EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 19 mai 2021, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, vice-président, la commission examine selon la procédure de législation en commission (articles 47 à 47 quinquies du Règlement) le rapport de Mme Jocelyne Guidez sur la proposition de loi, examinée en deuxième lecture, tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d'azote, adoptée par l'Assemblée nationale le 25 mars 2021.

M. Philippe Mouiller , vice-président . - Notre ordre du jour appelle l'examen, en deuxième lecture, du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d'azote.

Je vous rappelle que la Conférence des présidents a décidé que ce texte serait examiné conformément à la procédure de législation en commission (LEC) définie aux articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement du Sénat. Ces dispositions prévoient notamment que le Gouvernement et l'ensemble des sénateurs peuvent participer à la réunion de notre commission. Je salue la présence de M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l'enfance et des familles . - Le temps parlementaire étant ce qu'il est, voilà maintenant un an et demi que nous avons échangé pour la première fois sur cette proposition de loi importante pour la protection de nos enfants, qui a été déposée par Valérie Létard que je souhaite remercier pour son travail précieux. Je suis, en tout cas, heureux d'être de nouveau parmi vous pour ce qui devrait être - je le souhaite - la dernière étape d'examen de ce texte. Les dispositions prévues sont utiles et j'espère qu'elles pourront entrer rapidement en vigueur. Lorsque l'on connaît un peu la situation sur le terrain, on sait que c'est une nécessité !

Le protoxyde d'azote, originellement utilisé comme gaz de pressurisation dans les aérosols alimentaires, comme les siphons culinaires à crème Chantilly, ou bien en milieu hospitalier pour ses propriétés anesthésiques ou analgésiques, est trop souvent détourné de son usage originel pour obtenir des effets psychoactifs, en particulier par des publics jeunes, qui sont malheureusement inconscients des risques engendrés par cette consommation. Ces derniers sont pourtant très élevés, pouvant aller jusqu'à des atteintes du système nerveux central et de la moelle épinière, selon l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

L'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) a montré que cette problématique se posait avec acuité dans certains départements, notamment dans le nord de la France. Toutefois le phénomène est très répandu, et vous êtes nombreux en tant que parlementaires à nous signaler des difficultés.

C'est ce qui a conduit le Gouvernement à soutenir, dès l'origine, cette initiative bienvenue. Les travaux se sont déroulés en bonne intelligence tant au Sénat qu'à Assemblée nationale, et je tiens encore une fois à remercier Valérie Létard et Olivier Henno, au Sénat, ainsi que Valérie Six et Michèle Peyron à l'Assemblée nationale.

À l'Assemblée nationale, d'importantes discussions ont eu lieu sur l'opportunité d'étendre aux majeurs le nouveau délit d'incitation à consommer du protoxyde d'azote. Cela ne nous a pas semblé utile, car le Gouvernement est avant tout attaché à deux équilibres : le maintien de l'autorisation de consommation de ce produit courant et le contrôle des usages détournés, d'une part, et la protection des mineurs et la responsabilisation des majeurs, d'autre part.

La rédaction a cependant évolué sur certains points. Les volumes de ventes seront plafonnés : la limite sera fixée par un arrêté conjoint des ministres de la santé et de l'économie ; ces limites ne concerneront que les particuliers, non les professionnels. Les députés ont aussi interdit la vente des crackers et autres dispositifs qui n'ont, en réalité, d'autre but que de faciliter un usage détourné du protoxyde d'azote. Ils ont aussi étendu aux policiers municipaux la compétence pour constater les infractions prévues par ce texte.

Ce dispositif législatif permettra, je le crois, de lutter contre ce phénomène dangereux pour de trop nombreux jeunes de notre pays. Le texte a aussi eu le mérite de faire en sorte que l'on parle de ce sujet dans le débat public. Des convergences de vues sont apparues à toutes les étapes de la discussion. L'absence d'amendements ce matin en témoigne, et je m'en félicite. J'espère que ce texte entrera rapidement en vigueur.

Mme Jocelyne Guidez , rapporteure . - La proposition de loi tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d'azote, votée à l'unanimité du Sénat en première lecture, a été adoptée par nos collègues députés le 25 mars dernier, à l'unanimité également. Si le texte nous revient, c'est que l'unanimité des députés s'est formée sur une rédaction légèrement différente de la nôtre. Je vous inviterai à joindre notre unanimité à la leur.

Notre rédaction, je le rappelle brièvement, pénalisait l'incitation d'un mineur à faire un usage détourné d'un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs ; interdisait la vente et la cession de protoxyde d'azote aux mineurs dans tout commerce et lieu public ; rendait obligatoire la mention sur tout contenant de protoxyde d'azote de la dangerosité du produit ; obligeait les fournisseurs d'accès à internet et les hébergeurs à informer leurs utilisateurs des interdictions de vente de certains produits aux mineurs ; et il renforçait enfin la prévention des addictions dans le cadre scolaire.

Nos collègues députés ont d'abord clarifié certaines dispositions, notamment sur l'obligation d'étiquetage, sur la compétence des policiers municipaux, gardes champêtres, agents de surveillance et agents de la Ville de Paris pour la constatation des infractions prévues par le texte, ou encore son application à Wallis-et-Futuna.

Ils ont aussi procédé à des modifications plus substantielles.

D'abord, les députés ont étendu l'interdiction de vente aux majeurs dans les débits de boissons temporaires et les débits de tabac. C'est une mesure utile, car les cartouches destinées aux siphons à chantilly n'ont guère besoin d'être vendues ailleurs que dans les commerces de proximité.

Ensuite, ils ont décidé qu'une quantité maximale sera ouverte à la vente de chaque produit dont la provocation à l'usage détourné est réprimée par ce texte. Elle sera fixée par arrêté conjoint des ministres de l'économie et de la santé, une fois que cette loi, qui constitue, je le rappelle, une restriction aux échanges, aura été notifiée à la Commission européenne et après concertation avec les professionnels.

Enfin, ils ont interdit la vente et la cession de « tout produit spécifiquement destiné à faciliter l'extraction de protoxyde d'azote afin d'en obtenir des effets psychoactifs », ce qui vise notamment les crackers , ces ustensiles utilisés pour libérer le contenu des cartouches de gaz avant inhalation.

En visant en première lecture la protection des seuls mineurs, nous avions le sentiment d'avoir approché la limite de ce que nous pouvions faire pour encadrer la délivrance d'un produit qui reste de consommation courante. Les députés ont réussi à repousser un peu cette limite, afin de protéger aussi les jeunes majeurs : c'est tant mieux, et je crois que nous pouvons nous rallier à ces ajouts opportuns, sur lesquels la rapporteure Valérie Six a travaillé efficacement avec les services de l'État et auxquels elle a eu la courtoisie de m'associer très en amont.

Les députés ont en conséquence modifié l'intitulé de la proposition de loi, qui tend désormais « à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote ».

J'en termine avec un double regret, qui ne ternit toutefois pas complètement l'heureuse perspective d'adopter définitivement ce texte.

D'une part, les députés ont estimé que la rédaction de l'article 2 bis , relatif à l'obligation d'information des internautes par les intermédiaires numériques, était ambiguë. Jugeant en conséquence incertaine la portée de l'article, ils l'ont supprimé. On peut s'étonner que l'on n'ait su trouver d'autre moyen de sortir de l'ambiguïté que par la suppression, mais je ne vous proposerai pas de réintroduire cette disposition afin de ne pas ralentir l'entrée en vigueur du texte.

D'autre part, Valérie Six a plaidé fortement, avec le soutien de Valérie Létard et le mien, pour étendre aux majeurs le délit de provocation à faire un usage détourné d'un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs. Le Gouvernement doute manifestement que l'infraction puisse être qualifiée sans difficulté. Cette proposition a donc été repoussée, comme d'autres formulées en séance publique - celle d'interdire la vente de protoxyde d'azote dans les stations-service par exemple - avec la promesse du Gouvernement d'y revenir, le cas échéant, lorsque des éléments permettraient d'étayer une rédaction solide.

Nous pouvons sans doute déplorer ce qui ressemble à de la frilosité, mais nous pouvons aussi bien nous souvenir des mots de Boileau, qui a beaucoup fréquenté le château de Baville situé dans ma commune de Saint-Chéron : « Souvent trop d'abondance appauvrit la matière. » Ce qui est vrai pour l'art poétique l'est d'autant plus en matière législative, sans compter que souvent trop d'abondance ralentit aussi la navette.

Or il se trouve qu'elle dure déjà depuis décembre 2019, et que les jeunes, pendant ce temps, n'ont pas cessé de s'intoxiquer. Ce texte fournit une base déjà très solide à la prévention des comportements dangereux des mineurs et des jeunes adultes : je vous invite donc, mes chers collègues, à l'adopter dans la rédaction qui nous est transmise par l'Assemblée nationale.

Mme Brigitte Micouleau . - Cette proposition de loi avait été adoptée à l'unanimité le 11 décembre 2019 par le Sénat. Un an plus tard, le texte revient en deuxième lecture. Que de temps perdu ! En l'absence de législation, les collectivités ont dû réagir. La ville de Toulouse a ainsi pris un arrêté interdisant la détention, l'utilisation et l'abandon de cartouches de protoxyde d'azote sur le domaine public. L'inhalation récréative de gaz se développe chez les jeunes, comme l'inhalation de gaz déodorant ou d'autres produits. Les séquelles sont toujours les mêmes : intoxications, séquelles neurologiques, etc. Il est donc urgent d'agir.

M. Olivier Henno . - Il suffit de se promener dans les rues de nos communes et de regarder les trottoirs le dimanche matin pour constater l'étendue des dégâts. Il était temps d'agir ! Je salue l'équilibre trouvé par le texte, car il est difficile d'interdire un produit de consommation courante très utilisé en cuisine. La proposition de loi vise l'utilisation détournée de son usage, interdit la vente aux mineurs et met l'accent sur la prévention. L'équilibre obtenu est satisfaisant. Il est important que ce texte entre rapidement en vigueur.

M. Bernard Jomier . - Nous avions voté ce texte à l'unanimité en première lecture. Il n'est pas simple d'encadrer la consommation de ce produit, d'autant que, depuis le premier confinement, le trafic des cartouches de protoxyde d'azote a augmenté. Le parquet de Bobigny estime que certains individus en viennent à délaisser les stupéfiants pour se rabattre sur ce trafic plus rémunérateur et moins risqué pénalement. Les délinquants emploient les mêmes méthodes que les dealers, utilisent les réseaux sociaux pour faire la promotion de leurs produits, fixer des rendez-vous, etc. Je regrette, même si cela ne modifiera pas notre vote, que l'article 2 bis relatif à l'obligation d'information des internautes par les intermédiaires numériques ait été repoussé à l'Assemblée nationale.

Comme vous, monsieur le ministre, j'espère que cette loi suffira à endiguer la diffusion de ces substances dangereuses, mais j'en doute, car on sait que, en matière d'addictions, l'approche par produit n'est guère opérante. L'essentiel est donc de prévenir toutes les addictions. Or, le ministre de l'intérieur a tenu des propos à teneur scatologique sur la consommation de stupéfiants : cela n'a aucun intérêt ! L'essentiel est de renforcer notre politique de lutte contre la toxicomanie et la prévention. Sans cela, ce texte n'aura qu'une portée limitée.

M. Daniel Chasseing . - Ce texte est important. Nous le voterons. L'interdiction de vente aux mineurs est justifiée, car la consommation de protoxyde d'azote entraîne des atteintes au système nerveux central. L'interdiction de la vente des crackers permettra aussi, je l'espère, de limiter la consommation, qui se développe sur tout le territoire. L'information sur la dangerosité du produit est aussi renforcée.

Mme Cathy Apourceau-Poly . - Il est urgent d'agir et surtout de consacrer les moyens nécessaires à la prévention des addictions. Les députés ont modifié l'intitulé de la proposition de loi ; plafonné la quantité de protoxyde d'azote pouvant être vendue aux particuliers ; élargi l'interdiction de vente aux majeurs, dans les débits de boissons temporaires et les débits de tabac ; interdit la vente de crackers ; et précisé les obligations d'étiquetage.

Ils ont aussi prévu la compétence des policiers municipaux, gardes champêtres, agents de surveillance et agents de la Ville de Paris pour la constatation des infractions définies par le texte. Même si les députés ont supprimé l'article 2 bis , qui avait été introduit par le Sénat afin de renforcer les obligations d'information pesant sur les acteurs numériques, nous voterons ce texte.

Mme Michelle Meunier . - J'aimerais en savoir plus sur la prévention. Quelle sera la place du tissu associatif, de tous les acteurs intervenant autour des enfants et des adolescents ? Comment comptez-vous développer la guidance parentale et accompagner les associations qui oeuvrent au soutien à la parentalité et qui peuvent informer les parents sur les conduites à tenir en cas de problème ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . - Je ne peux que vous rejoindre sur le rôle central de la prévention. Ce texte a eu le mérite de porter cette question dans le débat public et de sensibiliser les parents. Il concilie répression et prévention. Les pouvoirs publics, à l'image de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), sont conscients du développement des pratiques consistant à détourner des produits de consommation courante de leur usage. La lutte contre ces pratiques fait partie intégrante de leur mission.

En ce qui concerne l'aide à parentalité, la prévention des conduites addictives fait partie de nos réflexions, entretenues par l'actualité récente, pour analyser le phénomène des bandes de mineurs, ou comprendre comment des jeunes de 13 ou 14 ans peuvent en arriver à poignarder un camarade, comme cela s'est passé récemment dans l'Essonne. Nous travaillons en interministériel sur ce sujet avec les ministères de la justice, de l'intérieur ou de la santé. Nous voulons renforcer les associations de terrain. La prévention spécialisée a déjà fait l'objet d'investissements importants ces derniers mois, dans le prolongement des décisions du comité interministériel de la ville. Nous menons enfin une politique d'accompagnement à la parentalité, notamment à la parentalité numérique, car les parents sont souvent démunis face aux nouveaux comportements de leurs enfants sur les réseaux sociaux.

Mme Jocelyne Guidez , rapporteure . - En décembre 2019, le phénomène concernait surtout le Nord. On voyait des cartouches partout sur les trottoirs, sur la chaussée, dans les caniveaux, etc. Depuis, cette pratique s'est étendue sur tout le territoire, jusque dans nos villages.

Je veux rassurer Mme Micouleau et M. Jomier : le texte ne concerne pas que le protoxyde d'azote. D'une part, le délit prévu à l'article 2 porte sur la provocation d'un mineur à faire un usage détourné d'un produit de consommation courante. D'autre part, seront plafonnées les quantités ouvertes à la vente de chaque produit dont la provocation à l'usage détourné est réprimée par ce texte.

Sur la nécessité de renforcer la prévention des addictions, nous nous rejoignons tous : l'article 2 ter renforce ainsi la prévention à l'école. Cette loi est donc une solide base, et je ne peux que me féliciter du travail entre l'Assemblée nationale et le Sénat.

Mme Véronique Guillotin . - Cette proposition de loi est nécessaire, car on constate sur les trottoirs les ravages occasionnés par cette pratique, tant à la campagne que dans les grandes villes. Elle a l'intérêt de comporter des mesures pour lutter contre le détournement d'usage du protoxyde d'azote. Elle contribue à la sensibilisation des parents qui ne sont souvent pas informés de la dangerosité de ce produit s'il est détourné de son usage. Le vote de ce texte sera l'occasion d'intéresser les médias à ce sujet, et j'invite chacun d'entre nous à relayer ce travail auprès de la presse locale.

Je regrette toutefois la suppression de l'article 2 bis . J'espère que ce texte pourra être appliqué dans de bonnes conditions, car on manque de forces de l'ordre sur le terrain. Il serait intéressant de faire une évaluation dans un an. Enfin, la pratique consistant à détourner un produit de consommation de son usage ne concerne pas que le protoxyde d'azote. L'innovation en la matière est sans limites... Nous devons donc mettre l'accent sur la prévention, l'aide à la parentalité, la sensibilisation dans les écoles, etc. Nous voterons cette proposition de loi avec enthousiasme et sans réserve.

EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE
DE LÉGISLATION EN COMMISSION

Articles 2, 2 ter et 3

Les articles 2, 2 ter et 3 sont successivement adoptés sans modification.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

M. Philippe Mouiller , vice-président . - Je rappelle que nous examinerons ce texte en séance publique le mardi 25 mai prochain. En application de l'article 47 quater du Règlement du Sénat, sauf retour à la procédure normale, seuls seront recevables en séance les amendements visant à assurer le respect de la Constitution, opérer une coordination avec une autre disposition du texte en discussion, avec d'autres textes en cours d'examen ou avec les textes en vigueur ou procéder à la correction d'une erreur matérielle.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

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