Rapport général n° 138 (2020-2021) de M. Jérôme BASCHER , fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020

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N° 138

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 ,

Par M. Jean-François HUSSON,

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 13

ENGAGEMENTS FINANCIERS DE L'ÉTAT

COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE : PARTICIPATION DE LA FRANCE AU DÉSENDETTEMENT DE LA GRÈCE, COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS : ACCORDS MONÉTAIRES INTERNATIONAUX, COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS : AVANCES À DIVERS SERVICES DE L'ÉTAT OU ORGANISMES GÉRANT DES SERVICES PUBLICS

Rapporteur spécial : M. Jérôme BASCHER

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean Bizet, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldell i, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Hors remboursements et dégrèvements, la mission « Engagements financiers de l'État » constitue, en termes de crédits de paiement, la troisième mission du budget général de l'État en 2021. Les crédits de la mission sont en légère hausse par rapport à la loi de finances initiale pour 2020 (+ 1,93 %) et s'établissent à 39,25 milliards d'euros . Cette progression s'explique quasi exclusivement par la multiplication par 26 des crédits ouverts sur le programme 114 « Appels en garantie de l'État » . La charge de la dette est quant à elle attendue à
35,16 milliards d'euros
, soit une hausse de 1,93 % par rapport à la prévision révisée pour l'année 2020. Elle représenterait 7,2 % des dépenses totales de l'État en 2021.

2. Parmi les six programmes de la mission « Engagements financiers de l'État », deux programmes sont particulièrement affectés par les conséquences de la crise économique et sanitaire : le programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État » et le programme 114 « Appels en garantie de l'État » . Représentants
99 % des crédits de la mission, tous deux sont dotés de crédits évaluatifs : l'État doit toujours être en mesure d'honorer ses engagements. Par ailleurs, de fortes incertitudes pèsent sur l'exécution de ces crédits (évolution du contexte de taux et de l'inflation, risque de défaillance des tiers bénéficiant de la garantie de l'État, choc macroéconomique soudain, etc.).

3 . La crise sanitaire a eu deux effets sur le programme 117. Elle a tout d'abord conduit à l'annulation de deux milliards d'euros sur la charge de la dette . Cela a pu sembler de prime abord paradoxal, alors que la France faisait face à une augmentation sans précédent de son besoin de financement pour répondre à la crise (de 220,5 milliards d'euros à 361,6 milliards d'euros, en quasi-totalité due à la détérioration du déficit). Cette diminution provient de la chute de l'inflation : du fait de l'encours de titres indexés (environ 12 % de la dette négociable), une chute de 0,1 point de l'inflation se traduit mécaniquement par environ 200 millions d'euros d'économie sur la charge de la dette. L'inflation pour 2020 est attendue en baisse de 1 point par rapport à la loi de finances initiale pour 2020, ce qui explique une économie de deux milliards d'euros. 320 millions d'euros ont par ailleurs été annulés dans le cadre de la quatrième loi de finances rectificative pour tenir compte de la révision à la baisse des hypothèses de taux.

4 . Le rapporteur spécial tient également à souligner la réactivité de l'Agence France Trésor (AFT) face à la crise sanitaire et économique . L'AFT a adapté son programme d'émission en renforçant ses appels d'offre au marché et s'est appuyée sur un recours accru aux titres de court-terme . Ces titres constituent en effet une marge de sécurité pour l'État pour faire face à un choc inattendu : parce que leur part avait été ramenée à moins de 6 % de l'encours de dette négociable en 2019, l'AFT a pu s'appuyer sur les BTF pour répondre à la hausse sans précédent du besoin de financement de l'État en 2020. Elle a également rehaussé son programme d'émission de titres à moyen et long termes (de 200 à 260 milliards d'euros). En 2021, le tableau des ressources de financement de l'État devrait se normaliser , avec un moindre recours aux BTF. Le rapporteur spécial note avec intérêt que c'est une démarche inverse de celle qui avait été adoptée après la crise financière de 2008. Ce changement d'approche s'explique par le contexte de taux de long terme, aujourd'hui encore très favorable. Conséquence, les émissions de titres de moyen et long terme représenteraient 12 % du PIB en 2020 et 11 % en 2021 , soit un niveau significativement plus élevé que la moyenne de ces dix dernières années
(entre 8,2 % et 8,9 %).

5. En 2019, le taux moyen des émissions de court terme était de - 0,58 % . Au 31 juillet 2020, ce taux moyen était de - 0,53 % soit un niveau inférieur à la prévision inscrite en LFI 2020 (- 0,5 %). Sur les émissions de moyen et de long terme, les taux connaissent une nouvelle baisse sur la première partie de l'année : de
0,11 % en 2019 (taux moyen) à - 0,11 % en 2020 (sur les trois premiers trimestres). Actuellement, le taux moyen de l'OAT de référence à 10 ans est de - 0,08 % soit bien en-deçà de la prévision inscrite en LFI 2020 pour la fin de l'année 2020 (0,5 %). Ce contexte de taux permet à la France de maîtriser sa charge d'intérêts, alors même que l'encours de dette négociable devrait augmenter de 207 milliards d'euros en 2020 . Le rapporteur spécial souligne dans le rapport le rôle crucial joué par la Banque centrale européenne pour assurer aux États de la zone euro le maintien de conditions de financement favorables . Grâce aux mesures qu'elle a adoptées, l'écart de taux entre la France et l'Allemagne est revenu au mois de juin 2020 à son niveau moyen d'environ 30 points de base, alors qu'il s'était accru de près de
50 points de base entre les mois de mars et d'avril 2020.

6. S'il reconnait que les hypothèses de taux qui sous-tendent l'évaluation des crédits alloués à la charge de la dette en 2021 sont prudentes (- 0,4 % en moyenne annuelle pour les BTF à trois mois et 0,5 % en moyenne annuelle pour les OAT), le rapporteur spécial ne considère pas qu'il y a là une surbudgétisation manifeste : l'année 2020 a montré que nous ne sommes pas à l'abri d'événements inattendus et perturbateurs. Sans l'action de la BCE, nos taux auraient sans doute remonté. De même, l'évolution de l'inflation demeure une véritable inconnue et deux agences de notation considèrent que la perspective de la France est négative. Le second reconfinement et la prolongation de mesures d'urgence ont montré la sensibilité des prévisions du besoin de financement de l'État aux aléas. Par ailleurs, du fait de sa trajectoire d'endettement, très dégradée, la France demeure très exposée au risque de remontée des taux : un choc de taux de 1 % se traduirait par une augmentation de la charge de la dette de 28,9 milliards d'euros d'ici 2030.

7. Le rapporteur spécial observe également que si la détérioration des finances publiques n'est pas propre à notre pays et traduit la réponse des États de la zone euro à la crise sanitaire et économique, la France est le pays qui bénéficiait, avant la crise, des marges de manoeuvre les plus réduites . Après une description des caractéristiques de la dette publique française (encours, maturité et détention) et de ses atouts (sa liquidité notamment), le rapporteur spécial s'intéresse à sa soutenabilité, en écho aux appels à la vigilance répétés de la Cour des comptes et du Haut Conseil aux finances publiques . Il remarque notamment que les émissions de dette se passent encore aujourd'hui dans de très bonnes conditions , avec un taux de couverture extrêmement élevé et des conditions de financement très favorables. Le taux implicite de la dette (ou taux apparent) était de 1,5 % fin 2019, contre 6,6 % en 1996. Le rapporteur spécial s'interroge néanmoins sur le moment où la France cessera de bénéficier de cet effet taux . Il appelle enfin de ses voeux au vote rapide d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques et à l'extension du mandat du Haut Conseil à l'appréciation de la trajectoire de la dette présentée par le Gouvernement dans les lois de programmation et de stabilité.

8. La très forte hausse des crédits ouverts sur le programme 114 « Appels en garantie de l'État » (2,5 milliards d'euros contre 94,1 millions d'euros en 2020) témoigne de la mobilisation significative de ce programme par le Gouvernement pour soutenir l'économie durant la crise . Le programme porte en effet les crédits destinés à couvrir d'éventuels appels en garantie sur le dispositif des prêts garantis par l'État et sur le Fonds de garantie paneuropéen, porté par la Banque européenne d'investissement. Ces crédits étant évaluatifs, le rapporteur spécial s'est attaché à examiner la manière dont les risques avaient été estimés , dans ce contexte si incertain, en tenant compte notamment des prévisions en matière de sinistralité . Les hypothèses lui semblent prudentes et à même de couvrir les appels en garantie qui pourraient se produire en 2021.

9. Les crédits des autres programmes de la mission sont globalement en baisse. C'est le cas notamment du programme 145 « Épargne ». Toutefois, sur ce programme c'est moins le niveau des crédits budgétaires que le coût des dépenses fiscales qui a retenu l'attention du rapporteur spécial (4,48 milliards d'euros en 2021) . Cette année encore, aucun progrès n'est réalisé en matière de chiffrage et d'estimation . Un facteur de satisfaction pour le rapporteur spécial provient toutefois du programme 336 « Dotation au mécanisme européen de stabilité » . Après des demandes répétées de la part des rapporteurs spéciaux de l'Assemblée nationale et du Sénat, le Gouvernement s'est enfin décidé à doter ce programme de crédits dès la loi de finances initiale (79 millions d'euros), au lieu d'en ouvrir en cours d'année. C'était d'autant plus critiquable que ces crédits traduisent un engagement réciproque de quatre pays européens à rétrocéder au MES les intérêts perçus sur les dépôts placés auprès de leur banque centrale.

10. Parmi les comptes spéciaux dont l'examen est associé à celui de la mission « Engagements financiers de l'État », le rapporteur spécial a consacré un développement spécifique au compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics », puisqu'il a lui aussi été particulièrement mobilisé durant la crise, notamment au profit du secteur aérien . Les avances pour le Budget annexe contrôle et exploitation aériens (BACEA) ont ainsi été renforcées de 1,2 milliard d'euros, tandis qu'un cinquième programme a été créé pour octroyer des avances du Trésor aux exploitants d'aéroports touchés par la crise du covid-19. Doté de 300 millions d'euros lors de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, ce programme est destiné à aider les exploitants à couvrir leurs dépenses de sûreté-sécurité. Ces actions ont contribué à fortement dégrader le solde du compte de concours financiers.

L'article 49 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires. À cette date, 96 % des réponses étaient parvenues au rapporteur spécial en ce qui concerne la mission « Engagements financiers de l'État » et les comptes spéciaux qui lui sont associés.

PREMIÈRE PARTIE
LA MISSION « ENGAGEMENTS FINANCIERS DE L'ÉTAT »

À la troisième place du budget général de l'État en termes de crédits de paiement 1 ( * ) , la mission « Engagements financiers de l'État » est composée de six programmes :

- le programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État », qui porte notamment les crédits alloués aux intérêts de la dette. Ce programme doit permettre de répondre à deux objectifs : (1) garantir la solvabilité de l'État en lui permettant d'honorer ses engagements financiers dans les conditions les moins onéreuses et les plus sûres possibles et (2) s'assurer que le compte de l'État à la Banque de France, « le compte unique du Trésor », est créditeur à la fin de chaque journée 2 ( * ) ;

- le programme 114 « Appels en garantie de l'État » , qui retrace les crédits destinés à couvrir les appels des garanties octroyées par l'État. Ce dernier garantit surtout des dettes émises par des tiers, soit pour leur permettre de bénéficier de conditions de financement plus favorables, soit pour les garantir sur un engagement qu'ils ont pris pour le compte de l'État ;

- le programme 145 « Épargne » , qui soutient principalement le secteur du logement et de l'accession à la propriété. Il se distingue toutefois par le poids des dépenses fiscales qui lui sont rattachées, dont le coût est plus de 72 fois supérieur aux crédits ouverts sur ce programme ;

- le programme 336 « Dotation du mécanisme européen de stabilité » , qui soutient la contribution française au capital du Mécanisme européen de stabilité (MES) ;

- le programme 338 « Augmentation de capital de la Banque européenne d'investissement », qui est le support budgétaire de la participation de la France à l'augmentation du capital de la Banque européenne d'investissement. À l'instar des années précédentes, il n'est pas doté de crédits en loi de finances pour 2021 ;

- le programme 344 « Fonds de soutien relatif aux prêts et contrats financiers structurés à risque » , qui vise à soutenir les collectivités territoriales ayant souscrit aux prêts structurés à risque ou « prêts toxiques ». Créé par l'article 92 de la loi de finances pour 2014 3 ( * ) , il intervient de deux manières : en apportant une aide au remboursement anticipé des emprunts 4 ( * ) et en prenant en charge une partie des intérêts dus sur les échéances dégradées (15 % des collectivités territoriales aidées).

Dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2021, les crédits demandés connaissent une légère progression pour s'établir à :

- 39,06 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une hausse de 1,9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2020 ;

- 39,25 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse de 1,93 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2020.

Le tableau ci-après détaille l'évolution des crédits de la mission entre 2020 et 2021 .

Évolution des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » entre la loi de finances initiale pour 2020 et le projet de loi de finances pour 2021

(en millions d'euros et en %)

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

2020 (LFI)

2021 (PLF)

Part dans la mission en 2021

Évolution 2021/2020

2020 (LFI)

2021 (PLF)

Part dans la mission en 2021

Évolution 2021/2020

[117] Charge de la dette et trésorerie de l'État

38 149,00

36 411,00

93,22 %

- 4,56 %

38 149,00

36 411,00

92,77 %

- 4,56 %

[114] Appels en garantie de l'État

94,10

2 504,80

6,41 %

2 561,85 %

94,10

2 504,80

6,38 %

2 561,85 %

[145] Épargne

85,68

62,35

0,16 %

- 27,23 %

85,68

62,35

0,16 %

- 27,23 %

[336] Dotation du Mécanisme européen de stabilité

0,00

79,00

0,20 %

-

0,00

79,00

0,20 %

-

[338] Augmentation de capital de la Banque européenne d'investissement

0,00

0,00

0,00 %

-

0,00

0,00

0,00 %

-

[344] Fonds de soutien relatif aux prêts et contrats financiers structurés à risque

0,00

0,00

0,00 %

-

174,90

189,49

0,48 %

8,34%

Total

38 328,78

39 057,15

100,00 %

1,90 %

38 505,18

39 246,64

100,00 %

1,93 %

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

La progression des crédits demandés entre 2020 et 2021 s'explique quasi exclusivement par l'effet d'un seul facteur : la multiplication par 26 des crédits ouverts sur le programme 114 , du fait de la crise sanitaire. A contrario, la charge de la dette devrait connaître une nouvelle diminution . Le graphique ci-après illustre les principales évolutions intervenues entre la loi de finances initiale pour 2020 et le présent projet de loi de finances pour 2021.

Évolution des crédits entre la loi de finances initiale pour 2020 et le projet
de loi de finances pour 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

I. LA CRISE SANITAIRE ET ÉCONOMIQUE A UN IMPACT DIRECT ET SIGNIFICATIF SUR L'ÉVALUATION DES CRÉDITS ALLOUÉS À LA CHARGE DE LA DETTE ET À LA TRÉSORERIE DE L'ÉTAT, AINSI QU'AUX APPELS EN GARANTIE

Le niveau des crédits ouverts sur les programmes 117 (Gestion de la dette et trésorerie de l'État) et 114 (Appels en garantie de l'État) traduit très directement les conséquences de la crise sanitaire et économique . Le Gouvernement a dû tenir compte, pour l'année 2021, des impacts de la crise pour évaluer les crédits alloués à ces deux programmes . Hors crise, les crédits de la mission auraient sans doute nettement diminué entre la loi de finances initiale pour 2020 et le projet de loi de finances pour 2021, du fait de la charge de la dette.

Le rapporteur spécial rappelle qu'a contrario de la quasi-totalité des missions du budget général les crédits de ces deux programmes ne sont pas limitatifs , mais évaluatifs . Cette dérogation à l'autorisation parlementaire s'explique légitimement par la nécessité pour l'État de toujours être en mesure d'honorer ses engagements . Si ce principe rend ces programmes peu pilotables et limite les modifications pouvant être proposées au cours de l'examen parlementaire, il ne doit pas empêcher de s'interroger sur le niveau des crédits alloués aux programmes et sur les hypothèses qui sous-tendent ces abondements . C'est d'autant plus essentiel que ces deux programmes représentent à eux seuls plus de 99 % des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».

A. SUR LE PROGRAMME 117 « CHARGE DE LA DETTE ET LA TRÉSORERIE DE L'ÉTAT », LA STABILITÉ DES CRÉDITS MASQUE DE PROFONDES ADAPTATIONS À LA SUITE DE LA CRISE SANITAIRE ET UNE INTERROGATION SUR LA SOUTENABILITÉ DE LA DETTE ET DE SA CHARGE À LONG-TERME

1. Les crédits alloués au programme 117 ne connaissent qu'une légère augmentation, du fait d'un contexte de taux extrêmement favorable
a) Un programme placé sous la responsabilité de l'Agence France Trésor

Le programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État » est placé sous la responsabilité de l'Agence France Trésor (AFT). Service à compétence nationale créé en 2001, l'AFT pouvait s'appuyer, au 30 juin 2020, sur un effectif de 43 personnes (29 fonctionnaires et 14 contractuels), pour une masse salariale prévisionnelle estimée à 3,6 millions d'euros en 2020. Les dépenses de personnel de l'AFT sont retranscrites dans le programme « Stratégie économique et fiscale » de la mission « Économie ».

Au vu de la sensibilité des missions exercées par l'AFT, les dispositifs de contrôle interne sont soumis chaque année à une évaluation externe . À ce jour, ses résultats ne sont pas disponibles, l'audit ayant dû être reporté au mois de septembre 2020 du fait de la crise sanitaire. Pour rappel, en 2019, l'AFT se préparait à mettre en place un comité interne des risques (pilotage et hiérarchisation des risques, suivi des incidents observés, identification de plans d'action), comme lui suggérait l'audit réalisé en 2018 par le cabinet KPMG. C'était d'ailleurs le seul point majeur sur lequel l'AFT disposait d'une marge d'amélioration.

L'AFT doit en permanence contrôler les risques techniques et financiers qui pourraient nuire à sa mission . Le rapporteur spécial souligne l'expertise reconnue de l'agence dans ces deux domaines , comme le montrent également les indicateurs de performance du programme. À titre d'exemple, le taux de couverture moyen des adjudications 5 ( * ) s'est élevé à 235 % pour les OAT en 2019, un chiffre en hausse par rapport à 2018 (207 %). Treize incidents dans l'exécution des opérations de dette et de trésorerie susceptibles d'affecter le solde du compte à la Banque de France ont été constatés en 2019, dont deux ayant eu pour conséquence une dégradation du solde. Cet indicateur montre une légère détérioration (six incidents dont une dégradation du solde en 2018). Comme le précisent les documents budgétaires, ces incidents sont toutefois davantage le fait d'organismes ou de prestataires externes que d'actions sur lesquelles l'AFT aurait une prise directe 6 ( * ) .

b) Des crédits en légère augmentation par rapport aux prévisions révisées pour 2020

Les 36,41 milliards d'euros (AE=CP) demandés pour 2021 sur le programme se subdivisent en deux actions , qui connaissent chacune, dans deux sens opposés, de brusques modifications par rapport à la loi de finances initiale pour 2020 :

- l'action 01 porte les crédits liés à la gestion de la dette , soit 35,16 milliards d'euros dans le cadre du PLF 2021 ( 89,6 % des crédits de la mission ). Si ce chiffre est en baisse de 2,7 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2020, le rapporteur spécial relève néanmoins que les crédits sont en hausse par rapport à la prévision révisée pour l'année
2020
(+ 1,93 %). Cette augmentation résulte de l'impact de la crise sanitaire et économique, la chute de l'inflation ayant notamment conduit le Gouvernement à réévaluer sa prévision de la charge de la dette pour 2020 en l'abaissant de près de deux milliards d'euros (cf. infra ). Sans cet effet, la charge de la dette poursuivrait en 2021, par rapport à la LFI 2020, sa diminution ;

- l'action 02 correspond à la gestion de la trésorerie et recouvre 3,5 % des crédits du programme, soit un montant de 1,25 milliard d'euros . Ce montant est en hausse de 10,34 % : les dépôts sur le compte unique du Trésor auprès de la Banque de France sont rémunérés à un taux qui est soit nul, soit négatif, alors même que le Trésor doit verser une rémunération pour certains dépôts des correspondants 7 ( * ) .

Évolution des crédits (AE=CP) des deux actions du programme 117 au cours de l'année 2020 et dans le projet de loi de finances pour 2021

(en millions d'euros et en %)

LFI 2020

LFR II 2020

2020 (révisé)

PLF 2021

Évolution 2021/2020 (LFI)

Évolution 2021/2020 (révisé)

Action 01 - dette

37 017

35 017

34 497

35 162

- 5,01 %

1,93 %

Action 02 - Trésorerie

1 132

1 132

1 332

1 249

10,34 %

- 6,23 %

Total

38 149

36 149

35 829

36 411

- 4,56 %

1,62 %

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

En matière de trésorerie, le Parlement a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi et destinées à prescrire le dépôt sur le compte du Trésor des disponibilités des personnes morales soumises aux règles de la comptabilité publique et d'organismes publics ou privés chargés d'une mission de service public, sous conditions 8 ( * ) . Comme la commission des finances l'avait relevé lors de l'examen de cette disposition 9 ( * ) , la centralisation des trésoreries permet à l'État de diminuer son besoin de financement . Entre 2000 et 2020, le niveau des emprunts aurait ainsi été réduit de 200 milliards d'euros, pour une économie cumulée de charge d'intérêt d'environ 70 milliards d'euros .

D'après les réponses transmises au rapporteur spécial, il est encore trop tôt pour connaître les organismes qui seraient concernés par l'ordonnance, ainsi que les montants qui seraient centralisés. Ces réserves ne seraient pas rémunérées : leur rapatriement n'a donc pas d'impact sur la gestion de la trésorerie de l'État, mais il peut en avoir un sur la gestion de la dette, en permettant de diminuer le recours aux titres de court-terme . Or, le rapporteur spécial rappelle que ce sont ces titres qui sont particulièrement mobilisés en cas de crise et de hausse brutale du besoin de financement.

L'AFT peut également venir opérer des placements de la trésorerie de l'État en titres émis par des établissements publics administratifs. Ce fut le cas pour ceux de l'Acoss en mars 2020, pour un montant total de 17,5 milliards d'euros. En période de crise, l'État est en effet le prêteur en dernier ressort de l'ensemble du secteur public et les opérateurs sont amenés à se tourner vers lui en cas de difficultés de financement.

2. La crise sanitaire et économique a eu un double effet sur le programme 117 : un allègement de la charge de la dette pour 2020 et une déformation des ressources de financement pour 2020 et 2021
a) La baisse de la charge de la dette en 2020

Dans le cadre de la deuxième loi de finances rectificative pour 2020 (LFR II) 10 ( * ) , deux milliards d'euros ont été annulés sur le programme 117, en portant exclusivement sur la charge de la dette de l'État. Cela a pu sembler de prime abord paradoxal : alors que la France faisait face à une augmentation sans précédent de son besoin de financement pour répondre à la crise, sa charge de la dette diminuait. Cette diminution est en réalité liée à la baisse de l'inflation . En effet, une partie des OAT émises par l'AFT, soit environ 12 % de l'encours de dette négociable de l'État, est indexée sur l'inflation française (OATi) et sur l'inflation en zone euro (OAT€i) 11 ( * ) .

De manière mécanique, une chute de 0,1 point de l'inflation se traduit par environ 200 millions d'euros d'économie sur la charge de la dette . Or, avec la crise sanitaire et la chute des prix du pétrole, l'inflation, calculée sur la base de l'évolution des prix hors tabac, est attendue en forte baisse en 2020, de près d'un point par rapport à la prévision inscrite en LFI pour 2020, soit un allègement sur la charge de la dette de deux milliards d'euros.

Dans le cadre de la quatrième loi de finances rectificative (LFR) qui est venue opérer les derniers ajustements pour 2020, 320 millions d'euros ont de nouveau été annulés sur le programme 117 « Charge de la dette et trésorerie de l'État » , afin de tenir compte de la révision à la baisse des taux d'intérêt à trois mois et à dix ans par rapport aux hypothèses retenues par le Gouvernement dans le cadre de la seconde LFR pour 2020.

Pour certains observateurs, la récurrence de ces annulations appuie la thèse selon laquelle le Gouvernement procéderait à une surbudgétisation de la charge de la dette, afin de se dégager facilement des marges d'économies budgétaires. Le rapporteur spécial y reviendra plus tard : il y a sans doute une légère surbudgétisation, mais qui obéit davantage à un principe de précaution qu'à une volonté de tromperie.

b) Une déformation des tableaux de financement de l'État

Les mesures de soutien à l'économie d'abord, les premières mesures de relance ensuite ont conduit le Gouvernement à devoir réviser à plusieurs reprises le tableau de financement de l'État . Le tableau ci-dessous illustre ces évolutions et montre que le principal facteur d'évolution était la hausse brutale et significative du déficit . Suivait, de manière plus secondaire en absolu, la chute de l'inflation.

Évolution du tableau de financement de l'État entre 2019 (exécution) et le projet de loi de finances pour 2021

(en milliards d'euros et en %)

2019 (exécuté)

LFI 2020

PLFR IV (2020)

PLF 2021

Évolution 2021/2019

Évolution 2021/2020 (PLFR IV)

Besoin de financement

Amortissement de titres d'État à moyen et long terme

130,2

136,4

136,1

128,1

- 1,61 %

- 5,88 %

Valeur nominale

128,9

130,5

130,5

127,3

- 1,24 %

- 2,45 %

Suppléments d'indexation dus

1,3

1,3

5,6

0,8

- 38,4 6%

- 85,71 %

Amortissement des autres dettes (dettes reprises, etc...)

0

2,3

2,2

1,3

-

- 40,91 %

Déficit budgétaire

92,7

93,1

222,9

152,8

64,83 %

- 31,45 %

Autres besoins de trésorerie

- 2,4

- 1,3

0,4

0,1

- 104,17 %

- 75,00 %

Total

220,5

230,5

361,6

282,3

28,03 %

- 21,93 %

Ressources de financement

Émissions de titres à moyen et long termes, nettes des rachats

200,0

205

260

260,0

29,97%

0,00 %

Variation de l'encours de titres à court terme

- 6,0

10

53,3

18,8

- 413,33 %

- 64,73 %

Variation des dépôts des correspondants

11,5

6,4

15

0,0

- 100,00 %

- 100,00 %

Variation des disponibilités du Trésor à la Banque de France et des placements de trésoreries de l'État

- 5,7

3,6

11

0,0

- 100,00 %

- 100,00 %

Autres ressources de trésorerie

20,6

3,5

22,3

3,5

- 83,05 %

- 84,30 %

Total

220,5

230,5*

361,6

282,3

28,03 %

- 21,93 %

* Au titre de l'année 2020 (LFI), il faut également ajouter les ressources affectées à la Caisse de la dette publique et consacrées au désendettement.

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Le rapporteur spécial tient à saluer la capacité d'adaptation de l'AFT durant la crise sanitaire, telle que l'illustrent les trois actions suivantes :

- la modification du volume des émissions , avec un rehaussement des appels de fonds au marché à partir du mois d'avril 2020. Les émissions hebdomadaires de BTF sont ainsi passées de 4,5-5 milliards d'euros à
9-10 milliards d'euros, tandis que celles des OAT, toutes les deux semaines, ont progressé de 8-9,5 milliards d'euros à 9,5-11 milliards d'euros, et occasionnellement 13 milliards d'euros ;

- la réalisation par l'AFT de trois opérations syndiquées au cours du premier semestre 2020 ;

- la bonne exécution du programme de financement de l'État (70 % des émissions annuelles nettes des rachats avaient été exécutées au 31 juillet 2020, soit un niveau extrêmement proche de la moyenne de
71 % observée entre 2008 et 2019 12 ( * ) ).

Adjudication et syndication

Adjudication et syndication sont les deux procédés d'émission des valeurs du Trésor :

- l'adjudication au prix demandé assure une parfaite concurrence entre les souscripteurs. Elle consiste à servir les titres au prix ou au taux effectif de soumission. Concrètement, les offres dont les prix sont les plus élevés sont servies en premier, celles de niveau inférieur le sont ensuite, jusqu'à hauteur du montant souhaité par l'AFT. C'est la voie d'émission privilégiée ;

- l a syndication est un engagement précis entre les banques, souscripteurs réunis dans un syndicat bancaire et l'émetteur, afin d'acquérir des titres à un prix défini avec l'émetteur. Cette technique est le plus souvent utilisée pour le lancement de titres innovants ou sur des segments de marché moins profonds, notamment sur la partie longue de la courbe des taux (au-delà de 15 ans). À titre d'exemple, l'émission d'une nouvelle OAT à 20 ans le 27 mai 2020 par syndication a suscité une demande d'un niveau inédit de 51 milliards d'euros, soit plus de sept fois le montant servi (sept milliards d'euros). Le taux de rendement observé (0,525 %) est le plus bas jamais constaté par l'AFT lors d'opérations de lancement par syndication à 20 ans. 400 investisseurs ont souscrits à l'opération, dont 50 % en provenance de la zone euro.

Source : rapport d'activité 2019 de l'Agence France Trésor et communiqué de presse de l'Agence France Trésor du 27 mai 2020

Du fait de la crise sanitaire et économique, le programme de financement de l'État a été profondément modifié en cours d'année , à mesure que les prévisions de déficit public s'aggravaient. Si les prévisions pour 2021 placent le besoin de financement de l'État à un niveau moindre que celui constaté pour 2020 (282,3 milliards d'euros contre 361,6 milliards d'euros ), le rapporteur spécial relève tout de même une déformation à la hausse par rapport à la LFI 2020 (230,5 milliards d'euros), contrairement à la trajectoire prévue par le Gouvernement. Il ajoute également qu'entre la prévision révisée qui lui a été transmise pour 2020 et le quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020, le besoin de financement de l'État s'est accru de 16,9 milliards d'euros, pour tenir compte du reconfinement et de la prolongation de certaines mesures d'urgence . Cette hausse très conséquente accrédite la note de prudence du rapporteur spécial, qui rappelle à plusieurs reprises que la mission est sensible à ces incertitudes.

Cette déformation s'explique exclusivement par le déficit public, très dégradé . Selon les prévisions du Gouvernement, il devrait en effet atteindre - 11,3 % du PIB en 2020 et - 6,7 % du PIB en 2021. Le besoin de financement de l'État en 2020 devrait être supérieur de 131,1 milliards d'euros à la prévision inscrite en loi de finances initiale et atteindre un niveau inédit de 361,6 milliards d'euros : la quasi-totalité de cette dégradation correspond au déficit, qui se creuserait de 129,8 milliards d'euros supplémentaires par rapport à la LFI 2020. Comme l'illustre le graphique ci-dessous, le poids du déficit dans le besoin de financement de l'État demeurerait important en 2021 (54 %) et bien supérieur à celui constaté ces dernières années (36 % en 2016, 37 % en 2017, 39 % en 2018 et 43 % en 2019). L'AFT estime que le plan de relance pèse pour près de 30 milliards d'euros dans le besoin de financement de l'État en
2021
(15 milliards d'euros en 2022) 13 ( * ) .

Un effet plus mineur concerne la provision pour charge d'indexation du capital des titres indexés, attendue à 1,36 milliard d'euros en 2021, soit un niveau plus élevé que la prévision révisée pour 2020 (458 millions d'euros), du fait d'une hausse de l'effet inflation. Cette estimation s'appuie, comme chaque année, sur la prévision d'évolution d'indice des prix à la consommation hors tabac retenue dans le cadre du projet de loi de finances, soit 0,6 % en moyenne annuelle en France (pour les OATi) et 0,8 % en zone euro (pour les OAT€i).

Évolution du besoin de financement de l'État entre la loi de finances initiale pour 2020 et le projet de loi de finances pour 2021

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire et les documents budgétaires

Quant à l'impact de la crise sanitaire sur les ressources de financement, il s'observe à trois titres :

- dans la diminution anticipée de la ressource « autres trésoreries » (- 83,05 % entre la prévision révisée pour 2020 dans le PLFR IV et le PLF 2021). Ces autres ressources correspondent aux primes à l'émission, dont le niveau pour 2021 est attendu à 3,5 milliards d'euros, contre 22,3 milliards d'euros en 2020 ;

- dans la hausse du recours à l'endettement de court-terme , la variation de l'encours de titres à court terme devant baisser de 65 % entre 2020 et 2021 mais présenter une hausse considérable entre 2019 et
2021 (+ 413 %) ;

- dans un effet plus mineur avec l'absence, en 2020 et 2021, de contribution du fait de l'affectation de produits de cessions de participation au Fonds pour l'innovation de rupture, la France ayant repoussé ses grandes opérations de cession dans l'attente d'un contexte plus propice (deux milliards d'euros prévus en LFI 2020, avant le report).

Sur les primes à l'émission, le rapporteur spécial relève que cette diminution s'explique avant tout par deux années 2019 et 2020 exceptionnelles : attendues à 3,5 milliards, la prévision conventionnelle, les primes à l'émission se sont élevées à plus de 20 milliards d'euros .

L'émission de titres et le mécanisme des primes à l'émission

L'AFT émet deux fois par mois des obligations assimilables du Trésor (OAT), dont la maturité diffère et peut être fixée à une échéance de deux, cinq, dix, quinze ou encore cinquante ans. La technique de l'assimilation signifie concrètement qu'un titre est créé à partir d'une souche dont le coupon d'intérêt et la date de maturité sont déjà fixés. Cela permet de répondre à la demande des investisseurs au fur et à mesure qu'elle se manifeste.

L'assimilation n'est pas une technique propre à la France ; les principaux pays de l'OCDE y ont recours. Elle présente deux avantages :

- lisser dans le temps les conditions de financement de l'État, pour éviter de concentrer tout le programme de financement sur une période où les taux seraient plus élevés ;

- avoir un important volume d'encours pour chaque souche (entre 20 et 40 milliards d'euros), afin de favoriser la liquidité de la dette française et pouvoir répondre à la demande des investisseurs. La liquidité signifie que le prix du titre varie très peu lors des transactions, un phénomène favorisé par l'existence d'un marché de taille importante.

L'AFT peut également proposer d'anciens titres de référence (titres dits off the run ) afin de réduire la pression à l'offre sur les titres de référence ou pour répondre à la demande du marché sur certains titres qui, tout en étant très valorisés, ne sont plus
ré-abondés. La proportion de ces anciens titres a évolué ces dernières années, de 40,5 % en 2010 (un point haut) à 17 % en 2017 (un point bas). En 2019, elle serait d'environ 24 %.

Pour illustrer ce qu'est une prime à l'émission, le plus simple est de prendre un exemple fictif : un titre d'un volume 100 est réémis sur une OAT à dix ans lancée en n -1 et les taux ont baissé de 1 % à 0 %. Les caractéristiques de la souche ne peuvent toutefois pas bouger : l'investisseur acquiert donc une souche lui donnant un coupon de 1 % pendant les neuf années restantes (le coupon est versé dès l'année d'émission). Or, les taux d'intérêt ont baissé et le titre ne vaut plus 100 mais 100 + [écart de taux en pourcentage * volume] * nombre d'années , soit, dans cet exemple, 109. L'État recevra donc une prime à l'émission de 9, pour compenser cet écart de taux. Les primes à l'émission s'observent donc lorsque les taux baissent. Lorsqu'ils augmentent, l'État reçoit moins que le volume prévu, c'est une décote à l'émission. En trésorerie, il y a donc plusieurs flux : le principal, la prime à l'émission et le versement du coupon. En comptabilité maastrichtienne, la prime à l'émission est étalée dans le temps, sur la durée de vie résiduelle du titre (neuf ans dans l'exemple). Cela vient compenser le paiement des coupons.

Source : rapport d'activité de l'Agence France Trésor pour 2019 ; audition d'Anthony Requin, directeur de l'AFT, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale le mercredi 15 janvier 2020

À noter toutefois que l'objectif de l'AFT n'est pas d'obtenir artificiellement des primes à l'émission en choisissant de créer des titres à partir de souches aux taux suffisamment hauts pour bénéficier de primes élevées . Cela serait contraire à son objectif premier, qui est de répondre à la demande des investisseurs et d'assurer la meilleure gestion possible de la dette française. L'enregistrement de primes à l'émission est en outre une conséquence mécanique de la baisse des taux d'intérêt , et notamment de leur passage en territoire négatif : un coupon ne pouvant être émis à taux négatif, la différence en faveur de l'État doit être couverte par une prime versée par l'investisseur. La génération de primes à l'émission est donc très sensible à la variation des taux : dès qu'ils remontent légèrement, le niveau des primes diminue.

L'année 2019 a été exceptionnelle à ce titre puisque les taux ont diminué d'environ 40 points de base. L'année 2020 semble indiquer une dynamique similaire, avec une baisse du taux moyen des émissions de moyen et de long terme d'au moins 20 points de base, ce qui a justifié la révision de cette ressource de financement pour 2020 à 22,3 milliards d'euros dans le quatrième projet de loi de finances rectificative. Pour 2021, le Gouvernement choisit de revenir à sa prévision conventionnelle, soit 3,5 milliards d'euros.

Évolution des primes à l'émission depuis 2015

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Le second effet de la crise sanitaire et économique sur les ressources de financement illustre quant à lui l'adaptation de l'AFT à la hausse inattendue du besoin de financement : le volume des titres de court-terme et leur part dans les ressources de financement ont fortement augmenté en 2020 et devraient rester en 2021 plus élevés que la moyenne observée ces dernières années.

Évolution des ressources de financement de l'État entre la loi de finances initiale pour 2020 et le projet de loi de finances pour 2021

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire et les documents budgétaires

Comme le montre le graphique ci-dessus, pour couvrir la hausse du besoin de financement de l'État, l'AFT a moins utilisé le levier des émissions à moyen et long terme que celui de la variation des titres à court-terme . Cela s'explique principalement par la volonté de donner aux investisseurs de la stabilité et de la visibilité sur le programme d'émissions, défini en début d'année. Anthony Requin, directeur de l'AFT, l'a rappelé au rapporteur spécial : en période de crise, le court-terme est la première variable d'ajustement pour lisser l'impact de la hausse du besoin de financement de l'État . La hausse de l'endettement de court-terme est en effet généralement réservé aux « surprises », tels qu'un déficit plus important que prévu ou une croissance économique plus faible qu'anticipée, deux éléments caractérisés en 2020 et en 2021.

La part des titres de court-terme dans l'encours de la dette était devenue très faible ces dernières années . Au mois de janvier 2020, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale 14 ( * ) , Anthony Requin expliquait que diminuer la part de l'endettement à court-terme en période de bonne santé économique permettait de reconstituer une marge de sécurité, afin de mieux absorber les éventuels chocs. « L'AFT a reconstitué les marges de sécurité de nature à permettre à l'État de faire face, sur le plan du financement, à un choc macroéconomique d'ampleur, similaire à celui auquel la France a fait face en 2008 avec la Grande crise financière » 15 ( * ) .

Après la crise financière de 2008, l'AFT avait en effet abondamment utilisé ce levier : les titres à court terme représentaient alors 18,7 % de l'encours de la dette totale. Cette part a été progressivement ramenée à
6 % (fin 2019) mais elle pourrait remonter avec la crise à 9,4 % en 2020 16 ( * ) , avant de revenir à un niveau plus sécurisant (7 %) en 2021 , du fait de la hausse de la part des émissions de moyen et long terme pour couvrir le besoin de financement de l'État. Le programme d'émission de l'État pour 2021 n'étant pas encore défini, la part du moyen et du long terme peut être relevée sans risque de déstabiliser les investisseurs.

Pour pallier la hausse du besoin de financement de l'État entre la prévision révisée pour 2020 et la quatrième loi de finances rectificative, le Gouvernement s'est largement appuyé sur la variation des titres de court-terme (+ 10,5 milliards d'euros), sans modifier les émissions à moyen et long terme, pour les raisons évoquées précédemment.

Ainsi, si la situation économique demeure précaire en 2021, le tableau des ressources de financement de l'État pourrait lui commencer à se normaliser . Il maintient un même niveau d'émissions de moyen et de long terme que celui prévu pour 2020 après révision (260 milliards d'euros). Le contexte de taux extrêmement favorable permet en effet à la France de recourir davantage aux émissions de moyen et de long terme pour financer son soutien à l'économie que cela n'avait été le cas en 2008. 69,2 % du besoin de financement non anticipé avait été couvert par l'émission de BTF en
2008-2009, contre 37,4 % en 2020 17 ( * ) . Il existe donc une marge de manoeuvre, même si la situation devait venir à s'aggraver encore plus fortement l'année prochaine.

Les émissions nettes de moyen et long terme représenteraient
12 % du PIB en 2020 et 11 % en 2021
. Ces niveaux s'écartent significativement de la moyenne constatée ces dix dernières années, où cette part dans le PIB oscillait entre 8,9 % et 8,2 %. Le besoin de financement inédit de l'État en 2020 et 2021 du fait de la crise sanitaire et du plan de relance se traduit par un volume d'émissions lui aussi inédit, que ce soit en absolu ou en relatif.

Pour autant, ces ajustements significatifs ne se traduisent pas par une remontée fulgurante de la charge de la dette .

3. Un apparent paradoxe en 2021 : une stabilisation de la charge de la dette dans un contexte de dégradation des finances publiques inédit depuis la Seconde guerre mondiale
a) Les facteurs d'évolution de la charge de la dette expliquent sa relative stabilité en 2021

La charge de la dette 18 ( * ) représenterait 7,2 % des dépenses totales de l'État , estimées à 488,4 milliards d'euros en 2021 19 ( * ) . Du fait de la hausse des dépenses et de la maîtrise de la charge de la dette, cette part diminue par rapport à la loi de finances initiale pour 2020 (8,6 %), mais demeure constante en tenant compte des révisions apportées par les lois de finances rectificatives pour 2020 , qui ont prévu une diminution de la charge de la dette et une hausse des dépenses totales de l'État. Si cette part demeure considérable, la valeur nominale de la charge de la dette connait pourtant une nette diminution depuis 2011 et la légère hausse constatée en 2021 s'explique avant tout par le contexte très particulier de l'année 2020, marqué par la chute de l'inflation et l'économie significative qu'elle a permise sur la charge de la dette (cf. supra ).

Évolution de la charge de la dette depuis 2011

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

L'évolution de la charge de la dette dépend de plusieurs facteurs : le contexte de taux, le volume de titre émis, le besoin de financement de l'État, l'inflation et les effets calendaires, c'est-à-dire le moment de l'année lors duquel l'État procède aux opérations de financement 20 ( * ) .

Ces facteurs ont des effets contraires sur la charge de la dette. Ainsi, en 2021 , et contrairement aux années 2019 et 2020, l'augmentation de l'encours de la dette négociable (effet volume) et l'effet inflation, qui concourent à une hausse de la charge, ne devraient pas être totalement compensés par l'effet taux , toujours très favorable en absolu.

Facteurs d'évolution de la charge de la dette entre 2020 et 2021

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

b) Un contexte de taux toujours très favorable, qui aide le Gouvernement à afficher une maîtrise de la charge de la dette sans avoir (encore) à consentir d'efforts sur le volume de la dette

En 2019, le taux moyen des émissions de court terme était de - 0,58 % . Au 31 juillet 2020, ce taux moyen était de - 0,53 % soit un niveau inférieur à la prévision inscrite en LFI 2020 (- 0,5 %). Sur les émissions de moyen et de long terme, les taux connaissent une nouvelle baisse sur la première partie de l'année : de 0,11 % en 2019 (taux moyen annuel) à - 0,11 % en 2020 (sur les trois premiers trimestres). Actuellement, le taux moyen de l'OAT de référence à 10 ans est de - 0,08 % soit bien en-deçà de la prévision inscrite en LFI 2020 en moyenne annuelle (0,5 % en LFI 2020, révisée à 0 %). La France émet actuellement à taux négatif sur des maturités allant jusqu'à 15 ans .

Le rapporteur spécial relève que l'action de la BCE pour répondre à la crise sanitaire et économique et normaliser les conditions de financement des États membres de la zone euro a été unanimement saluée . Elle a assoupli ses programmes d'endettement sur les marchés du crédit et a ouvert un programme d'urgence d'achat de titres, pour un montant initial de 750 milliards d'euros, ensuite porté à 1 350 milliards d'euros.

C'est aussi grâce à cette action que M. Requin pouvait confier en juin 2020 devant la commission des affaires sociales du Sénat n'avoir « pas d'inquiétude sur le placement des dettes à venir » 21 ( * ) . Selon les représentants de Standard & Poor's, l'effet stabilisant des programmes de quantitative easing sur le coût des dettes publiques agit de deux façons : (1) en réduisant le coût de financement, l'Eurosystème étant en quête de titres et devenant un gros investisseur et (2) en redistribuant les profits réalisés sur les coupons, au bénéfice des Gouvernements.

Les mesures prises par la Banque centrale européenne (BCE) face à
la crise sanitaire et économique

Les mesures adoptées par la BCE visaient à éviter un choc de taux pour les économies de la zone euro, alors que leurs finances publiques et leur économie étaient de plus en plus fragilisées. Parmi ces mesures, on peut relever :

- le programme d'achat d'urgence pandémique (PEPP), à hauteur de 750 milliards d'euros. Ce programme s'ajoute à la politique d'assouplissement monétaire menée par la Banque centrale européenne depuis 2015 et bénéficie par ailleurs de conditions d'exécution plus souples, la BCE n'étant pas par exemple limitée par un plafond de rachat mensuel. Elle peut également s'éloigner temporairement de la clé de capital, qui détermine la part des achats consacrés à chaque pays de la zone euro. Le 04 juin 2020, la BCE a renforcé le PEPP de 600 milliards d'euros, soit au total 1 350 milliards d'euros, et elle l'a prolongé au moins jusqu'à la fin du mois de juin 2021. Le renforcement des achats de l'Eurosystème pourrait en théorie couvrir la quasi-totalité (94 %) de la hausse des émissions d'obligations souveraines françaises du fait de la crise sanitaire et économique ;

- l' assouplissement des conditions de refinancement des banques , la BCE acceptant en garantie des actifs qui ne l'étaient pas jusqu'ici et en abaissant les décotes pratiquées sur la valeur des actifs apportés en garantie. La BCE a également abaissé les taux de refinancement pour les banques.

Il faut cependant relever que, déjà, à l'issue de l'exercice 2019, les obligations souveraines françaises achetées par l'Eurosystème dans le cadre du public sector purchase program (PSPP - lancé en 2015) s'élevaient à 425 milliards d'euros , soit 17,9 % de la dette française.

Évolution des taux d'intérêt depuis 2008

Source : commission des finances, d'après le projet annuel de performance de la mission « Engagements financiers de l'État » annexé au projet de loi de finances pour 2021.

Le rapporteur spécial constate que les hypothèses de taux pour les années 2020 et 2021 sont résolument prudentes (0,5 % en moyenne annuelle pour 2021 et 0,7 % à la fin de l'année pour les OAT à 10 ans), notamment par rapport à la tendance observée au premier semestre 2020. Cela doit-il conduire à estimer que le Gouvernement tend à sur-budgétiser le programme 117 ? Le rapporteur spécial appelle à faire preuve de prudence : la crise violente et brutale que la France et la zone euro ont connue et connaissent encore, et dont les effets perdureront au-delà de l'année 2020, montre que nous ne sommes pas à l'abri d'événements inattendus et perturbateurs . La donnée « inflation » est par ailleurs une véritable inconnue, et potentiellement un facteur de risque très élevé.

Pour l'instant, l'action de la Banque centrale européenne a suffi à pallier le choc, mais n'oublions pas qu'il y a eu une alerte sur nos taux au mois de mars 2020 . Entre le 9 et le 18 mars 2020, alors même que la France n'était pas encore frappée de plein fouet par la crise, son coût de financement à 10 ans avait augmenté de 76 points de base , contre 57 pour l'Allemagne, 96 pour l'Espagne ou encore 101 pour l'Italie. Entre les mois de mars 2020 et mai 2020, l'écart de taux avec l'Allemagne s'était accru de 50 points de base , pour atteindre 80 points de base, avant de retrouver à compter du mois de juin sa valeur moyenne sur la décennie passée, soit 30 points de base, encore une fois grâce aux programmes de la BCE.

L'alerte de liquidité au mois de mars 2020

La conjonction des problématiques de liquidité en fin de trimestre, d'un choc de volatilité sur les marchés et de bouleversements opérationnels avait conduit à une chute brutale de la profondeur du carnet d'ordres d'environ 90 %. En effet, pour retrouver de la liquidité, les opérateurs économiques avaient vendu leurs titres les plus liquides, soit en priorité les titres français, allemands ou américains. Toutefois, au même moment, compte tenu des exigences en matière de solvabilité en fin d'année, les spécialistes en valeur du Trésor ont rencontré des difficultés pour absorber et redistribuer ces liquidités. Conséquence, il y a eu une certaine volatilité sur les obligations, jusqu'aux annonces des banques centrales. Dans le même temps, les opérateurs ont été perturbés par la mise en place des mesures de confinement et par la nécessité de présenter en fin de trimestre des bilans moins exposés au risque. Ce choc fut heureusement très temporaire et le résultat d'une combinaison exceptionnelle de plusieurs facteurs de risque.

Source : audition de l'AFT par le rapporteur spécial

L'exercice de prévision a lieu à la fin du mois d'août, il est donc compliqué pour l'AFT de définir des hypothèses de taux, d'autant plus dans la période actuelle, avec de profondes incertitudes sur la chute du PIB, sur l'évolution de la crise sanitaire et sur l'ampleur du rebond économique ces prochaines années. Deux agences de notation ont d'ailleurs considéré que la perspective de la France était négative .

Les hypothèses sont donc plus prudentes que le Consensus Forecasts (0 % à l'horizon de septembre 2021 et 0,7 % plutôt en septembre 2023 pour les OAT à 10 ans), mais elles conduisent aussi la France à afficher un niveau de crédits sur le programme suffisant pour lui permettre de couvrir ses engagements . Les estimations actuelles reposent à la fois sur un fort pessimisme en matière économique et sur l'anticipation de mesures monétaires accommodantes prolongées. Ces attentes sont potentiellement très sensibles à des signaux inverses, tel qu'un événement favorable à l'activité économique ou une réaction de la BCE en deçà des attentes du marché. De telles actions pourraient conduire à une remontée des taux d'intérêt.

c) S'il demeure donc limité, le risque de taux se traduirait par un quasi-doublement de la charge de la dette à 10 ans

Du fait de sa trajectoire d'endettement, fortement dégradée, la France reste très exposée à une remontée des taux . Comme l'indique le graphique ci-dessous, le surcoût de la charge de la dette serait progressif, au fur et à mesure que la France amortirait ses titres arrivés à échéance.

Impact d'un choc de taux et d'un choc de taux cumulé à un choc d'inflation
sur le supplément de la charge de la dette ces dix prochaines années

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le rapporteur spécial observe que, d'année en année, le supplément de charge de la dette qui serait dû chaque année du fait de l'impact d'un choc de taux et/ou d'un choc d'inflation augmente. Par exemple, l'an passé, un choc de taux se traduisait par un supplément de charge de la dette de deux milliards d'euros en n +1 (contre 2,5 milliards d'euros ici) et de 21,2 milliards d'euros en n +10 (contre 28,9 milliards d'euros ici). Ce rehaussement s'explique par l'augmentation continue de l'endettement français, susceptible en retour de renforcer le risque d'une remontée des taux.

L'action de la BCE protège pour l'instant les États de la zone euro d'un tel scénario, mais protection ne veut pas dire immunisation , d'autant plus si la France ne fait aucun effort sur sa trajectoire d'endettement. Ce constat a conduit le rapporteur spécial à s'intéresser plus particulièrement, dans le cadre de ce rapport budgétaire, aux caractéristiques de la dette. Pour en apprécier la trajectoire et la soutenabilité, encore faut-il en effet savoir de quoi on parle.

4. La trajectoire de la dette française : pas d'alarme à court-terme, un devoir de vigilance à long-terme
a) Les caractéristiques de la dette française
(1) L'encours de dette connait une hausse constante, qui s'accélère avec la crise sanitaire et le plan de relance

Si l'encours de la dette négociable de l'État est en augmentation continue, on constate une accélération en 2020 et en 2021, du fait de la crise sanitaire et économique, mais aussi du plan de relance. Comme le rapporteur spécial le relevait précédemment, la structure de l'encours de la dette est marquée par une hausse de la part des titres de court-terme (cf. supra ).

Évolution de l'encours de dette négociable depuis 2011

(en milliards d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

D'après les projections du Gouvernement, avant le PLFR IV, la dette devrait atteindre, à la fin de l'année 2020, 117,5 % du PIB (2 612 milliards d'euros - révisé à 119,8 % du PIB en quatrième loi de finances rectificative). Elle connaîtrait ensuite une légère décrue pour atteindre 116,2 % du PIB à la fin de l'année 2021 (117,5 % dans la prévision révisée). La diminution de ce ratio ne sera toutefois pas imputable à une baisse de la dette en elle-même, qui s'élèverait à environ 2 798 milliards d'euros, mais à la hausse du PIB. Cet effet sur le dénominateur ne jouant plus à partir de 2022, le ratio de dette/PIB s'accroîtrait en 2022, 2023 et 2024, avant éventuellement de légèrement refluer à 117,4 % du PIB en 2025. Le rapporteur spécial en tire la conclusion suivante : nous devons nous préparer à vivre avec un ratio d'endettement très élevé sur une période longue , d'où l'importance de bien la comprendre et de pouvoir en apprécier la soutenabilité.

(2) La maturité moyenne de la dette française tend à augmenter, en réponse à la demande des investisseurs

La maturité moyenne de la dette française atteignait 8,2 années à la fin de l'année 2019, soit 0,3 année de plus qu'à la fin de l'année 2018 . Au 31 août 2020, elle était de huit ans et six jours. Cet allongement quasi-ininterrompu de la maturité de la dette française s'explique par :

- un facteur structurel avec l'accès, grâce à l'unification du marché européen des capitaux, à la demande des fonds de pension européens, plus demandeurs de titres à maturité longue ;

- un facteur conjoncturel avec la la baisse des taux d'intérêt, qui emporte avec elle deux conséquences : d'une part les investisseurs sont prêts à se tourner vers des maturités plus longues pour obtenir un rendement supérieur et, d'autre part, le volume des encours de titres de court terme diminue du fait de l'entrée en trésorerie de primes à l'émission (cf. supra ).

Dans ce contexte, et au regard des taux extrêmement bas aujourd'hui offerts à la France pour emprunter, le rapporteur spécial s'est interrogé sur l'opportunité d'allonger ou non la maturité de notre dette . Or, comme lui a répondu Anthony Requin, directeur de l'AFT, la maturité de la dette française répond aussi à une demande des investisseurs.

Par exemple, alors qu'en 2019 la maturité moyenne des émissions de moyen et de long terme réalisées en cours d'année atteignait 11,1 ans, elle n'était plus que de 8,2 ans au premier semestre 2020, et pour une raison très simple : avec la crise sanitaire et économique, les investisseurs se sont reportés sur des maturités plus courtes , et l'AFT a adapté son programme en conséquence. Après les annonces de la BCE et la normalisation des conditions de marché (cf. supra ), l'AFT a de nouveau émis en moyenne à plus long terme (11 ans). Il nous faut conserver cette flexibilité.

Comment sont fixés les volumes et les prix des adjudications ?

Une semaine avant chaque adjudication, les spécialistes en valeur du Trésor (SVT) transmettent à l'AFT les informations dont ils disposent sur le positionnement du marché, c'est-à-dire sur ce que les investisseurs privilégient en matière de titres 22 ( * ) (rentabilité, maturité). En effet, lorsqu'un investisseur souhaite acheter un titre à un SVT, celui-ci ne dispose pas toujours du titre demandé. Il peut néanmoins le vendre « par avance » à l'investisseur, couvrir le risque de taux sur le marché des dérivés et puis racheter de ces titres lors de la prochaine adjudication (toutes les deux semaines pour les OAT, sauf en décembre, avec une seule séance).

Forte de ces informations et de ses propres indicateurs, l'AFT choisit alors les titres qu'elle va proposer lors de la prochaine adjudication, avec des maturités différentes (trois ou quatre références en général), avec une fourchette d'émission globale (mais pas de répartition par titre, l'AFT voulant conserver de la flexibilité sur ce point selon la demande des investisseurs lors de l'adjudication). Son objectif est en effet d'assurer le financement de l'État dans les meilleures conditions possibles, c'est-à-dire les plus sûres et les moins onéreuses. Il faut donc qu'elle réponde à une demande, en maîtrisant les coûts.

Le jour de l'adjudication, les SVT placent leurs ordres, ce qui permet à l'AFT de voir où la demande se concentre. Surtout, les SVT proposent un prix pour ces titres. L'AFT va alors servir en premier ceux qui proposent les taux les plus avantageux et va opérer une répartition entre chaque référence en fonction de la demande et du coût. Ce système est, dans ses grands principes, inchangé depuis la création de l'Agence et a fait preuve de sa résilience, y compris en période de crise.

Les SVT jouent donc un rôle important, ce sont les partenaires privilégiés de l'AFT. Au nombre du 15 23 ( * ) , ils représentent la diversité des établissements actifs sur le marché des emprunts d'État français (banques de réseaux et établissements spécialisés, institutions d'origine française ou étrangère). Sur les 15 SVT, quatre établissements sont français, deux allemands, trois britanniques, cinq nord-américains et un japonais. Les SVT sont sélectionnés pour une durée de trois ans et doivent s'engager à respecter des principes et des pratiques de bonne gestion consignés dans une charte. Ils seront renouvelés à l'automne 2021.

Source : audition de l'AFT par le rapporteur spécial, rapport d'activité de l'AFT pour l'année 2019

La liquidité de la dette française et la capacité de l'AFT à s'adapter aux demandes des investisseurs sont deux caractéristiques extrêmement appréciées de la dette française . Elles lui permettent de bénéficier de conditions de financement favorables. Selon le rapporteur spécial, il serait dommageable de nuire aux atouts de la dette française pour parier sur les taux, en particulier dans le contexte très incertain que connaissent actuellement la France et la zone euro dans son ensemble. La France ne ferait que se mettre en danger si elle choisissait d'émettre majoritairement à cinquante ans pour allonger la maturité de sa dette alors que la demande est objectivement plus faible pour cette maturité . Une demande plus faible signifie également une liquidité plus faible, alors même que c'est un atout pour le marché. La France risquerait donc de payer plus cher cet allongement de la maturité, au détriment du contribuable et de la charge de la dette.

La maturité de la dette publique française est par ailleurs proche de celle de nos partenaires européens, à l'exception du Royaume-Uni 24 ( * ) .

Évolution de la maturité moyenne de la dette négociable de plusieurs
pays européens entre 2007 et 2018

(en années)

Source : réponse au questionnaire budgétaire, d'après les données de l'OCDE, à partir des contributions de chaque agence de la dette

Il est donc heureux que le rôle de l'AFT ne soit pas d'essayer de gagner contre le marché ou de prendre des paris sur l'évolution de la courbe de taux , d'autant plus dans contexte actuel. Imaginons enfin que la France ait exécuté l'intégralité de son programme d'émissions à un instant précis de l'année pour bénéficier des taux bas mais que ces derniers continuent de baisser ; elle aurait fait payer plus cher au contribuable le financement de la dette publique, à rebours de ses objectifs.

(3) La détention de la dette est une source d'incompréhension, certains observateurs accordant une importance disproportionnée à la nationalité des détenteurs

La détention de la dette française est fréquemment au coeur des débats sur l'endettement public.

Évolution de la détention de la dette publique française négociable
ces 10 dernières années

(en %)

Source : commission des finances, d'après les données de la Banque de France

La hausse de la part des résidents ne doit pas être lue comme une quelconque fuite des investisseurs étrangers, mais comme un effet mécanique des programmes de rachat mis en place par la Banque centrale européenne . Ces programmes sont à près de 90 % exécutés par la Banque de France, par définition un détenteur résident. Selon une enquête du Fonds monétaire international (juin 2020), dont les résultats doivent être traités avec précaution 25 ( * ) , plus de la moitié des investisseurs non-résidents étaient européens, 13 % asiatiques, 8 % américains.

Outre cette distinction, le rapporteur spécial souligne également que les BTF sont davantage détenus par les non-résidents (87,4 % au premier trimestre 2020). Les BTF ne peuvent en effet pas être rachetés dans le cadre du programme mis en place par la BCE mais ils sont prisés des banques centrales étrangères, qui les utilisent pour gérer leurs réserves de change, et des établissements bancaires, qui y ont recours pour la gestion de leurs coussins de liquidité.

Il est souvent demandé de disposer d'informations plus précises sur les détenteurs de la dette, que ce soit en termes de répartition géographique ou de nature des investisseurs. Toutefois, cela se heurte à deux obstacles majeurs : d'une part, la sensibilité des investisseurs à la transmission de ce type d'informations, en vertu de la confidentialité des transactions et, d'autre part, une impossibilité matérielle à assurer un suivi quotidien des échanges de titres.

Par ailleurs, ainsi que l'a expliqué le directeur de l'AFT au rapporteur spécial, c'est moins l'origine géographique des investisseurs qui importe que leur nature et leur diversification : il ne faut pas que ce soient tous des investisseurs institutionnels réfléchissant exclusivement à long-terme ou bien au contraire tous des fonds spéculatifs qui revendent très vite leurs titres au risque de provoquer des remous sur le marché. Pour répondre aux besoins de l'ensemble des investisseurs et pour assurer la liquidité de la dette française, il faut des investisseurs intéressés par tout type de maturité, partout . Avoir des investisseurs disponibles pour acheter et vendre, c'est bien l'un des atouts de la dette française.

Nature des détenteurs de la dette publique française négociable
au second trimestre 2020

(en %)

NB. La part « autres (français) » correspond en quasi-totalité à l'Eurosystème.

Source : commission des finances, d'après les données de la Banque de France et de l'Agence
France Trésor

D'après les informations transmises au rapporteur spécial, près de 50 % de la dette serait détenu par des banques centrales , ce qui est une bonne nouvelle pour la France puisque ces acteurs sont largement insensibles aux taux et privilégient davantage la qualité du crédit et la liquidité. La France répond à ces deux objectifs et vendre à ce type d'acteurs ne présente pas de risque.

Enfin, la détention de titres français ne peut pas et ne doit pas être assimilée à un actionnariat : elle ne donne lieu à aucun pouvoir de décision sur la gestion de la dette française, à aucun droit pour le détenteur, si ce n'est celui d'être remboursé.

(4) L'émission d'une OAT verte

L'encours de l'OAT verte a atteint 27,38 milliards d'euros au premier semestre 2020, du fait de trois réémissions en février, en avril et en juillet . Cette taille lui permet d'avoir une liquidité comparable aux autres OAT 26 ( * ) , ce qui ne peut que lui être bénéfique. Ces réémissions sont soumises à une double-contrainte : l'expression d'une demande en ce sens des spécialistes en valeur du Trésor et l'existence d'un montant suffisant de dépenses vertes éligibles. Il incombe en effet à l'AFT de justifier d'un montant équivalent de dépenses éligibles. Chaque année, le respect de ce dernier principe est en effet certifié par des contrôleurs indépendants. Le rapporteur spécial note que cette certification est positive .

Le montant des dépenses éligibles en 2019 selon les quatre objectifs
de l'OAT verte

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après le rapport d'allocation et de performance 2019 de l'OAT verte

L'OAT verte a su répondre à une demande des investisseurs . Il ne s'agit pourtant pas de multiplier les obligations à « thème » 27 ( * ) si ce n'est pour répondre à une demande des investisseurs ou pour en élargir la base. C'est une condition d'efficacité et de sécurité pour l'émission de la dette française. L'émission d'obligations thématiques emporte également avec elle de strictes conditions d'évaluation et de certification, par des organismes indépendants, pour s'assurer de l'éligibilité des dépenses à l'obligation thématique. La multiplication de ces obligations entrainerait par ailleurs avec elle une fragmentation de la dette, au risque de la rendre moins lisible et moins liquide, et donc moins attractive pour les investisseurs et plus onéreuse pour l'État et le contribuable.

b) La soutenabilité de la dette française
(1) La France exécute son programme d'émission de titres dans de très bonnes conditions

Les taux de couverture des adjudications de l'AFT sont toujours très largement supérieurs aux cibles inscrites dans les documents budgétaires 28 ( * ) et marquent une nette progression : pour les BTF (court-terme), ce taux est passé de 286 % en 2018 à 315 % en 2019, pour les OAT, il est passé de 207 % à 235 %.

Les partisans d'un accroissement sans limite de l'endettement public s'appuient souvent sur cette forte demande pour montrer que la France ne connait actuellement aucune difficulté de financement. Sur ce point, le rapporteur spécial est évidemment d'accord, mais il doit aussi souligner que ces bonnes performances s'expliquent principalement par les caractéristiques de notre dette (liquidité, réponse à la demande) et par la confiance du marché. La France ne conservera pas à long-terme cette confiance si elle est incapable de procéder au moindre effort de consolidation budgétaire ou de choisir à bon escient les projets qu'elle entend financer par de la dette.

En conditions « normales », l'AFT procède également chaque année à des rachats anticipés de titres arrivant à échéance . Ces rachats ont ainsi atteint 47,44 milliards d'euros en 2019 mais leur volume devrait nettement diminuer en 2020, du fait de la crise sanitaire et de la hausse consubstantielle du besoin de financement de l'État. Au 31 juillet 2020, ces rachats s'élevaient à 12,02 milliards d'euros. Cette action de l'AFT est pourtant essentielle, alors que près des trois quarts de la dette publique négociable française devraient arriver à échéance d'ici 2030 29 ( * ) .

(2) À moyen-terme, l'effet taux qui permet à la France de maîtriser sa charge de la dette ne permettra plus de compenser l'effet volume

Si la charge de la dette se stabilise ou diminue, c'est également parce que la France amortit ses titres arrivés à échéance à un coût plus faible que celui auquel elle les avait initialement émis . Relevant que la France bénéficie, grâce au contexte de financement favorable, d'un effet taux largement négatif ces dernières années , le rapporteur spécial s'est demandé à partir de quand cet effet s'annulerait , c'est-à-dire à partir de quel moment ne jouerait plus qu'un effet volume sur la charge de la dette, ce qui serait potentiellement inquiétant pour la France au regard de sa trajectoire d'endettement. Cette question est essentielle pour estimer l'évolution des crédits alloués au programme 117.

Avec la stabilisation des taux prévue pour 2021, voire une légère remontée d'ici la fin de l'année selon les hypothèses du Gouvernement, on observe un ralentissement de l'effet taux.

Facteurs d'évolution de la charge de la dette depuis 2015

(en milliards d'euros)

Source : projet annuel de performances de la mission « Engagements financiers de l'État » annexé au projet de loi de finances pour 2021

D'après les informations transmises par l'AFT lors de l'audition de son directeur par le rapporteur spécial, on peut identifier trois grands scénarios sur l'évolution de l'effet taux et de la charge de la dette , en tenant compte de l'évolution du contexte macroéconomique :

- dans le premier, les taux resteraient stables et la courbe plate. À terme, la France refinancerait ses titres arrivés à échéance aux mêmes taux que lors de leur émission. L'effet taux serait alors nul, seul jouerait un effet volume. La charge de la dette resterait donc maîtrisée et supportable . C'est le scénario neutre ;

- dans le second, le plus positif , la croissance serait forte et régulière ces prochaines années, avec un rebond de l'inflation et une remontée des taux. Dans ce cadre ci, la charge de la dette dans le PIB se réduirait fortement ;

- dans le troisième scénario, le plus négatif , la France se trouverait dans une situation singulière par rapport aux autres pays européens, par exemple à cause de l'absence de réformes structurelles et/ou d'une économie peu dynamique. Elle serait alors sanctionnée par le marché, sa prime de crédit augmenterait, tout comme sa charge de la dette .

Pour le rapporteur spécial, ces trois scénarios illustrent le fait que si, aujourd'hui, la situation n'est ni alarmante ni catastrophique, elle ne peut pas devenir à long-terme une nouvelle norme . La France devra retrouver une trajectoire assainie pour ses finances publiques, ce qui commencerait déjà par une révision de la loi de programmation des finances publiques, que le Parlement attend maintenant depuis près d'un an.

(3) Le taux implicite de la dette et le solde stabilisant sont deux notions permettant d'appréhender la trajectoire de la dette

Le taux implicite 30 ( * ) , ou taux apparent, de la dette a fortement diminué ces 25 dernières années, passant ainsi de 6,6 % en 1996 à 1,5 % en 2019 31 ( * ) . D'après les informations transmises dans les documents budgétaires, il devrait continuer de diminuer pour approcher les 1,3 %. Cette trajectoire sur le long-terme est donc positive : le contexte de financement extrêmement favorable que notre pays connait depuis plusieurs années a conduit à réduire fortement le taux apparent de sa dette publique , ce qui lui permet en retour de bénéficier d'une charge de la dette en pourcentage du PIB faible et inférieure à la moyenne de la zone euro . Toutefois, cette donnée est très sensible au risque de remontée des taux.

L'AFT présente, dans les documents budgétaires, l'impact d'un choc de taux de 1 % sur le taux implicite de la dette négociable de l'État. Un tel choc ferait basculer d'ici quatre ans le taux implicite de la dette de 1,3 % (hypothèse d'une remontée graduelle des taux) à 1,8 % (hypothèse d'un choc de taux). À noter que ce taux apparent dépend aussi de l'inflation, une partie de l'encours de la dette française étant détenue sous la forme d'OAT indexée à l'inflation.

Selon la Cour des comptes, en 2020, l'écart entre le solde public et le solde stabilisant de la dette serait de 22 points de PIB, un niveau considérable et largement supérieur à celui observé en 2019 (0,3) 32 ( * ) . Par ailleurs, mécaniquement, du fait de la chute du PIB en 2020, il y aura selon la Cour un effet « boule de neige » sur la dette en 2020. Cet effet mesure l'écart entre le taux d'intérêt, qui accroît la charge de la dette, et le taux de croissance du PIB en valeur, qui affecte la dette passée. Cet écart serait très positif en 2020 du fait de la contraction du PIB.

(4) Si la plupart des pays européens constatent, comme la France, une hausse brutale de leur dette du fait de la crise sanitaire et économique, la France se distingue par une trajectoire antérieure plus dégradée que celle de ses partenaires européens

Le rapporteur spécial insiste sur le fait que la dégradation de la dette publique constatée en 2020, et qui devrait se poursuivre ces prochaines années, n'est pas propre à la France. Chaque pays a mobilisé ses finances publiques, d'abord pour soutenir l'économie, puis pour la relancer . À titre d'exemple, après une levée de dette qui atteindrait potentiellement 218 milliards d'euros en 2020, l'Allemagne envisagerait de s'endetter de 96 milliards d'euros en 2021, afin de faire face aux conséquences de la crise sanitaire et de préparer la transition de son économie vers le numérique et le respect de l'environnement. Ces niveaux restent toutefois bien inférieurs aux volumes que la France compte emprunter en 2021 (260 milliards d'euros) et l'endettement allemand resterait limité à 75 % du PIB en 2021, contre
116,2 % en France 33 ( * ) .

La France se distingue par ailleurs par une absence d'effort antérieurement à la crise, avec une trajectoire du taux de dette/PIB qui restait bien supérieure à celle de la plupart de ses voisins et qui, surtout, ne diminuait pas 34 ( * ) . Ces dernières années, même en période de croissance, la France n'a pas saisi les opportunités qui s'offraient à elle pour restaurer ses finances publiques.

Or, nul ne sait combien de temps les conditions de financement resteront aussi favorables, en particulier si la France ne retrouve pas aussi vite que ses voisins une trajectoire d'assainissement de ses finances publiques . Cette alerte ne doit pas être lue comme une opposition du rapporteur spécial au plan de relance ou aux mesures de soutien à l'économie : il est évident qu'il faut accepter à court-terme de voir le déficit et la dette s'aggraver. C'est seulement un point de vigilance pour l'avenir . Même si les taux ne remontent pas ces deux ou trois prochaines années, et là-encore, rien n'est assuré, il demeure certain qu'ils remonteront un jour et que, sans effort réalisé d'ici-là, la France pourrait se retrouver dans une situation insoutenable dans laquelle ses moyens seraient tout entiers alloués à la charge de la dette. C'est d'ailleurs l'un des scénarios évoqués précédemment.

Le rapporteur spécial insiste sur le fait que si le Gouvernement peut aujourd'hui maîtriser la charge de la dette, ce n'est pas grâce aux efforts qu'il aurait menés ces dernières années pour réduire la dépense publique . Même en excluant l'année 2020, année exceptionnelle de ce point de vue, les efforts de rationalisation du Gouvernement ont été à tout le mieux limités , nous empêchant ainsi de disposer des mêmes marges de manoeuvre que l'Allemagne par exemple . Résultat, dès qu'il y a eu une alerte, les écarts de taux se sont significativement accrus (cf. supra ). Il a fallu une action massive et déterminante de la Banque centrale européenne pour resserrer les écarts de taux.

(5) À long-terme, une incertitude sur la soutenabilité de la dette et sur son traitement par les marchés

La France bénéficie aujourd'hui d'une bonne évaluation de la part des agences de notation . Cette notation est importante puisqu'elle est prise en compte par les investisseurs institutionnels dans leurs critères d'éligibilité. Comme tous les pays de la zone euro, la France est évaluée deux fois par an par les agences de notation, selon un calendrier habituellement publié au mois de décembre. Même dans un contexte de crise comme celui que nous connaissons actuellement, les agences évitent le plus possible de dévier de ce calendrier, afin de ne pas envoyer de signaux négatifs aux marchés.

Lors de leurs deux dernières évaluations, respectivement le 15 mai 2020 et le 2 octobre 2020, FitchRatings et Standard & Poor's (S&P), deux agences auditionnées par le rapporteur spécial, ont maintenu la note de la France, AA , soit deux crans en-dessous du AAA. Pour attribuer leur note, ainsi que l'ont rappelé les représentants de S&P, les agences ne tiennent pas seulement compte de la dette ou du déficit. Elles regardent également les facteurs qui sous-tendent la résilience d'une économie (réformes structurelles) ainsi que les aspects politiques et institutionnels, dont le poids dans la notation est d'environ 20 % .

Or, la France bénéficie sur ce dernier point d'une excellente appréciation. Le soutien apporté par la BCE et la mise en place d'un plan de relance au niveau européen concourent à cette bonne évaluation. Pour les personnes auditionnées par le rapporteur spécial, c'est vraiment en cela que les réponses apportées à la crise liée à l'épidémie de covid-19 diffèrent de celles apportées à la crise financière de 2008 et à la crise des dettes souveraines. Ces facteurs protecteurs ont également permis aux pays dits de la périphérie de la zone euro (Espagne, Italie, Grèce) de ne pas voir leur notation se dégrader brusquement avec la crise.

Comme elles l'ont confié au rapporteur spécial, les agences de notation ont dû adapter leurs modèles à la crise sanitaire et aux incertitudes qu'elle emporte avec elle. Elles ne peuvent pas se contenter de regarder simplement les trajectoires en matière de finances publiques, elles doivent se projeter à moyen-terme, en tenant compte de ce que sera la future trajectoire des pays évalués . C'est pour cela, et le rapporteur spécial le répétera, qu'il est important que le Gouvernement présente au plus vite une nouvelle trajectoire en matière de finances publiques, une trajectoire qui devra intégrer plusieurs scénarios pour tenir compte des incertitudes actuelles , alors que la crise sanitaire pourrait se renforcer.

Les appréciations de FitchRatings et de S&P divergent ainsi sur la perspective 35 ( * ) de la notation française : négative selon la première 36 ( * ) , stable selon la seconde. En dépit de cette divergence, les deux agences de notation partagent la même appréciation des facteurs de vulnérabilité de la dette française : un ratio de dette nette qui se dégrade, une absence de consolidation ces dernières années au contraire de plusieurs pays européens et donc une entrée dans la crise avec des finances publiques déjà détériorées, ainsi qu'une incertitude sur la trajectoire à venir. Selon la Cour des Comptes, il n'y a quasiment que l'Italie et la France en zone euro qui n'ont pas été en mesure, entre 2014 et 2019, de réduire le poids de la dette dans le PIB 37 ( * ) . Ces deux pays sont aussi ceux dont la hausse de la dette à cause de la crise sanitaire et économique devrait être la plus élevée de la zone euro 38 ( * ) .

D'autres acteurs ont alerté sur la soutenabilité de la dette française , tels le gouverneur de la Banque de France, M. Villeroy de Galhau, ou encore le Haut Conseil des finances publiques , dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2021. Pour le citer : « dans un contexte de croissance potentielle affaiblie rendant plus difficile la réduction du déficit, la soutenabilité à moyen terme de la dette publique constitue un enjeu central de la stratégie financière de la France et appelle la plus grande vigilance » 39 ( * ) .

La Cour des comptes, dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques (juin 2020) estime également que « la soutenabilité de [la] dette constitue désormais un enjeu central » 40 ( * ) . Elle a choisi de consacrer la troisième partie de son rapport à la soutenabilité de la dette. Elle montre par exemple qu'en l'absence de croissance et de maîtrise de la dette publique, et même dans un contexte de taux bas, la charge de la dette pourrait fortement augmenter d'ici 10 ans , sa part dans le PIB pouvant être multipliée par deux 41 ( * ) .

Le cantonnement, une solution à la dette « covid » ?

Le Gouvernement, par l'intermédiaire du ministre de l'économie, des finances et de la relance, M. Bruno Le Maire, a émis l'idée que la dette « covid » de l'État puisse être cantonnée.

Qu'est-ce que le cantonnement ? Le cantonnement consiste à « séparer » une partie de la dette et à y affecter une ressource pour la rembourser. Attention, ce cantonnement est notionnel, il ne s'agit pas de fragmenter la dette de l'État en créant une caisse séparée. Ce point est important puisque cela signifie concrètement que cette dette bénéficierait de la même capacité de service que la dette non-cantonnée, un facteur pris en compte par les agences de notation dans leur évaluation des dettes souveraines.

Comment identifier la dette à cantonner ? C'est là toute la difficulté du cantonnement tel que le Gouvernement l'envisage. La dette liée à l'épidémie de covid-19 ne peut parfaitement se résumer ni au déficit public en 2020 et les années suivantes, ni aux crédits alloués aux mesures de soutien ou au plan de relance, ni encore à la perte de recettes fiscales. Une solution serait de calculer le supplément de déficit généré chaque année jusqu'au retour de la France à sa trajectoire de croissance potentielle.

Enfin, le rapporteur spécial souligne que cantonnement n'est pas évitement : le niveau de la dette publique française restera proche des 120 points de PIB, avec ou sans cantonnement. Par ailleurs, si le Gouvernement veut y affecter une ressource sans augmenter, comme il l'a promis, les prélèvements obligatoires, cela implique soit d'y dédier une ressource existante (par exemple une partie de la TVA, recette dynamique), au détriment des recettes de l'État, soit de prolonger des prélèvements existants, comme la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale), supposée s'éteindre en 2033, mais qui serait alors prolongée et dont le nom devrait alors être modifié...

Dans ce contexte, le rapporteur spécial souhaite également que soit votée au plus vite une nouvelle loi de programmation des finances publiques , à même de donner aux parlementaires une vision plus éclairée sur la trajectoire de la dette et du déficit.

Pour bénéficier d'un éclairage plus complet, le rapporteur spécial plaide pour élargir le mandat du Haut Conseil des finances publiques 42 ( * ) à l'appréciation de la trajectoire de la dette publique présentée par le Gouvernement dans les lois de programmation et de stabilité 43 ( * ) . Certaines données pourraient également être mieux communiquées, telles la dette toutes administrations publiques confondues (sans cloisonner l'État, les collectivités territoriales et la sécurité sociale), son mode de calcul ou encore la dette nette (en tenant compte des actifs français).

B. LA TRÈS FORTE AUGMENTATION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 114 TÉMOIGNE DE LA MOBILISATION DE SES ACTIONS POUR SOUTENIR L'ÉCONOMIE DURANT LA CRISE

1. La multiplication par 26 des crédits du programme est destinée à pallier une hausse anticipée des appels en garantie en 2021

Dans le cadre du présent projet de loi de finances , les crédits du programme 114 « Appels en garantie de l'État » sont multipliés par 26, passant ainsi de 94,1 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2020 à 2,5 milliards d'euros dans le PLF 2021 . De programme mineur dans la mission (0,24 % des crédits de paiement en LFI 2020), il devient bien plus significatif pour apprécier l'évolution de la mission (6,38 % des crédits de paiement selon le PLF 2021).

À l'exception de la première, toutes les actions du programme présentent une hausse importante de leurs crédits pour tenir compte de la crise , comme le montre le tableau ci-après.

Évolution des crédits des actions du programme 114 entre 2020 et 2021 (AE = CP)

(en millions d'euros)

2020

2021

Part dans les crédits du programme

Évolution 2021/2020

01 - Agriculture et environnement

0,9

1,1

0,04 %

22,22 %

02 - Soutien au domaine social, logement, santé

43,0

57,0

2,28 %

32,56 %

03 - Financement des entreprises et industrie

1,2

1 602,2

63,97 %

133 416,67 %

04 - Développement international de l'économie française

48,5

113,0

4,51 %

132,99 %

04.02 Assurance-prospection

41,5

107,0

4,27 %

157,83 %

04.03 Garantie de change

1,0

1,0

0,04 %

0,00 %

04.06 Garantie du risque exportateur

6,0

5,0

0,20 %

- 16,67 %

Autres garanties

0,5

731,5

29,20 %

146 200%

Total

94,1

2 504,8

100,00 %

2561,85 %

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Là-encore, le rapporteur spécial rappelle que les crédits de ce programme sont évaluatifs et s'appuient sur de multiples hypothèses sur les risques de défaillance des acteurs bénéficiaires de la garantie de l'État. Le rapporteur spécial reconnait qu' il s'agit là pour l'administration d'un exercice délicat : les prévisions sont construites au début du second semestre 2020, en regardant à la fois le passé (appels en garantie en 2019 et en cours d'année) et le futur (les risques à venir en fonction du contexte macroéconomique et des comportements des agents, pour le moins incertains dans la période actuelle).

C'est pour cette raison que le rapporteur spécial s'est attaché à évaluer les estimations, en reconnaissant que le Gouvernement pouvait se montrer prudent, pour conserver une marge de précaution . Il vaut mieux une situation dans laquelle les parlementaires votent une légère surévaluation des crédits dès la loi de finances initiale pour 2021 qu'une situation dans laquelle ils se rendraient compte lors de la loi de règlement en 2022 que les risques ont été sous-évalués par le Gouvernement .

Ainsi :

- l'augmentation de 32,56 % des crédits sur l'action 02 (logement, santé, social) provient à la fois de la hausse constatée des dépenses en 2019 et 2020 , du fait de l'augmentation du nombre moyen de sinistres déclarés, ainsi que de la probable augmentation de la sinistralité en 2021 avec la crise sanitaire ;

- la mobilisation inédite de l'action 03 dans le cadre du présent projet de loi de finances (crédits multipliés par 1 335) se décompose de la manière suivante :

* 1 266 millions d'euros au titre des prêts garantis par l'État (PGE), avec un premier pic d'appels attendus en 2021 et plus particulièrement au second semestre. Selon le tableau de bord tenu par le Gouvernement, le montant des prêts garantis par l'État à l'échelle nationale serait, au 26 octobre 2020, de 120,71 milliards d'euros, pour 588 240 aides 44 ( * ) . Aucun remboursement de ce prêt n'est exigé la première année, les entreprises pouvant ensuite choisir d'amortir le prêt sur une durée maximale de cinq ans. Selon Bpifrance, la sinistralité nette pourrait approcher 3 %, soit un coût potentiel pour l'État de 3,6 milliards d'euros. Dans ce cadre , la prévision inscrite pour l'année 2021 paraît cohérente au rapporteur spécial et de nature à couvrir les sinistres éventuellement constatés en 2021 . Elle pourra sans doute être affinée lors des prochains projets de loi de finances, en tenant compte de l'évolution du contexte macroéconomique et des appels en garantie ;

* 57 millions d'euros pour les appels en garantie au titre de l'affacturage à la commande , une garantie octroyée par l'État aux sociétés d'affacturage en contrepartie de la mise à disposition des lignes de financement dès la prise de commande par les entreprises. Cela fait également partie des dispositifs mis en place durant la crise.

- la multiplication par 2,3 des crédits de l'action 04 s'explique par l'effet combiné des mécanismes propres à l'assurance prospection et de la crise : depuis 2018, les dépenses de prospection couvertes sont avancées, ce qui conduit à une hausse faciale temporaire des dépenses. Tant, en 2019 et en 2020, la moitié de ces dépenses avait été financée par un recours aux excédents de l'assurance-crédit, tant, cette année, les incertitudes sur l'équilibre de cette dernière conduisent à faire porter l'intégralité des dépenses sur le programme 114 ;

- l'abondement très significatif de l'action 05, dont la part dans le programme 114 bondit de 0,53 % à 29,20 %, est également une conséquence directe de la crise puisque cette action retrace les dépenses liées au fonds de garantie paneuropéen (PEGF) 45 ( * ) porté par la Banque européenne d'investissement (BEI). Ce fonds a été créé en 2020 pour attribuer des financements au profit des PME européennes, par le biais d'instruments de partage de risques. La France s'est engagée pour 4,7 milliards d'euros, sur les 25 milliards d'euros de garantie prévus pour l'ensemble des États membres contributeurs. La BEI estime que le taux brut de sinistralité serait de 33,6 %, soit un impact budgétaire potentiel de 1,6 milliard d'euros pour la France, qui pourrait être concentré sur les premières années d'existence du fonds, puisqu'il vise surtout à garantir les portefeuilles de prêts de court-terme. Toutefois, la sinistralité nette, qui tient compte de la rémunération de la garantie et des gains escomptés sur le portefeuille, serait plutôt de l'ordre de 20 %, soit un coût potentiel pour la France de
940 millions d'euros
. Par conséquent, le rapporteur spécial estime la prévision inscrite dans le PLF 2021 prudente et en ligne avec les engagements français .

2. L'impact de la crise sanitaire se reflète également dans les indicateurs de performance du programme

Les indicateurs de performance du programme 114 sont très sensibles à la conjoncture, nationale comme internationale . Il n'est donc pas surprenant que leurs cibles aient dû être ajustées pour tenir compte de la crise sanitaire et économique, donnant ainsi une vision plus juste des objectifs et de la trajectoire du programme.

Pour 2021, l'indice moyen pondéré du portefeuille des risques de l'assurance-pays en flux a été abaissé de 4,40 (prévision actualisée pour 2020) à 2, pour tenir compte du fait que, généralement, en période de crise, l'aversion au risque est plus forte. À ce niveau, l'indicateur serait tout juste au niveau souhaité (entre 2 et 5). En effet, s'il est trop bas, cela signifie que l'État se substitue au marché privé pour des catégories de risque que ce dernier serait tout à fait en mesure d'assumer. Si cet effet d'éviction n'est pas souhaitable, le rapporteur spécial peut admettre qu'il y ait une légère déviation en période de crise.

De même, le pourcentage des moins bons risques exportateurs parmi les entreprises bénéficiaires des garanties du risque exportateur devrait aussi augmenter (18 % contre 13,53 % en 2020 selon la prévision actualisée). Cela reste conforme à la cible de long-terme (< 20 %), mais proche de la limite haute, exposant davantage l'État aux risques.

Le rapporteur spécial constate enfin que le dispositif de garantie de change à destination des petites et moyennes entreprises (PME) a encore du mal à convaincre : sa montée en charge est bien plus lente que prévue (47 PME bénéficiaires en 2019) et la crise pourrait venir interrompre la redynamisation espérée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020.

II. LE NIVEAU DES CRÉDITS OUVERTS SUR LES AUTRES PROGRAMMES DE LA MISSION S'INSCRIT DANS LA LIGNÉE DES ANNÉES PRÉCÉDENTES, SANS IMPACT PARTICULIER DE LA CRISE SANITAIRE ET ÉCONOMIQUE

A. LE PROGRAMME 145 SE DISTINGUE TOUJOURS PAR LE POIDS DES DÉPENSES FISCALES QUI LUI SONT ATTACHÉES, BIEN SUPÉRIEUR À CELUI DE SES CRÉDITS BUDGÉTAIRES

1. Les crédits budgétaires poursuivent leur baisse...

Le programme 145 « Épargne » se compose de deux actions :

- l'action 01 - Épargne logement , qui porte 99,8 % des crédits du programme . Ces crédits correspondent aux primes que peuvent obtenir, sous certaines conditions (date d'ouverture et souscription d'un prêt épargne logement), les détenteurs d'un compte épargne logement ou d'un plan d'épargne logement lors de la mobilisation du premier et de la clôture du second ;

- l'action 02 - Instrument de financement du logement , qui retrace l'intervention de l'État au niveau des prêts du secteur aidé gérés par le Crédit foncier et des prêts conventionnés contrôlés par la SGFGAS (Société de Gestion des Financements et de la Garantie de l'Accession Sociale à la propriété). Ce dispositif est en voie d'extinction .

Le tableau ci-dessous illustre la poursuite de la diminution des crédits attribués au programme , qui s'explique principalement par l'utilisation des produits d'épargne logement non plus comme un outil d'accession à la propriété mais comme un instrument d'épargne. Un second effet devrait jouer à plus long-terme, la suppression de la prime pour les produits ouverts à compter du 1 er janvier 2018.

Évolution des crédits du programme 145 entre la loi de finances initiale pour 2020 et le projet de loi de finances pour 2021

(en millions d'euros)

2020

2021

Part dans les crédits du programme

Évolution 2021/2020

Épargne logement

85,49

62,20

99,76 %

- 27,25 %

Instrument de financement du logement

0,18

0,15

0,24 %

- 17,90 %

Total

85,68

62,35

100,00 %

- 27,23 %

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Si le montant des crédits inscrits sur ce programme dans le projet de loi de finances pour 2021 ne dépend pas de la crise, cela ne veut pas dire que cette dernière n'a aucun impact sur la gestion du programme. Le prélèvement de l'État sur le Fonds d'épargne, retracé dans l'un des indicateurs de performance, a été annulé en 2020 et devrait être annulé ces prochaines années . Cette absence de prélèvement est inédite et exceptionnelle ces dernières années. La rémunération de l'État en contrepartie de la garantie qu'il octroie aux sommes déposées sur les produits règlementés est en effet assise sur les excédents de fonds propres prudentiels du Fonds d'épargne. Le choix a été fait de plutôt consolider ces fonds propres pour faire face à la crise économique en cours. Selon les documents budgétaires, il est probable qu'il n'y aura pas de versement avant 2026, au titre de l'année 2025.

2. ...tandis que le coût des dépenses fiscales progresse et demeure mal évalué

Dans son rapport sur le budget de l'État en 2019 46 ( * ) , la Cour des comptes soulignait la diversité des moyens consacrés aux politiques publiques de l'État, notamment autres que ceux du budget général, telles les dépenses fiscales . Tout comme de nombreux acteurs, dont la commission des finances, elle relevait la nécessité de renforcer l'encadrement de ces dernières, un conseil manifestement peu suivi pour les 28 dépenses fiscales rattachées au programme 145 en 2021 .

D'après les informations transmises au rapporteur spécial, aucune mesure particulière n'est envisagée sur les dépenses fiscales du programme 145, ni même de mesures de périmètre . Le Gouvernement justifie le rattachement de ces 28 dépenses fiscales au programme par le fait que ces dispositifs fiscaux visent principalement à encourager les placements dans plusieurs produits d'épargne règlementée ainsi que la constitution d'une épargne de long-terme.

Évolution du coût des dépenses fiscales entre 2018 et 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Ce n'est pas tant ces objectifs qui suscitent les critiques du rapporteur spécial - la plupart d'entre eux étant parfaitement légitimes - que la qualité de l'information transmise au Parlement sur ces dépenses fiscales, dont le coût augmente. Le rapporteur spécial insiste ainsi sur le fait que le chiffrage proposé pour 2021 (4,48 milliards d'euros) doit être pris avec précaution :

- 14 dépenses ne sont pas chiffrées alors même qu'elles sont parfois très onéreuses. C'est le cas par exemple de la dépense fiscale « exonération des sociétés de placement à prépondérance immobilière à capital variable » : non chiffré pour 2019, son coût pour cette seule année vient d'être actualisé à 850 millions d'euros ;

- la majorité des dépenses fiscales ne font pas l'objet d'une évaluation dont le niveau de fiabilité est au moins « bon » ;

- le coût réel de ces dépenses fiscales est régulièrement actualisé, à la hausse, comme le montre le graphique ci-après. L'absence d'évaluation fiable conduit en effet à une sous-estimation du coût réel de ces dispositifs.

Dans ce cadre, le rapporteur spécial ne peut que regretter, une nouvelle fois, l'absence de progrès réalisés sur le chiffrage et l'évaluation des dépenses fiscales . Une certaine inertie frappe d'ailleurs ces dispositifs, pour la plupart non modifiés depuis le milieu des années 2000.

Évaluation des dépenses fiscales dans les PLF 2020 et 2021

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

B. L'OUVERTURE DE CRÉDITS SUR LE PROGRAMME 336 MONTRE (ENFIN) QUE LE GOUVERNEMENT TIENT COMPTE DES REMARQUES DES PARLEMENTAIRES ET DE LA COUR DES COMPTES SUR L'INSINCÉRITÉ DU PROGRAMME

Le programme 336 soutient la contribution française au capital du mécanisme européen de stabilité (MES) . La contribution de la France au MES est légèrement supérieure à 20 % de son capital, composé à la fois de parts libérées (80,5 milliards d'euros au total dont 16,3 pour la France) et de parts appelables (624,3 milliards d'euros au total dont 126,3 pour la France). La participation de la France aux parts libérées a déjà été versée, sous la forme de cinq tranches de 3,3 milliards d'euros.

En parallèle de cette contribution au capital, la France s'est également engagée à rétrocéder au MES les intérêts perçus sur les dépôts placés auprès de la Banque de France. L'Allemagne a pris un engagement similaire pour les dépôts placés auprès de la Bundesbank. En effet, en 2017, le MES s'est vu retirer la dérogation lui permettant de ne pas payer les intérêts négatifs sur ses facilités de dépôt placées auprès des banques centrales nationales composant l'Eurosystème (taux de - 0,4 %), ce qui affectait son capital.

Or, malgré cet engagement réciproque, et quasiment certain, le programme 336 n'était jusqu'ici pas doté de crédits en loi de finances initiale , alimentant, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, une critique sur l'insincérité de sa budgétisation . En cours d'année, le Gouvernement était ainsi obligé soit de recourir à la mission « Crédits non répartis » au titre des dépenses accidentelles, ce qui peut sembler critiquable pour une dépense qui résulte d'un engagement de l'État, soit de faire voter une disposition en loi de finances rectificative.

Le Gouvernement se justifiait en expliquant que la rétrocession dépendait d'un engagement réciproque des pays partenaires et que cet engagement n'était pas formalisé au moment de la présentation du projet de loi de finances. Cette position semblait de plus en plus intenable au fil des années, et d'autant plus que d'autres pays (Italie, Pays-Bas) se sont récemment joints à la démarche franco-allemande.

Ainsi, le rapporteur spécial se félicite que, pour la première fois, la rétrocession au MES au titre de l'année 2020 fasse l'objet d'une budgétisation dans le PLF 2021 , avec l'ouverture de 79 millions d'euros sur le programme 336.

C. LA LÉGÈRE HAUSSE DES CRÉDITS SUR LE PROGRAMME 344 DEVRAIT SOUTENIR LA TRÉSORERIE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Le programme 344 « Fonds de soutien relatif aux prêts et contrats financiers structurés à risque » a été créé en loi de finances pour 2014 pour accompagner les collectivités territoriales ayant souscrit à des prêts dits « toxiques » . Il est aujourd'hui en voie d'extinction, plus de 85 % des dossiers ayant été traités.

Le fonds est à la fois financé par l'État (environ 89 millions d'euros) et par le secteur bancaire , par le biais d'une taxe additionnelle à la taxe systémique 47 ( * ) , qui devrait représenter près de 100 millions d'euros en 2021. A ces crédits de paiement s'ajoutent, sous la forme de fonds de concours , 11,5 millions d'euros en provenance de la société de financement local et de sa filiale la Caisse française de financement local (10 millions d'euros), ainsi que de Dexia (1,5 million d'euros), toutes trois non assujetties à la taxe systémique.

L'évolution des crédits de ce programme n'appelle pas de développement particulier de la part du rapporteur spécial, si ce n'est que les « aides de petit montant » à destination des collectivités territoriales devraient être versées en une seule fois , et non pas de manière fractionnée jusqu'en 2028. Cette mesure de soutien aux collectivités est permise par la hausse de 14,6 millions d'euros des crédits du programme entre 2020 et 2021 (+ 8,34 %, de 174,9 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2020 à 189,49 millions d'euros dans le PLF 2021).

Enfin, il est quasiment certain que le Fonds ne mobilisera pas l'ensemble des autorisations d'engagement qui lui ont été accordées , les dossiers présentés par les collectivités territoriales représentant finalement un montant moindre que ce qui avait été anticipé lors de sa création et de son renforcement. Au regard de ces informations, le rapporteur spécial a demandé à l'administration s'il n'était pas envisageable d'annuler les autorisations d'engagement devenues sans objet 48 ( * ) , à condition bien sûr de conserver une marge de précaution. La réponse de l'administration est pour le moins prudente : elle pourrait « initier l'instruction d'un dossier de retrait d'AE d'ici la fin de l'année 2020 » 49 ( * ) , ce qui nécessiterait par ailleurs la signature d'un avenant à la convention signée avec l'Agence de services et de paiement, chargée de verser les aides aux collectivités bénéficiaires.

SECONDE PARTIE
LES COMPTES SPÉCIAUX

I. LA CRISE SANITAIRE AURA UN DOUBLE-IMPACT SUR LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS « AVANCES À DIVERS SERVICES DE L'ÉTAT OU ORGANISMES GÉRANT DES SERVICES PUBLICS » PUISQU'ELLE AFFECTERA SA STRUCTURE ET SON SOLDE

A. SI LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS A ÉTÉ FORTEMENT MOBILISÉ EN 2020 POUR RÉPONDRE À LA CRISE, IL DEVRAIT SUIVRE EN 2021 UNE LOGIQUE DE NORMALISATION DE SES DÉPENSES

Le compte de concours financiers (CCF) « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » retrace traditionnellement quatre catégories d'avances :

- sur le programme 821 , les avances à l'Agence de services et de paiement (ASP) au titre du préfinancement des aides de la politique agricole commune. Ces avances sont généralement d'une durée très courte, en tout cas inférieure à un an. Au 15 septembre 2020, le montant avancé est de 1,19 milliard d'euros ;

- sur le programme 823, les avances du Trésor à des organismes distincts de l'État gérant des services publics , dont font partie par exemple la Cité de la musique ou encore les chambres de commerce et d'industrie. 70 millions d'euros ont également été ouverts pour France Télévisions, qui a effectué un premier tirage de 15 millions d'euros au mois d'avril 2020. Un nouveau montant de 50 millions d'euros a été accordé en troisième loi de finances rectificative à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), avec une date limite de remboursement fixée au 31 décembre 2021 ;

- sur le programme 824, les avances du Trésor à d'autres services de l'État , qui se résument en réalité exclusivement aux avances octroyées au budget annexe contrôle et exploitation aériens (BACEA). Pour répondre aux conséquences de la crise sanitaire sur le secteur aérien et donc, par voie de conséquence, sur le BACEA, 1,2 milliard d'euros ont été ouverts lors de la troisième loi de finances rectificative , multipliant ainsi par 25 les crédits octroyés aux avances au profit du BACEA. Dans le cadre de la quatrième loi de finances rectificative, une augmentation de 200 millions d'euros des crédits est de nouveau prévue, les montants précédemment ouverts n'étant jugés manifestement pas suffisants pour soutenir la trésorerie du BACEA. Au 15 septembre 2020, deux avances ont été demandées, pour un montant cumulé de 800 millions d'euros ;

- sur le programme 825, les avances du Trésor à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) afin de couvrir l'indemnisation des victimes du Benfluorex si les Laboratoires Servier refusaient d'y accéder. Aucune avance n'a encore été demandée. Si cela fait maintenant trois ans que ces avances ne sont pas utilisées, leur inscription en loi de finances initiale répond surtout à un principe de précaution. En 2017 par exemple, les Laboratoires Servier avaient refusé de payer les indemnisations pour deux dossiers et l'Oniam les avait assignés en justice.

La durée moyenne des avances accordées entre 2015 et 2019 était de 5 ans et 277 jours , au bénéfice de huit organismes (ASP, AEFE, Chambre de commerce et d'industrie de Guyane, BACEA, France Agrimer et l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité, le Fonds d'assurance formation des chefs d'entreprise artisanale et CMA France, ainsi que l'Institut Mines Telecom). D'ici 2028, 2,78 milliards d'euros en capital seraient remboursés et 57,91 millions d'euros en intérêts .

Le Parlement a approuvé, lors de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 50 ( * ) , la création d'un cinquième programme , le programme 826, afin d'octroyer des avances du Trésor aux exploitants d'aéroports touchés par la crise du covid-19 au titre des dépenses de sûreté-sécurité . Ces dépenses sont traditionnellement financées par la taxe d'aéroport acquittée par les compagnies aériennes. La chute du trafic aérien a entrainé avec elle la chute des recettes de cette taxe et 300 millions d'euros de crédits ont donc été ouverts sur ce programme. Ces avances, qui, d'après les informations transmises au rapporteur spécial, seraient entièrement octroyées d'ici la fin du mois de novembre 2020, pourraient avoir une durée maximale de 10 ans. Le programme aurait donc une durée de vie au moins similaire, afin de retracer le remboursement de ces avances.

Dans le cadre de la quatrième loi de finances rectificative, la création de deux nouveaux programmes a également été approuvée par le Parlement : le programme 827 « Avances remboursables destinés à soutenir Ile-de-France Mobilités » doté de 1,175 milliard d'euros (AE = CP) et le programme 828 « Avances remboursables destinées à soutenir les autorités organisatrices de la mobilité à la suite des conséquences de l'épidémie de covid-19 », doté de 750 millions d'euros (AE = CP). Lors de la discussion de
la LFR III pour 2020, le Parlement, et en particulier le Sénat , s'était en effet fortement inquiété de la situation financière des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) , appelant à la mise en oeuvre d'un mécanisme de soutien rapide et flexible. Pour Ile-de-France Mobilités, les avances seraient octroyées pour une durée de 16 ans, ce qui est extrêmement long, mais ce qui doit permettre de réduire la pression sur l'AOM, dont la situation financière est plus que précaire du fait de la crise sanitaire . Les ressources des AOM proviennent en effet majoritairement du versement mobilité et des recettes tarifaires, deux sources de revenus profondément touchées par la crise sanitaire.

De manière générale, comme l'illustre le tableau ci-dessous, le compte de concours financiers a été fortement mobilisé durant la crise sanitaire et économique pour soutenir les organismes publics .

Évolution des crédits du compte de concours financiers « Avances à
divers organismes de l'État ou organismes gérant des services publics »
entre 2020 et 2021

(en millions d'euros)

2020 (LFI)

2020 (LFI + LFR)

2021

Évolution 2021/2020 (LFI)

Évolution 2021/2020 (LFI + LFR)

Dépenses

[821] Avances à l'Agence de services et de paiement

10 000,00

10 000,00

10 000,00

0,00 %

0,00 %

[823] Avances à des organismes distincts de l'État et gérant des services publics

320,00

370,00

254,00

- 20,63 %

- 31,35 %

[824] Avances à des services de l'État

50,00

1 250,00

760,58

1 421,15 %

- 39,15 %

[825] Avances à l'Oniam

15,00

15,00

15,00

0,00 %

0,00 %

[826] Avances aux exploitants d'aéroports

-

300,00

0,00

-

- 100,00 %

Total des dépenses

10 385,00

11 935,00

11 029,58

6,21 %

- 7,59 %

Recettes

[821] Avances à l'Agence de services et de paiement

10 000,00

10 000,00

10 000,00

0,00 %

0,00 %

[823] Avances à des organismes distincts de l'État et gérant des services publics

109,54

109,54

299,46

173,37 %

173,37 %

[824] Avances à des services de l'État

121,99

121,99

176,92

45,02 %

45,02 %

[825] Avances à l'Oniam

15,00

15,00

15,00

0,00 %

0,00 %

[826] Avances aux exploitants d'aéroports

0,00

0,00

0,00

Total des recettes

10 246,53

10 246,53

10 491,38

2,39 %

2,39 %

Solde

- 138,47

- 1 688,47

- 538,20

288,69 %

- 100,17 %

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Les programmes 821, 823 et 825 présentent une dotation en crédits indépendante des effets de la crise sanitaire . Le programme 823 poursuit notamment le soutien récurrent apporté à divers organismes : à FranceAgrimer pour répondre aux crises agricoles (150 millions d'euros) ; à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (quatre millions d'euros) pour ses projets immobiliers. Comme en 2020, une enveloppe de 100 millions d'euros est ouverte pour pallier d'éventuelles urgences.

En revanche, l'ouverture de crédits sur le programme 824 (BACEA) s'explique par la crise sanitaire et par son impact considérable sur le secteur aérien . Si de 2015 à 2019 le BACEA avait poursuivi une trajectoire de désendettement saluée par le rapporteur spécial et qui s'était traduite par une diminution du stock d'avances, tel ne sera pas le cas en 2020 et en 2021. Au contraire, le montant des avances pouvant être accordées au BACEA est multiplié par 15 entre la loi de finances initiale pour 2020 et le PLF 2021 : non seulement le BACEA ne pourra pas continuer à se désendetter, mais son besoin de trésorerie s'accroîtrait fortement, les prévisions du trafic aérien pour 2021 se situant environ 30 % en deçà du niveau d'avant la crise sanitaire.

Si aucun crédit n'est ouvert sur le programme 826, c'est parce que les avances ont été accordées en une fois, pour l'année 2020 . Il n'est pas prévu, pour le moment, d'en octroyer d'autres.

La crise a par ailleurs conduit à une forte dégradation du solde du CCF . Certes, cette dégradation provient d'un décalage temporel entre, d'une part, les avances octroyées par le Trésor, décaissées de manière unique, et, d'autre part, les remboursements, échelonnés. Le solde du compte de concours financiers en 2021 serait donc dégradé, mais dans une ampleur bien moindre que la déterioration constatée en 2020.

Cependant, le rapporteur spécial s'inquiète de la capacité des organismes bénéficiaires à pouvoir rembourser dans le délai qui leur a été imparti les avances ainsi octroyées . Un défaut de paiement contribuerait un peu plus au contournement des règles régissant les avances, qui souffrent d'ores et déjà de plusieurs contorsions.

B. UNE INTERROGATION PERSISTANTE SUR LES RÈGLES RÉGISSANT LES AVANCES

L'article 24 de la loi organique relative aux lois de finances définit les règles applicables aux avances. Ainsi, une avance doit être accordée pour une durée déterminée et doit être assortie d'un taux ne pouvant être inférieur aux obligations du Trésor à même échéance 51 ( * ) . Seul un décret en Conseil d'État peut permettre de déroger à ces obligations.

Les principaux indicateurs inscrits dans le projet annuel de performance du CCF ont trait aux deux conditions encadrant l'utilisation des avances : le respect de la neutralité budgétaire pour l'État et le respect de la durée initiale des avances . En effet, si ce dernier critère n'était pas respecté, l'avance se transformerait de facto en prêt, voire en subvention. Le rapporteur spécial relève que ces deux indicateurs ne devraient pas être strictement respectés en 2020, ni même en 2021 .

S'ils ne sont pas toutes comptabilisés dans les indicateurs de performance, le rapporteur spécial relève d'ailleurs que plusieurs ajustements ont pu être portés aux durées de remboursement des avances, comme l'illustre le tableau ci-dessous où figurent en rouge les organismes concernés.

Montant résiduel des avances sur le compte de concours financiers et date prévisionnelle de remboursement

(en millions d'euros)

Programme

Organisme bénéficiaire

Montant résiduel en capital à rembourser au 31/12/2019

Date prévisionnelle de remboursement

Intérêts dus en 2020

Total des intérêts dus

823

Fonds national pour la société numérique

850

4 septembre 2020 (discussions en cours pour redéfinir les modalités de remboursement)

0

0

823

Cité de la Musique

27,4

15 décembre 2026 (après rééchelonnement)

0,28

0,28

823

Agence pour l'enseignement français à l'étranger

32,0

23 novembre 2029

0,28

1,21

823

Chambre de commerce et d'industrie de Guyane

3,8

23 décembre 2030

0,1

0,56

823

France Agrimer

140,3

31 décembre 2021

0

1,81

823

FAFCEA et CMA France

45,0

31 décembre 2020

0,04

0,04

823

Institut Mines Télécom

34,7

31 décembre 2019 (reporté au 31 décembre 2020)

0,05

0,05

824

Budget annexe du contrôle et exploitation aériens

667,4

11 novembre 2030

10,96

42,73

Total

1 800,6

47,35

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

Le rapporteur spécial s'est enquis de ces reports :

- pour le Fonds pour la société numérique, les discussions sont encore en cours pour redéfinir les modalités de remboursement ;

- pour la Cité de la Musique, un décret a été adopté en Conseil des ministres, conformément à la procédure prévue pour appliquer un taux dérogatoire à une avance. Une décision de rééchelonnement a par ailleurs été publiée au Journal officiel, mais ne vaut que pour l'avenir ;

- pour l'Institut Mines Télécom, l'administration a indiqué que cela avait été décalé de plusieurs mois car la vente dont le produit devait assurer le remboursement de l'avance avait été reportée du mois de décembre 2019 au mois de septembre 2020. L'avance est maintenant remboursée.

Autrement que sur leur remboursement, les règles des avances sont également adaptées aux caractéristiques des organismes bénéficiaires, que ce soit en termes de fréquence ou de taux .

Le premier exemple provient des organismes qui bénéficient d'une avance quasiment chaque année , justifié par le fait que ces avances sont destinées à financer des projets différents. En dehors de l'ASP, dont le cas est particulier puisqu'il doit assurer le versement des aides de la PAC aux bénéficiaires avant le déblocage des fonds européens, deux organismes ont bénéficié d'avances plus de trois fois ces dernières années :

- l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger : sept avances lui ont été accordées entre 2012 et 2019, et une nouvelle lui a été ouverte en 2020. Il faut néanmoins bien faire la différence entre les avances octroyées pour couvrir des besoins de trésorerie (telle celle de 50 millions d'euros ouverte à l'AEFE dans la troisième loi de finances rectificative pour 2020 pour lui permettre de répondre à la crise), de celles qui visent à financer des projets de plus long terme, notamment immobiliers. En tant qu'organisme divers de l'administration centrale 52 ( * ) , l'AEFE ne peut en effet pas emprunter pour une durée supérieure à un an et elle a donc besoin de recourir aux avances pour financer de tels projets ;

- France Agrimer , avec quatre avances depuis 2016.

Un second exemple provient du programme 826. Si le rapporteur spécial n'en conteste pas le bien-fondé, il remarque simplement que ces avances sont octroyées pour une durée de dix ans . Certes, dans le respect de la lettre de l'article 24 de la LOLF, ces avances sont octroyées pour une durée déterminée, mais on s'éloigne un peu plus de l'esprit de ce dispositif, supposé ne servir que de relais de trésorerie temporaire pour les organismes bénéficiaires . Cet écart peut toutefois se justifier au regard de la sévérité de la crise qui a frappé le secteur.

Ainsi, dans les documents budgétaires, la direction générale du Trésor reconnait elle-même que cette durée est exceptionnelle et la justifie par la reprise progressive du trafic aérien. Cet étalement du remboursement devrait toutefois permettre aux gestionnaires d'aéroport de lisser dans le temps les pertes constatées au titre de la taxe d'aéroport , étant entendu qu'il n'y aura pas de « rattrapage » sur les recettes non perçues.

Enfin, certains organismes bénéficient d'une prime de risque nulle . En 2020, ce fut le cas pour l'ASP et le BACEA 53 ( * ) . Selon les réponses transmises au rapporteur spécial, deux critères peuvent conduire à l'absence de prime de risque : l'absence d'incidents de paiement pour les organismes ayant déjà bénéficié d'avances et le caractère certain des ressources permettant de rembourser les avances . Il s'agit par exemple des subventions au titre de la PAC pour l'ASP ; des frais de scolarité pour l'AEFE (prime de risque nulle en 2019) ; des redevances aéronautiques pour le BACEA ; ou encore d'un produit déjà identifié, telle une vente immobilière (Institut Mines Télécom) ou des versements de l'État.

II. LES VERSEMENTS DU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « PARTICIPATION DE LA FRANCE AU DÉSENDETTEMENT DE LA GRÈCE » SE POURSUIVENT SELON LA TRAJECTOIRE DÉFINIE EN 2019

Le compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » se compose de deux programmes : le programme 795 pour les dépenses au titre du versement de la France à la Grèce des revenus perçus sur les titres grecs et le programme 796 pour les dépenses au titre des rétrocessions de trop-perçus à la Banque de France.

Les recettes du compte sont quant à elles constituées des revenus perçus sur la détention d'obligations souveraines grecques acquises soit par les banques centrales nationales au titre du programme ANFA ( Agreement on Net Financial Assets ), soit par la BCE, par l'intermédiaire des banques centrales nationales, dans le cadre du programme pour les marchés de titres SMP 54 ( * ) ( Security market programme ). La décision de reverser ces produits à la Grèce se justifiait par la volonté d'aider la Grèce à réduire son besoin de financement, pour participer au rétablissement de la soutenabilité de sa dette publique.

Deux raisons expliquent que la France ait choisi d'utiliser un CAS pour supporter ces dépenses . La première se fonde sur l'article 123 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne , qui interdit formellement aux banques centrales nationales de financer les États membres de la zone euro. La seconde se justifie par la nécessité d' isoler ces flux au sein du budget de l'État , qui n'est que le vecteur de l'opération de reversement.

Dans ce cadre, la Banque de France et le ministre de l'économie et des finances ont signé le 13 mai 2019 une troisième convention par laquelle la Banque de France s'est engagée à verser 116,92 millions d'euros en 2019 et 84,08 millions d'euros en 2020 au titre des revenus qu'elle a reçus de la détention d'obligations grecques dans le cadre du SMP . Ce programme, interrompu en 2015 avec l'arrêt du programme d'assistance financière à la Grèce pour non-respect de ses engagements, avait en effet été réactivé par un accord de l'Eurogroupe du 22 juin 2018. Les revenus correspondant seront reversés à la Grèce depuis le MES et deux fois par an, de 2018 à 2022 , sous réserve que la Grèce satisfasse aux conditions fixées pour la période
post-programme d'assistance financière. Pour tenir compte de ce décalage, le CAS a été prolongé jusqu'en 2022 55 ( * ) .

Évolution des crédits affectés à la participation de la France
au désendettement de la Grèce

(en CP, en millions d'euros)

2020

2021

Évolution 2021/2020

Dépenses

[795] Versement de la France à la Grèce des revenus perçus sur les titres grecs

263,71

117,95

- 55,27 %

Action 01 - Rétrocession des profits ANFA 56 ( * )

0

0

-

Action 02 - Rétrocession des profits SMP

263,71

117,95

- 55,27 %

[796] Rétrocession de trop-perçus à la Banque de France

0

0

-

Total des dépenses

263,71

117,95

- 55,27 %

Recettes

Produit des contributions de la Banque de France

84,08

132,77

57,91 %

Solde

- 179,63

14,82

- 108,25 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ce compte n'appelle pas de commentaire particulier de la part du rapporteur spécial.

III. LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS « ACCORDS MONÉTAIRES INTERNATIONAUX » N'EST PAS DOTÉ DE CRÉDITS

Le compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux » n'est plus abondé depuis plusieurs années , du fait des niveaux de réserves importants détenus par les banques centrales concernées et de la faible probabilité d'appel en garantie de l'État. Il n'a d'ailleurs pas fait l'objet d'un projet annuel de performances.

Bien que non doté en crédits, ce compte ne peut être supprimé puisqu'il constitue le pendant budgétaire des accords de coopération monétaires passés entre la France et 15 pays africains, dans le cadre de la Zone franc.

Pays

Unité monétaire

Parité fixe

Union monétaire ouest-africaine (UMOA)

Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo

Franc CFA émis par la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (XOF)

1 euro = 656 XOF

Union monétaire d'Afrique centrale (UMAC)

Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad

Franc CFA émis par la Banque des États de l'Afrique centrale (XAF)

1 euro = 656 XAF

Union des Comores

Franc comorien émis par la Banque centrale des Comores (KMF)

1 euro = 492 KMF

Il faut noter que le Parlement devrait prochainement examiner le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et les Gouvernements des États membres de l'Union monétaire ouest?africaine . La modification de cet accord ne devrait toutefois pas conduire à ouvrir dans un futur proche des crédits sur ce compte au titre de la garantie apportée par la France 57 ( * ) .

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 28 octobre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial, sur la mission « Engagements financiers de l'État », compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et comptes de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et « Accords monétaires internationaux ».

M. Jérôme Bascher , rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État » . - Je vais faire une présentation dans le désordre, pour être congruent avec la politique budgétaire du Gouvernement.

Je commence par le compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux », pour lequel aucun crédit n'est prévu, et ce depuis des années. Je vous proposerai de l'adopter.

Je passe au compte d'affectation spéciale (CAS) « Participation de la France au désendettement de la Grèce », qui ne soulève pas de problème particulier. J'en rappelle simplement le mécanisme. Au moment où la Grèce avait des difficultés à emprunter, l'Eurosystème, et en l'occurrence la Banque de France, ont acheté des titres grecs. Ceux-ci rapportent des intérêts, que le Gouvernement français reverse à la Grèce. Je vous proposerai également d'adopter les crédits de ce CAS.

J'en viens au compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État et organismes gérant des services publics » - nous finirons par la dette, vous l'avez bien compris. Ce compte a été très mobilisé en 2020, contrairement à ce qu'on observe d'habitude. Cela donne des multiplications par 20 de certaines lignes. Il s'agit, en vérité, de faire de l'avance de trésorerie ou des avances de plus long-terme à des organismes qui n'ont pas le droit de s'endetter. Évidemment, 2020 a été particulièrement difficile et, en 2021, il restera des reliquats. Ainsi, les avances pour le budget annexe « Contrôle et exploitation aériens », que suit notre collègue M. Capo-Canellas, ont été renforcées de 1,2 milliard d'euros en 2020 ! Il y a aussi eu une nouvelle avance de 50 millions d'euros pour l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, que nous avons votée dans le troisième projet de loi de finances rectificative. Il y a aussi des aides au secteur agricole Nos collègues sénateurs français de l'étranger s'étaient battus sur ce point. Ces actions ont contribué à dégrader le solde du compte, puisqu'il y a un décalage temporel entre les avances de trésorerie et leur remboursement. Les crédits ouverts au titre des avances pouvant être accordées au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » ont été multipliés par quinze entre la loi de finances initiale pour 2020 et le projet de loi finances pour 2021.

Le problème est que certaines de ses avances peuvent paraître contraires à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances : elles sont attribuées pour de longue durée, de manière répétée pour certains organismes ou pour couvrir des besoins qui ne sont pas simplement de la trésorerie. On peut alors se demander s'il ne faudrait pas plutôt, pour les organismes bénéficiaires, une vraie budgétisation sur d'autres programmes, et non une avance d'une année sur l'autre. Il y a donc là une sorte de tour de passe-passe, via un compte de concours financiers. Nous devons respecter l'esprit de la LOLF. Je vous proposerai donc de réserver notre position sur ce compte, en attendant l'examen des crédits présentés par M. Vincent Capo-Canellas sur le budget annexe contrôle et exploitation aériens.

Le quatrième point que je voulais évoquer concerne le programme 336 « Dotation du Mécanisme européen de stabilité » de la mission « Engagements financiers de l'État ». D'habitude, ce programme est financé par des crédits non répartis ou par une ouverture en loi de finances rectificative. Cette année, enfin, le Gouvernement le dote dès le projet de loi de finances, de 79 millions d'euros. Au moins, le « quoi qu'il en coûte » aura accru la sincérité budgétaire de certaines lignes.

Le programme 145 « Épargne » concerne les primes des comptes et des plans épargne-logement, pour dire les choses simplement. Il est doté de 62 millions d'euros. Y sont aussi rattachées les dépenses fiscales liées aux livrets règlementés, comme le Livret A. Les crédits octroyés ne me posent aucun problème.

Le programme 114 « Appels en garantie de l'État » passe, lui, de 94 millions d'euros en loi de finances initiale à 2,5 milliards d'euros : petite hausse ! Les crédits sont multipliés par 26 ! Cette hausse est largement liée aux prêts garantis par l'État (PGE). C'est donc l'un des programmes qui portent aussi les plans de relance ou de soutien de l'économie de l'année 2020.

J'en viens à présent à la dette, qui n'est autre chose que la somme de nos déficits. Or, en 2019, la France continuait à creuser son déficit, même si on nous parlait d'un effet temporaire, lié au crédit d'impôt compétitivité-emploi. Notre dette se stabilisait toutefois, car nous avions un peu de croissance et des taux favorables, mais ne diminuait pas, contrairement à celle d'autres pays. Comme l'avait dit Albéric de Montgolfier, et comme Jean-François Husson nous l'expliquera de nouveau, nous avions gardé un niveau de dette très élevé.

Le pourcentage du PIB est une chose, mais il faut aussi penser aux milliards d'euros en jeu, car le marché international de la dette s'évalue à cette aune. La dette de l'Allemagne, notée AAA, se monte à 2 000 milliards d'euros. Nous, nous en sommes à 2 400 milliards d'euros, notés AA. La dette des Pays-Bas, notée AAA, représente à l'inverse moins de 400 milliards d'euros : ce ne sont pas les mêmes échelles.

Paradoxalement, plus notre dette augmente, moins elle nous coûte cher ! On dirait qu'on a retrouvé la recette de l'argent magique... Entre 2011 et 2020, alors que la dette s'est gonflée de 30 points de PIB, la charge de la dette, elle, est passée de 46 à 35 milliards d'euros. Cela s'explique en observant la courbe des taux et notamment le taux de référence, celui de l'obligation assimilable du Trésor (OAT) à 10 ans. En 2011, le taux était d'environ 3,30 % ; aujourd'hui, il tourne autour de - 0,11 %. Nous avons donc gagné 340 points de base. Si l'on multiplie par les quelque 260 milliards d'euros que nous allons emprunter en 2020 et en 2021, on comprend comment nous faisons des économies... Il faut se demander quand cette capacité à amortir notre dette à des taux inférieurs à ceux de leur émission prendra fin. C'est en 2015 que les taux sont passés en dessous de 1 %, si on prend pour hypothèse une légère remontée des taux, c'est vers 2025 qu'il faut fixer la fin du bonneteau : jusqu'en 2025, eu égard aux stocks, nous allons continuer à voir baisser la charge d'intérêt. Mais il y aura un moment de vérité. Les bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté (BTF), eux, sont carrément à taux négatif : émettre à court terme nous rapporte de l'argent. Quand vous émettez, on vous donne de l'argent ! C'est extraordinaire ; j'ai essayé, mais cela ne fonctionne pas : je dois avoir moins de crédit que la France... Comment allons-nous nous financer dans les années à venir ? En tous cas, nous en avons au moins jusqu'en 2025. En 2027, cela ne fonctionnera plus : ce ne sera pas le moment d'être candidat à la présidentielle...

L'Agence France Trésor effectue une simulation de l'effet d'une hausse des taux de 100 points de base - qui n'a rien d'impossible. La première année, cela nous coûterait un peu plus de 2,5 milliards d'euros ; en 2025 ans, le coût serait de 15 milliards d'euros et, en 2030, il approcherait les 30 milliards d'euros. Aujourd'hui, nous sommes bien accrochés à l'Allemagne, et nous avons gardé un spread de taux d'intérêt de 30 points de base. Il y a bien eu au mois de mars une petite alerte, qui a accru ce spread de 50 points de base. Il peut encore s'accroître, car nous n'avons pas la bonne trajectoire de déficit et de dette.

Les agences de notation que nous avons entendues considèrent la France comme un pays solide et sérieux, qui rembourse ce qu'il doit. Les aspects institutionnels sont très importants pour elles. La stabilité démocratique et institutionnelle font partie des éléments qui nourrissent la confiance qu'on peut avoir dans un pays : 20 % de la note est fondée sur ce critère.

Cependant, le problème est que nous sommes l'un des rares pays à avoir continué d'aggraver notre déficit public et notre dette même en période de croissance. Avoir eu la mauvaise trajectoire de déficit public auparavant, pendant les années de vaches un peu plus grasses, crée un problème de confiance sur notre capacité à retrouver une trajectoire assainie pour nos finances publiques. Or la soutenabilité de la dette dépend de sa crédibilité. Et notre comportement passé nous fait manquer aujourd'hui de crédibilité en termes de réduction des déficits... C'est pourquoi les agences de notation inscrivent en facteur de vulnérabilité notre volonté politique et notre capacité réelle à améliorer la soutenabilité des finances publiques.

M. Claude Raynal , président . - Merci de ce rappel.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je souhaite revenir sur les éléments du besoin de financement de l'État. Comment l'Agence France Trésor (AFT) s'est-elle adaptée à une hausse aussi forte du besoin de financement de l'État ? Quelles sont les conséquences du plan de relance sur le besoin de financement de l'État ? Quelles sont les conséquences des dispositifs de garantie octroyés par l'État, notamment sur les crédits budgétaires de la mission ? Les prévisions du Gouvernement paraissent-elles optimistes ou pessimistes, ou sur une trajectoire intermédiaire ?

M. Éric Bocquet . - Vous avez souligné un paradoxe. Déjà, hier, vous aviez désigné la France comme l'homme malade de l'Europe. Ce sont les mots employés par Margaret Thatcher dans les années 1970 à propos du Royaume-Uni. L'Histoire se répète... Nous sommes peut-être un homme malade, avec des taux de prélèvements obligatoires stratosphériques, nous dit-on, une fiscalité délirante, un déficit qu'on ne maîtrise plus, etc. Mais on constate que, sur les marchés financiers mondiaux, les titres de dette française s'arrachent comme des petits pains. Et 50 % de nos financeurs sont des non-résidents, hors zone euro. On s'intéresse donc de près à la dette française. Comment expliquer que l'on accorde un prêt à un homme malade, et même à des taux négatifs ? Ce paradoxe m'interpelle.

La Banque centrale européenne (BCE) s'est affranchie de ses propres règles depuis quelque temps. Fin 2020, elle détenait 20 % de la dette des États. Cette proportion va monter à 30 % d'ici la fin d'année, ce qui est complètement contraire aux traités et à ses propres règles. Ce sont des mesures non conventionnelles, et nous n'avions pas d'autre choix. Peut-on imaginer que la BCE annule les créances qu'elle détient ? Aucun fardeau ne pèserait sur personne ni sur aucune génération. La BCE n'est pas une banque commerciale, son passif n'est exigible par personne. Elle peut avoir des fonds propres négatifs, elle ne peut pas faire faillite... Ne pouvons-nous pas imaginer, avec audace, dans la situation exceptionnelle que nous traversons, que la BCE poursuive dans cette voie pour outrepasser ses règles initiales et finance directement les États ?

Enfin, le niveau de l'épargne a explosé avec la pandémie. On parle de 100 milliards d'euros en fin d'année. L'État ne pourrait-il pas recourir à des emprunts directs auprès des ménages, comme le fait le Japon ? La dette japonaise est détenue à 90 % par le peuple japonais. Cela changerait la donne en nous dégageant de la tutelle des marchés financiers, qui nous imposent leur loi : c'est bien celui qui paye qui dit ce qu'il faut faire ! L'argent dégagé pourrait peut-être aller à des investissements utiles, sur les infrastructures ou la transition écologique par exemple.

M. Sébastien Meurant . - Merci pour ces rappels fondamentaux. La question est bien la soutenabilité de la dette : on ne meurt pas de ses dettes, on meurt de ne plus pouvoir en faire. Peut-être que ce moment se rapproche... La création de dettes sans fin de la France et son incapacité à respecter ses engagements internationaux, vis-à-vis de l'euro et de nos partenaires, pose problème. Le programme 344 concerne le fonds de soutien aux prêts financiers structurés, autrement appelés emprunts toxiques, qui ont fait beaucoup de mal et continuent à faire beaucoup de mal aux collectivités territoriales et aux hôpitaux. Pouvez-vous détailler son contenu ? Comment le versement, en une seule fois, des aides aux collectivités territoriales, ou peut-être aux hôpitaux, a-t-il été effectué ?

M. Vincent Segouin . - J'ai envie de dire, en écoutant votre rapport, que tout va bien : tout va très bien, madame la marquise, et nous pouvons continuer comme cela pendant longtemps ! Jusqu'à 2025, la charge de la dette n'augmentera pas. Et l'inversion des taux directeurs, ce n'est pas pour tout de suite. La dette contractée aujourd'hui sera-t-elle remboursée un jour ? Risquons-nous de vivre une dévaluation de l'euro ? Et, en ce cas, quel sera le comportement de l'Allemagne ?

M. Marc Laménie . - Ce sujet n'est certes pas médiatique, mais il est particulièrement important : c'est la troisième mission du budget de l'État en termes de masse financière... Dans notre endettement annuel, quelles sont les parts des intérêts et du capital ? Outre la BCE et l'AFT, quel est le rôle de la Banque de France ?

Mme Christine Lavarde . - Vous entendez tous comme moi le Gouvernement nous indiquer qu'il investit pour l'avenir, notamment dans des infrastructures vertes. Cela se traduit-il dans la structure de notre endettement par une part croissante d'emprunts verts ? Nous avions eu à la commission des finances une table ronde très intéressante, il y a quelques mois, sur ce thème. Sommes-nous passés des paroles aux actes ?

M. Patrice Joly . - Quand on parle d'endettement, on a toujours l'impression qu'il y aurait d'un côté les rigoureux et de l'autre les laxistes. J'ose espérer que nous sommes tous sérieux, notamment s'agissant du désendettement sur le court, le moyen et le long terme. Qui détient la dette aujourd'hui ? Quelles sont les problématiques en matière de souveraineté ? Combien cela rapporte-t-il à la France, en termes de différentiel de coût, que la BCE détienne de la dette française ? Quid de la mobilisation de l'épargne française en lien avec le verdissement de nos politiques ? Une partie du plan de relance doit-être mise en oeuvre à travers la relance des territoires : ne pourrait-il y avoir des Rural Bonds ?

M. Michel Canévet . - La BCE détient une grande partie de la dette française. Cette tendance va-t-elle croître ? Cela signifie-t-il que nous n'aurons jamais à la rembourser ? L'hypothèse d'un non-remboursement n'encourage-t-elle pas la politique d'endettement conduite depuis très longtemps par l'ensemble des gouvernements ? Quel est le niveau des engagements pour les garanties d'État ? L'État a repris la dette d'autres entités, comme les hôpitaux et la SNCF. Sur quelle ligne budgétaire cela s'inscrit-il ?

M. Victorin Lurel . - Je suis d'accord avec Éric Bocquet. Certes, la question du remboursement de la dette clive politiquement. Mais c'est une vraie question que la commission des finances devrait approfondir. La solution évoquée par Éric Bocquet et par beaucoup de grands économistes n'est pas sans intérêt : n'est-ce pas ce que la FED pratique avec le Trésor américain ? Idem pour la Banque d'Angleterre. Le Japon atteint 230 % de son PIB en termes d'endettement, pourtant le pays ne s'est pas effondré. Une action de la Banque centrale européenne est-elle possible ? Une dette peut-elle être perpétuelle ? Il y a bien eu dans l'histoire des dettes sur un siècle ! Il ne faut pas avoir de tabou et nous devons rester pragmatiques : comment retrouver des marges ? Notre commission ne pourrait-elle pas être à l'origine d'un rapport d'information sur les nouvelles pratiques des banques centrales ? Depuis l'instauration des politiques non conventionnelles, il n'existe plus de bases théoriques pour les pratiques bancaires actuelles. On fait du Quantitative Easing et autres, mais personne ne peut le justifier véritablement. Nous avançons donc au radar, même si cela fonctionne mieux pour le moment qu'après la crise de 2008.

Je suis l'auteur d'un rapport avec ma collègue Nathalie Goulet sur les accords monétaires internationaux. Le montant des réserves des trois banques centrales africaines - la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), la Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC) et la Banque Centre des Comores (BCC) - est tel qu'il n'y a pas lieu de doter ce compte en crédits pour couvrir un risque d'appel en garantie. Or chaque année les banques centrales dépensent entre 10 et 20 milliards d'euros auprès du Trésor. Où sont enregistrées en comptabilité les rémunérations de ces dépôts ? C'est un accord monétaire qui n'a de monétaire que le nom : il s'agit en réalité d'un accord budgétaire.

M. Philippe Dominati . - L'importance de la dette n'est pas préoccupante, à condition qu'il y ait des marges de manoeuvre. Or le taux des prélèvements obligatoires est très important dans notre pays. Il serait intéressant de comparer les marges de manoeuvre plutôt que l'importance de la dette.

M. Claude Raynal , président . - Nous avons souhaité auditionner le Gouverneur de la Banque de France, ce qui n'a pas été possible puisqu'il est soumis à une obligation de réserve avant la conférence des gouverneurs de toutes les banques européennes.

M. Jérôme Bascher , rapporteur spécial . - L'AFT, qui emploie une quarantaine de salariés, est l'une des meilleures au monde. Elle gère par exemple la dette de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Face à la crise économique et à l'augmentation sans précédent du besoin de financement de l'État, l'AFT s'est adaptée au fur et à mesure et a su reprendre des marges de manoeuvre avec des BTF, du court-terme, ce qui a bien fonctionné au moment de la crise. Elle a également rehaussé ses appels au marché, toutes les semaines pour les BTF et toutes les deux semaines pour les OAT. C'est passé sous le radar, mais nous avons été confrontés à une petite crise de liquidité de la dette française, sur le marché obligataire. Les OAT sont très recherchées, ce qui nous permet d'émettre à des taux plus faibles et la liquidité de notre dette est dans 99 % des cas un de nos meilleurs atouts. Mais en mars, les investisseurs étaient à la recherche de liquidité, ils ont donc d'abord vendu leurs actifs les plus liquides, donc de la dette française. Heureusement, cela n'a duré que très peu de temps et les conditions d'émission assurées par l'AFT sont rapidement redevenues très favorables.

Notre rapporteur général m'interroge sur les PGE. Lors de la mise en place des PGE, Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance avait évoqué une sinistralité nette évaluée à 3 %. Il faut la rapporter aux 120 milliards d'euros décaissés, sur les 360 milliards annoncés pour les PGE. Le calcul est vite fait, cela représente environ 3,6 milliards d'euros. L'essentiel aurait lieu en 2021, surtout au second semestre, puis en 2022. Plus de 1,26 milliard sont aujourd'hui provisionnés : l'estimation est raisonnable.

Éric Bocquet pose la question de la dette française, détenue pour moitié par les non-résidents et pour moitié par les résidents, dont 20 % par l'Eurosystème. Sur la totalité de notre dette, 50 % seraient achetés par les banques centrales, de toute zone géographique. La dette française n'est donc pas majoritairement détenue pas des fonds spéculatifs, ce qui est rassurant. Cela ne veut pas dire qu'ils ne sont pas utiles : ce qui compte, c'est la diversification des investisseurs, qui achètent et qui vendent, pour assurer la liquidité de la dette et faire baisser les taux d'intérêt. La dette permanente existe : tous les ans, nous émettons 260 milliards d'euros, en grande partie pour amortir nos titres arrivés à échéance. Ces 260 milliards d'euros, c'est bien sûr avant le reconfinement du mois de novembre ! Notre besoin de financement de l'État, déjà record à 345 milliards d'euros, pourrait encore augmenter !

Nous remboursons tous les ans 140 milliards de dette passée et nous réempruntons pour les rembourser. Pourrions-nous tout simplement annuler la dette ? En théorie oui, mais il faudrait, en zone euro, changer les traités et que tous les autres pays l'acceptent. En cas d'asymétrie, de décision unilatérale, les taux d'intérêt exploseraient, ce qui conduirait à une dévaluation de la monnaie. Une telle annulation n'est pas souhaitable, car nous perdrions toute crédibilité budgétaire : qui voudrait acheter notre dette ?

La dette japonaise s'élève certes à 230 % du PIB, mais elle est détenue à 90 % par les Japonais. Néanmoins, les taux d'intérêt sont proches de zéro et la croissance difficile à stimuler. Nous préférons l'emprunt Giscard ou l'emprunt Balladur, qui rapportaient plus !

Sébastien Meurant m'a interrogé sur les prêts structurés : plus de 85 % des dossiers ont été traités. La Société de financement local (Sfil), rachetée par la Caisse des dépôts et consignations, s'est largement chargée du sujet de manière exceptionnelle.

Marc Laménie me demande quel est le lien entre l'AFT et la Banque de France : la Banque de France achète, dans le cadre des programmes de rachat mis en place par la Banque centrale européenne, de la dette française. L'AFT doit également s'assurer que le compte de l'État à la Banque de France est toujours créditeur en fin de journée. Il s'agit donc de liens classiques.

Les Green Bonds fonctionnent très bien. Anthony Requin était venu, sur invitation de Vincent Éblé et d'Albéric de Montgolfier, nous parler de la dette verte. Les Green Bonds sont un phénomène particulier : l'encours de l'OAT verte française a atteint 27 milliards d'euros en 2020. Elle est très demandée, même si les banques ne croient pas tellement en nos dépenses écologiques en termes d'investissement : Jean-François Husson ou Christine Lavarde pourraient vous l'expliquer mieux que moi. On ne peut donc pas émettre plus de dette qu'il n'y a de dépenses « vertes » éligibles. Il existe donc un problème d'émission de dette verte : tout le monde en veut, mais il n'y en a pas assez. Il y a donc une prime sur la dette verte. Quant aux rural bonds , il faudrait savoir ce que cela recouvre : qui rembourse et quoi ? Il faudrait également mettre en place un processus de certification !

Par ailleurs, plus vous segmentez votre dette, plus la prime de risque est importante et plus les taux d'intérêt sont élevés. Voilà pourquoi il est important de centraliser la dette à l'Agence France Trésor. Dans ce contexte, il est également utile que la Cades soit adossée à l'Agence France Trésor. D'autres dettes seront-elles reprises ? Peut-être, c'est d'ailleurs souhaitable.

Pour les politiques d'assouplissement monétaire et de rachat de la Banque centrale européenne, François Villeroy de Galhau ne pouvant pas être auditionné pour cause de réserve, nous en saurons plus ultérieurement. Je ne suis pas la madame Irma ni la madame Soleil de la finance ! Mais le consensus veut que ces programmes continuent encore pour un moment.

Victorin Lurel soulève une question de comptabilité : il me semble que la réponse à son interrogation figure sur un compte de commerce.

M. Claude Raynal , président. - Nous entendrons ultérieurement le Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, si possible en fin d'année. Il sera intéressant de l'interroger après la deuxième vague qui amènera des mesures nouvelles.

La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État», du compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et du compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux ». Elle a décidé de réserver sa position sur les crédits du compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».

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* *

Réunie à nouveau le mercredi 18 novembre, sous la présidence de M. Claude Raynal, la commission a examiné les crédits du compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » précédemment réservés.

M. Claude Raynal, président . - Nous passons au compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».

M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial . - Ma préoccupation portait sur les avances prévues pour aider les aéroports, car le système de comptes d'avances ne me semblait pas totalement pertinent du point de vue de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). C'était donc plus un problème de forme que de fond et, après le court et brillant exposé de Vincent Capo-Canellas ce matin démontrant combien ces aides sont vitales pour le secteur aérien, j'émets un avis favorable.

La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits du compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » .

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* *

Réunie à nouveau le jeudi 19 novembre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission, ainsi que ceux du compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Agence France Trésor

- M. Anthony REQUIN, Directeur ;

- M. Philippe GUYONNET-DUPERAT, chef de bureau, cellule trésorerie.

S&P Global Ratings

- M. Patrice COCHELIN, responsable analytique, notation souveraine et du secteur public ;

- M. Sylvain BROYER, chef économiste Europe ;

- Mme Solange FOUGÈRE, juriste.

FitchRatings

- M. Gergely Kiss, analyste ;

- M. Michele Napolitano, analyste ;

- M. Alex Muscatelli, analyste.


* 1 Hors remboursements et dégrèvements.

* 2 L'article 123 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dispose qu'il « est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées "banques centrales nationales", d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l'Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite ». Concrètement, la Banque de France ayant l'interdiction d'autoriser l'État à être en découvert, le compte unique du Trésor doit toujours être positif en fin de journée.

* 3 Article 92 de la loi n°2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

* 4 L'aide au remboursement est apportée dans la limite d'un taux maximal de 75 % des indemnités de remboursement anticipé, auquel s'ajoute un taux complémentaire maximal de 5 % pour les situations les plus graves.

* 5 Le taux de couverture moyen est égal à la moyenne pour chaque adjudication du rapport entre volume demandé et volume servi, pondéré par le volume servi. Source : documents budgétaires.

* 6 D'après les informations figurant dans le projet annuel de performances de la mission « Engagements financiers de l'État » annexé au projet de loi de finances pour 2021 et les réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.

* 7 Si la plupart des correspondants du Trésor ne sont pas rémunérés, d'autres le sont à titre exceptionnel, tel les fonds non consommables destinés au financement des investissements d'avenir ou les banques centrales africaines (Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest, Banque centrale des États d'Afrique centrale et Banque centrale des Comores).

* 8 Article 58 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.

* 9 Avis n° 444 (2019-2020) de M. Albéric de MONTGOLFIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 mai 2020 sur le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19.

* 10 Loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 11 Il s'agit de l'inflation annuelle (évolution des prix à la consommation hors tabac) constatés du mois de mai de l'année n au mois de mai de l'année n+1.

* 12 Selon les données transmises en réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.

* 13 Agence France Trésor, Bulletin mensuel du mois de septembre 2020. https://www.aft.gouv.fr/files/medias-aft/7_Publications/7.2_BM/364_Bulletin%20mensuel%20septembre%202020.pdf

* 14 Audition d'Anthony Requin, directeur de l'Agence France Trésor, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale le 15 janvier 2020. http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/cion_fin/l15cion_fin1920037_compte-rendu.pdf

* 15 Rapport d'activité de l'Agence France Trésor pour l'année 2019, p.5. https://www.aft.gouv.fr/files/medias-aft/7_Publications/7.3_RA/RA_2019/RA_AFT_2019_FR_site.pdf ,

* 16 Prévisions avant la quatrième loi de finances rectificative.

* 17 D'après les données figurant dans le document de présentation du projet de loi de finances pour 2021 aux économistes de marché. https://www.aft.gouv.fr/files/medias-aft/2_Cadre%20budgetaire/1.Budget/1.1_PLF/Pr%C3%A9sentation%20PLF%202021%20_%20FR.PDF Ce sont donc les prévisions avant la quatrième loi de finances rectificative.

* 18 Y compris la dette de SNCF Réseau reprise par l'État (programme « Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l'État » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables »).

* 19 Exposé général des motifs du projet de loi de finances pour 2021. Il s'agit des dépenses totales de l'État dans le PLF 2021 courant.

* 20 Selon les réponses apportées au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial, « l'effet calendaire est la variation du coût budgétaire des opérations d'émission et de rachats de titres à moyen et long terme l'année où elles ont lieu. Cette variation retrace les différences entre les dates, les volumes et les taux des opérations conduites les deux années ». L'AFT explique que cet effet est bien moins significatif que les autres.

* 21 Audition de M. Anthony Requin, directeur de l'Agence France Trésor, devant la commission des affaires sociales du Sénat le 23 juin 2020.

* 22 Pour rappel, un titre obligataire a deux caractéristiques : une souche et un coupon. Le coupon d'intérêt permet de rémunérer l'investisseur pour le temps durant lequel il a mis à disposition de l'État une certaine somme d'argent ainsi que le risque qu'il a pris pour ce faire.

* 23 15 à la date de publication de son rapport. Morgan Stanley a été suspendu de son statut de spécialiste en valeur du Trésor pour une période de trois mois, du 04 août au 04 novembre 2020, pour les raisons suivantes : (1) l'exécution de transactions en 2015 ayant eu pour effet de porter gravement atteinte à la liquidité du marché des obligations souveraines françaises, en contradiction avec ses obligations ; (2) le non-respect de son obligation d'information quant à l'existence d'une enquête ouverte à son égard par l'Autorité des marchés financiers. L'Agence France Trésor a annoncé le 03 novembre 2020 le rétablissement du statut de spécialiste en valeur du Trésor (SVT) de Morgan Stanley, suite au respect des mesures de remédiation. https://www.aft.gouv.fr/fr/publications/communiques-presse/03112020-retablissement-statut-svt-morgan-stanley

* 24 Selon les informations transmises au rapporteur spécial, la maturité plus longue de la dette britannique s'explique par la nature des investisseurs acheteurs de sa dette, et notamment le poids des fonds de pension, qui concentrent par ailleurs leurs investissements sur le segment obligataire.

* 25 Le champ de l'enquête semestrielle du FMI est en effet plus large que la dette souveraine puisqu'il couvre l'intégralité des titres obligataires publics et privés émis dans un pays donné.

* 26 Agence France Trésor. OAT verte. Rapport d'allocation et de performance 2019. https://www.aft.gouv.fr/files/medias-aft/3_Dette/3.2_OATMLT/3.2.2_OATVerte/Rapport%20Allocation%20OAT%20Verte%202019.pdf

* 27 L'article 2 de la loi n° 2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie dispose que le Gouvernement doit remettre au Parlement d'ici la fin de l'année 2020 un rapport sur les opportunités pour la Cades de contracter des emprunts à impact social.

* 28 Les cibles sont conventionnellement fixées à 200 % pour les BTF et 150 % pour les OAT.

* 29 Cour des comptes, Le budget de l'État en 2019 (résultats et gestion), 28 avril 2020. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-budget-de-letat-en-2019-resultats-et-gestion

* 30 Le taux implicite de la dette correspond à la charge de la dette en comptabilité maastrichtienne divisée par l'encours de dette en début d'année.

* 31 Fipeco, la charge d'intérêt de la dette publique. https://fipeco.fr/fiche/La-charge-dint%C3%A9r%C3%AAts-de-la-dette-publique

* 32 Cour des comptes. La situation et les perspectives des finances publiques (juin 2020), p. 81.

* 33 Prévisions avant la quatrième loi de finances rectificative.

* 34 Les niveaux de dette/PIB en Allemagne et en France étaient similaires en 2007. En 2019, celui de la France atteignait quasiment 100 %, celui de l'Allemagne parvenait à repasser sous la barre des 60 %.

* 35 Les perspectives sont en général données à un horizon de deux ans.

* 36 La perspective a été abaissée de stable à négative lors de l'évaluation du 15 mai 2020.

* 37 Cour des comptes. La situation et les perspectives des finances publiques (juin 2020), p. 43. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-situation-et-les-perspectives-des-finances-publiques-11

* 38 Ibid., p. 51.

* 39 Haut Conseil des finances publiques. Avis relatif aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2021. https://www.hcfp.fr/liste-avis/avis-ndeg2020-5-loi-de-finances-2021

* 40 Cour des comptes. La situation et les perspectives des finances publiques (juin 2020), p. 13.

* 41 Ibid. pp. 93-95.

* 42 Ce mandat est fixé dans la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.

* 43 C'est l'une des cinq recommandations qui figurent dans la communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat sur La dette des entités publiques. Périmètres et risques (janvier 2019).

* 44 Ministère de l'économie, des finances et de la relance. Prêt garanti par l'État - Tableau de bord interactif. https://www.economie.gouv.fr/covid19-soutien-entreprises/aides-versees-pge

* 45 Pour une description détaillée, se reporter au commentaire de l'article 14 du troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020. Rrapport n° 634 (2019-2020) de M. Albéric de MONTGOLFIER, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, déposé le 15 juillet 2020. https://www.senat.fr/rap/l19-634-2/l19-634-2.html

* 46 Cour des comptes, Le budget de l'État en 2019 (résultats et gestion), 28 avril 2020. https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-budget-de-letat-en-2019-resultats-et-gestion

* 47 Article 26 de la loi n°2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014.

* 48 C'est également l'une des recommandations de la Cour des comptes dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire 2019 de la mission « Engagements financiers de l'État ».

* 49 Réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.

* 50 Loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 51 Le contexte des taux d'intérêts négatifs a conduit l'Agence France Trésor à appliquer un taux plancher de 0 % assorti d'une prime reflétant la différence de qualité entre la signature de l'État et du bénéficiaire. Deux raisons justifient ce choix : (1) ne pas faire peser une charge budgétaire supplémentaire pour l'État ; (2) ne pas déresponsabiliser les tiers bénéficiant d'une avance.

* 52 Article 12 de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.

* 53 C'est pour l'instant moins qu'en 2019, où quatre organismes avaient bénéficié d'une prime de risque nulle : l'Agence de services et de paiement, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'Institut Mines Télécom et le Fonds d'assurance formation des chefs d'entreprises artisanales et CMA France.

* 54 Lancé en 2010, le programme SMP consistait à racheter sur le marché secondaire les obligations souveraines des États de la zone euro confrontés à la défiance des marchés et faisant face, de ce fait, à des primes de risque élevées. Par ce programme, qui a pris fin en septembre 2012, la BCE a procédé au rachat d'obligations de la Grèce, de l'Irlande, de l'Italie, du Portugal et de l'Espagne (ministère de l'économie et des finances).

* 55 Article 91 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 56 Ces crédits n'apparaissent pas dans le projet annuel de performances puisque le choix a été fait de procéder par report de crédits. L'ensemble des autorisations d'engagement nécessaires à la couverture des besoins sur la période 2020-2021 a été consommée et les crédits de paiement nécessaires sont reportés chaque année (15,3 millions d'euros en 2020 et quatre millions d'euros en 2021). Le tableau présenté ici, comme l'indique son titre, ne retrace donc pas strictement les crédits ouverts dans le projet de loi de finances pour 2021 mais l'ensemble des crédits affectés à la participation de la France au désendettement de la Grèce.

* 57 Pour une description détaillée des modifications apportées par cet accord et des conséquences pour la France, se reporter au rapport d'information n° 729 (2019-2020) de Mme Nathalie GOULET et M. Victorin LUREL, fait au nom de la commission des finances, déposé le 30 septembre 2020.

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