B. DES CRITIQUES SUR LA MÉTHODE

Le choix de procéder à la réforme par voie d'ordonnance apparaît rétrospectivement peu justifié : il a enfermé l'élaboration du CJPM dans un calendrier contraint peu propice à une concertation sereine avec l'ensemble des parties prenantes.

1. La constitution d'un groupe de travail

La rédaction du CJPM a été précédée par la création d'un groupe de travail, associant des professionnels de la justice des mineurs et des parlementaires 5 ( * ) , chargé d'en fixer les grands principes. Ce groupe de travail s'est réuni au cours du deuxième semestre de l'année 2018 et a remis ses conclusions à la garde des sceaux, Nicole Belloubet, à la fin du mois de mars 2019.

Le groupe de travail a mis l'accent sur plusieurs grands principes : le maintien de la notion de discernement pour déterminer le seuil de responsabilité pénale ; la souplesse de la réponse éducative ; la lutte contre la récidive et la réinsertion du mineur délinquant ; la place plus importante donnée à la césure du procès pénal, afin qu'une décision soit prise rapidement sur la culpabilité du mineur et sur l'indemnisation des parties civiles, tout en se donnant le temps d'étudier la situation du mineur pour choisir la sanction la plus adaptée ; enfin, la nécessité de répondre aux exigences du Conseil constitutionnel concernant l'impartialité du tribunal pour enfants tout en favorisant la continuité de l'intervention du juge des enfants auprès d'un même mineur.

Ce travail préparatoire aurait pu être suivi de l'élaboration d'un projet de loi soumis à l'examen du Parlement mais le Gouvernement a préféré demander au Parlement à être habilité à adopter la réforme par voie d'ordonnance.

2. Le choix d'une habilitation

Le 23 novembre 2018, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement, devenu l'article 93 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, tendant à l'habiliter à réformer par ordonnance le droit pénal applicable aux mineurs.

Plus précisément, quatre objectifs étaient assignés à la réforme :

- simplifier la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants ;

- accélérer leur jugement pour qu'il soit statué rapidement sur leur culpabilité ;

- renforcer leur prise en charge par des mesures probatoires adaptées et efficaces avant le prononcé de leur peine, notamment pour les mineurs récidivistes ou en état de réitération ;

- enfin, améliorer la prise en compte de leurs victimes.

La commission des lois avait à l'époque critiqué le choix de la procédure ainsi retenue . Elle avait d'abord regretté le recours à la technique de l'habilitation, considérant qu'une réforme de cette importance, sur un sujet si sensible, aurait justifié l'élaboration d'un projet de loi distinct soumis à l'examen du Parlement. Elle avait également contesté le fait que cette demande d'habilitation, qui ne figurait pas dans le projet de loi initial, n'a pas été présentée au Sénat, première assemblée saisie, mais seulement à l'Assemblée nationale, ce qui avait empêché le Sénat de délibérer sur cette demande avant la réunion de la commission mixte paritaire.

En réponse, la garde des sceaux, Nicole Belloubet, avait pris l'engagement de saisir l'occasion de l'examen du projet de loi de ratification pour avoir un débat de fond sur l'ensemble de la réforme et de ne pas faire entrer en vigueur l'ordonnance avant que le débat parlementaire ait eu lieu 6 ( * ) .

La loi a donné au Gouvernement un délai de six mois pour prendre l'ordonnance, ce qui lui a imposé un calendrier très contraint pour finaliser le nouveau CJPM.

3. Une concertation insuffisante

Les organisations syndicales de magistrats comme les syndicats de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) entendus par votre rapporteur ont déploré que la concertation préalable à l'adoption de l'ordonnance ait été trop rapide. Elle n'a pas permis des échanges aussi approfondis qu'ils l'auraient souhaité sur les finalités de la réforme, ses aspects techniques et les conditions concrètes de sa mise en oeuvre.

Si plusieurs groupes de travail internes et mécanismes de concertation ont été mis en place, notamment l'envoi d'un questionnaire à l'ensemble des agents de la PJJ, le sentiment général est celui de l'absence de co-construction, voire de prise en compte effective du point de vue des organisations professionnelles .

Un travail technique a été réalisé en parallèle par la commission supérieure de codification qui s'est réunie à plusieurs reprises en mai et en juin 2019 pour examiner le projet de code de la justice pénale des mineurs et formuler des propositions d'amélioration sur le plan juridique et légistique. La commission a regretté une évolution dans la terminologie, avec l'emploi des formules « mineur de moins de quinze ans » ou « mineur de moins de treize ans » au lieu des formules classiques « mineurs de quinze ans » ou « mineurs de treize ans ». Étymologiquement, le mot mineur vient d'un mot latin qui signifie « plus petit que » ou « inférieur à », de sorte que la formulation retenue peut paraître redondante. Le ministère de la justice a cependant été sensible à l'intérêt de privilégier une expression plus aisément compréhensible par le grand public 7 ( * ) .

Le Gouvernement a également confié à l'inspection générale de la justice (IGJ) le soin de mener une mission d'appui à la mise en oeuvre de la réforme . L'inspection a remis en mars 2020 un premier rapport, complété au mois d'octobre par une note d'étape, suivie en décembre d'un guide d'entrée dans la réforme à l'intention des juridictions et de la PJJ. Ces documents visent à éclairer les acteurs sur les conditions à réunir et les actions à réaliser pour préparer l'entrée en application de l'ordonnance.

4. Une ordonnance dont l'entrée en vigueur s'avère complexe

L'ordonnance a finalement été publiée au Journal officiel le 13 septembre 2019, soit dans le délai prescrit par la loi d'habilitation.

Son article 9 prévoyait initialement une entrée en vigueur à compter du 1 er octobre 2020 , étant précisé que le CJPM a vocation à s'appliquer aux poursuites engagées à compter de son entrée en vigueur . Les poursuites engagées avant son entrée en vigueur resteront soumises aux règles de procédures prévues par l'ordonnance de 1945.

Ces dispositions impliquent donc la coexistence, pendant une période de transition, de la nouvelle et de l'ancienne procédure , ce qui constitue un facteur de complexité difficile à gérer pour les juridictions. C'est la raison pour laquelle la Chancellerie avait souhaité initialement que les juridictions réduisent le stock d'affaires en attente de jugement avant l'entrée en vigueur du CJPM, de manière à ce que cette période de coexistence des deux procédures reste la plus brève possible.

La grève des avocats au début de l'année 2020 puis la crise sanitaire, qui a considérablement réduit l'activité des juridictions pendant le premier confinement, n'ont pas permis d'atteindre cet objectif. Le stock d'affaires en instance de jugement a au contraire augmenté.

La crise sanitaire a également perturbé le déroulement des opérations préalables à la mise en oeuvre de la réforme, qu'il s'agisse des actions de formation auprès des magistrats, des greffiers et des personnels de la PJJ ou du développement des applications informatiques, lesquelles n'auraient sans doute pas pu être menées à terme même en l'absence de crise sanitaire.

Pour ces raisons, le Gouvernement a proposé, à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, de reporter l'entrée en vigueur du CJPM au 31 mars 2021 . Le Sénat a accepté ce report, estimant que les conditions pour une application satisfaisante de la réforme au 1 er octobre 2020 n'étaient pas réunies. Ainsi que l'avait noté à l'époque le rapporteur Muriel Jourda « Ce délai peut paraître court au regard des difficultés à surmonter pour que les nouvelles procédures de jugement puissent être mises en place » 8 ( * ) .

Il s'écoulera ainsi plus de dix-huit mois entre la publication du CJPM et son entrée en vigueur, ce qui conduit à s'interroger sur la pertinence de la méthode retenue : l'élaboration d'un projet de loi n'aurait pas retardé l'application de la réforme, aurait laissé plus de temps à la concertation sur le projet et aurait été plus respectueuse des prérogatives du Parlement.

5. Un débat parlementaire tardif

Alors que l'Assemblée nationale a examiné le texte en décembre 2020, le Sénat en est saisi à la fin du mois de janvier 2021, de sorte que l'adoption définitive du projet de loi de ratification n'aura lieu que quelques semaines avant l'entrée en vigueur de la réforme.

En raison du choix par le Gouvernement de ce calendrier, l'élaboration de la partie réglementaire du code a précédé l'adoption de la partie législative stabilisée, ce qui suggère qu'il sera fait peu de cas des apports qui pourraient résulter de la discussion parlementaire.

Le ministère de la justice a même diffusé aux juridictions de premières notes d'orientation sur la mise en oeuvre de la réforme, qui ressemblent fort à des circulaires, sans attendre l'examen du projet de loi au Sénat.

Entendue par le rapporteur, la directrice de la PJJ, Charlotte Caubel, a fait observer, à raison, que l'information des juridictions et des services de la PJJ devait débuter dès à présent, sans quoi l'échéance du 31 mars ne pourrait être tenue. Il est cependant regrettable que le Gouvernement n'ait pas programmé plus tôt le débat parlementaire, ce qui aurait permis de stabiliser la partie législative avant de rédiger la partie réglementaire du code et de diffuser l'information indispensable sur le terrain.


* 5 Le Sénat était représenté par nos deux anciens collègues Catherine Troendlé et Michel Amiel.

* 6 Entendue par la commission des lois le 30 janvier 2019, la garde des sceaux avait déclaré que « le temps de la ratification sera pleinement employé pour que les deux chambres débattent de cette réforme et modifient le texte que le Gouvernement leur proposera dans le sens qui leur semblera utile ».

* 7 Le code pénal ou le code de procédure pénale continuent à employer l'expression « mineur de ». Une mise en cohérence devra sans doute un jour être effectuée.

* 8 Rapport n° 453 (2019-2020) de Mme Muriel JOURDA, fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19, déposé le 20 mai 2020.

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