ETPT en loi de finances initiale par rapport à 2018 et de 75 recrutements supplémentaires 215 ( * ) . Ces recrutements concernent toutefois des agents en formation, et n'ont donc pas eu d'effet sur les délais de traitement des demandes en 2019.

Ces plans de recrutements, justifiés, se sont révélés trop lents dans leur mise en oeuvre pour montrer leurs effets dès 2019. Si le besoin a été exprimé dès l'été 2018 par la direction générale des étrangers en France, le délai d'arbitrage, en premier lieu, puis des temps incompressibles de recrutement et de formation de ces personnels ont empêché ces renforts d'avoir un effet sur les délais de recrutement avant l'exercice 2020.

Plafond d'emploi de l'Ofpra

(en ETPT)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

3. Un dépassement inéluctable de la programmation triennale

Sur le triennal 2018-2020 216 ( * ) , les crédits diminuent de 1,4 % en valeur, contre une augmentation de 3 % en moyenne pour les missions du budget général. Le rapporteur spécial avait relevé, dès 2018, que cette programmation était irréaliste, eu égard à l'augmentation prévisible des flux sur les trois prochaines années (demandeurs d'asile nationaux et sous procédure Dublin). Il estimait en outre que cette programmation prenait le risque de ne pas donner de marge de manoeuvre budgétaire suffisante pour renforcer certains aspects fondamentaux de la mission, comme la lutte contre l'immigration irrégulière, ou le parcours d'intégration des étrangers primo-arrivants 217 ( * ) . La loi de finances pour 2019 prévoyait un dépassement de la loi de programmation des finances publiques de plus de 15,7 %.

La loi de finances initiale étant elle-même dépassée, la sur-exécution par rapport à la programmation pluriannuelle est cette année particulièrement élevée et excède les 24 %.

Comparaison de l'exécution 2019 avec les prévisions
du budget triennal 2018-2022

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)


* 212 Rapport général n° 108 (2017-2018) de M. Sébastien Meurant, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2017.

* 213 Rapport général n° 147 (2018-2019) de M. Sébastien Meurant, fait au nom de la commission des finances, déposé le 22 novembre 2018.

* 214 Ibid.

* 215 Ces derniers ont été inscrits au plafond 2020 de l'Ofpra.

* 216 Loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

* 217 Rapport général n° 108 (2017-2018) de M. Sébastien Meurant, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2017.

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