Rapport n° 643 (2019-2020) de M. Édouard COURTIAL , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 15 juillet 2020

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N° 643

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 juillet 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l' accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération bilatérale en matière d' instruction militaire ,

Par M. Édouard COURTIAL,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Bernard Cazeau, Olivier Cigolotti, Robert del Picchia, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, M. Olivier Cadic , secrétaires ; MM. Jean-Marie Bockel, Gilbert Bouchet, Michel Boutant, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Édouard Courtial, René Danesi, Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Paul Émorine, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Jean-Louis Lagourgue, Robert Laufoaulu, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Rachel Mazuir, François Patriat, Gérard Poadja, Ladislas Poniatowski, Mmes Christine Prunaud, Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Hugues Saury, Bruno Sido, Rachid Temal, Raymond Vall, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Jean-Pierre Vial, Richard Yung .

Voir les numéros :

Sénat :

338 et 644 (2019-2020)

L'ESSENTIEL

Afin d'affermir sa coopération avec la Suisse en matière de défense, la France a signé avec la Confédération helvétique, le 23 novembre 2018, un nouvel accord relatif à la coopération bilatérale en matière d'instruction militaire destiné à rénover le cadre existant et à élargir les domaines de coopération.

Eu égard à la neutralité de notre partenaire, ce texte se distingue des accords de défense traditionnellement conclus par la France en ce qu'il ne couvre ni la planification, ni la préparation, ni l'exécution d'opérations de combat ou de toute autre opération militaire. Son périmètre est circonscrit aux activités d'instruction et de formation, ainsi qu'aux exercices et entraînements.

Jusqu'à présent, les actions de coopération concernaient essentiellement le domaine aérien, à travers des actions de police du ciel et des actions conjointes de formation et d'entraînement des pilotes de chasse. À l'avenir, la coopération s'ouvrira à de nouveaux domaines tels que la lutte contre les agents NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), la cyberdéfense ou encore le spatial militaire, dans la mesure où la Suisse a manifesté son intérêt à une participation au nouveau système de satellites d'observation militaire CSO (composante spatial optique).

La dissymétrie de nos appareils militaires - l'armée suisse étant organisée selon le principe de la milice - n'empêche pas une coopération de qualité du fait de notre proximité géographique. Cette collaboration pourrait être facilitée si la Suisse venait à se doter, dans le cadre des marchés d'armement en cours, d'outils similaires aux nôtres (avions de combat, système de défense sol-air). L'interopérabilité de nos moyens, déjà effective dans le domaine de l'instruction des pilotes de chasse depuis l'acquisition par la France d'avions d'entraînement de construction suisse, donnera lieu à des échanges d'autant plus nourris et bénéfiques.

Compte tenu de l'intérêt que présente cet accord pour l'approfondissement des relations franco-suisses en matière militaire, ainsi que des perspectives de développement en ce domaine, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi , dont le Sénat est saisi en premier.

I. LA SUISSE : UN PARTENAIRE SOLIDE ET FIDÈLE

A. UN MODÈLE D'ARMÉE DIFFÉRENT DU NÔTRE, EN COURS DE RÉFORME

1. Une armée de milice, appuyée par des militaires professionnels

L'armée suisse, armée de milice 1 ( * ) , est une armée de conscription qui s'appuie sur quelque 3 000 soldats professionnels essentiellement chargés des tâches d'instruction et d'encadrement.

L'armée est organisée autour :

- d'un état-major qui soutient directement le chef de l'armée. Il établit toutes les directives et planifie toutes les tâches de l'armée ; il est ainsi responsable de la planification, de la doctrine, de l'administration et des relations internationales de l'armée ;

- d'un commandement des opérations qui planifie et conduit toutes les opérations et les engagements de l'armée : les forces terrestres et aériennes, ainsi que le service de renseignement militaire (SRM), les quatre divisions territoriales, la police militaire et le centre de compétences SWISSINT 2 ( * ) lui sont subordonnés ;

- d'un commandement de l'instruction qui est chargé de piloter, planifier et conduire le recrutement et l'instruction afin d'assurer la disponibilité de base des soldats dans tous les grades, unités et états-majors ;

- de la base logistique de l'armée (BLA) qui fournit à l'armée les prestations logistiques et sanitaires dont elle a besoin ;

- et de la base d'aide au commandement (BAC) qui assure le soutien à l'instruction et à l'engagement de l'armée dans les domaines des technologies de l'information et de la communication et des opérations électroniques.

L'armée suisse est donc une armée de conscription tournée vers l'instruction de ses soldats pour la protection du pays et de ses citoyens, quand les armées françaises sont tournées vers les opérations extérieures. Par conséquent, une grande partie de ses missions quotidiennes concernent l'aide à la population dans le cadre du soutien aux autorités cantonales, comme ce fut le cas pendant la crise sanitaire due à la Covid-19 avec près de 8 000 soldats mobilisés.

La conscription n'a pas le même sens qu'en France, avant la suspension du service militaire. En Suisse, chaque citoyen est astreint à un service militaire dans une école de recrues afin de réaliser, par la suite, des périodes d'instruction - dites « cours de répétition » - dont le nombre varie en fonction du grade : pour un soldat de la troupe, le nombre de jours du service militaire à accomplir est de 245 jours (ce qui correspond environ aux 18 semaines d'école de recrues et à 6 cours de répétition). À raison d'un cours de répétition chaque année, sans interruption, il aura achevé ses obligations militaires au bout de 6 années, puis restera incorporé 4 ans avant d'être libéré - soit dix ans au total 3 ( * ) .

Ce sont les soldats ayant achevé leurs obligations militaires et pas encore libérés qui constituent théoriquement le réservoir d'effectifs - sorte de « réserve stratégique » - nécessaire pour alimenter l'effectif règlementaire de DEVA.

2. « DEVA », une réforme initiée en 2018

Initiée le 1 er janvier 2018, la réforme de l'armée appelée « développement de l'armée » (DEVA), a pour principal objectif d'instaurer à nouveau la mobilisation générale en disposant d'un effectif réglementaire de 100 000 hommes, entièrement équipées de moyens militaires de premier plan, en s'appuyant sur un effectif réel de 140 000 hommes. DEVA repose donc sur un nombre plus faible d'unités (une centaine de bataillons) mais pleinement dotées en personnel et entièrement équipées.

Le principe de mobilisation générale - « disponibilité échelonnée » - s'appuie sur plusieurs niveaux de disponibilité :

- en permanence : pour remplir ses missions d'appui aux autorités civiles, l'armée s'appuie sur les conscrits en service long et le personnel professionnel. Ces unités constituent les moyens de la première heure ;

- entre 1 et 10 jours : engagement de toutes les unités effectuant leurs cours de répétition et les conscrits effectuant leur service au sein des formations d'application (environ 1 500 hommes) ;

- entre 5 et 10 jours : des unités à « haut niveau de disponibilité » nouvellement formées peuvent être mobilisées pour appuyer les unités déjà mobilisées (environ 8 000 hommes) ;

- à partir de 10 jours : réintroduction de la « mobilisation générale » permettant de mobiliser environ 35 000 hommes.

DEVA a mis fin à la réserve qui existait jusqu'alors ; il n'existe donc plus, en Suisse, d'équivalent de la réserve opérationnelle française. Certaines n'existaient d'ailleurs qu'en théorie et n'étaient pas entièrement équipées. Une telle réserve n'est en effet plus appropriée, particulièrement dans le contexte des menaces et des risques actuels.

DEVA vise également à améliorer l'instruction et l'équipement, ainsi qu'à renforcer l'implantation des forces armées dans les régions. La réforme mettra l'armée en position de protéger le pays, de manière efficace, contre les dangers et les menaces modernes, de fournir un appui optimal aux autorités civiles en cas de besoin et de contribuer à la promotion de la paix au niveau international.

L'armée suisse atteindra sa pleine capacité, prévue dans le DEVA, de façon progressive d'ici la fin de l'année 2022.

3. La neutralité suisse n'empêche pas à ses forces armées de s'engager

En raison de sa neutralité, inscrite dans sa constitution fédérale, l'armée suisse n'est pas engagée en opérations extérieures et ses activités quotidiennes sont organisées autour de l'instruction.

Le pays participe néanmoins à quelques missions sous mandat des Nations unies (ONU), de l'Union européenne et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ; quelque 250 Suisses sont ainsi projetés à travers le monde, et participent à plus d'une douzaine d'opérations de la paix. À titre d'exemple, la Suisse est un acteur très engagé dans la région des Balkans : 165 personnels dans le cadre de la Swisscoy 4 ( * ) , et 26 pour la force opérationnelle Althéa 5 ( * ) .

La complémentarité entre nos théâtres d'engagement permet un partage de renseignements particulièrement apprécié.

B. UNE COOPÉRATION FRANCO-SUISSE DE QUALITÉ

1. Le cadre juridique existant

Les quatre principaux partenaires de la Suisse en matière de coopération militaire sont ses voisins régionaux, à savoir la France, l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie. Des accords de coopération en matière d'instruction militaire ont été conclus avec ces quatre pays ; toutefois, la coopération militaire avec l'Allemagne et l'Autriche revêt également un caractère multilatéral, dû essentiellement à la proximité linguistique : c'est le cadre DACH (Allemagne-Autriche-Suisse), qui se décline dans le domaine des affaires étrangères et de la défense.

La Suisse coopère aussi dans le domaine de l'instruction avec des pays mettant en oeuvre des matériels similaires aux siens, comme par exemple la Pologne avec les chars Leopard 2.

S'agissant de la coopération franco-suisse en matière de défense, elle se fonde sur une dizaine d'accords parmi lesquels :

- l'accord relatif aux activités bilatérales d'entraînement et d'échanges entre l'armée de l'air française et les forces aériennes suisses du 14 mai 1997 ;

- l'accord relatif aux activités communes d'instruction et d'entraînement des armées françaises et de l'armée suisse du 27 octobre 2003 ;

- l'accord relatif à la coopération en matière de sûreté aérienne contre les menaces aériennes non militaires du 26 novembre 2004 ;

- l'accord relatif aux mesures transfrontalières de sûreté aérienne du 27 octobre 2005 ;

- l'accord relatif à l'échange et la protection réciproque des informations classifiées du 16 août 2006 ;

- et l'accord relatif à l'établissement d'une zone transfrontalière d'entraînement entre la France et la Suisse du 25 février 2015.

2. Un bilan très positif

La dissymétrie de nos appareils militaires n'empêche pas une coopération de qualité en raison de notre proximité géographique, axée sur l'instruction des forces et non l'interopérabilité opérationnelle - qui serait contraire au principe de neutralité suisse. La coopération est donc conçue dans le domaine de l'instruction des forces où nous profitons du savoir-faire de l'armée suisse et échangeons en retour notre expérience opérationnelle.

Les accords bilatéraux signés en 1997 et 2003 ont permis de développer de nombreuses coopérations entre nos forces armées en matière d'instruction et d'entraînements communs. Ces coopérations, dont certaines sont renouvelées chaque année, ont lieu sur les deux territoires et comprennent, entre autres :

- des campagnes de tir « MASA » dont le but est l'entraînement aux procédures de tir air-air depuis des hélicoptères ;

- des campagnes « vol en montagne » et « Épervier » visant respectivement à l'entraînement des pilotes d'hélicoptères dans le cadre de la formation au vol en montagne, et l'entraînement des pilotes de jets à la défense aérienne ;

- des visites et échanges entre écoles de formation de pilotes, ainsi que des échanges d'officiers pilotes français et suisses ;

- des échanges d'expertise entre les écoles d'instruction en haute montagne et des entraînements avec les troupes de montagne et les forces spéciales suisses.

3. Un nouvel accord pour affermir davantage la coopération

L'objectif de la refonte de ces deux accords est d'élargir les domaines de coopération entre nos armées et de disposer d'un texte unique. Ainsi, plutôt que de mettre à jour l'accord de 2003, ce qui aurait nécessité de nombreuses et importantes modifications, les deux ministres ont décidé de refondre le cadre bilatéral de la coopération en concluant l'accord du 23 novembre 2018, dont le champ d'application est ouvert à toute la coopération en matière de défense. En effet, ce nouvel accord fixe le cadre de la coopération au niveau des ministères de la défense et non plus des seules forces armées, de manière à couvrir l'ensemble des domaines de sécurité et de défense qui ne relèvent pas de l'armée suisse (cyberdéfense, NRBC, etc. ).

Le nouvel accord offrira un socle solide et permettra de pérenniser les actions de coopération existantes, tout en s'adaptant à de nouvelles missions avec l'arrivée dans les forces aériennes de vecteurs modernes disposant de fonctionnalités nouvelles.

II. LA SUISSE EST UN PROSPECT IMPORTANT DE NOTRE INDUSTRIE DE DÉFENSE

A. SON BUDGET DE LA DÉFENSE DEVRAIT AUGMENTER AFIN DE FINANCER DES INVESTISSEMENTS DEVENUS ESSENTIELS

En 2016, les Chambres fédérales ont arrêté, pour la première fois, un plafond des dépenses quadriennal de 20 milliards de francs suisses pour les années 2017 à 2020. Ainsi, à la suite des décisions du parlement sur le budget 2018 et le plan des finances 2019 à 2021, le plafond des dépenses s'élève aujourd'hui à 19,3 milliards de francs suisses.

Ce budget annuel de 5 milliards de francs suisses (soit 0,7 % du PIB) est consacré :

- pour 2 milliards aux investissements ;

- et pour 3 milliards aux dépenses d'exploitation et de fonctionnement.

Le Conseil fédéral réclame une enveloppe de 21,1 milliards de francs suisses pour ces quatre prochaines années afin de financer les 15 milliards de francs suisses nécessaires dans les dix prochaines années, à savoir 8 milliards pour la protection de l'espace aérien et 7 milliards pour les autres composantes de l'armée.

B. LE PROGRAMME « AIR2030 » DE PROTECTION DE SON ESPACE AÉRIEN

Afin de renouveler les capacités aériennes du pays, le Conseil fédéral (gouvernement suisse) a lancé le programme Air2030 qui repose sur trois piliers :

- le projet « C2Air » ( Command and Control ) qui prévoit le remplacement du système de surveillance de l'espace aérien et de conduites des opérations aériennes ;

- le projet « Bodluv » qui prévoit l'acquisition d'un nouveau système de défense sol-air de longue portée ;

- et le projet « PAC » qui prévoit l'acquisition d'un nouvel avion de combat.

1. La France a remporté un premier contrat...

Le projet « C2Air », évalué à 230 millions de francs suisses, vise à remplacer les sous-systèmes Ralus/Lunas 6 ( * ) qui composent le système Florako de surveillance de l'espace aérien et de conduite des opérations des forces aériennes suisses. Il devra également maintenir le système Komsys de communication verbale et de données, et moderniser le cryptage par Datalink (système de transmission de données tactiques).

Mis en service en 2004, Florako permet d'identifier les objets aériens civils et militaires (avions, hélicoptères, drones) et de mener les opérations aériennes suisses, y compris la défense sol-air.

En septembre 2019, le directeur général de l'armement a attribué le marché à Thales et son système Skyview , sur la recommandation des experts d'Armasuisse (office fédéral de l'armement) et de l'armée suisse. L'offre française a été préférée aux offres américaine (Raytheon) et suédoise (Saab).

2. ...et attend le résultat de deux offres plus conséquentes

Fin 2017, le Conseil fédéral a permis au département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) de planifier l'acquisition du nouvel avion de combat et du système de défense sol-air de longue portée pour un coût maximal de 8 milliards de francs suisses.

Les deux marchés les plus importants du programme Air2030, relatifs aux projets « PAC » et « Bodluv », n'ont pas encore été attribués. Des entreprises françaises se sont portées candidates à chacun de ces appels d'offre.

En matière d'exportations d'armements avec la Suisse, les prises de commande ont représenté 209,3 millions d'euros entre 2009 et 2018. Le dernier contrat majeur d'armement remporté par la France remonte aux années 1980 et concernait l'acquisition des Mirage IIIS et IIIRS, pour un montant de 1,45 milliard de francs suisses. Depuis, le système de radars de surveillance et de détection Flores a constitué la principale exportation (1998). L'industrie de défense française est par ailleurs retenue, ponctuellement, pour des appels d'offres de moindre envergure.

a) Le renouvellement de la flotte suisse d'avions de combat

Les forces aériennes suisses sont aujourd'hui dotées de :

- 30 F/A-18 C/D, dont la durée de vie a été étendue à 6 000 heures de vol, ce qui permettra aux derniers d'entre eux de voler jusqu'à fin 2030 ;

- 26 F-5 Tigre, qui ne sont plus employés qu'à des activités de servicing , calibration des radars et vols d'entraînement. Ils seront définitivement retirés du service en 2025, sauf si un pays en fait l'acquisition (par exemple les États-Unis ou l'Autriche).

Le Conseil fédéral a décidé d'allouer un budget de 6 milliards de francs suisses pour acquérir 40 nouveaux avions et remplacer l'intégralité de la flotte de combat.

En Suisse, pour des raisons historiques, l'acquisition d'un nouvel avion de combat est une véritable question de démocratie participative qui passe inévitablement par le scrutin populaire (référendum ou initiative populaire). Pour éviter de renouveler l'écueil du référendum perdu en mai 2014 pour l'acquisition du Gripen, le Conseil fédéral a choisi de soumettre au référendum le principe d'investir 6 milliards de francs suisses dans l'acquisition d'un nouvel avion de combat, en utilisant l'arrêté de planification, instrument législatif jamais encore utilisé en Suisse. L'arrête de planification permettra d'éluder la question du type d'avion à choisir pour se concentrer sur la question, plus consensuelle, du principe d'équiper les forces aériennes de moyens modernes et efficaces.

Cependant, même si l'arrêté de planification est accepté en votation populaire, le Conseil fédéral devra présenter le projet d'acquisition concret au parlement dans le cadre d'un message sur l'armée, probablement en 2022.

Les prochaines étapes sont les suivantes :

Échéance

Étape

27 septembre 2020

Scrutin référendaire sur un nouvel avion de combat

Novembre 2020

Deuxième série de soumissions d'offres pour les nouveaux avions de combat et le nouveau système de défense sol-air de longue portée

1 er trimestre 2021

Élaboration des rapports d'évaluation pour des nouveaux avions de combat et d'un système de défense sol-air de longue portée

2 e trimestre 2021

Choix du modèle du nouvel avion de combat et d'un système de défense sol-air de longue portée

Probablement 2022

Soumission d'un projet d'acquisition de nouveaux avions de combat et d'un système de défense sol-air de longue portée au Parlement (message sur l'armée)

Probablement entre 2025 et 2030

Réception de la livraison des nouveaux avions de combat et d'un système de défense sol-air de longue portée

Source : Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports

Quatre modèles d'avions sont en cours d'évaluation :

- le Rafale (Dassault aviation, France) ;

- le F-35A (Lockheed-Martin, États-Unis) ;

- le F/A 18 Super Hornet (Boeing, États-Unis) ;

- l'Eurofighter (Airbus, Allemagne).

Le Gripen E/F du groupe Saab a été écarté par Armasuisse en juin 2019, considérant que l'avion ne répondait pas aux critères de maturité et d'opérationnalité.

La décision finale qui sera prise par le Conseil fédéral s'appuiera sur trois critères :

- la qualité de l'offre technique ;

- le coût, qui sera déterminant ;

- l'état de la relation politique de la Suisse avec celui des États qu'elle aura choisi.

Si la Suisse choisissait le Rafale, le pays deviendrait alors le deuxième pays européen équipé de l'avion de combat de construction française.

b) Le renouvellement de son système de défense sol-air

Les forces aériennes suisses sont notamment dotées de 60 systèmes de missiles Rapier qui seront retirés du service entre 2022 et 2025. Pour prévoir leur remplacement, le Conseil fédéral a décidé d'allouer un budget de 2 milliards de francs suisses pour équiper les forces aériennes d'une nouvelle capacité de défense anti-aérienne de moyenne/longue portée.

Deux systèmes de défense sol-air restent en lice : SAMP/T (Eurosam 7 ( * ) , France) et Patriot (Raytheon, États-Unis).

Le projet d'acquisition du futur système de défense sol-air fait l'objet d'un projet ad hoc : il ne fait plus partie de l'arrêté de planification et sera acquis au titre de la procédure ordinaire des programmes d'armement, sans être soumis à une votation populaire. Toutefois, ainsi que le précise l'arrêté de planification, son calendrier ( cf. supra ) et ses performances techniques doivent être en rapport avec le nouvel avion de combat.

C. LA COOPÉRATION FRANCO-SUISSE DANS LE DOMAINE DE LA DÉFENSE AÉRIENNE, DÉJÀ DENSE, N'ASPIRE QU'À SE RENFORCER AUX MOYENS D'OUTILS SIMILAIRES

1. La France a choisi un avion d'entraînement de construction suisse
a) Un choix source de nombreuses optimisations

Compte tenu de l'âge avancé de ses Alphajets, avions d'entraînement d'ancienne génération, de leur coût d'exploitation croissant et du décalage entre leur système de mission et celui des avions modernes comme le Rafale, l'armée de l'air avait porté le programme FoMEDEC 8 ( * ) (ou « Cognac 2016 ») dans le cadre de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 9 ( * ) .

Un besoin global a été exprimé pour l'acquisition d'une solution complète pour la phase 3 de la formation des équipages de chasse, visant à fournir un ensemble de moyens de formation (avions, simulateurs, moyens d'entraînement) et les prestations « à l'heure de vol » associées.

Lors du renouvellement de l'outil de formation, aucune offre française n'existait sur le créneau de l'instruction des pilotes de chasse. Le PC-21, construit par l'avionneur suisse Pilatus Aircraft, présentait le meilleur rapport qualité/prix en termes d'instruction des pilotes de chasse. Ce choix a permis de réduire les coûts de formation des pilotes 10 ( * ) tout en la faisant évoluer 11 ( * ) .

L'acquisition des PC-21 se répartit sur deux programmes (FoMEDEC puis MENTOR), et en deux temps, selon une logique de location-vente. FoMEDEC prévoit l'acquisition, en 2023, des 17 PC-21 qui ont été livrés entre septembre 2018 et décembre 2019 (seulement deux d'entre eux sont actuellement la propriété de l'armée de l'air). Le coût global de FoMEDEC pour 20 ans d'exploitation, incluant l'acquisition, est de 980 millions d'euros. Une opération visant à acquérir des PC-21 supplémentaires pour la phase 4 de formation des équipages de chasse (phase de transition opérationnelle) est en cours de préparation.

b) Une occasion de mettre en oeuvre des échanges entre les officiers pilotes français et suisses

Le contrat FoMEDEC incluait la formation, en Suisse, de huit instructeurs français dès l'été 2018, c'est-à-dire avant la livraison des premiers PC-21. Ces instructeurs ont, à leur tour, formé l'ensemble du collège des instructeurs français 12 ( * ) sur la BA709 de Cognac avant de recevoir les premiers élèves 13 ( * ) en mai 2019.

Dans l'attente de l'entrée en vigueur du présent accord, le ministère des armées a conclu avec le département fédéral de la défense de la Confédération suisse un arrangement technique relatif aux activités communes d'instruction et d'entrainement, signé le 4 février 2020 par les chefs d'état-major des deux armées de l'air. Cet arrangement technique prévoit les modalités d'échanges entre les officiers pilotes français et suisses, en particulier dans le cadre des formations sur PC-21 14 ( * ) .

2. La défense commune de notre espace aérien

La Suisse est un partenaire fiable dans le domaine de la défense aérienne, en particulier pour les mesures actives de sûreté aérienne conduites par l'armée de l'air dans le cadre de la lutte antiterroriste. La composante aérienne des forces suisses constitue un allié fidèle de notre armée de l'air pour le partage des données radar et des situations aériennes. Nos deux forces aériennes pratiquent de nombreux exercices communs entre moyens de contrôle, chasseurs et hélicoptères qui concourent à la bonne préparation de nos équipages ; cette coopération permet un partage des bonnes pratiques. Les Suisses apportent également des capacités d'instruction au domaine des vols en montagne au profit des équipages de recherche et sauvetage.

La France et la Suisse réalisent un grand nombre d'exercices conjoints visant à renforcer notre interopérabilité pour assurer la continuité de la défense commune de notre espace aérien. La coopération, déjà dense, entre nos armées de l'air pourrait se renforcer à la faveur du programme Air2030. Le nouveau cadre juridique facilitera l'interopérabilité de nos moyens, qui sera d'autant plus efficace si nous disposons d'outils similaires.

III. LES STIPULATIONS DE L'ACCORD

Le présent accord a vocation à se substituer aux accords de 1997 et de 2003, relatifs aux activités d'instruction et d'entraînement de nos forces armées. Il offrira ainsi un cadre rénové à la coopération franco-suisse, lui permettant de se renforcer et de s'ouvrir à de nouveaux domaines. L'accord soutient également l'effort d'interopérabilité entre les forces armées qui pourrait être facilité par des capacités militaires reposant sur des systèmes similaires.

A. UN ACCORD QUI TIENT COMPTE DE LA NEUTRALITÉ HELVÉTIQUE

Aux termes de l' article 2 , et contrairement aux accords de défense traditionnellement conclus par la France, le périmètre du présent accord « ne couvre ni la planification, ni la préparation, ni l'exécution d'opérations de combat ou d'autres opérations militaires » .

Il s'agit donc d'un accord spécifique, tenant compte de la neutralité de notre partenaire et de ses exigences constitutionnelles en la matière 15 ( * ) . Afin de respecter cette neutralité, le champ d'application de cet accord est circonscrit aux activités d'instruction et de formation, ainsi qu'aux exercices et entraînements, ayant pour but de faire acquérir aux personnels civils et militaires des forces armées les qualités nécessaires à l'accomplissement de leurs missions. En conséquence, les personnels de la partie d'envoi présents sur le territoire de la partie d'accueil n'ont pas vocation à participer aux opérations de maintien ou de rétablissement de l'ordre public ou de la sécurité, ni à des actions de préparation et/ou d'exécution d'opérations de guerre ou de rétablissement de la souveraineté nationale.

Le préambule rappelle la volonté des parties « de contribuer, dans l'esprit de la charte des Nations unies, au renforcement de la paix, de la confiance et de la stabilité dans le monde » . En outre, comme le stipule l' article 4 , la coopération s'inscrit dans le champ de la convention entre les États parties au traité de l'Atlantique nord et les autres États participant au partenariat pour la paix sur le statut de leurs forces (dit « SOFA PpP »), ainsi que de son protocole additionnel du 19 juin 1995 qui prévoit l'application de la convention du 19 juin 1951 entre les États parties au traité de l'Atlantique nord sur le statut de leurs forces (« SOFA OTAN »), en particulier son article VIII relatif au mode de règlement des dommages. Ce SOFA régit le statut des membres du personnel et des personnes à charge présents sur le territoire de la partie d'accueil dans le cadre de l'accord.

B. LE DÉVELOPPEMENT DE NOUVEAUX CHAMPS DE COOPÉRATION ET LE RENFORCEMENT DES LIENS EXISTANTS

Malgré la restriction liée à la neutralité helvétique, l'accord permettra à nos deux pays d'étendre le champ de coopération à de nouveaux domaines. Les domaines de coopération sont ainsi prévus, de manière large et non exhaustive, à l' article 3 . Plusieurs d'entre eux revêtent une importance stratégique : cyberdéfense, protection NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), spatial militaire, etc.

1. La cyberdéfense, la protection NRBC et le spatial militaire

L'armée suisse bénéficie d'une réelle expertise dans certains domaines stratégiques tels que la cyberdéfense ou encore la lutte contre les agents NRBC ; le renforcement de notre coopération dans ces domaines bénéficiera à nos forces armées.

La Suisse a également souhaité collaborer dans le domaine du spatial militaire en manifestant son intérêt pour l'accès à des images satellite de haute qualité via une participation au nouveau système français de satellites d'observation militaire, dénommé « CSO » (composante spatiale optique), élaboré à des fins de renseignements.

CSO-1, le premier des trois satellites prévus, a été mis en orbite le 19 décembre 2018. Le système et ses stations terrestres devraient être pleinement opérationnels en 2022. La France offre la possibilité aux pays européens de participer à ce système à travers des accords bilatéraux : l'Allemagne, la Suède et la Belgique ont déjà rejoint la communauté CSO, et devraient être prochainement rejoints par la Suisse qui est dépourvue de capacités satellitaires propres. Cette participation sera compatible avec le principe de neutralité ; une clause de suspension devrait permettre d'interrompre immédiatement, et à tout moment, la collaboration pour des impératifs liés à ce principe cardinal pour nos voisins.

Le domaine du renseignement militaire n'était pas abordé par les accords de 1997 et 2003, tout comme celui de la cyberdéfense. Ainsi, le nouvel accord tient compte du développement des nouvelles menaces et de la nécessité de coopérer en la matière avec nos alliés.

Pour le traitement des informations classifiées produites ou échangées dans le cadre de la coopération, l' article 5 renvoie aux stipulations de l'accord franco-suisse du 16 août 2006 relatif à l'échange et la protection réciproque des informations classifiées.

2. Les domaines aériens et terrestres

Ce nouvel accord facilitera également les exercices conjoints entre nos armées de terre, notamment lors de déploiements en zone transfrontalière. En effet, l'un des objectifs de l'accord est d'alléger les procédures administratives imposées par l'accord de 2003 ; aussi prévoit-il une clause évolutive permettant de faire varier le périmètre de la coopération en fonction des besoins à venir, sans nécessité de réviser l'accord.

En outre, l' article 3 fait de la formation des instructeurs et des pilotes un domaine essentiel de la coopération franco-suisse, en précisant qu'elle peut prendre la forme « d'activités d'instruction et de formation des membres du personnel, ainsi que des exercices et entraînements dans les installations respectives des parties, dans l'espace aérien et sur des bases aériennes . Ces activités sont effectuées conjointement ou individuellement par l'une ou l'autre des parties sur le territoire de l'autre partie ou à bord de l'un de ses aéronefs ou navires, avec l'accord des services compétents des parties pour statuer sur l'activité concernée » .

C. L'ORGANISATION DES ÉCHANGES

L' article 6 énonce les obligations générales des parties pour la mise en oeuvre de la coopération, à savoir la communication préalable de l'identité des personnels déployés, le respect de la législation de la partie d'accueil, ainsi que les qualifications professionnelles, les capacités requises et les exigences techniques auxquelles doivent respectivement répondre les personnels et les matériels de la partie d'envoi.

Les obligations des parties destinées à faciliter leur coopération sont précisées à l' article 12 . Cet article prévoit l'accès des membres du personnel de la partie d'envoi aux installations militaires de la partie d'accueil et l'octroi de facilités de circulation (territoire, espace aérien, autorisations de survol et d'atterrissage) et d'utilisation des espaces électromagnétique et cybernétique.

L' article 7 traite du statut des membres des forces armées d'États tiers parties au « SOFA PpP » et à son protocole additionnel, amenés à participer, lorsqu'ils sont insérés au sein des forces armées de la partie d'envoi, à une activité de coopération sur le territoire de la partie d'accueil. Il est entendu que cette participation reste subordonnée à son autorisation, après accord de l'État tiers. S'agissant de l'organisation du commandement, les parties devront en convenir avant chaque activité, ainsi qu'en dispose l' article 8 .

Enfin, l' article 9 prévoit l'organisation de réunions bilatérales et la réalisation, en collaboration avec les attachés de défense des parties, d'un bilan annuel qui s'appuiera sur un plan de coopération élaboré et coordonné par les autorités compétentes des parties, à savoir le ministre des armées pour la partie française et le département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports pour la partie suisse.

D. LES ASPECTS DE SÉCURITÉ

Les règles applicables en matière de sécurité générale sont fixées à l' article 10 . Il reviendra à la partie d'accueil d'assurer, conformément à sa législation, la sécurité des personnels et des matériels de l'autre partie. À cette fin, les membres du personnel de la partie française devront coopérer avec les autorités cantonales et communales compétentes lorsqu'ils se trouveront en territoire suisse.

L' article 11 fixe les modalités de port d'armes et de munitions, autorisé pour les personnels de la partie d'envoi sur le territoire de la partie d'accueil ainsi qu'à bord des aéronefs et des navires 16 ( * ) , dans les conditions prévues par la législation nationale. La partie d'accueil facilitera, autant que faire se peut, le passage à la frontière de ces personnels avec leurs armes et munitions. Cet article en encadre également le transport, la garde et l'utilisation.

La législation suisse interdit aux étrangers de détenir des armes. Les soldats étrangers peuvent toutefois en porter en vertu du principe d'exception : tout transit ou mission de soldats français en Suisse doit alors faire l'objet d'une demande circonstanciée auprès du protocole militaire 17 ( * ) qui délivrera, en tant que de besoin, une autorisation fixant leur cadre d'emploi.

En France, pour des motifs tenant à la souveraineté, le port d'armes est interdit aux militaires étrangers, sauf accord intergouvernemental. Le port d'armes par les militaires sur le territoire national est régi, s'agissant des armes de dotation, par l'article L. 2338-2 du code de la défense qui dispose que « Les militaires peuvent porter leurs armes, munitions et leurs éléments dans les conditions définies par les règlements particuliers qui les concernent. » Cet article est complété par l'article D. 2338-1 du même code qui précise que « Les militaires en service ne portent leurs armes de dotation réglementaire qu'en tenue militaire. Toutefois, ils peuvent les porter en tenue civile sur autorisation ou instructions spéciales du ministre de la défense ou du commandement. [...] Il est interdit aux militaires de détenir dans les enceintes et établissements militaires ou en campagne, dans les cantonnements et véhicules, ainsi qu'à bord des bâtiments de la flotte et des aéronefs, et de porter, même en uniforme, une arme personnelle, sauf autorisation préalable du commandant de la formation administrative. »

Par conséquent, pour les militaires, le port d'une arme de service n'est soumis à aucune autorisation administrative particulière. Pour les officiers et les sous-officiers d'active, le port d'une arme personnelle est subordonné aux règlements particuliers qui les concernent.

Eu égard à nos nombreuses coopérations dans les domaines aérien et terrestre avec la Suisse, l'accord prévoit l'accomplissement d'activités alpines non armées dans les régions transfrontalières ( cf. article 3 e) ), ainsi que des exercices et entraînements dans l'espace aérien et sur des bases aériennes. Afin de sécuriser ces exercices et entraînements, l' article 13 prévoit des mesures en matière de sécurité aérienne et un protocole en cas d'accident ou d'incident impliquant un aéronef.

E. LES DISPOSITIONS DIVERSES

La convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 modifiée 18 ( * ) , visée dans le préambule de l'accord, s'applique aux personnels concernés par un échange. Ainsi, l' article 14 prévoit que la domiciliation fiscale des membres du personnel et de leurs personnes à charge présents sur le territoire du pays d'accueil, sera maintenue dans leur État d'origine.

Les articles 15 et 16 concernent les soins médicaux et les règles applicables en cas de décès. L' article 15 dispose que les membres du personnel de la partie d'envoi ont accès aux soins médicaux sur le territoire de la partie d'accueil dans les mêmes conditions que les personnels de cette partie. Ces prestations, fournies en milieu civil ou militaire, sont prises en charge par leur État d'origine. À ce titre, il est précisé que les personnels participant aux activités de coopération doivent satisfaire aux exigences d'aptitude requises et disposer d'une couverture médicale suffisante.

En cas de décès d'un membre du personnel de la partie d'origine sur le territoire de la partie d'accueil, l' article 16 prévoit les modalités applicables à l'établissement du certificat de décès et à la réalisation d'une autopsie, ainsi que les conditions de la remise de la dépouille aux autorités compétentes de la partie d'origine pour son rapatriement.

S'agissant des dispositions financières, l' article 17 détermine les règles de financement de la coopération. À cet égard, l'article stipule que chaque partie prendra à sa charge les frais relatifs à sa participation aux activités de coopération organisées dans le cadre de l'accord, dans la limite du budget courant de son administration. Par conséquent, l'accord n'emporte aucune conséquence financière notable.

Les modalités pratiques de remboursement des prestations fournies par l'une des parties sont fixées en annexe . L'accord offre néanmoins la possibilité de mettre à disposition des équipements, ou de fournir des prestations, à titre gratuit ; un bilan des contributions sera établi chaque année afin d'équilibrer les charges entre les parties.

Des arrangements techniques règleront les modalités concrètes de chaque activité prévue en application de cet accord, ainsi que les responsabilités respectives des parties. Ils permettront de décliner l'accord en précisant le cadre juridique adapté à chaque activité (soutien, sécurité des installations, etc. ).

Ces documents de procédure, régulièrement conclus au titre des exercices et entraînements conjoints des armées françaises et suisses, se fondent sur les accords de 1997 et 2003. Ils resteront en vigueur malgré l'abrogation desdits accords, à l'occasion de l'entrée en vigueur de l'accord du 23 novembre 2018 ( article 19 ) : les références dans les arrangements techniques aux accords abrogés seront comprises comme des références au nouvel accord.

Enfin, les articles 18 et 20 traitent, de manière classique, de règlement des différends, d'application dans le temps, d'entrée en vigueur et de dénonciation de l'instrument.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 15 juillet 2020, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Édouard Courtial sur le projet de loi n° 338 (2019-2020) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération bilatérale en matière d'instruction militaire.

M. Édouard Courtial, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous examinons à présent le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre la France et la Suisse relatif à la coopération bilatérale en matière d'instruction militaire.

La coopération franco-suisse en matière de défense se fonde sur une dizaine d'accords conclus depuis 1987. L'accord soumis à notre examen se substituera aux accords signés en 1997 et en 2003, relatifs aux activités d'instruction et d'entraînement de nos forces armées.

Ce nouvel accord se distingue des accords de défense traditionnellement conclus par la France, puisqu'il tient compte de la neutralité de notre partenaire. Pour respecter cette neutralité, l'accord ne couvre ni la planification, ni la préparation, ni l'exécution d'opérations de combat ou de toute autre opération militaire. Son périmètre est donc circonscrit aux activités d'instruction et de formation, ainsi qu'aux exercices et entraînements, ayant pour but de faire acquérir aux personnels civils et militaires des forces armées les qualités nécessaires à l'accomplissement de leurs missions.

L'accord de 2018 facilitera les échanges en simplifiant les procédures administratives qui peuvent parfois constituer un frein. Il offrira un cadre rénové et élargi à notre coopération qui, jusqu'à présent, concernait principalement le domaine aérien à travers des actions de police du ciel, et des actions conjointes de formation et d'entraînement des pilotes de chasse. En effet, pour l'instruction de ses pilotes, la France a récemment choisi le Pilatus PC-21, avion de construction suisse, en remplacement des Alphajets. Depuis, la formation des instructeurs est dispensée pour partie en Suisse, et des échanges entre les officiers pilotes français et suisses sont régulièrement organisés. En outre, nos deux pays réalisent un grand nombre d'exercices conjoints visant à renforcer notre interopérabilité pour assurer la défense commune de notre espace aérien.

Cette coopération trouve également à s'appliquer dans le domaine terrestre à travers des échanges d'expertise entre les écoles d'instruction en haute montagne, et des entraînements avec les troupes de montagne et les forces spéciales suisses.

Le nouvel accord permettra d'ouvrir la coopération à trois nouveaux domaines que sont :

- la protection NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique) qui est l'une des spécialités de l'armée suisse ;

- la cyberdéfense ;

- et le spatial militaire, dans la mesure où la Suisse souhaite accéder à des images satellite de haute qualité, via une participation au nouveau système français de satellites d'observation militaire dénommé « CSO » (composante spatiale optique).

Notre partenaire a un modèle d'armée différent du nôtre : l'armée suisse est une armée de milice, où les civils sont formés pour participer à des missions militaires en complément de leur formation professionnelle. Il s'agit donc une armée de conscription, qui s'appuie sur quelque 3 000 soldats professionnels, essentiellement chargés des tâches d'instruction et d'encadrement. Chaque citoyen est astreint à un service militaire afin de réaliser, par la suite, des périodes d'instruction ; au total, les Suisses demeurent à la disposition de leur armée pendant une dizaine d'années.

La dissymétrie de nos appareils militaires n'empêche pas une coopération de qualité en raison de notre proximité géographique, axée sur l'instruction des forces et non l'interopérabilité opérationnelle comme je l'ai précédemment indiqué. La coopération est donc conçue dans le domaine de l'instruction des forces où nous profitons du savoir-faire de l'armée suisse et échangeons en retour notre expérience opérationnelle.

L'armée suisse a initié, en 2018, une réforme intitulée « DEVA » - pour développement de l'armée -, qui a pour principal objectif d'instaurer à nouveau la mobilisation générale en disposant d'un effectif réglementaire de 100 000 hommes, entièrement équipés de moyens militaires de premier plan.

À cet égard, le Conseil fédéral (équivalent du gouvernement) a lancé le programme « Air2030 » qui vise à acquérir un nouveau système de défense destiné à renouveler les capacités aériennes du pays. Ce programme repose sur trois piliers :

- le projet « C2Air » qui prévoit le remplacement du système de surveillance de l'espace aérien. Ce marché a été attribué, en septembre dernier, à Thales pour plus de 200 millions d'euros ;

- le projet « Bodluv » qui prévoit l'acquisition d'un nouveau système de défense sol-air de longue portée. Deux candidats restent en lice : d'une part le consortium Eurosam formé par le français Thales et l'italien Alenia en collaboration avec MBDA, et d'autre part l'américain Raytheon et son système Patriot ;

- et enfin le projet « PAC » qui prévoit l'acquisition d'un nouvel avion de combat. Le Rafale est toujours en lice, aux côtés de trois autres avions de combat, dont l'Eurofighter et le F-35 américain.

Le coût de ces deux derniers projets est estimé à 7,4 milliards d'euros. Le principe de renouvellement de la flotte d'avion de combat sera soumis à un scrutin référendaire en septembre prochain ; en cas de vote positif, le marché sera attribué au deuxième trimestre 2021, avant d'être soumis au vote du parlement, probablement en 2022.

S'agissant des avions de combat, l'offre qui sera remise par les industriels avant la fin de l'année devra comporter un volet de coopération, ce qui permettra aux forces suisses de collaborer avec celles du pays fournisseur. À ce titre, l'accord que nous examinons aujourd'hui peut contribuer à soutenir notre industrie de défense, dans un contexte économique rendu difficile par la crise sanitaire.

En cas de succès de l'offre française, la Suisse deviendrait alors le deuxième pays européen équipé du Rafale. Après l'acquisition de Pilatus PC-21 par l'armée de l'air française, un tel choix renforcerait davantage les liens tissés entre nos armées de l'air. En effet, les coopérations en matière d'armement tendent à générer des rapprochements opérationnels eu égard à l'utilisation de matériels communs, ce qui favorise les partages d'expérience. Ainsi, au-delà du point de vue purement militaire, la France a intérêt à développer la coopération militaire car nous espérons beaucoup des potentiels succès que représentent les prospects précipités, mais aussi tous les autres systèmes à venir, notamment dans le domaine terrestre (Caesar, véhicules blindés).

Pour conclure, ce nouvel accord répond aux intérêts de nos armées d'une plus grande coopération avec un partenaire aussi fidèle que fiable.

Je préconise donc l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier. La partie suisse a quant à elle déjà notifié l'achèvement de ses procédures nationales nécessaires à l'entrée en vigueur de l'accord.

L'examen en séance publique est prévu le mercredi 22 juillet prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, ont souscrit.

M. Jean-Marie Bockel . - Je salue la qualité et la clarté de ce rapport.

Comme l'a indiqué le rapporteur, les Suisses sont de très bons partenaires. Leur souhait est de disposer d'un avion de combat adapté à leurs enjeux de défense.

Malgré sa neutralité, la Suisse est très présente dans certaines instances internationales comme l'assemblée parlementaire de l'OTAN, en qualité d'observateur. Par ailleurs, le pays était invité, hier, aux cérémonies du 14-Juillet. Voir des militaires suisses défiler derrière leur drapeau et être salués, était un symbole fort.

Le travail de notre collègue Courtial est utile pour mettre en lumière les besoins de coopération avec nos voisins helvétiques.

M. Olivier Cadic . - La Suisse pèse autant que la Chine en termes d'exportations pour notre pays. Il s'agit du troisième investisseur direct en France, devant l'Allemagne.

Comme l'a indiqué le rapporteur, le principe d'acquérir de nouveaux avions de combat sera soumis au peuple suisse, par référendum. Ce projet est en enjeu d'avenir pour nos deux pays ; il est donc important que l'industrie suisse y soit associée, à travers des échanges avec nos entreprises.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Je rejoins les propos de notre collègue Cadic. Il faut développer un véritable partenariat stratégique avec la Suisse, au-delà des intérêts industriels, comme le font ses autres voisins.

M. Christian Cambon, président . - La Suisse pourrait devenir le deuxième pays en Europe équipé du Rafale. Ce projet doit être conduit avec humilité et sagesse, comme nous le faisons.

L'idée d'une coopération parlementaire pourrait également être étudiée.

M. Édouard Courtial, rapporteur . - Je me permets de préciser que la Suisse souhaite acquérir 40 avions de combat, et qu'elle y consacrera 6 milliards de francs suisses. Ce n'est pas rien !

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère des armées - État-major des armées

Capitaine de vaisseau Fabrice Cohéléach , chef du bureau bilatéral Nord


* 1 L'article 94 de la loi fédérale sur l'armée et l'administration militaire (LAAM) fixe le principe de l'armée de milice. D'après le dictionnaire historique de la Suisse, « la notion de système de milice désigne un principe d'organisation couramment pratiqué dans la vie publique en Suisse ; elle repose sur l'idée républicaine selon laquelle le citoyen qui en a les capacités doit assumer des charges et des tâches publiques à titre extraprofessionnel et bénévole » .

* 2 SWISSINT est chargé de la préparation des militaires engagés au profit des missions internationales de promotion de la paix.

* 3 Les cadres restent astreints au service militaire pour une durée plus importante.

* 4 Contingent de l'armée suisse au sein de la mission internationale de promotion de la paix KFOR (Force pour le Kosovo) de l'OTAN.

* 5 La Suisse participe depuis 2004 à l'opération Althéa de la Force multinationale de l'Union européenne (EUFOR) en Bosnie-Herzégovine.

* 6 Ralus (Radar-Luftlage-System) rassemble les données radar et établit l'image de la situation aérienne (traitement des signaux radar), tandis que Lunas (Luftlage-Nachrichtensystem) reproduit toutes les données à l'écran afin de soutenir la conduite de l'engagement (acquisition de renseignements aériens).

* 7 Le consortium Eurosam est formé par le français Thales et l'italien Alenia, en collaboration avec le missilier MBDA.

* 8 Formation modernisée et d'entraînement différencié des équipages de combat.

* 9 Il s'agissait de l'application concrète de la réforme de la formation telle qu'inscrite dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013.

* 10 Le coût d'exploitation du PC-21 est nettement inférieur à celui de l'Alphajet, et permet en outre le redéploiement du personnel dédié (instructeurs, mécaniciens, contrôleurs). D'après le ministère des armées, la production annuelle de 28 brevets de pilote de chasse nécessitait, avant la mise en service du PC-21, 34 mois et 85 instructeurs répartis entre Cognac, Tours et Cazaux (assurant également la formation des NOSA (navigateur officier systèmes d'armes) chasse) ; l'objectif théorique est désormais ramené à 24 mois avec 56 instructeurs pour former 29 pilotes de chasse et 14 NOSA chasse, soit un gain de près de 50% de productivité.

* 11 Acquisition de savoir-faire techniques et tactiques plus avancée que sur Alphajet.

* 12 La formation comprend 25 heures pour pouvoir instruire les missions les plus simples, et 20 heures supplémentaires pour instruire les missions plus complexes tactiquement et techniquement.

* 13 Le programme d'instruction sur PC-21 comprend 180 missions, soit 230 heures d'instruction, qui se déroulent en partie au simulateur (environ 100 heures).

* 14 Ses stipulations portent notamment sur le soutien apporté aux officiers en échange, les liens de subordination, l'accès aux infrastructures, les diverses prestations (comme le soutien pétrolier) et leurs modalités de facturation.

* 15 La Suisse ne s'engage pas dans les conflits internationaux, à l'exception des opérations humanitaires et de maintien de la paix.

* 16 La Suisse ne dispose pas de marine militaire à l'exception de 14 patrouilleurs suisses qui sont engagés sur les lacs, essentiellement le lac Léman. Cet accord permettra de pallier le faible niveau de coopération franco-suisse dans le domaine fluvial : une coopération relative à l'utilisation de ces patrouilleurs peut être envisagée, notamment dans le domaine du sauvetage et des opérations des forces spéciales.

* 17 Équivalent du bureau de liaison des missions militaires de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées.

* 18 Convention entre la France et la Suisse et son protocole additionnel en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscale du 9 septembre 1966 et leurs amendements successifs (avenants du 3 décembre 1969, du 22 juillet 1997 et du 27 août 2009).

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