CHAPITRE VIII
DISPOSITIONS RELATIVES À LA GESTION DU FONDS EUROPÉEN AGRICOLE POUR LE DÉVELOPPEMENT RURAL

ARTICLE 24

Prorogation des règles applicables à la gestion du FEADER pendant la période de transition avec la prochaine programmation et poursuite,
au titre de la programmation suivante, du transfert de l'autorité de gestion du FEADER aux régions

Le présent article prévoit, d'une part, de prolonger l'attribution de la qualité d'autorité de gestion du FEADER aux régions jusqu'au terme de l'actuelle programmation financière européenne et, d'autre part, d'habiliter le Gouvernement à établir par ordonnance le régime de gestion par l'État des aides surfaciques de la prochaine programmation budgétaire et par les collectivités territoriales des autres aides agricoles.

Considérant que toute évolution de la répartition des responsabilités de gestion entre l'État et les régions doit résulter d'une concertation préalable des acteurs et donner lieu à un débat au Parlement, la commission a supprimé l'habilitation.

I. LE DROIT EXISTANT : LA LOI « MAPTAM » CONFIE AUX RÉGIONS LA GESTION DU FEADER

A. L'ARTICLE 78 DE LA LOI « MAPTAM », FONDEMENT JURIDIQUE NATIONAL DE LA DÉCENTRALISATION DU FEADER

La gestion des fonds européens structurels et d'investissement est définie par le droit de l'Union européenne .

Elle suit le principe de « la compétence déléguée » dans le cadre d'une architecture juridique complexe, composée de plusieurs règlements européens, le règlement-socle n° 1303/2013 concernant l'ensemble des fonds se trouvant complété, pour le FEADER, notamment par le règlement n° 1305 /2013 (règlement de développement rural dit encore « RDR 3 ») qui fixe les objectifs et priorités du fonds, établit la programmation et détermine les règles de gestion, de suivi et d'évaluation.

Parmi ces dernières, figure la latitude laissée aux États membres de désigner les régions (ou d'autres autorités décentralisées) comme autorités de gestion des fonds européens structurels et d'investissement .

Pour la France, l'article 78 de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « MAPTAM » du 27 janvier 2014 93 ( * ) a attribué aux régions la gestion, à leur demande, de tout ou partie des fonds correspondant aux programmes européens , soit en leur attribuant la qualité d'autorité de gestion, soit par délégation de gestion 94 ( * ) .

Cette disposition, initialement prévue pour prendre place dans le projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l'emploi et de promotion de l'égalité des territoires, a été introduite par voie d'amendement par le Sénat, à l'initiative de notre collègue René Vandierendonck, rapporteur du texte pour la commission des lois.

Le dispositif devait être affiné par la pratique (essentiellement les actes de candidature des régions) et par décrets en Conseil d'État 95 ( * ) , pris en application de différents articles de la loi MAPTAM.

En ce qui concerne les fonds agricoles, le fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), les dispositions prises sur la base de l'article 78 ont été traduites dans le maintien de la qualité d'autorité de gestion de l'État pour le FEAGA , qui finance le premier pilier de la politique agricole commune (PAC), à travers l'attribution de soutiens aux revenus des agriculteurs fondés principalement sur des critères surfaciques, tandis que, pour le FEADER, les régions , dans la plupart des cas (pour trois programmes de développement régional l'État a conservé la qualité d'autorité de gestion) ont été désignées « autorités de gestion » du FEADER.

Cette architecture résulte d'un processus qualifié de « lente acquisition du statut d'autorité de gestion [par les régions] » par la Cour des comptes 96 ( * ) .

B. UN DISPOSITIF BORNÉ DANS LE TEMPS ET DANS SON CONTENU

1. Une discordance de temps entre le droit interne et le cadre financier pluriannuel

L'article 78 de la loi MAPTAM et les règlements nationaux d'application ont été rédigés sur la base d'une séquence temporelle bornant la décentralisation de la gestion du FEADER jusqu'au terme nominal de l'actuelle programmation financière européenne, c'est-à-dire l'année 2020 - incluse.

Il en résultait une discordance entre le cadre juridique national et le cadre financier européen. En effet, les dotations budgétaires correspondantes peuvent être exécutées au-delà de l'exercice 2020.

Ainsi, pour le FEADER, la date limite de paiement est fixée au 31 décembre 2023 dans le règlement (UE) n°1303/2013 du 17 décembre 2013, la date limite pour les engagements de crédits au bénéfice des agriculteurs étant fixée par chaque État Membre dans le respect de la date limite de paiement.

2. Une question mal réglée : la responsabilité financière des différents intervenants dans la gestion des interventions agricoles

Ainsi qu'en juge la Cour des comptes, si l'article L. 1511-1-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit le transfert de la responsabilité financière aux collectivités territoriales de la gestion des fonds européens, dans le cadre juridique européen 97 ( * ) , les corrections et sanctions financières sont adressées à l'État membre . Ainsi, à défaut d'un instrument juridique de droit interne le prévoyant, le transfert de la responsabilité financière aux régions dans le cadre de la gestion du FEADER est d'une mise en oeuvre incertaine en ce qui concerne ce fonds.

Cette question a été évoquée à plusieurs reprises, notamment dans le cadre des travaux du Sénat consacrés aux dysfonctionnements de la chaîne des paiements agricoles 98 ( * ) .

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : UNE PROLONGATION DE L'ATTRIBUTION AUX RÉGIONS DE LA GESTION DU FEADER JUSQU'AU TERME DE LA PÉRIODE D'EXÉCUTION DU CFP 2014-2020 ET UNE HABILITATION À PRÉCISER LA RÉPARTITION DES RÔLES ENTRE L'ÉTAT ET LES RÉGIONS POUR LE PROCHAIN CFP

Le dispositif du présent article comporte en premier lieu (le I ) la prolongation de l'application de l'article 78 de la loi MAPTAM et, en second lieu (le II ), une habilitation à fixer les conditions de gestion du FEADER correspondant au prochain cadre financier pluriannuel sur des bases nouvelles , en partie définies.

A. LA PROLONGATION DE L'ATTRIBUTION AUX RÉGIONS DE LA QUALITÉ D'AUTORITÉ DE GESTION DU FEADER JUSQU'AU TERME DE L'ACTUELLE PROGRAMMATION FINANCIÈRE EUROPÉENNE

Le I du présent article tend à prolonger la validité de l'article 78 de la loi MAPTAM au-delà de son échéance actuelle (2020) pour la porter, en ce qui concerne la programmation du FEADER en vigueur jusqu'au terme de la période d'exécution.

Il a été rappelé ci-avant que, si la programmation financière européenne actuellement en vigueur a pour échéance théorique l'exercice 2020, le règlement financier européen prévoit que les dotations budgétaires programmées au titre de la période 2014-2020 peuvent être exécutées dans une période complémentaire allant jusqu'à fin 2023.

C'est à cette arythmie que le I de l'article entend apporter un correctif.

B. UNE HABILITATION DU GOUVERNEMENT À FIXER PAR ORDONNANCE LE RÉGIME DE LA GESTION PAR L'ETAT DES AIDES SURFACIQUES AGRICOLES EUROPÉENNES ET AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DES AUTRES AIDES AGRICOLES

1. Une nouvelle répartition des responsabilités de gestion des interventions correspondant au second pilier de la PAC

Le II du présent article sollicite du Parlement une habilitation à prendre par ordonnance les mesures du domaine de la loi nécessaires à l'attribution de la qualité d'autorité de gestion à l'État des aides surfaciques du FEADER et aux régions , ou, dans les régions d'outre-mer où elles renonceraient à exercer cette responsabilité, aux départements des aides non-surfaciques financées par le FEADER.

Il s'agit ainsi de consacrer une nouvelle répartition des responsabilités de gestion du FEADER , la compétence des régions sur les interventions surfaciques leur étant retirée, valant pour la mise en oeuvre de le prochain cadre financier pluriannuel, la PAC post-2020.

La référence à des programmes interrégionaux est supprimée, tandis que les départements - mais pour les seules entités d'outre-mer - sont mentionnés comme récipiendaires éventuels de la compétence de gestion des soutiens non-surfaciques du FEADER.

2. Une habilitation à prendre des dispositions diverses encadrant la gestion par les collectivités territoriales des interventions du FEADER demeurant sous leur autorité de gestion

L'habilitation sollicitée concerne également une série de dispositions associées à la répartition des compétences de gestion du FEADER par les régions dans le nouveau cadre financier .

La liste n'en est pas exhaustivement énumérée , l'adverbe « notamment » précédant la mention des transferts de services et de moyens aux régions, des modalités d'instruction des demandes de soutien et de paiement des aides.

Il s'agit essentiellement des questions actuellement réglées, du moins en partie, par les décrets d'application de l'article 78 de la loi MAPTAM.

Le délai d'habilitation est fixé à dix-huit mois à compter de la promulgation de la loi , échéance à partir de laquelle le Gouvernement disposerait encore de trois mois pour déposer un projet de loi de ratification de ladite ordonnance devant le Parlement.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UNE MESURE DE COHÉRENCE BIENVENUE, MAIS UNE HABILITATION INOPPORTUNE

La commission des finances du Sénat ne peut que se rallier au I de l'article, qui permet de surmonter une difficulté réelle.

En revanche, le II de l'article traite d'un sujet essentiel, pour lequel le recours à une ordonnance n'est pas souhaitable.

A. LA PROLONGATION DE LA VALIDITÉ DU DISPOSITIF DE L'ARTICLE 78 DE LA LOI MAPTAM DOIT ÊTRE APPROUVÉE

Il convient de résorber le hiatus temporel entre le droit interne et le droit européen.

Toute autre position, outre qu'elle contreviendrait à l'intention profonde du Sénat, obligerait à des réaménagements d'une complexité particulièrement malvenue dans un domaine où un « choc de simplification » s'impose au contraire.

Ainsi, la commission des finances est favorable à l'adoption du I du présent article.

B. LE RECOURS À UNE ORDONNANCE POUR DÉFINIR LA RÉPARTITION DES RESPONSABILITÉS DE GESTION DU FEADER APRÈS 2020 N'EST PAS SOUHAITABLE

La recentralisation de la gestion des aides surfaciques du FEADER ne constitue pas la solution miracle aux difficultés manifestes de gestion des soutiens agricoles abondamment exposées par les rapporteurs spéciaux de la commission des finances du Sénat et dont se sont également fait l'écho les nombreux sénateurs alarmés par les dysfonctionnements de la chaîne des paiements agricoles.

Comme la Cour des comptes et même les services ministériels ou de l'opérateur de paiement des aides agricoles (l'agence de services et de paiement) l'ont diagnostiqué, les dysfonctionnements relevés sont essentiellement attribuables aux difficultés rencontrées pour charpenter les applications informatiques Isis et Osiris nécessaires à la gestion des systèmes de paiement et en amont à la mauvaise tenue du répertoire national graphique nécessaires aux opérations d'identification surfacique.

Surtout, les corrections financières les plus fortes d'enjeux pour les finances publiques subies par la France l'ont été sous le régime antérieur au transfert aux régions de la qualité d'autorité de gestion .

Quant aux corrections ultérieures, la responsabilité de l'État lui-même doit également être recherchée dans la mesure où ce dernier a conservé la plupart des moyens pratiques de gestion des aides gouvernées par les régions, que ce soit pour le stade de l'instruction ou pour celui des paiements.

Dans ces conditions, en conclusion de son rapport pour la commission des finances de l'Assemblée nationale, la Cour des comptes, a relevé trois scenarios alternatifs d'amélioration du dispositif de gestion du FEADER :

- la remise de l'autorité de gestion à l'État seul ;

- l'amélioration du statu quo en simplifiant le cadre national ;

- la réunion sous l'égide de l'État de la gestion de l'ensemble des mesures surfaciques de la PAC .

Le dispositif sollicité par le Gouvernement correspond à cette troisième issue, ce qui ne saurait recevoir de consécration sans un débat approfondi.

Parmi les éléments majeurs d'un tel débat figure évidemment la valeur ajoutée d'une gestion régionale des aides surfaciques .

Or, en forte nuance avec le sentiment qui se dégage du rapport de la Cour des comptes précité, le rapporteur incline à ne pas la juger d'emblée négligeable.

Il est certes exact que les aides surfaciques sont à bien des égards moins pilotables qu'on ne peut l'imaginer dans la mesure où leurs conditions d'attribution sont souvent déterminées à un échelon supra -régional. Par ailleurs, la diminution du nombre des régions depuis l'adoption de la loi MAPTAM compte, ayant paru éloigner les centres décisionnels du niveau de proximité nécessaire à la définition d'une stratégie fine de développement rural. Enfin, il est tout à fait clair que les transferts de compétence n'ont pas été assez rigoureusement accompagnés de transferts de moyens de la part de l'État.

Néanmoins, il serait erroné de considérer que les régions n'ont pas pesé sur la définition des conditions effectives de soutien aux exploitants agricoles dans le cadre de leurs stratégies de développement rural arrêtées sur les bases de la démocratie territoriale.

Le tableau ci-dessous montre à cet égard que les modifications apportées aux conditions d'attributions des soutiens du FEADER après transfert aux régions de la qualité d'autorité de gestion n'ont pas été mineures.

On peut relever notamment le renforcement important de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) et des mesures agro-environnementales , deux vecteurs qui paraissent répondre particulièrement aux attentes du moment.

Comparaison entre la programmation du FEADER
avant et après le transfert aux régions de la qualité d'autorité de gestion

Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux de la commission des finances du Sénat chargés de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

Pour avoir été l'auteur de plusieurs propositions de résolution relatives au prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne, le rapporteur n'ignore pas qu'il existe un débat sur la pondération des différents soutiens publics nécessaires à nos agriculteurs .

Il a la conviction qu'en la matière l'obstacle à surmonter est celui du renoncement à une ambition agricole plus que jamais nécessaire , obstacle que la recentralisation du FEADER ne permettrait certainement pas de surmonter , mais, au contraire, pourrait, par la confiscation d'un nécessaire débat sur les moyens, contribuer à renforcer.

La voie des simplifications et celle d'une articulation plus cohérente des moyens et des responsabilités de gestion vaut mieux que celle d'une recentralisation qui ne règlerait aucun des problèmes actuels et qui, en creusant la distance entre le local et le décideur, va à rebours des attentes de proximité des populations, et parmi elles, des premiers concernés, les exploitants agricoles.

Au demeurant, il serait sans doute utile, plutôt que d'entreprendre une telle recentralisation, de s'attacher à résoudre une difficulté née de la réduction du nombre des régions, en explorant pas exemple une association plus systématique des structures infrarégionales à la programmation des enveloppes du FEADER.

Le projet du Gouvernement qui aboutirait à faire passer l'enveloppe décentralisée de 90 % des crédits FEADER à une petite minorité de moyens (il s'agit d'interventions qui sont souvent encore plus surdéterminées que les aides surfaciques), ôterait à l'échelon décentralisé ses utiles capacités d'initiative.

Il ne peut ainsi être vu qu'avec défaveur par le Sénat, défaveur qui, par ailleurs, se nourrit de la considération de la situation pour le moins confuse susceptible de ressortir de l'initiative du Gouvernement avec la superposition de plusieurs modèles de gestion des mêmes aides durant une période susceptible de se prolonger jusqu'à fin 2023.

Pour toutes ces raisons, la commission a adopté deux amendements identiques COM-3 et COM-31 afin de supprimer la demande d'habilitation.

Décision de la commission : la commission a adopté cet article ainsi rédigé.


* 93 Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.

* 94 Au surplus, pour des programmes opérationnels interrégionaux, les régions ont été mises à même de constituer des groupements d'intérêt public appelés à disposer du même statut. Mais cette faculté n'a guère été mobilisée.

* 95 Les décrets n° 2014-1188 du 14 octobre 2014 relatif aux conventions types de mise à dispositions de services de l'État chargés de la gestion des fonds européens pour la période 2014-2020 et n° 2015-783 relatif aux dates et modalités de transfert définitif des services de l'État qui participent aux missions de l'autorité de gestion des programmes européens financés au titre du FSE, du FEDER ou du FEADER. Voir aussi le décret n° 2016-126 du 8 février 2016 relatif à la mise en oeuvre des programmes cofinancés par les fonds européens structurels et d'investissement pour la période 2014-2020.

* 96 « Bilan du transfert aux régions de la gestion des fonds structurels et d'investissement » ; Cour des comptes, avril 2019.

* 97 Règlement (UE) n ° 1303/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) n ° 1083/2006 du Conseil.

* 98 « Réparer la chaîne de paiement des aides agricoles, un devoir pour nos finances publiques et notre agriculture », MM Alain Houpert et Yannick Botrel, rapport d'information n° 31 du 10 octobre 2018, commission des finances du Sénat.

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