C. LE VOTE PAR CORRESPONDANCE DES DÉTENUS

L'article 2 du PJLO autorise les détenus à voter par correspondance pour l'élection présidentielle , en s'inspirant du dispositif mis en oeuvre pour les élections européennes de mai 2019.

1. Le recours au vote par correspondance pour lutter contre l'abstention dans les établissements pénitentiaires

Depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal (1994), les personnes détenues conservent leurs droits civiques, sauf peine complémentaire prononcée par le juge. D'après l'étude d'impact, environ 55 000 détenus sont ainsi en capacité de voter .

Comme l'a souligné le sénateur Alain Marc, l'exercice du droit de vote par les détenus est toutefois rendu difficile par « la nécessaire complexité des démarches exigées pour s'inscrire sur les listes électorales », notamment « au regard des difficultés [sociologiques] de la population carcérale » 40 ( * ) .

En pratique, les détenus peuvent :

- voter par procuration , sous réserve de disposer d'un mandataire de confiance et d'obtenir qu'un officier de police judiciaire (OPJ) se déplace en détention pour établir les procurations ;

- demander une permission de sortir pour se rendre jusqu'au bureau de vote . Les permissions sont cependant interdites pour les personnes placées en détention provisoire, purgeant une longue peine ou soumises à une période de sûreté 41 ( * ) .

L'abstention reste écrasante dans les établissements pénitentiaires : lors de l'élection présidentielle de 2017, 98 % des détenus inscrits sur les listes électorales se sont abstenus, contre un taux d'abstention de 22 % pour le reste des électeurs .

Conscient de cette difficulté, le législateur a pris deux mesures pour faciliter le vote des personnes incarcérées.

D'une part, les détenus sont systématiquement inscrits sur les listes électorales : ils précisent, au moment de leur incarcération, la commune dans laquelle ils souhaitent voter 42 ( * ) . Ils bénéficient d'une certaine souplesse dans le choix de leur commune de rattachement, qui peut être la commune de l'établissement pénitentiaire, leur commune de naissance, la commune où est inscrit un membre de leur famille, etc .

D'autre part, les élections européennes de mai 2019 ont permis d'expérimenter un dispositif de vote par correspondance, sur proposition du Sénat 43 ( * ) .

4 395 détenus ont participé à l'expérimentation, le taux de participation dans les prisons (8 %) augmentant de sept points par rapport aux élections législatives de 2017 44 ( * ) .

Les détenus pouvaient rester inscrits dans leur commune de rattachement. Les plis ont toutefois été dépouillés par un bureau de vote centralisateur, les élections européennes se déroulant dans une circonscription unique.

La participation des détenus aux élections

Vote par procuration

Permissions de sortir

Vote par correspondance

Total

Taux de participation

Élection présidentielle (2017)

853

200

1 053

2 %

Élections législatives (2017)

412

113

525

1 %

Élections européennes (2019)

110

55

4 395

4 560

8 %

Source : étude d'impact, p. 15

À l'issue de cette expérimentation, le législateur a pérennisé le vote par correspondance des détenus pour les élections législatives et les élections locales 45 ( * ) (actuels articles L. 79 à L. 82 du code électoral).

Ce dispositif s'appliquera pour la première fois lors des prochaines élections régionales et départementales, qui pourraient être reportées en juin 2021 46 ( * ) .

Son organisation s'annonce toutefois plus complexe que pour les élections européennes : en l'absence de circonscription unique, les bulletins de vote des détenus ne pourront pas être centralisés dans un même bureau de vote.

Si elles souhaitent voter par correspondance, les personnes incarcérées devront donc s'inscrire dans la commune chef-lieu du département de leur établissement pénitentiaire , en lieu et place de leur commune de rattachement.

La création de bureaux de vote dans les prisons :
une alternative repoussée par le Gouvernement

Dès 2012, les sénateurs Jean-René Lecerf et Nicole Borvo Cohen-Seat ont proposé d'installer des bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires 47 ( * ) . Cette proposition a également été reprise par plusieurs associations, dont le collectif Robin des lois.

Le Gouvernement s'y oppose toutefois, préférant l'organisation d'un vote par correspondance .

D'après l'étude d'impact, la tenue de bureaux de vote serait « difficile du fait du risque de déstabilisation du corps électoral municipal dans les communes où sont implantés les établissements pénitentiaires ». Dans l'exemple de la commune de Liancourt (Oise), les détenus sont deux fois plus nombreux que les électeurs inscrits.

Cette proposition « comporterait également des enjeux de sécurité liés au manque de personnel pénitentiaire le dimanche, jour de scrutin, pour sécuriser les opérations électorales, avec la présence nécessaire en outre des délégués des candidats pour contrôler les opérations de vote dans les établissements pénitentiaires ».

Elle pourrait, enfin, remettre en cause le secret du vote dans les établissements pénitentiaires qui comptent peu de détenus . D'après le ministère de l'intérieur, on dénombre actuellement un seul détenu dans la prison de Saint-Pierre-et-Miquelon et six détenus dans celle de Val-de-Briey (Meurthe-et-Moselle).

2. Le projet de loi organique : étendre le vote par correspondance des détenus à l'élection présidentielle

Lors de l'élection présidentielle, les personnes placées en détention provisoire et les détenus purgeant une peine n'entraînant pas une incapacité électorale pourraient :

- voter par procuration ou demander une permission pour se rendre jusqu'à leur bureau de vote (droit en vigueur) ;

- ou voter par correspondance (PJLO).

Sur le plan constitutionnel, cette nouvelle modalité de vote se justifierait par la situation particulière des détenus et les difficultés qu'ils rencontrent dans l'exercice de leur droit de vote.

Le vote par correspondance serait organisé dans les mêmes conditions que pour les élections européennes de mai 2019 .

L'organisation du vote par correspondance pour l'élection présidentielle

- Inscription pour participer au vote par correspondance

Les détenus souhaitant voter par correspondance devraient en faire la demande auprès de l'administration pénitentiaire . D'après les informations recueillies par le rapporteur, cette demande pourrait être effectuée jusqu'au sixième vendredi précédant le scrutin , ce qui correspond également au délai limite pour l'inscription sur les listes électorales.

À titre dérogatoire, les détenus qui ont choisi cette modalité de vote pour les élections locales ou législatives seraient réputés la conserver, sans inscription préalable auprès de l'administration.

L'INSEE serait informé du choix des électeurs et l'indiquerait dans le répertoire électoral unique (REU). Les détenus pourraient rester inscrits sur la liste électorale de leur commune de rattachement : contrairement aux élections locales et législatives, ils ne seraient pas contraints de s'inscrire dans la commune chef-lieu du département de leur établissement pénitentiaire.

- Organisation des opérations électorales

Le vote par correspondance serait organisé sous enveloppe fermée , « dans des conditions permettant de respecter le caractère secret et personnel du vote, la sincérité du scrutin ainsi que la sécurité et la sûreté des personnes concernées ». S'il n'est pas prévu d'imposer un isoloir dans les établissements pénitentiaires, le chef de l'établissement devra s'assurer que « chaque électeur est soustrait aux regards pendant qu'il introduit son bulletin dans l'enveloppe électorale » 48 ( * ) .

Le dépouillement serait assuré par un bureau de vote centralisateur, situé au ministère de la justice .

- Dispositifs de contrôle

Une commission électorale veillerait à la bonne organisation du scrutin ainsi qu'à « la régularité et à la sincérité des opérations de vote ». Elle établirait la liste d'émargement du vote par correspondance - qui ne serait pas rendue publique - et procéderait au recensement des votes.

Pour éviter tout « double vote », les électeurs qui opteraient pour le vote par correspondance ne pourraient pas voter à l'urne ni par procuration .

Une seule exception serait prévue, pour les personnes dont la détention prend fin avant le scrutin : dans une telle hypothèse, l'administration supprimerait la mention : « ne vote pas dans la commune » sur la liste électorale 49 ( * ) , les électeurs pouvant voter à l'urne ou par procuration.

Les modalités concrètes de cette procédure seraient fixées par décret. Interrogés par le rapporteur, les représentants du ministère de l'intérieur ont indiqué qu'ils envisageaient « la remise d'un certificat du chef d'établissement [à l'électeur sorti de détention] lui permettant de voter en le présentant au président du bureau de vote ».

Vote par correspondance : comparatif des dispositifs

Élection présidentielle et élections européennes

Élections locales et élections législatives

Circonscriptions

Une circonscription nationale

Plusieurs circonscriptions territoriales

Commune d'inscription sur les listes électorales

Toute commune de rattachement

Commune chef-lieu du département de l'établissement pénitentiaire

Inscription au vote par correspondance

Sur demande, sauf inscription automatique pour les détenus ayant choisi le vote par correspondance pour les élections locales et législatives

Sur demande

Dépouillement et proclamation des résultats

Bureau de vote centralisateur (situé au ministère de la justice)

Bureaux de vote de la commune chef-lieu

Contrôle du scrutin

Commission électorale

(organe ad hoc)

Maire de la commune chef-lieu et, dans les communes de plus de 20 000 habitants, commissions de contrôle des opérations électorales

Prise en charge des frais d'organisation

État

Source : commission des lois du Sénat

Souscrivant à cette procédure de vote par correspondance des détenus, la commission a adopté l'amendement rédactionnel COM-26 de son rapporteur .


* 40 Avis budgétaire « Administration pénitentiaire » n° 153 (2018-2019) fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi de finances pour 2019, p. 43-44.

* 41 Article D. 143-4 du code de procédure pénale.

* 42 Article 112 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique (aujourd'hui codifié aux articles L. 12-1 et L. 18-1 du code électoral).

* 43 Article 87 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 44 3 980 détenus supplémentaires s'étaient portés volontaires pour l'expérimentation mais n'ont pas pu y participer, faute d'inscription sur les listes électorales. Cette difficulté est aujourd'hui surmontée par l'inscription systématique des détenus sur les listes électorales (voir supra ).

* 45 Article 112 précité de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019.

* 46 Projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique (en cours d'examen devant le Parlement).

* 47 Rapport d'information n° 629 (2011-2012) sur l'application de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009.

* 48 Article R. 83 du code électoral.

* 49 Lorsqu'un électeur sort de détention après le délai limite pour s'inscrire sur la liste électorale, il est maintenu sur la même liste que pendant son incarcération (article L. 12-1 du code électoral).

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