II. SI LA PROPOSITION DE LOI ENVOIE UN SIGNAL POSITIF AU-DELÀ DE LA COMMUNAUTÉ DES COLLECTIONNEURS, UNE DISPOSITION LÉGISLATIVE SPÉCIFIQUE POUR LES VOITURES DE COLLECTION NE SEMBLE PAS INDISPENSABLE ET S'ARTICULERAIT MAL AVEC LE CADRE JURIDIQUE EXISTANT

1. Un signal positif pour soutenir une filière dont l'attrait va bien au-delà de la communauté des voitures de collection

L'initiative sénatoriale lancée par M. Jean-Pierre Moga a réuni 80 signataires. Elle envoie un message positif non seulement aux collectionneurs de voitures d'époque mais aussi :

• à des millions de sympathisants ;

• aux territoires qui organisent 6 000 à 7 000 manifestations par an autour de voitures de collection ;

• et au dynamisme de toute la filière économique « voitures historiques » qui représenterait en 2020, d'après la Fédération française des véhicules d'époque, 24 000 emplois, directs ou indirects, et 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires . L'attractivité de ce secteur, et son poids économique croissant, ne sont d'ailleurs plus à démontrer : il s'agit d'une filière qui a en 6 ans créé 4 000 emplois en France. Peu de secteurs peuvent afficher une telle dynamique.

Au-delà de considérations économiques, l'enjeu de cette proposition de loi est également la préservation d'un patrimoine industriel et de moments de convivialité dont notre pays a tant besoin aujourd'hui. Le passage des voitures de collection suscite l'enthousiasme et aussi l'apaisement dans les grandes agglomérations où la circulation est trop souvent crispée par des tensions entre les voitures, les deux roues, les vélos, les trottinettes et les piétons. Ainsi, ce sont plus de 130 000 personnes qui se sont rendues au salon Rétromobile à Paris, un des nombreux événements qui viennent attester du caractère populaire de ce patrimoine roulant.

Au moment où l'on souhaite relocaliser l'industrie sur nos territoires, il est essentiel de rappeler l'attrait des beaux objets et du design pour stimuler la montée en gamme de notre économie. Ce n'est pas un hasard si l'industrie automobile allemande s'appuie sur des centres de formations d'apprentis avec une présence visible des voitures de prestige. En France également, plusieurs programmes de transmission des savoirs ont émergé autour de ces véhicules, avec la création de certificats de qualifications professionnels qui témoignent de l'intérêt que la filière suscite auprès des jeunes générations.

Les auditions conduites par la rapporteure ont montré que les collectivités ayant mis en place des zones à faibles émission (ZFE-m) prennent parfaitement en compte les éléments d'appréciation résumées ci-dessus. En effet , les quatre ZFE-m mises en place jusqu'ici ont toutes accordé des dérogations pour les véhicules de collection , le processus de concertation déployé lors de leur mise en oeuvre permettant de faire remonter les préoccupations légitimes des propriétaires de ces véhicules. Les collectivités reconnaissent le faible enjeu en matière d'émissions de ces véhicules, et sont ouverts à une dérogation généralisée les concernant.

Il n'y a donc, à ce stade, ni urgence ni menace immédiate - bien au contraire. Alors que le dispositif des ZFE-m est appelé à se généraliser, il est fort probable que ces véhicules de collection continueront à être inclus dans les dérogations prévues par les collectivités .

2. Le dispositif législatif envisagé par la proposition de loi

L'article 1 er propose :

• de créer, par dérogation à l'identification des véhicules à moteur selon leur contribution à la limitation de la pollution atmosphérique et sur leur sobriété énergétique, une vignette « collection » pour les véhicules disposant d'un certificat d'immatriculation avec la mention « véhicule de collection ». L'article prévoit en outre que la catégorie des véhicules de collection serait définie par voie réglementaire ;

• d'exclure les véhicules de collection disposant de cette vignette des mesures de restriction de circulation applicables en raison de la mise en place d'une ZFE.

Il est nécessaire de noter que cette dérogation ne s'appliquerait qu'aux véhicules disposant d'un certificat d'immatriculation de collection , et non pas à l'ensemble du parc éligible à cette certification au sens de l'article R.311-1 du code de la route. Elle ne concerne donc que 152 000 véhicules parmi les 900 000 véhicules historiques.

L'article 2 renvoie à un décret d'application le soin de préciser les modalités d'application relatives à la vignette « collection ».

L'article 3 traite des conséquences financières pour l'État de la proposition de loi (gage).

3. Une disposition législative spécifique pour les voitures de collection s'articulerait mal avec le cadre juridique existant des zones à faibles émissions, pour lequel des alternatives existent déjà

Au regard du fort engouement que suscite la question des voitures de collection, et des possibilités de dérogation déjà prévues par la loi, il s'agit de déterminer si, au-delà du signal positif qu'envoie cette proposition de loi, il est opportun de voter une loi qui consacrerait la libre circulation des voitures de collection.

Dans le cas présent, il s'agit de souligner notamment que l'intervention du législateur produirait, dans notre droit, une dissymétrie peu compréhensible avec :

• une loi spécifique pour les voitures de collection ;

• un décret qui accorde des dérogations nationales pour tous les autres cas : voitures de police, de pompier, véhicules portant une carte de stationnement pour personnes handicapées... etc.

En effet, si la dérogation peut être raisonnable pour les véhicules de collection, elle ne l'est pas moins pour d'autres catégories de véhicules, qui sont pourtant soumis aux modalités réglementaires prévues par la loi pour obtenir leurs dérogations. Si l'on s'écarte de ce parallélisme des formes, la cohérence de l'outil des ZFE m pourrait s'en trouver fragilisée.

La Fédération Française des Véhicules d'Époque (FFVE) a rappelé, en audition, le modèle allemand, qui fonctionne à la satisfaction de tous depuis douze ans et facilite la circulation de 595 000 véhicules de collection à travers les 85 zones écologiques allemandes. Or en toute rigueur et cohérence, pour transposer cet exemple allemand, il faudrait emprunter la voie du décret. Il suffirait de compléter la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales (II de l'article R. 2213-1-0-1) qui « interdit d'interdire » l'accès à certains véhicules dans les zones à circulation restreinte.

La FFVE et le ministère de la transition écologique ont d'ailleurs indiqué travailler sur la possibilité d'intégrer les voitures de collection aux dérogations nationales prévues par décret . Leurs discussions portent notamment sur un potentiel effet d'aubaine qui existerait pour les propriétaires de véhicules anciens . Interrogée par la rapporteure, l'association France nature environnement a fait part de sa ferme opposition à « l'ouverture d'une boîte de Pandore » en multipliant les exceptions au dispositif .

Le Sénat reste enfin plus que jamais attentif à la nécessité de préserver les libertés locales . C'est d'ailleurs la philosophie des ZFE-m, qui ont été conçues comme des outils à la disposition des collectivités territoriales qui, jusqu'ici, ont toujours accordé une dérogation aux voitures de collection .

Sur la base de ces éléments, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a préconisé de ne pas adopter le dispositif de cette proposition de loi, préférant ainsi faire confiance à l'intelligence territoriale .

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