B. LA POSITION DE LA COMMISSION : ADOPTER CE PROJET DE LOI ORGANIQUE, SANS PRÉJUGER DE LA RÉFORME DU CESE

1. Une prolongation nécessaire et justifiée du mandat des membres du CESE

Les prolongations de mandat ne vont jamais de soi, qu'il s'agisse de mandats électifs ou non électifs .

Exceptionnelles et transitoires, elles doivent être strictement proportionnées à l'objectif d'intérêt général poursuivi. Le Sénat a rappelé ces exigences à l'occasion de la prolongation du mandat des membres de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI), dans l'attente de sa fusion avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) 21 ( * ) .

En l'espèce, la prolongation du mandat des membres du CESE apparaît justifiée au regard du calendrier de la réforme et de ses conséquences sur la composition du conseil . Elle reste d'ailleurs limitée à un délai maximal de six mois et demi.

Contrairement au projet de fusion des deux autorités administratives indépendantes citées auparavant - pour lequel aucun texte n'avait été déposé en conseil des ministres au moment où la prorogation des mandats des membres de l'HADOPI était soumise au Parlement -, le projet de loi organique de réforme du CESE est connu et déposé.

À l'inverse, les solutions alternatives (maintien du calendrier de désignation des membres du CESE ou report de la réforme pendant près de six ans) ne paraissent pas crédibles.

D'une part, rien n'indique que le second projet de loi organique - réformant le CESE - pourra être adopté avant l'expiration du mandat des membres actuels (14 novembre 2020) .

D'autre part, une fois la réforme adoptée, un délai supplémentaire sera nécessaire pour permettre :

- au Gouvernement de modifier les décrets précisant la composition et le fonctionnement du CESE . Le Conseil d'État a déjà appelé l'attention de l'exécutif sur « la nécessité de préparer les (...) décrets d'application concomitamment aux travaux parlementaires sur la réforme organique, de façon à ce qu'ils puissent entrer en vigueur en même temps que cette dernière » 22 ( * ) ;

- au CESE d'adapter son règlement intérieur, dont les modifications doivent être approuvées par décret 23 ( * ) ;

- aux organisations économiques, sociales et environnementales de désigner leurs représentants au sein du conseil . Ce processus de désignation prend parfois plusieurs mois, certaines organisations consultant l'ensemble de leurs adhérents.

Tel que déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale, le second projet de loi organique prévoit ainsi une entrée en vigueur différée. Il s'appliquerait « le premier jour du troisième mois suivant celui de sa publication ».

Le processus de désignation d'un membre du CESE

(hors personnalités qualifiées)

Au plus tard un mois avant la fin du mandat des membres en exercice, le Premier ministre invite les organisations à lui faire connaître dans les vingt jours les noms de leurs représentants 24 ( * ) . Le Premier ministre les notifie ensuite au président du CESE.

En amont, chaque organisation détermine son processus de sélection.

Il faut par exemple entre 6 et 7 mois pour que le groupe des associations puisse désigner ses membres au sein du CESE . Les 750 000 associations qu'ils représentent sont toutes consultées sur ce choix.

Le Conseil constitutionnel a déjà admis, en 2009, la prolongation du mandat des membres du CESE 25 ( * ) , dans l'attente d'une réforme de l'institution 26 ( * ) . À l'époque, cette prolongation était prévue pour une durée maximale d'un an.

Ce raisonnement peut être repris aujourd'hui, même si la situation paraît légèrement différente : la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 impliquait nécessairement de modifier la composition du CESE - notamment pour y intégrer les organisations de protection de l'environnement -, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

La décision n° 2009-586 DC du 30 juillet 2009 du Conseil constitutionnel

La prorogation, pour une durée maximale d'un an, du mandat des membres du CESE a été déclarée conforme à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a estimé qu'elle revêtait « un caractère exceptionnel et transitoire ». Dans son commentaire, il a constaté que le législateur organique avait « lié le terme de cette prorogation » à l'adoption d'une seconde loi organique, réformant la composition et le fonctionnement du CESE.

Néanmoins, le Conseil constitutionnel n'a pas précisé s'il considérait le mandat de membre du CESE comme un mandat électif ou non électif. Son commentaire mentionne les jurisprudences relatives aux deux cas de figure, sans trancher ce point.

Dans son avis sur le projet de loi organique, le Conseil d'État confirme que la prolongation des membres du CESE « ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel ni conventionnel » 27 ( * ) .

2. Un consensus au sein du CESE

Lors de son audition devant le rapporteur, Patrick Bernasconi, président du CESE, a insisté sur l'importance de cette mesure transitoire pour mener à bien le projet de réforme de l'institution et renforcer son ancrage dans le processus institutionnel.

Il a rappelé que la transformation du CESE s'inscrit pleinement dans les objectifs de sa mandature et qu'elle peut être réalisée à cadre constitutionnel constant.

Lors de ses auditions, le rapporteur a également entendu les représentants des 18 groupes du CESE : tous s'accordent sur la nécessité de prolonger leur mandat et sur l'intérêt d'une réforme . Des nuances peuvent toutefois apparaître sur certains dispositifs, notamment en ce qui concerne la composition de l'institution.

3. L'intitulé de l'ordonnance du 29 décembre 1958

De valeur organique, l'ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 constitue le fondement des travaux du CESE.

Son intitulé se réfère toutefois au Conseil économique et social, omettant sa compétence environnementale .

Cette omission résulte de l'article 21 de la loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010 28 ( * ) , qui a modifié la dénomination du CESE dans les toutes les « dispositions législatives » mais non dans l'intitulé dans l'ordonnance.

À l'initiative de son rapporteur, la commission a corrigé cette incohérence (amendement COM-2). L'ordonnance du 29 décembre 1958 s'intitulerait désormais : « ordonnance organique relative au Conseil économique, social et environnemental ».

4. Un chantier à venir : la réforme du CESE

La commission des lois a admis la prolongation du mandat des membres du CESE. S'y opposer aurait pour effet de renoncer à la possibilité même de réformer l'institution et de supprimer les 40 personnalités qualifiées désignées par le Gouvernement.

Pour autant, cette décision ne préjuge en rien de la position de la commission sur le futur projet de loi organique réformant le CESE , dont elle n'est pas encore saisie. Plusieurs de ses dispositions sont d'ailleurs très délicates et méritent de plus amples débats, que le calendrier de la session extraordinaire ne permet pas.

Comme l'écrivait le professeur Jean Rivero en 1947, « le plus difficile des problèmes posés par la création d'un Conseil économique est toujours celui de sa composition » 29 ( * ) .

La réduction de 25 % des effectifs du CESE se justifie-t-elle ? Quelles seraient ses conséquences sur la représentation de la société organisée ? Peut-on renvoyer à un décret la liste des organisations représentées dans les pôles « cohésion sociale » et « protection de l'environnement », alors qu'elle figure aujourd'hui dans la loi organique ?

La place du tirage au sort dans nos institutions devra également être débattue . Notre pacte républicain reste fondé sur la légitimité des urnes, consacrée à l'article 3 de la Constitution : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

De même, comment concilier l'affirmation du tirage au sort et la vocation originelle du CESE, représentant la « société civile organisée » ?

Enfin, dans quelle mesure le CESE pourrait-il se substituer à des organes de consultation sectoriels pour la préparation des projets de loi ? À titre d'exemple, la réforme proposée par le Gouvernement pourrait-elle revenir à supprimer certaines compétences du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) ou de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) ?

Autant de sujets qu'il conviendra de trancher lors de l'examen, dans les prochains mois, du projet de loi organique réformant le CESE .

*

* *

La commission a adopté ainsi modifié le projet de loi organique n° 596 (2019-2020) prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental .

Ce texte sera examiné en séance publique le jeudi 23 juillet 2020 .


* 21 Loi n° 2020-366 du 30 mars 2020 modifiant la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet.

* 22 Conseil d'État, avis n os 400471 et 400372 du 25 juin 2020 sur le projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental et le projet de loi organique prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental.

* 23 Article 15 de l'ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social.

* 24 Lorsque des désaccords entre les organisations empêchent la désignation d'un membre du CESE, cette dernière est soumise à l'arbitrage du Premier ministre ou d'une personnalité désignée par lui (article 15 du décret n° 84-558 du 4 juillet 1984 précité).

* 25 Conseil constitutionnel, 30 juillet 2009, Loi organique prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental , décision n° 2009-586 DC du 30 juillet 2009.

* 26 Loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010 relative au Conseil économique, social et environnemental.

* 27 Conseil d'État, avis n os 400471 et 400372 du 25 juin 2020 précités.

* 28 Loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010 relative au Conseil économique, social et environnemental.

* 29 « Le Conseil national économique », 1947.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page