Rapport n° 87 (2020-2021) de M. Gilbert BOUCHET , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 28 octobre 2020

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N° 87

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 octobre 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi , adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l' approbation de l' accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l' Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants , de substances psychotropes et de précurseurs chimiques , et des délits connexes ,

Par M. Gilbert BOUCHET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, Robert del Picchia, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Philippe Paul, Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Sébastien Lecornu, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, Gérard Poadja, Mme Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Richard Yung .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

2433 , 2738 et T.A. 424

Sénat :

485 (2019-2020) et 88 (2020-2021)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi du projet du projet de loi n° 485 (2019-2020) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l'Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes.

La signature de cet accord cinq ans plus tard seulement, en 2018, s'explique par la nécessité d'échanges approfondis sur certains points comme la protection des données personnelles et sur d'autres points, compte tenu des traditions juridiques si différentes.

Cet accord est un accord inédit dans la mesure où il s'agit du premier engagement juridiquement contraignant conclu avec l'Inde en matière de coopération policière : il s'agit d'un accord sectoriel puisqu'il ne porte que sur la prévention de la consommation illicite et la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques.

L'Inde, de par son positionnement, sa taille et son poids démographique, représente un acteur majeur dans la lutte contre les flux illicites de produits stupéfiants, en étant à la fois un pays de transit, de consommation et de productions de produits stupéfiants.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en second. Cet accord bilatéral de coopération policière contribue à une lutte plus efficace contre les trafics de drogue qui ne cessent d'augmenter dans le monde et dispose également d'un volet prévention.

PREMIÈRE PARTIE : LE PREMIER ACCORD DE COOPÉRATION POLICIERE SECTORIELLE AVEC L'INDE

I. L'INDE, UN ACTEUR RÉGIONAL MAJEUR DANS LA LUTTE CONTRE LES STUPEFIANTS

L'Inde prend une part active dans la lutte internationale contre les drogues en participant notamment aux travaux de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, ainsi qu'à l'Initiative du Pacte de Paris créée en 2003 pour lutter contre le trafic d'opiacés en provenance d'Afghanistan.

Compte tenu de son poids démographique et de son positionnement géographique, l'Inde se présente comme un acteur régional majeur de la lutte contre les flux illicites de produits stupéfiants. Comme en France, on y observe une augmentation de la consommation de drogues. En 2017, 2,1 % de la population indienne, soit 23 millions de personnes, avaient consommé des opiacés : de l'héroïne 1 ( * ) et des opioïdes détournés de leur usage médical 2 ( * ) tandis que 0,75 % de la population française avait consommé de l'héroïne. À cette date, la consommation de cannabis concernait 3 % de la population indienne contre une estimation de 7,5 % de la population française.

De par sa situation à proximité du triangle d'or (Laos, Birmanie, Thaïlande) et surtout du croissant d'or (Iran, Afghanistan, Pakistan), zone de production d'opium la plus importante au monde, l'Inde est l'une des principales routes pour le trafic international d'héroïne à destination de la Chine et de l'Asie du Sud-Est mais aussi de l'Australie et de l'Amérique du Nord. L'Inde se situe aussi sur la route « Sud » par laquelle transiteraient environ 10 % des opiacés à destination de l'Europe et de la France.

Les flux illicites de produits stupéfiants produits en Inde  vers la France consistent essentiellement en drogues de synthèse : des volumes allant jusqu'à plusieurs centaines de comprimés de méthamphétamine envoyés en fret express aérien, en lien avec la diaspora indienne, sont régulièrement interceptés à l'aéroport de Roissy-CDG. La France apparaît aussi comme un pays de transit pour la kétamine, autre drogue de synthèse, et le khat.

Enfin, l'Inde, deuxième leader mondial des médicaments génériques derrière la Chine avec 20 milliards de dollars d'exportation annuelle en 2020, connaît de nombreux détournements de médicaments par des organisations criminelles - c'est le cas de l'éphédrine et de certains antalgiques comme le Tramadol qui sont consommés comme drogues -, sans parler des médicaments contrefaits par des entreprises installées sur le territoire indien.

La négociation de cet accord fait suite à une demande de l'Inde exprimée en février 2013 dans le cadre du groupe de travail franco-indien sur le contre-terrorisme en raison du lien entre la lutte contre les stupéfiants et la lutte contre le financement du terrorisme international, notamment le financement des groupes terroristes présents en zone afghano-pakistanaise.

Pour le gouvernement indien en effet, le terrorisme demeure un sujet de préoccupation majeur qui recouvre plusieurs réalités : le terrorisme ayant comme toile de fond le contentieux indo-pakistanais, aux abords de la frontière avec le Pakistan et dans la vallée du Cachemire ; la rébellion armée naxalite dans le centre de l'Inde ; l'extrémisme séparatiste dans les États du nord-est de l'Inde ; et le terrorisme islamiste. La menace liée aux organisations terroristes internationales Daesh et Al-Qaida constitue un sujet une source d'inquiétude croissante depuis environ quatre ans pour des raisons exogènes, liées à l'environnement régional du pays (zone afghano-pakistanaise, attentats aux Bangladesh en juillet 2016 et au Sri Lanka en avril 2019, question de la radicalisation aux Maldives) et pour des raisons endogènes, même si le nombre estimé de départs pour la zone irako-syrienne et l'Afghanistan demeure très limité.

II. UN ACCORD QUI S'INSCRIT DANS UNE RELATION BILATERALE DÉJÀ FORTE

Cet accord s'inscrit dans une relation bilatérale qui repose sur la confiance et le partage de valeurs communes. Depuis l'indépendance de l'Inde en 1947, la France et l'Inde ont conclu plus de 200 accords bilatéraux. La France et l'Inde partagent une même vision des réformes à mener dans les processus de gouvernance mondiale. L'Indopacifique constitue une priorité géostratégique commune à la France et l'Inde.

Des rencontres régulières et de haut niveau ont enrichi cette relation au fil des ans. Le Premier ministre Modi s'est rendu en France en juin 2017 puis en août 2019 (rencontre bilatérale à Chantilly et participation au Sommet du G7 de Biarritz). Le Président de la République a effectué une visite d'Etat en Inde du 9 au 12 mars 2018.

Les relations entre l'Inde et la France se sont renforcées avec le lancement du partenariat stratégique en 1998. Ce partenariat a mis en place une coopération étroite dans les secteurs de la diplomatie - la France soutient notamment la candidature de l'Inde au Conseil de sécurité de l'ONU depuis 2005 -, de la défense avec notamment la conclusion en 2016 d'un contrat d'acquisition de 36 Rafales dont le premier a été livré en octobre 2019.

Ce partenariat couvre également les enjeux de la sécurité, du nucléaire civil et de l'énergie avec notamment la conclusion en mars 2018 d'un accord industriel en vue de la construction de six réacteurs nucléaires à eau pressurisée (EPR) sur le site de Jaitapur.

III. UN ACCORD EN COHÉRENCE AVEC LES CONVENTIONS BILATERALES D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE ET D'EXTRADITION

1. Plusieurs conventions bilatérales sont déjà en application

Cet accord franco-indien établit les modalités et procédures applicables pour la coopération policière technique et opérationnelle en matière de prévention de la consommation illicite et de lutte contre les trafics illicites de stupéfiants entre les deux États.

L'article 2 paragraphe 3 de cet accord prévoit qu'il sera mis en oeuvre en parfaite cohérence avec les engagements bilatéraux liant les deux États dans les domaines de l'entraide judiciaire en matière pénale (convention bilatérale franco-indienne d'entraide judiciaire en matière pénale du 25 janvier 1988) et de l'extradition (convention bilatérale franco-indienne en matière d'extradition du 24 janvier 2003).

Par conséquent, une demande de coopération sera traitée sur le fondement de l'accord bilatéral correspondant à sa nature. Ainsi, une demande entrant dans le champ de la coopération policière sera traitée sous l'empire des dispositions du présent accord ; une demande effectuée dans le cadre d'une enquête judiciaire relèvera du champ de la convention d'entraide judiciaire de 1988 ; et une demande tendant à obtenir l'extradition d'une personne sera traitée sur le fondement de la convention de 2003.

Lors de l'audition 3 ( * ) , les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, de l'Intérieur et de la Justice ont indiqué que parmi les diligences faites par les services du ministère de l'Intérieur lorsqu'ils reçoivent une demande de coopération, la question de la nature de la demande fait l'objet d'une attention prioritaire. Ainsi si une demande transmise au titre de la coopération policière relève en fait du champ de l'entraide judiciaire (ou de la compétence d'un autre ministère - cas des demandes de coopération douanière), elle ne sera pas exécutée et sera selon le cas retournée au service demandeur ou retransmise à l'administration française compétente.

Plus précisément, les demandes de coopération policière font l'objet au sein du ministère de l'Intérieur d'un traitement centralisé, via la SCCOPOL (section centrale de coopération opérationnelle de police). La SCCOPOL dispose d'une mission "Justice", émanation de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, ce qui permet un dialogue constant et fluide entre les deux ministères, ainsi qu'une parfaite complémentarité entre canaux de coopération policière et d'entraide judiciaire.

Ainsi, lorsqu'une demande de coopération policière est reçue, différentes vérifications sont faites concernant notamment :

- la finalité de la demande (vérification des motivations - notamment si elle émane d'un pays dont on sait qu'il est susceptible de présenter une demande ayant un dessein politique) ;

- la nature des faits et infractions pour lesquelles la demande de coopération est faite (question de la qualification pénale) ;

- la nature des informations demandées (cas par exemple de données pour lesquelles l'accord de l'autorité judiciaire est requis) ;

- l'adéquation entre les raisons de la demande et la nature des informations demandées (nécessité et pertinence) ;

- l'adéquation entre la gravité des faits en cause et le type d'informations demandées (proportionnalité) ;

- l'existence d'enquêtes menées par un service français ou de mesures particulières (notices Interpol, mandat d'arrêt, etc.) concernant un auteur ou auteur présumé d'infractions.

2. La non applicabilité de la peine de mort en découle

L'article 31A de la loi indienne relative aux stupéfiants et aux psychotropes de 1985 prévoit la peine de mort en cas de récidive pour des faits graves en relation avec des drogues dures. Plus précisément, lorsqu'une personne ayant préalablement été condamnée pour avoir commis, tenté de commettre ou encouragé un détournement d'opium, un acte de trafic international de stupéfiants, ou le financement d'un trafic illicite, se retrouve coupable de la commission, de la tentative ou de complicité s'agissant d'une infraction relative à la production, fabrication, possession, transport, importation, exportation de drogues dites dures listées par la loi ou de financer ces activités, cette dernière est passible de la peine de mort par pendaison.

Il s'agit de la seule disposition de la loi indienne sur les stupéfiants ouvrant la possibilité d'un recours à la peine capitale, cette dernière ayant en outre fait l'objet d'un amendement en 2014 la rendant optionnelle.

Il faut ajouter que, dans « l'arrêt Bachan Singh contre Etat du Pendjab » de 1980, la Cour suprême de l'Inde a estimé que la peine capitale ne saurait plus être prononcée qu'à titre exceptionnel. Depuis 1991, 26 exécutions ont toutefois eu lieu en Inde, avec un moratoire entre 2015 et jusqu'en 2020, année à laquelle elles ont repris pour des affaires de viol collectifs qui avaient suscité une grande émotion.

La commission a été saisie par la ligue des droits de l'Homme et les ONG suivantes : Fédération Addiction, L630, Aides, Syndicat de la Magistrature, Syndicat des avocats de France, Médecins du Monde et ASUD, de l'éventualité de l'application de la peine de mort du fait de cet accord par contribution écrite. Cette question a naturellement donné lieu à un examen très attentif.

Si le présent accord ne comporte pas de mention spécifique relative à la peine de mort, c'est que l'inclusion d'une telle mention n'est obligatoire, conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat (arrêt Fidan du 27 février 1987), que pour les accords relatifs à la remise de personnes.

À cet égard, la convention bilatérale franco-indienne en matière d'extradition de 2003 précitée mentionne explicitement, dans son article 8, le risque d'application de la peine de mort comme raison suffisante pour motiver un refus de remise d'un individu par la partie française: « Si le fait en raison duquel l'extradition est demandée est puni de la peine capitale par la loi de l'Etat requérant et que, dans ce cas, cette peine n'est pas prévue par la législation de l'Etat requis ou n'y est généralement pas exécutée, l'extradition peut n'être accordée qu'à la condition que l'Etat requérant donne des assurances jugées suffisantes par l'Etat requis que la peine capitale ne sera pas prononcée ou, si elle est prononcée, qu'elle ne sera pas exécutée ».

Une telle clause n'est en revanche pas exigée pour les accords relatifs à l'entraide judiciaire en matière pénale ni, a fortiori , dans le cadre d'un accord de coopération technique et opérationnelle en matière policière tel que celui soumis à l'examen du Sénat. En effet, les articles 4 et 5 prévoient que le présent accord couvre des actions générales qui ne sont pas de nature à alimenter des enquêtes spécifiques et ne peuvent concerner des personnes nommément visées que dans des cas très exceptionnels.

Il va de soi que, même indépendamment de toute clause expresse, l'ordre public français et les engagements internationaux de la France s'opposent sans équivoque à ce que la France puisse apporte son aide en matière pénale aux Etats dans lesquels une personne mise en cause est exposée à la peine capitale ou à des traitements inhumains et dégradants.

Ainsi, les conventions d'entraide judiciaire en matière pénale signées par la France prévoient généralement qu'une demande peut être refusée « si la Partie requise estime que l'exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de son pay s » (il s'agit d'une clause inspirée de la Convention européenne d'entraide judiciaire de 1959, article 2b) et c'est bien ce qui figure à l'article 4 paragraphe 1 de la convention franco-indienne d'entraide judiciaire en matière pénale de 1988 précitée.

En réponse aux questions complémentaire de la commission lors de l'audition tenue sur ce sujet, les services du Gouvernement 4 ( * ) ont indiqué que l'approche poursuivie par les autorités françaises au cours des négociations avec la partie indienne pour cet accord avait conduit à l'inclusion de dispositions analogues à celles figurant dans les conventions d'entraide judiciaire permettant expressément d'opposer un refus aux demandes de coopération dès lors qu'il existe un risque que cette demande aboutisse à une exécution capitale.

Deux stipulations de cet accord apparaissent ainsi comme des garde-fous :

- l'article 2 paragraphe 3 « Le présent accord n'affecte pas les droits et les obligations des Parties découlant d'autres accords internationaux ou bilatéraux relatifs à l'entraide judiciaire en matière pénale et à l'extradition ». Rappelons que parmi ces accords internationaux figure le protocole additionnel n° 6 à la convention européenne des droits de l'Homme qui s'oppose à la peine de mort ;

- l'article 5 paragraphe 3 dernier alinéa « L'autorité compétente peut refuser d'accéder totalement ou partiellement à la demande si elle considère que cette demande peut porter préjudice à la souveraineté ou à la sécurité de l'Etat ou à l'un de ses autres intérêts fondamentaux, aux règles d'organisation et de fonctionnement des autorités judiciaires de l'Etat, ou qu'elle peut se révéler contraire aux engagements internationaux de l'Etat ou, en ce qui concerne la Partie française, au droit de l'Union européenne ».

En plus de l'ordre public français, les engagements internationaux permettent de ne pas exécuter une demande de coopération en l'absence de garantie suffisante que la peine de mort ne sera pas mise à exécution.

SECONDE PARTIE : LA COOPÉRATION POLICIÈRE TECHNIQUE ET OPÉRATIONNELLE MISE EN PLACE

I. UNE COOPÉRATION FONDÉE SUR UNE APPROCHE ÉQUILIBRÉE DU PROBLÈME DE LA DROGUE : PRÉVENTION ET RÉPRESSION

Le présent accord privilégie une approche équilibrée face au fléau mondial de la drogue qui allie la lutte contre la production et la répression des trafics illicites, la prévention, le soin, l'accompagnement et la réduction des risques pour les usagers de la drogue.

Le paragraphe 4 de l'article 2 qui fixe les objectifs, le champ d'application et le domaine de coopération de l'accord précise que la coopération concerne notamment les domaines suivants :

« a) la prévention de la production et du trafic illicites de drogues et des activités connexes ;

b) le contrôle et la surveillance de la production de précurseurs chimiques et la prévention de leur trafic ;

c) la prévention de la consommation de drogues, au moyen notamment de l'éducation et de la sensibilisation des personnes ;

d) les actions dédiées des politiques publiques sanitaires et sociales, au profit des personnes affectées par les drogues ;

e) la conduite d'actions coordonnées ou conjointes visant à prévenir le trafic illicite de drogues et de précurseurs chimiques ;

f) la mise en oeuvre d'actions de coopération internationale, multilatérale ou régionale et le soutien aux initiatives susceptibles de contribuer positivement au traitement de ces sujets . »

II. LA COOPÉRATION TECHNIQUE

Aux termes des articles 3 et 4, la coopération technique pourra notamment prendre la forme de diffusion d'informations et de bonnes pratiques, d'échange de documentations spécialisées, d'organisation de réunions et de formations.

La coopération technique s'est fortement développée ces dernières années pour atteindre, depuis trois ans, une trentaine d'actions par an. La crise sanitaire liée à la Covid-19 et les restrictions de déplacements ont conduit au report, voire à l'annulation d'actions de coopération.

Elle s'articule principalement autour de la lutte contre le terrorisme et son financement mais s'étend également à d'autres thématiques comme la lutte contre la fraude médicamenteuse ainsi que la lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs.

La coopération technique s'inscrit dans une programmation annuelle.

III. LA COOPÉRATION OPÉRATIONNELLE

Les articles 3 et 5 traitent de la coopération opérationnelle.

L'accord contribuera à fluidifier la coopération bilatérale qui existe déjà au travers des canaux institutionnels de coopération policière comme Interpol5 ( * ) et le service de sécurité intérieure (SSI)6 ( * ) de l'ambassade de France à New Delhi qui a traité, en 2019, 300 demandes opérationnelles 7 ( * ) pour la zone Inde, Népal, Sri Lanka, les Maldives et le Bangladesh.

Selon les informations transmises par les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères en réponse aux questions de la commission, la coopération opérationnelle est croissante en Inde et peut être qualifiée de satisfaisante, tant sur le fond qu'au regard des délais de réponse des services partenaires indiens. Sur le plan strictement opérationnel, les thématiques principales sont l'immigration irrégulière, la fraude documentaire, les atteintes aux personnes, le tourisme sexuel pédophile, le terrorisme, la cybercriminalité et les fraudes.

IV. UN NIVEAU SATISFAISANT DE PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES

Les stipulations relatives à la protection des données personnelles de l'article 7 prévoient que les transferts se font dans le strict respect de chaque législation nationale. Les exigences du droit interne sont ainsi pleinement applicables en la matière.

Une meilleure protection est attendue côté indien avec l'examen - toujours en cours - par le Parlement d'un projet de loi de protection des données personnelles inspiré du règlement général européen de 2016 sur la protection des données personnelles (RGPD).

Interrogés sur le type de données susceptibles d'être transmises dans le cadre des échanges d'informations opérationnelles, les services des ministères précités ont indiqué que, dans la mesure où la notion de donnée à caractère personnel ne fait pas l'objet d'une définition internationale uniforme, le traitement desdites données relève en premier lieu du droit interne des Etats. Toutefois, les institutions européennes ont développé une réflexion poussée en la matière, qui a abouti à la production de plusieurs textes normatifs (Convention de Strasbourg du Conseil de l'Europe du 28 janvier 1981 pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, le règlement général pour la protection des données ou RGDP de 2016, le corpus juridique régissant le transfert au titre de la coopération policière et de l'entraide judiciaire en matière pénale), qui ont vocation à promouvoir, à l'échelle internationale, une définition convergente de ces données et des normes exigeantes quant à leur protection.

S'agissant des transferts de données à caractère personnel qui pourront être réalisés au titre de la mise en oeuvre du présent accord franco-indien, il convient donc de se référer à la manière dont ces données sont définies dans le droit interne des deux États.

Pour ce qui concerne la France, la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés contenait jusqu'à récemment une définition propre de la donnée à caractère personnel, mais notre droit interne définit désormais cette notion par référence au droit de l'Union européenne (définition évolutive). Constitue donc une donnée à caractère personnel pour le droit français, en vertu du Règlement général sur la protection des données (RGPD) de 2016 (premier alinéa de l'article 4), « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (ci-après dénommée « personne concernée »); est réputée être une « personne physique identifiable » une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu'un nom, un numéro d'identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ».

De très nombreuses informations constituent donc, au sens de notre droit interne, des données à caractère personnel dont la communication pourrait être utile aux fins de la prévention ou de la répression d'infractions (nom et prénom, date et lieu de naissance, adresse du domicile, numéro de sécurité sociale, numéros de téléphone, coordonnées bancaires, adresses électroniques, etc.). Mais l'ensemble de ces données bénéficient donc des règles de protection établies par le droit de l'Union européenne - directive (UE) 2016/680/JAI dite « police justice » - et transposées en droit interne français.

En outre, ces données ne peuvent être communiquées que dans le respect des procédures spécifiques définies par le droit interne, s'agissant par exemple de la communication de données dont la transmission suppose l'accord de l'autorité judiciaire.

V. ÉVALUATION DE LA COOPÉRATION ET RÈGLEMENT DES DIFFÉRENTS

Afin d'assurer le contrôle, le suivi et l'évaluation des activités réalisées dans le cadre du présent accord, un groupe de travail de haut niveau sera créé aux termes de l'article 9. Il se réunira en tant que de besoin.

Aux termes de l'article 10, tout différend relatif à l'interprétation ou à l'application du présent accord est réglé à l'amiable par voie de consultation ou de négociation entre les Parties, par la voie diplomatique.

CONCLUSION

Après un examen attentif des stipulations de cet accord, la commission a adopté ce projet de loi autorisant l'approbation autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l'Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes.

Cet accord franco-indien, en renforçant la coopération technique et opérationnelle dans la prévention de la consommation illicite et la réduction du trafic illicite de stupéfiants, participe à l'effort de santé publique et de sécurité en favorisant la lutte contre la criminalité internationale organisée et le terrorisme.

Les autorités indiennes ont notifié l'achèvement de leurs procédures internes en mai 2018.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 28 octobre 2020, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Gilbert Bouchet, sur le projet de loi n° 485 (2019-2020) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l'Inde relatif à la prévention de la consommation illicite et à la réduction du trafic illicite de stupéfiants, de substances psychotropes et de précurseurs chimiques, et des délits connexes

À l'issue de la présentation du rapporteur, un court débat s'est engagé.

M. Joël Guerriau. - Avant de choisir le sens de mon vote, je souhaiterais faire un lien avec ce qui a été dit par le chef d'état-major de la marine tout à l'heure. Les bateaux français en mer peuvent être amenés à arrêter des trafiquants de drogue : que se passe-t-il s'il s'agit d'un bateau qui vient de l'Inde ? Aujourd'hui, quand la marine française arrête un bâtiment en provenance d'un pays qui pratique la peine de mort, les marchandises sont confisquées mais les personnes arrêtées relâchées. Dans le cas qui nous concerne aujourd'hui, existe-t-il une possibilité pour que ces trafiquants soient renvoyés vers l'Inde sans qu'ils risquent la peine de mort ?

M. Christian Cambon, président. - Le rapporteur va répondre mais l'accord ne traite pas d'arraisonnement par des navires français.

M. Guillaume Gontard. - Nous nous accordons tous pour dire qu'il y a un problème concernant le trafic de stupéfiants et le financement du terrorisme. L'accord examiné pose cependant plusieurs questions. La première et non des moindres, c'est celle de la peine de mort. Le rapporteur a fait valoir que d'autres traités bilatéraux avec l'Inde apportaient des garde-fous. Même s'il existe effectivement d'autres traités, nous aurions aimé que la volonté de la France concernant la non-exécution de la peine de mort soit mentionnée de manière claire et précise alors qu'aucune clause de cet accord n'en fait mention.

Je m'interroge sur la possibilité pour l'autorité indienne d'avoir accès pendant dix ans au fichier des consommateurs de drogue en France, ce qui pose problème selon nous.

Je me pose des questions également sur les termes de « Justice en Inde » et notamment, sur la présomption d'innocence. En Inde, il y a un renversement de la preuve qui contrevient, selon nous, aux principes du droit français puisqu'il y a plutôt une présomption de culpabilité : c'est au suspect de prouver sa non-culpabilité. À cela s'ajoute enfin, la problématique de la peine de mort. Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires ne peut pas voter le texte en l'état.

Enfin, je m'interroge sur l'opportunité d'un examen en procédure simplifiée du projet de loi autorisant l'approbation de cet accord. Ce projet de loi nécessiterait un débat en présence du ministre. Ne vaudrait-il pas mieux privilégier une procédure normale ?

Mme Michelle Gréaume. - Le groupe CRCE votera contre cette convention pour deux raisons. En premier lieu, les tensions religieuses en Inde ont pris une nouvelle tournure depuis l'arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014. Il a mis en oeuvre une politique qui est basée, selon nous, sur la répression. Outre les violences à New Dehli en février dernier, le régime politique et judiciaire a instauré un régime qui nous semble inégalitaire et discriminant.

En second lieu, contrairement à la France qui applique pour certaines infractions, une amende forfaitaire, le régime judiciaire indien applique la peine de mort en cas de possession, de consommation ou de trafic de drogue. Compte tenu de la faiblesse des garde-fous instaurés par les textes, il nous paraît évident que les relations bilatérales seront délicates, voire difficiles et peut-être même impossibles sur certains points.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Nous pouvons tous nous réjouir qu'un partenariat ait lieu entre nos deux pays pour lutter contre le trafic de drogue qui fait des ravages, notamment auprès des jeunes. Je voudrais remercier notre rapporteur pour l'attention qu'il a mise à s'assurer qu'il y ait, sur ce sujet très délicat, suffisamment de garde-fous. D'après ce que nous avons entendu, des réserves s'expriment au sein du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain. Elles concernant notamment l'utilisation du conditionnel. Je sais bien qu'il s'agit d'un langage diplomatique, mais cela pose un problème d'interprétation. Vous dites : « La France pourrait refuser les transferts de données », au conditionnel. Est-ce que la France refusera ? L'emploi du futur nous fournirait une garantie que le conditionnel ne nous donne pas.

Par ailleurs, nous pouvons évidemment nous féliciter de la protection des données personnelles et de toutes les garanties que vous nous avez apportées sur ce point. Mais cet accord nous pose problème et c'est pourquoi plusieurs membres du groupe, Socialiste, Écologiste et Républicain souhaiteront s'abstenir, non pas sur le fond, que nous approuvons, mais en raison de garanties insuffisantes.

M. Richard Yung. - Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants votera en faveur de de l'adoption de cet accord car tout ce qui contribue à lutter contre le trafic de drogue est une bonne chose.

Je veux simplement rappeler que l'Inde est le premier producteur mondial de faux médicaments. L'Inde inonde le tiers-monde, l'Afrique, l'Amérique du Sud, de ses faux médicaments. Elle refuse d'enregistrer des brevets ; elle en copie. Peut-être cet accord permettra-t-il d'ouvrir la voie à des négociations dans le domaine de la lutte contre les contrefaçons ?

M. Hugues Saury. - Cet accord est délicat et peut poser un certain nombre de questions. Je comprends celle sur l'absence de clause explicite qui permettrait d'exclure la peine de mort ; mais en même temps on parle ici de combattre de véritables fléaux : trafic de drogue et toutes les conséquences que l'on en connaît : terrorisme, problèmes de santé publique, violence, délinquance sur notre territoire.

L'Inde est le principal producteur de faux médicaments et génériques. Un tel phénomène se traduit en centaines de milliers de morts chaque année, particulièrement en Afrique. Si de tels phénomènes sont toujours difficiles à quantifier, les derniers chiffres parlent de près de 800 000 morts victimes de médicaments contrefaits, notamment des enfants et presque toujours des Africains car les médicaments dont il est question sont souvent des antipaludéens ou des antituberculeux.

Bien sûr, nous pouvons regretter que l'accord ne soit pas parfait. S'il l'avait été, probablement n'aurait-il pas été signé. Pour ma part, je préfère voir son aspect positif qui est la lutte contre le trafic de drogue et contre la contrefaçon de médicament. Sur ce type de sujet, il me semble essentiel de continuer à avoir une relation bilatérale, comme le disait le Président en début de séance, si on ne parlait qu'avec des gens qui sont complètement vertueux comme nous considérons qu'ils doivent l'être, on ne parlerait pas à grand monde. Le meilleur moyen de lutter contre ces trafics, c'est de continuer à avoir ces relations, de continuer à avancer par le biais des traités et d'accords. Je vous remercie de votre attention.

M. Philippe Folliot. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de son travail. Je voudrais simplement dire un mot sur les initiatives qui sont celles de la France ou des opérateurs français en matière de lutte contre les faux médicaments. La fondation Pierre Fabre mène un travail tout à fait remarquable dans ce cadre-là, en Afrique, en Asie mais aussi en Inde si je me souviens bien. C'est important que des acteurs privés, français, contribuent à cette lutte et que ceci puisse être mis en avant. Ça mérite d'être dit et d'être souligné.

M. Gilbert Bouchet, rapporteur. - Les informations susceptibles d'être échangées sur le fondement de cet accord, au-delà des coopérations purement techniques et des échanges de bonnes pratiques et d'expertise qui sont essentiellement de nature stratégique, pourront notamment concerner les organisations criminelles, des modes opératoires, des techniques de blanchiment. Je pense que les échanges ne porteront pas sur des enquêtes en cours qui relèvent en principe de la convention bilatérale d'entraide judiciaire en matière pénale.

La communication de données à caractère personnel ne sera susceptible d'intervenir que dans des situations très ponctuelles, par exemple dans le cadre d'une demande pré-judiciaire en cas d'analyse de l'environnement d'une personne. Donc je pense que les garde-fous ont été posés et nous en avons eu l'assurance lors de l'audition menée ces jours-ci. Je pense que les garde-fous nous garantissent bien contre ce fléau qu'est la drogue.

M. Christian Cambon, président. - Merci, chers collègues. Nous allons procéder maintenant, au vote.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport ainsi que le projet de loi (4 abstentions, 3 votes contre).

PERSONNES AUDITIONNÉES ET CONTRIBUTIONS REÇUES

Personnes auditionnées le mardi 27 octobre 2020 (visioconférence)

- Adrien FRIER , sous-directeur de la lutte contre le terrorisme et de la criminalité organisée au Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

- Stéphane LOUHAUR , chef de la mission des accords et traités au Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

- Commandant Aymeric PIGOT , chef du bureau des accords internationaux à la direction de la coopération internationale au Ministère de l'intérieur

- Bertille DOURTHE , magistrate au bureau de la négociation pénale européenne et internationale au Ministère de la justice

Contributions reçues

Courriers transmis au rapporteur, le 27 octobre 2020, par la Ligue des droits de l'Homme, Madame Nathalie TEHIO, chargée du suivi de ce dossier pour les organisations signataires 8 ( * ) :

- Objet : Alerte des ONG concernant le projet n° 2433,

- Objet : Saisine du Conseil constitutionnel d'un projet de loi de ratification d'un accord international contraire à l'article 66-1 de la Constitution.


* 1 Consommée par 1,1 % de la population.

* 2 Consommée par 1 % de la population.

* 3 Audition par visioconférence du 27 octobre 2020.

* 4 Audition par visioconférence du 27 octobre 2020.

* 5 Organisation internationale de police criminelle/ OIPC-Interpol.

* 6 Ce service se compose d'un commissaire de police, attaché de sécurité intérieure, et d'un officier de gendarmerie, attaché de sécurité intérieure adjoint.

* 7 Dans les domaines de l'immigration irrégulière, de la fraude documentaire, les atteintes aux personnes, le tourisme sexuel pédophile, le terrorisme, la cybercriminalité et les fraudes.

* 8 Fédération Addiction, L630, Aides, Syndicat de la Magistrature, Syndicat des avocats de France, Médecins du Monde, ASUD, Ligue des droits de l'Homme.

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