II. LA POSITION DE LA COMMISSION : OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE À UN TEXTE SUR LEQUEL LE DÉBAT PARLEMENTAIRE S'APPARENTE À UN SIMULACRE

A. UN EXAMEN PERTURBÉ PAR LA REMISE SIMULTANÉE D'UN BIEN CULTUREL REVENDIQUÉ PAR MADAGASCAR

La commission de la culture a été profondément choquée d'apprendre, par voie de presse, quelques heures à peine après la fin du débat en séance publique au Sénat de ce projet de loi, la remise en catimini aux autorités malgaches, par le biais d'un dépôt, de l'objet décoratif en forme de couronne qui surplombait le dais de la reine Ranavalona III , conservé depuis 1910 au musée de l'Armée suite à son don par Georges Richard, et que l'État de Madagascar a réclamé en février 2020. La ministre de la culture, Roselyne Bachelot, n'avait pas mentionné cette perspective, ni lors de la discussion en séance publique au Sénat la veille, ni lors de son audition une semaine avant devant la commission de la culture, alors même qu'elle avait été spécifiquement interrogée par son président, Laurent Lafon, sur les demandes de restitution susceptibles d'aboutir d'ici 2022.

Même si elle invoque depuis un malencontreux concours de circonstances et souligne le caractère non définitif à ce stade de cette remise, ce dépôt s'inscrit manifestement dans une démarche de restitution , comme l'indiquent le ministère des armées français et le ministère de la culture et de la communication malgache dans un communiqué commun publié le 5 novembre : « cette convention s'inscrit dans le processus de restitution à Madagascar de ce bien culturel, symbole de l'histoire malgache, au titre duquel la France s'engage à initier dans les meilleurs délais les mesures préalables à la procédure pouvant permettre le transfert de propriété de ce bien à Madagascar ».

Déjà critique vis-à-vis des faibles marges de manoeuvre laissées au Parlement dans le cadre de l'examen de ce projet de loi, compte tenu des promesses de restitution déjà formulées par le Président de la République et le Premier ministre, la commission de la culture estime que la remise de ce bien aux autorités malgaches envoie un très mauvais signal à la représentation nationale sur la méthode désormais retenue par le Gouvernement pour traiter des demandes de restitution et qui risquent de se démultiplier. En l'espace d'un an, le Gouvernement a utilisé à trois reprises la voie du dépôt pour retourner des biens culturels revendiqués par des États étrangers, lui permettant ainsi de s'affranchir de l'aval préalable du Parlement, pourtant juridiquement requis pour permettre la sortie définitive des collections de biens appartenant à la Nation et inaliénables en application du code du patrimoine. Cette procédure fut utilisée pour le sabre dit d'El Hadj Omar Tall, remis au Sénégal le 17 novembre 2019, pour les vingt-quatre crânes algériens remis le 3 juillet 2020 à l'Algérie et inhumés dès le surlendemain, et pour la couronne du dais de la reine Ranavalona III, remise à Madagascar le 5 novembre 2020.

Cette méthode, qui constitue un véritable détournement de la procédure de dépôt , exclusivement conçue pour permettre une sortie temporaire du territoire douanier de trésors nationaux, est inacceptable. Elle relègue le Parlement au rôle de chambre d'enregistrement de décisions déjà actées par l'exécutif , au mépris des prérogatives propres au Parlement et donc, de la séparation des pouvoirs. Elle fait prévaloir systématiquement les enjeux diplomatiques sur l'intérêt culturel, scientifique et patrimonial des biens composant les collections publiques françaises. Ces remises en catimini privent également la représentation nationale de leviers pour accroître la diplomatie parlementaire et restreignent l'opportunité pour la communauté scientifique de développer des échanges avec leurs homologues étrangers.

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