EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Cumul d'un mandat parlementaire avec les fonctions de maire,
d'adjoint au maire ou de maire délégué
d'une commune de 10 000 habitants ou moins

L'article 1 er a pour objet de supprimer l'incompatibilité entre le mandat de député ou de sénateur et les fonctions de maire ou d'adjoint au maire dans une commune de 10 000 habitants ou moins.

La commission des lois y a ajouté les fonctions de maire délégué dans une commune nouvelle dont la population totale n'excède pas ce seuil. Elle a également procédé à une coordination rendue nécessaire par la réforme des conseils consulaires.

1. L'interdiction du cumul d'un mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales

1.1. La loi organique du 14 février 2014

Depuis la III e République, le système politique français se caractérisait par la proportion importante des parlementaires qui exerçaient, simultanément à leur mandat de député ou de sénateur, un mandat politique local (conseiller municipal, général ou, plus tard, régional), souvent accompagné de fonctions exécutives au sein de la collectivité territoriale concernée (maire ou adjoint au maire, président ou vice-président du conseil général ou régional) 1 ( * ) .

Alors que la question du bien-fondé de cette « spécificité française » agitait le débat public depuis plus d'une décennie 2 ( * ) , la loi organique du 14 février 2014 3 ( * ) a rendu incompatible le mandat de député ou de sénateur avec toute fonction exécutive locale - mais aussi, lorsque cette fonction est dissociée de celle d'exécutif d'une collectivité territoriale, avec celle de président de son assemblée délibérante, ou encore celles de président ou de membre du bureau de l'Assemblée des Français de l'étranger et de vice-président de conseil consulaire.

Article L.O. 141-1 du code électoral

« Le mandat de député 4 ( * ) est incompatible avec :

« 1° Les fonctions de maire, de maire d'arrondissement, de maire délégué et d'adjoint au maire ;

« 2° Les fonctions de président et de vice-président d'un établissement public de coopération intercommunale ;

« 3° Les fonctions de président et de vice-président de conseil départemental ;

« 4° Les fonctions de président et de vice-président de conseil régional ;

« 5° Les fonctions de président et de vice-président d'un syndicat mixte ;

« 6° Les fonctions de président, de membre du conseil exécutif de Corse et de président de l'assemblée de Corse ;

« 7° Les fonctions de président et de vice-président de l'assemblée de Guyane ou de l'assemblée de Martinique ; de président et de membre du conseil exécutif de Martinique ;

« 8° Les fonctions de président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président d'une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ;

« 9° Les fonctions de président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Polynésie française ; de président et de vice-président de l'assemblée de la Polynésie française ;

« 10° Les fonctions de président et de vice-président de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;

« 11° Les fonctions de président et de vice-président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ; de membre du conseil exécutif de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

« 12° Les fonctions de président et de vice-président de l'organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;

« 13° Les fonctions de président de l'Assemblée des Français de l'étranger, de membre du bureau de l'Assemblée des Français de l'étranger et de vice-président de conseil consulaire.

« Tant qu'il n'est pas mis fin, dans les conditions prévues au II de l'article L.O. 151, à une incompatibilité mentionnée au présent article, l'élu concerné ne perçoit que l'indemnité attachée à son mandat parlementaire . »

1.2. Les principaux arguments avancés pour interdire le cumul des mandats

Plusieurs arguments ont été avancés en faveur de cette réforme.

Selon le Gouvernement de l'époque, il s'agissait de « libérer les parlementaires de responsabilités importantes au sein des exécutifs de collectivités territoriales ou des intercommunalités 5 ( * ) » , afin de prendre acte de l'accroissement - en réalité modeste - des prérogatives du Parlement depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. En d'autres termes, l'exercice de fonctions exécutives au niveau local aurait empêché députés et sénateurs d'exercer pleinement leur mandat, le cumul favorisant au contraire l'absentéisme ou, du moins, une participation insuffisante aux travaux des assemblées. Cet argument en faveur du non-cumul avait déjà été avancé en 2007 par le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la V e République, présidé par Édouard Balladur 6 ( * ) , puis, en 2012, par la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin 7 ( * ) .

Symétriquement, le renforcement des compétences des collectivités territoriales au gré des lois de décentralisation aurait justifié d'interdire aux membres de leur exécutif d'exercer, en sus, un mandat parlementaire national.

En outre, le cumul des mandats apparaissait aux yeux de certains comme « l'institutionnalisation du conflit d'intérêts » , selon la formule du constitutionnaliste Guy Carcassonne 8 ( * ) , la défense des intérêts locaux risquant supposément de prendre le pas, chez les élus concernés, sur celle des intérêts nationaux, alors même que chaque député ou sénateur représente la Nation tout entière.

Par ailleurs, l'interdiction du cumul des mandats pouvait apparaître comme le moyen d'assurer le renouvellement de la classe politique , en augmentant le nombre de titulaires de mandats nationaux et locaux. Plus spécifiquement, certains promoteurs de la réforme en attendaient une meilleure représentation de certaines catégories de population , avec l'entrée au Parlement d'un plus grand nombre de femmes, de membres des classes populaires et de Français issus de l'immigration 9 ( * ) .

Enfin - et cet argument est sans doute l'un de ceux qui ont le plus pesé dans l'opinion - l'on reprochait aux élus concernés, affublés du qualificatif de « cumulards », de percevoir à la fois les indemnités liées à leur mandat parlementaire et aux fonctions exécutives locales qu'ils exerçaient, alors même que les règles légales d'écrêtement n'autorisaient ce cumul que dans la limite d'une fois et demie le montant de l'indemnité parlementaire de base 10 ( * ) .

1.3. Les arguments en défense du cumul des mandats

À l'inverse, les adversaires de la réforme faisaient valoir que la corrélation entre le cumul d'un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale et une faible participation aux travaux des assemblées n'était aucunement démontrée . Les études quantitatives menées à ce sujet souffraient de biais méthodologiques très importants et leurs conclusions se contredisaient mutuellement - nous y reviendrons.

On reprochait surtout au Gouvernement de méconnaître l'incidence de sa réforme sur l'équilibre des pouvoirs . En effet, sous un régime tel que la V e République, où la prépondérance de l'exécutif n'avait fait que s'accroître avec l'instauration du quinquennat présidentiel et l'inversion du calendrier des élections présidentielle et législatives, la possibilité laissée aux parlementaires de détenir des fonctions exécutives locales contribuait à renforcer leur influence et leur autonomie. En ce sens, écrivaient alors quatre éminents universitaires dans une lettre ouverte au Président de la République, « l'exception française du cumul des mandats [était] un contrepoids à l'exception française du cumul des pouvoirs, de la concentration extrême de ces pouvoirs entre les mains du président de la République 11 ( * ) » . De même, le fait qu'un maire ou un président de conseil général dispose d'une tribune au Parlement lui permettait de relayer plus efficacement les préoccupations de ses administrés et de faire contrepoids à la puissance préfectorale .

Dans une veine similaire, on relevait que les élus disposant d'une assise politique locale pouvaient faire preuve d'une plus grande indépendance vis-à-vis des partis politiques nationaux , dont l'investiture jouait un rôle plus important lors des élections nationales, notamment législatives. « Cette réforme va favoriser les apparatchiks qui commencent leur carrière à 20 ans dans les partis et se font désigner dans des circonscriptions faciles au détriment de ceux qui conquièrent le statut de parlementaire par des mandats locaux durement gagnés », prédisait le professeur Olivier Beaud, lors d'une audition organisée par la commission des lois du Sénat 12 ( * ) .

Par ailleurs, comme beaucoup le soulignaient, l'exercice d'un mandat local garantissait l'ancrage territorial des élus nationaux et leur connaissance des réalités vécues par nos concitoyens . À cet égard, certains appelaient à appliquer une règle différente aux sénateurs, afin de prendre en compte la mission de représentation des collectivités territoriales de la République que la Constitution reconnaît au Sénat . Le professeur Dominique Rousseau, favorable au non-cumul pour les députés, se prononçait en faveur du « cumul obligatoire » pour les sénateurs, au motif que « pour représenter les collectivités territoriales, il faut être un élu local 13 ( * ) . »

2. Un bilan incertain

La loi organique du 14 février 2014 est devenue applicable aux députés à compter des élections législatives des 11 et 18 juin 2017 et aux sénateurs à compter du renouvellement partiel du Sénat du 24 septembre 2017. Près de cinq ans après, le bilan de cette réforme reste très incertain et les critiques nombreuses.

2.1. Le non-cumul des mandats a-t-il favorisé le renouvellement de la vie politique ?

Il est incontestable que les élections législatives de 2017 ont été marquées par un renouvellement exceptionnellement important de l'Assemblée nationale , puisque environ 75 % des députés nouvellement élus ne l'étaient pas auparavant, alors que la part des non-sortants n'était que de 40 % en 2012 et 25 % en 2007 14 ( * ) . Toutefois, ce phénomène est sans doute lié à l'émergence d'un nouveau parti politique , La République en Marche, devenu majoritaire dans le sillage de l'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République, bien davantage qu'au non-cumul des mandats .

Certes, de nombreux députés sortants qui exerçaient par ailleurs les fonctions de maire, de président d'un conseil départemental ou régional ont alors fait le choix de conserver leurs fonctions locales plutôt que de se porter candidat à leur réélection à l'Assemblée nationale, et le même constat a pu être fait au Sénat 15 ( * ) . Mécaniquement, l'interdiction du cumul a eu pour effet d'augmenter le nombre de personnes exerçant les fonctions politiques les plus « en vue » que sont le mandat de député ou de sénateur et des fonctions au sein d'un exécutif local. En revanche, la proportion de parlementaires qui conservent un mandat local (non exécutif) reste importante, à l'Assemblée nationale comme au Sénat , ce qui tend à montrer que le non-cumul a plutôt conduit à redistribuer mandats et fonctions au sein d'un « personnel politique » qui n'a été que modérément élargi . Le groupe La République en marche de l'Assemblée nationale fait seul exception, situation qui n'a guère évolué à l'issue des élections locales de 2020 et 2021, marquées par les mauvais scores de la majorité présidentielle.

Les parlementaires exerçant un mandat local non exécutif (février 2018)

Assemblée nationale

Sénat

LREM

Hors LREM

Total

Nombre de parlementaires exerçant un mandat local

118
(38 %)

203
(78 %)

321
(56 %)

259
(74 %)

Nombre de parlementaires n'exerçant aucun mandat local

192
(62 %)

58
(22 %)

250
(44 %)

89
(26 %)

Total

310

261

571

348

Source : B. Dolez, « Parlementaire : un mandat dévalué... », loc. cit .

Les parlementaires exerçant un mandat local non exécutif (octobre 2021)

Assemblée nationale

Sénat

LREM

Hors LREM

Total

Nombre de parlementaires exerçant un mandat local

98
(36 %)

224
(74 %)

322
(56 %)

223
(64 %)

Nombre de parlementaires n'exerçant aucun mandat local

171
(64 %)

77
(26 %)

248
(44 %)

125
(36 %)

Total

269

301

570

348

Source : commission des lois du Sénat

On note toutefois que la part des sénateurs exerçant un mandat local a diminué assez sensiblement entre 2018 et 2021, passant de 74 % à 64 %, ce qui pourrait être un effet de l'interdiction du cumul - certains sénateurs renonçant à se présenter aux élections locales, faute de pouvoir exercer de fonctions exécutives dans leur collectivité. Il est vrai que la quasi-totalité des sénateurs ont exercé au moins un mandat local dans leur vie, ce qui n'est pas le cas des députés.

L'interdiction du cumul des mandats a-t-elle favorisé l'entrée au Parlement de catégories de population qui y étaient jusque-là sous-représentées, comme l'espéraient certains de ses promoteurs ? Cela paraît pour le moins douteux .

Certes, la proportion de femmes dans chacune des deux assemblées a continué de progresser , ce qui est sans doute plutôt lié à l'évolution des mentalités... et à l'instauration, puis à l'aggravation des pénalités financières vis-à-vis des partis qui investissent trop peu de femmes (ou d'hommes) aux élections législatives, ainsi qu'à la règle de parité stricte sur les listes de candidats aux élections sénatoriales, dans les départements dont les sénateurs sont élus au scrutin de liste.

La proportion de femmes au Parlement (en pourcentage)

Source : D. Andolfatto,
« La nouvelle sociologie de l'Assemblée nationale... »,
loc. cit .

En revanche, la part des catégories socio-professionnelles dites supérieures est restée écrasante au sein des assemblées, les élections législatives de 2017 n'ayant abouti, chez les députés, qu'à une meilleure représentation des chefs d'entreprise et cadres du secteur privé , par rapport aux fonctionnaires et autres agents publics.

La répartition des députés par catégorie socio-professionnelle (en pourcentage)

Source : D. Andolfatto,
« La nouvelle sociologie de l'Assemblée nationale... »,
loc. cit .

2.2. Le non-cumul a-t-il rendu les parlementaires plus assidus ?

Quelques rares études étaient parues, avant l'entrée en vigueur de la réforme de 2014, pour tenter de mesurer l'impact, sur l'exercice du mandat parlementaire, du cumul de celui-ci avec une fonction exécutive locale .

Malgré la sophistication des modèles mathématiques parfois employés, ces études reposent sur une base friable, car la mesure de l'intensité du travail parlementaire prend appui sur des indicateurs très partiels et contestables . À titre d'exemple, dans un article paru en 2014, Abel François et Laurent Weill se fondent sur un « score d'activité » qui agrège le nombre de propositions de loi signées ou cosignées en tant que mesure de la participation des parlementaires à l'activité législative, le nombre de rapports d'information signés ou cosignés en tant que mesure de la participation aux travaux de contrôle, et le nombre de questions écrites ou orales en tant que mesure de la « représentation de l'électorat », ces trois fonctions étant censées constituer, au même niveau et à parts égales, la mission d'un parlementaire 16 ( * ) . Il est pourtant bien évident que la participation aux travaux législatifs, par exemple, peut prendre bien d'autres voies que la simple signature de propositions de loi. L'élaboration d'un rapport législatif, le dépôt d'amendements et tout le travail préparatoire de consultation, de négociation et d'expertise juridique qu'ils supposent, sont ici passés sous silence. Toute considération qualitative est également écartée. D'autres auteurs ont recours à des indicateurs plus variés, tels que le nombre d'interventions en séance ou en commission, la présence dans les délégations, groupes d'études et structures temporaires, ou encore dans les organismes extraparlementaires, sans que cela soit beaucoup plus convaincant : le discours le mieux informé et le plus charpenté y est, par exemple, mis sur le même plan qu'une simple interjection...

Dès lors, il n'est guère étonnant que ces études parviennent à des résultats divergents en ce qui concerne l'incidence du cumul des mandats sur le travail parlementaire . En se fondant sur des données relatives aux années 1988-2011, l'économiste Laurent Bach estimait que le cumul réduisait l'activité des députés à l'Assemblée nationale, cet impact étant d'autant plus important que leur collectivité comptait davantage d'habitants 17 ( * ) . Le politologue Luc Rouban mettait à mal cette appréciation, en se fondant sur des données de même nature, relatives à la seule XIII e législature (2007-2012) : selon lui, le « niveau global d'activité » diminuait certes légèrement avec le niveau des responsabilités exercées au niveau local, mais « avec de tels écarts-types qu'il [eût été] bien risqué d'y voir une association statistique claire ». Par ailleurs, la taille des communes au sein desquelles les députés concernés exerçaient les fonctions de maire ou un simple mandat municipal était, selon lui, sans incidence sur leur activité au Parlement ; il n'existait pas non plus de corrélation linéaire entre le nombre de mandats locaux (qui pouvait, dans certains cas, être supérieur à un) et l'investissement dans le travail parlementaire 18 ( * ) . Enfin, Abel François et Laurent Weill, dans leur étude précitée, aboutissaient à la conclusion inattendue selon laquelle les députés en situation de cumul étaient plus actifs que les autres...

Aucune étude statistique ne semble avoir encore été, depuis 2017, réalisée sur l'impact du non-cumul sur l'intensité du travail parlementaire . Il est à craindre que leurs résultats ne soient guère plus probants. Il serait d'ailleurs difficile de faire la part des choses entre ce que l'on peut imputer au non-cumul ou à l'évolution de la réglementation interne de chaque assemblée 19 ( * ) .

2.3. Non-cumul et équilibre des pouvoirs

Il est plus délicat, pour le rapporteur de la commission des lois, de porter une appréciation sur l'incidence du non-cumul des mandats sur l'équilibre des pouvoirs entre le Parlement et les deux branches de l'exécutif.

Il est manifeste que le quinquennat actuel n'a pas été marqué par un renforcement du Parlement , qui a trop souvent consenti à abandonner au Gouvernement l'exercice du pouvoir législatif - le recours aux ordonnances, y compris sur des sujets éminemment politiques, a connu une spectaculaire progression au cours des dernières années 20 ( * ) - et, du moins en ce qui concerne l'Assemblée nationale, n'a exercé qu'avec beaucoup de retenue sa fonction de contrôle et d'évaluation des politiques publiques, comme on a pu le constater lors de l' « affaire Benalla ». Cet affaiblissement du Parlement a certes de multiples causes, entre lesquelles il faut faire la part de l'alignement de la durée du mandat présidentiel et du mandat des députés, de l'affaiblissement des partis politiques, du style d'exercice du pouvoir de l'exécutif actuel et de la conception même que certains parlementaires se font de leur rôle institutionnel.

Force est néanmoins de constater que, du fait du non-cumul, le Parlement a perdu quelques grandes voix , qui portaient. Quand le sénateur-maire de Lyon ou de Marseille, le député-maire de Caen ou d'Annecy, quand un parlementaire exerçant par ailleurs les fonctions de président d'un conseil général ou régional défendait une position, fort de sa double légitimité et de son expérience locale, il était écouté, à défaut d'être toujours suivi. S'agissant des parlementaires de la majorité, il est vraisemblable, quoique difficilement démontrable, que le non-cumul les ait privés d'une marge d'autonomie à l'égard de l'exécutif 21 ( * ) .

Ce qui est peut-être plus préoccupant encore pour l'avenir, quoique difficilement audible pour l'opinion publique, c'est l'incidence du non-cumul sur l'attractivité du mandat parlementaire . Lors de l'entrée en vigueur de la réforme, on a constaté que bon nombre d'élus en situation de cumul choisissaient de conserver leur mandat local plutôt que national. Comme le relevait la députée Marie Guévenoux, « la fonction exécutive, même locale, est ressentie par la classe politique comme moins frustrante que celle de député ». Un parlementaire, à lui seul, n'a guère d'influence sur le cours des choses, car l'essentiel des pouvoirs appartiennent aux assemblées (ou au Parlement tout entier) et non à leurs membres. En outre, compte tenu de la pratique institutionnelle, de la discipline majoritaire et du poids de l'administration, la majorité parlementaire elle-même n'exerce qu'une influence limitée sur les lois effectivement promulguées ; les groupes d'opposition n'en exercent presque aucune. Quant aux moyens de contrôle et d'évaluation des assemblées, ils sont notoirement insuffisants.

Par ailleurs, les députés et, à un moindre degré, les sénateurs sont plus exposés aux vicissitudes de la vie politique que les élus locaux. Les changements de majorité sont plus fréquents à l'Assemblée nationale que dans les assemblées locales. Un député ou un sénateur non réélu se trouve désormais privé de tout mandat électif - sauf, le cas échéant, un mandat local non exécutif. Dès lors, il est compréhensible que certains fassent le choix de conserver plutôt leurs mandats locaux, d'autant que ceux-ci peuvent, dans certaines limites, être cumulés entre eux, de sorte qu'un ancien maire, battu aux élections municipales, peut conserver par exemple ses fonctions de vice-président du conseil régional au lieu de perdre toute attache avec la vie politique locale.

Ces différents facteurs contribuent, comme le notait le professeur Bernard Dolez, à la « dévaluation » du mandat parlementaire par rapport aux mandats locaux. Or, il est à peine besoin de le dire, notre démocratie a besoin que des femmes et des hommes de talent choisissent de s'engager dans la vie parlementaire et d'exercer pleinement les prérogatives que la Constitution reconnaît au Parlement, pour faire contrepoids à l'hypertrophie de l'exécutif.

2.4. La question récurrente de la « proximité »

Le non-cumul des mandats n'est peut-être pas non plus étranger au sentiment de déconnexion entre les Français et leurs représentants , qui ne s'est jamais exprimé aussi fortement que depuis quelques années. Renouer avec davantage de « proximité » dans l'action publique est aujourd'hui un impératif largement partagé.

Non seulement un parlementaire qui exerce - ou qui, du moins, a exercé - une fonction exécutive locale est mieux au fait des questions qui touchent directement ou indirectement à la gestion publique locale, lorsqu'elles sont abordées au Parlement, qu'il s'agisse des transports publics, de l'action sociale, de la sécurité du quotidien ou de tant d'autres questions. Mais il dispose également de sources d'information et de relais qui lui permettent de mieux saisir les attentes et les préoccupations de nos concitoyens, voire d'anticiper les crises. Au début de l'année 2019, au moment de la crise dite des Gilets jaunes , Olivia Grégoire, alors députée du groupe LREM, reconnaissait que ses collègues qui avaient été maires avaient « senti plus tôt ce qui se passait 22 ( * ) » .

Il n'est donc pas étonnant que les premières initiatives visant à remettre en cause la règle du non-cumul, au sein de la majorité présidentielle, datent de cette période troublée.

2.5. Une remise en cause de plus en plus forte de la réforme de 2014

Le bilan pour le moins mitigé de l'interdiction du cumul des mandats explique que des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour le remettre en cause .

On observera d'abord que, le non-cumul de fonctions ministérielles avec des fonctions exécutives locales n'étant qu'une simple coutume et non une règle de droit 23 ( * ) , plusieurs ministres, non des moindres, s'en sont affranchis sans que ni le Président de la République, ni le Premier ministre, ni la majorité parlementaire n'y trouvent à redire. Ce fut le cas, dès avant l'entrée en vigueur du non-cumul pour les parlementaires, de Jean-Yves Le Drian qui, ministre de la défense des gouvernements de Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, exerça simultanément les fonctions de président du conseil régional de Bretagne entre le 18 décembre 2015 et le 2 juin 2017. Pendant l'actuel quinquennat, Gérald Darmanin cumula les fonctions de maire de Tourcoing avec celles de ministre de l'action et des comptes publics du 17 mai 2017 au 9 septembre 2017, puis avec celles de ministre de l'intérieur du 23 mai au 3 septembre 2020. Sébastien Lecornu , ministre des outre-mer, préside le conseil départemental de l'Eure depuis le 1 er juillet 2021.

Dans la majorité présidentielle et jusqu'au sommet de l'État, l'on s'interroge de plus en plus ouvertement sur le bien-fondé de la réforme de 2014 . Le 6 janvier 2019, lors d'une réunion à Grand-Bourgtheroulde avec plusieurs centaines de maires de Normandie dans le cadre du « grand débat national », le président de la République Emmanuel Macron déclarait : « Je suis assez partisan de redonner du temps au législateur pour aller sur le terrain. Faut-il en même temps lui permettre de ravoir des mandats locaux, en tout cas dans une certaine proportion, sans être dans des exécutifs de premier plan ? Peut-être . » Le 30 janvier suivant, sur France Inter, le Premier ministre Édouard Philippe rappelait son opposition au projet de loi organique lors de son examen en 2013-2014 (« J'étais député-maire et je trouvais que c'était utile à la fois pour mon mandat de maire et pour mon mandat de député ») et réaffirmait sa perplexité sur l'application d'une telle règle aux élus des communes les moins peuplées (« Pour les maires des petites communes, je vois mal que ce soit incompatible »). Plusieurs députés de la majorité, appartenant aux groupes LREM et Modem, ont alors envisagé le dépôt de propositions de loi organique pour assouplir la règle de non-cumul, avant d'y renoncer.

La question a ressurgi à la suite des élections départementales et régionales de juin 2021, marquées par une abstention exceptionnellement élevée où l'on a pu voir un nouveau signe de « déconnexion » entre les Français et leurs représentants. Le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand a ainsi déclaré vouloir réexaminer cette question dans le cadre des travaux de la mission d'information (encore en cours) visant à identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale 24 ( * ) .

Certains des promoteurs de la réforme de 2014 confessent eux-mêmes leurs doutes . L'ancien Président de la République François Hollande aurait ainsi reconnu que ce n'était « peut-être pas une bonne idée » mais qu'elle lui avait été imposée par les rapports de force politiques au sein du parti socialiste, et qu'elle aurait dû, en tout état de cause, s'accompagner d'un renforcement des pouvoirs du Parlement, visant à lui donner « plus de moyens d'investigation et de capacité de contrôle 25 ( * ) ».

3. La proposition de loi organique : le rétablissement d'une possibilité de cumul d'un mandat parlementaire avec des fonctions exécutives dans une commune de 10 000 habitants ou moins

Comme il ressort de l'exposé des motifs, c'est principalement pour lutter contre le sentiment de déconnexion entre le peuple français et ses élus qu'Hervé Marseille, président du groupe de l'Union centriste, Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains, et plusieurs autres sénateurs du groupe de l'Union centriste ont déposé une proposition de loi organique favorisant l'implantation locale des parlementaires , qui assouplit les règles d'incompatibilité issues de la réforme de 2014.

Plus exactement, selon l'article 1 er , serait de nouveau autorisé le cumul d'un mandat parlementaire avec la fonction de maire ou d'adjoint au maire d'une commune de 10 000 habitants ou moins . En revanche, la fonction de maire d'arrondissement (à Paris, Lyon et Marseille) et celle de maire délégué (dans les communes associées ou déléguées réunies au sein de communes nouvelles, sous le régime de la loi dite « Marcellin » du

16 juillet 1971 26 ( * ) ou sous le régime actuel créé en 2010 27 ( * ) , quelle que soit la population de la commune nouvelle) demeureraient incompatibles avec celle de député.

À cet effet, la proposition de loi organique prévoit de modifier l'article L.O. 141-1 du code électoral, relatif à certaines incompatibilités avec le mandat de député, que l'article L.O. 297 du même code rend applicable aux sénateurs.

4. Une initiative approuvée par la commission des lois, sous une réserve

Pour toutes les raisons déjà exposées, la commission a approuvé l'initiative des auteurs de la proposition de loi organique.

Elle s'est néanmoins interrogée sur le bien-fondé du seuil de population proposé pour autoriser ou interdire le cumul d'un mandat parlementaire avec des fonctions exécutives au sein d'une commune.

Il n'est pas tout à fait évident que, dans son principe même, un tel seuil de population soit pertinent . Certes, les dossiers que le maire d'une grande commune doit traiter sont plus nombreux et, à certains égards, plus complexes que dans de plus petites communes, elles ont aussi une incidence financière plus lourde. Mais le nombre d'adjoints est aussi plus élevé et les équipes administratives plus étoffées. À l'inverse, le maire d'une petite commune est souvent seul ou presque seul pour administrer celle-ci, faire face à la complexité croissante des normes et répondre aux interpellations de ses concitoyens.

On notera cependant que la fixation d'un tel seuil n'est pas sans précédent . La loi organique du 30 décembre 1985 28 ( * ) avait rendu le mandat de député ou de sénateur incompatible avec de plus d'un des mandats ou fonctions compris dans une liste comprenant, notamment, les fonctions de maire d'une commune de 20 000 habitants ou plus et d'adjoint au maire d'une commune de 100 000 habitants ou plus (autre que Paris). Celle du 5 avril 2000 29 ( * ) l'avait rendu incompatible avec plus d'un des mandats suivants : conseiller régional, conseiller à l'Assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris ou conseiller municipal d'une commune d'au moins 3 500 habitants. Le Conseil constitutionnel avait alors jugé loisible au législateur organique « de ne faire figurer, dans le dispositif de limitation de cumul du mandat de parlementaire et de mandats électoraux locaux, le mandat de conseiller municipal qu'à partir d'un certain seuil de population, à condition que le seuil retenu ne soit pas arbitraire » . Cette condition lui avait paru satisfaite en l'espèce, « dès lors que le seuil de 3 500 habitants détermin[ait], en vertu de l'article L. 252 du code électoral, un changement de mode de scrutin pour l'élection des membres des conseils municipaux 30 ( * ) ».

Une fois admis le principe d'un seuil de population, faut-il le fixer à 10 000 habitants, et peut-on le faire sans encourir le grief d'arbitraire et la censure du Conseil constitutionnel ? À la date du 1 er janvier 2021, 33 955 communes sur 34 993, soit 97 % , comptaient une population égale ou inférieure ou égale à 10 000 habitants. Dès lors, l'objectif poursuivi par les auteurs de la proposition de loi , consistant à favoriser l'ancrage local des parlementaires en leur permettant de cumuler leur mandat national avec les fonctions de maire ou d'adjoint au maire, en excluant seulement les communes les plus peuplées où ces fonctions sont considérées comme trop absorbantes, serait rempli . Le seuil de 10 000 habitants se rencontre d'ailleurs fréquemment en droit des collectivités territoriales, comme s'il correspondait à une frontière entre le monde urbain et le monde rural . Les communes dont la population excède ce seuil sont soumises à des obligations plus lourdes, elles disposent également de moyens plus importants.

Conséquences pour les communes du franchissement
du seuil de 10 000 (ou 9 999) habitants - liste non exhaustive

Règle applicable

Champ d'application

Base légale ou réglementaire

Organisation municipale

Effectif du conseil municipal
(33 membres)

Communes d'au moins 10 000 hab. (jusqu'à 19 999 hab.)

Art. L. 2121-2
du CGCT

Commission consultative des services publics locaux

(Création obligatoire)

Communes
de plus de 10 000 hab.

Art. L. 1413-1
du CGCT

Recueil des signalements des lanceurs d'alerte

(Mise en place obligatoire de procédures appropriées)

Communes
de plus de 10 000 hab.

Art. 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016

Conditions d'exercice du mandat de conseiller municipal

Indemnités de fonction

(Taux maximal fixé à 65 % de l'indice brut 1027 pour le maire et à 27,5 % du même indice pour les adjoints)

Communes d'au moins 10 000 hab. (jusqu'à 19 999 hab.)

Art. L. 2123-23 et L. 2123-24 du CGCT

Crédit d'heures

(140 h pour le maire, 122 h 30 pour les adjoints et conseillers municipaux délégués, 21 h pour les autres conseillers municipaux)

Communes d'au moins 10 000 hab. (jusqu'à 19 999 ou 29 999 hab.)

Art. L. 2123-2
du CGCT

Allocation différentielle de fin de mandat

(Ouverture aux adjoints au maire)

Communes d'au moins 10 000 hab.

Art. L. 2123-11-2
du CGCT

Budget et finances

Rapport d'orientation budgétaire

(Présentation de la structure et de l'évolution des dépenses et des effectifs)

Communes
de plus de 10 000 hab.

Art. L. 2312-1
du CGCT

Vote du budget par nature ou par fonctions

Communes d'au moins 10 000 hab.

Art. L. 2312-3
du CGCT

Dématérialisation obligatoire des pièces comptables

Communes
de plus de 10 000 hab.

Art L. 1617-6
du CGCT

Dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale

(Éligibilité sous conditions - à l'inverse, sauf exceptions, les communes de 10 000 hab. et plus ne sont pas éligibles à la dotation de solidarité rurale)

Communes d'au moins 10 000 hab.

Art. L. 2334-16
du CGCT

Dotation « Natura 2000 » (perte d'éligibilité)

Communes d'au moins 10 000 hab.

Art. L. 2335-17 du CGCT

Fonction publique territoriale

Faculté de recruter des attachés territoriaux hors classe

Communes
de plus de 10 000 hab.

Art. 2 du décret n° 87-1099 du 30 décembre 1987

Modalités d'exercice des compétences communales

Instruction des autorisations d'urbanisme

(Perte de la faculté de disposer gratuitement des services déconcentrés de l'État)

Communes d'au moins 10 000 hab. ou membre d'un EPCI d'au moins 10 000 hab.

Art. L. 422-8 du code de l'urbanisme

Participation du public aux décisions des autorités municipales ayant une incidence sur l'environnement

(Perte de la faculté de recourir aux modalités simplifiées)

Communes d'au moins 10 000 hab.

Art. L. 123-19-2 du code de l'environnement

Divers

Recensement de la population

(Enquête annuelle par sondage au lieu d'une enquête exhaustive tous les cinq ans)

Communes d'au moins 10 000 hab.

Art. 156 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002

Réglementation de l'exercice du droit de grève dans les services publics

Personnel des communes de plus de 10 000 hab.

Art. L. 2512-1 du code du travail

Source : commission des lois du Sénat

Au vu de ces considérations, la commission des lois a estimé que le seuil de 10 000 habitants correspondait à une différence de situation justifiant que les règles d'incompatibilité applicables aux membres des exécutifs municipaux soient plus rigoureuses au-delà de ce seuil .

En revanche, il lui a paru injustifié que les parlementaires , habilités à cumuler leur mandat avec les fonctions de maire ou d'adjoint d'une commune de 10 000 habitants ou moins, ne puissent exercer celles de maire délégué au sein d'une commune nouvelle dont la population totale est inférieure à ce seuil. Sur proposition du rapporteur, la commission a donc adopté un amendement COM-27 de réécriture, rendant le mandat de député (et, par renvoi, celui de sénateur) incompatible avec « les fonctions de maire, de maire délégué et d'adjoint au maire d'une commune de plus de 10 000 habitants, ainsi que de maire d'arrondissement ».

En outre, la présidence des conseils consulaires représentant les Français établis à l'étranger étant désormais assumée par un élu, et non plus par l'ambassadeur ou le chef de poste consulaire, la commission en a tiré les conséquences en modifiant la rédaction du 13° de l'article L.O. 141-1 du code électoral (même amendement COM-27).

La commission a adopté l'article 1 er ainsi modifié .

Article 2 (supprimé)
Interdiction pour les parlementaires
de percevoir des indemnités
pour l'exercice des fonctions de maire ou d'adjoint au maire

L'article 2 de la proposition de loi organique a pour objet d'interdire aux parlementaires qui exerceraient les fonctions de maire ou d'adjoint au maire de percevoir à ce titre aucune indemnité.

La commission des lois a supprimé cet article, contraire à la Constitution, pour s'en tenir à la règle d'écrêtement qui plafonne le montant total des indemnités susceptibles d'être perçues par les membres du Parlement.

1. L'écrêtement des indemnités perçues par les parlementaires au titre de mandats locaux

Depuis 1992, les députés et sénateurs qui exercent d'autres mandats électoraux ou qui siègent au conseil d'administration d'un établissement public local, du centre national de la fonction publique territoriale, ou encore au conseil d'administration ou de surveillance d'une société d'économie mixte locale ne peuvent cumuler les rémunérations et indemnités afférentes à ces mandats ou fonctions avec l'indemnité parlementaire de base que dans la limite d'une fois et demie le montant de cette dernière 31 ( * ) . Le montant de l'indemnité parlementaire, égal à la moyenne du traitement le plus bas et du traitement le plus haut des fonctionnaires classés dans la catégorie hors échelle (conseillers d'État, préfets, directeurs d'administration centrale), s'élevant actuellement à 5 623,23 euros bruts par mois, cette règle d'écrêtement plafonne à 8 434,85 euros bruts le montant total des indemnités susceptibles d'être perçues par un parlementaire au titre de son mandat national et de ses mandats locaux.

Cette règle, qui n'a pas été modifiée par la loi organique du 14 février 2014, ne s'applique plus, le cas échéant, qu'aux députés et sénateurs qui exercent par ailleurs :

- le mandat de conseiller municipal dans les communes (principalement celles d'au moins 100 000 habitants) où l'exercice de ce mandat non exécutif est indemnisé 32 ( * ) ;

- le mandat de conseiller départemental ou régional, de membre de l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale à statut particulier ou d'une collectivité d'outre-mer, de membre du congrès de Nouvelle-Calédonie ou des assemblées de province ;

- les fonctions de membres du conseil d'administration d'un établissement public local, du centre national de la fonction publique territoriale, ou encore de membre du conseil d'administration ou de surveillance d'une société d'économie mixte locale.

En pratique, depuis l'interdiction du cumul d'un mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales, il est devenu exceptionnel que la règle d'écrêtement trouve à s'appliquer.

2. La proposition de loi organique : interdire aux parlementaires la perception de toute indemnité liée à l'exercice des fonctions de maire ou d'adjoint au maire

L'article 2 de la proposition de loi organique tend à interdire aux parlementaires qui exerceraient les fonctions de maire ou d'adjoint au maire dans une commune de 10 000 habitants ou moins de percevoir aucune indemnité liée à l'exercice de ces fonctions .

3. La position de la commission : lever un risque d'inconstitutionnalité

L'intention poursuivie par cet article est louable : il s'agit d' éviter de faux débats , voire de dissiper toute suspicion sur les objectifs poursuivis par les auteurs de la proposition de loi organique.

Car la seule considération qui doit animer le débat sur le non-cumul des mandats et, plus largement, sur les incompatibilités applicables aux députés et sénateurs, c'est la nécessité de faire en sorte que le Parlement assume pleinement ses missions constitutionnelles, dans l'intérêt général.

Pourtant, l'interdiction proposée se heurte au principe d'égalité et encourt, par conséquent, un fort risque d'inconstitutionnalité , souligné par le professeur Anne Levade lors de son audition par le rapporteur. En effet, il resterait possible de cumuler l'indemnité parlementaire, dans la limite d'une fois et demie son montant, avec celle perçue au titre de mandats locaux non exécutifs - en tant que conseiller départemental ou régional, par exemple. Cette différence de traitement ne se justifie pas.

Dès lors, la commission des lois a supprimé cet article ( amendements identiques COM-26 du rapporteur et COM-21 rectifié bis d'Olivier Paccaud), pour s'en tenir à la règle actuelle d'écrêtement qui limite le montant total des indemnités susceptibles d'être perçues à une fois et demie l'indemnité parlementaire de base 33 ( * ) .

La commission a supprimé l'article 2.

* *

*

La commission des lois a adopté
la proposition de loi organique ainsi modifiée .


* 1 Pour de plus amples développements, l'on se rapportera au rapport n° 832 (2012-2013) de Simon Sutour, fait au nom de la commission des lois du Sénat, sur le projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur , consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l12-832/l12-832.html .

* 2 Si les premières lois limitant le cumul des mandats électoraux datent des années 1980, c'est le gouvernement de Lionel Jospin qui, le premier, proposa de rendre incompatible le mandat de député ou de sénateur avec celui de maire, de président d'un conseil général ou régional (projet de loi organique limitant le cumul des mandats électoraux et fonctions électives , déposé le 8 avril 1998).

* 3 Loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur .

* 4 Ces incompatibilités s'appliquent également aux sénateurs en vertu de l'article L.O. 297 du code électoral.

* 5 Étude d'impact du projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur .

* 6 Une V e République plus démocratique , rapport au Président de la République du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la V e République, octobre 2007, consultable à l'adresse suivante : https://www.vie-publique.fr .

* 7 Pour un renouveau démocratique , rapport au Président de la République de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, novembre 2012, consultable à l'adresse suivante : https://www.vie-publique.fr .

* 8 Guy Carcassonne, « Le temps de la décision », Le Débat , 2012, n° 172, p. 39.

* 9 Pour un renouveau démocratique , rapport précité, p. 60.

* 10 Article 4 de l'ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l'indemnité des membres du Parlement .

* 11 P. Avril, O. Beaud, L. Bouvet, P. Weil, « Cumul des mandats : réfléchir davantage », lettre au Président de la République, Commentaire , 2013/3 n° 143, p. 665 à 666.

* 12 Compte rendu de l'audition de Pierre Avril, Olivier Beaud, Julie Benetti et Dominique Rousseau par la commission des lois du Sénat, mardi 10 septembre 2013. Ce compte rendu est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20130909/lois.html#toc3 .

* 13 Ibid .

* 14 « Après les législatives 2017, 75 % de l'Assemblée nationale est renouvelée, un record », Le Monde , 19 juin 2017. Voir également D. Andolfatto, « La nouvelle sociologie de l'Assemblée nationale : renouvellement ou "cercle fermé" ? », Revue politique et parlementaire , n os 1083-1084, décembre 2017.

* 15 Cet effet de l'interdiction du cumul s'était fait sentir dès avant son application, au lendemain des élections départementales et régionales de 2015, comme le souligne le professeur B. Dolez, « Parlementaire : un mandat dévalué. Des effets (pervers) des lois du 14 février 2014 interdisant le cumul entre un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale », dans Le cumul et la durée des mandats. Débats, réformes et pratiques , sous la direction de K. Deharbe, Ch. Pina et P. Türk, Mare & Martin, 2020.

* 16 A. François et L. Weill, « Le cumul de mandats locaux affecte-t-il l'activité des députés français ? », Revue économique , 2014/6, p. 881-906.

* 17 L. Bach, Faut-il abolir le cumul des mandats ? , Paris, Éditions Rue d'Ulm, 2012.

* 18 L. Rouban, Le cumul des mandats et le travail parlementaire , rapport de recherche, Centre de recherches politiques de Sciences-Po, août 2012.

* 19 Depuis une révision du 11 juin 2015, le Règlement du Sénat comporte un chapitre IX dédié à la participation des sénateurs aux travaux de celui-ci. Il impose aux sénateurs une obligation de participation effective (article 23 bis A) et prévoit, en cas d'absence répétée, une sanction financière sous la forme d'une retenue égale à la moitié du montant trimestriel de l'indemnité de fonction (article 23 bis ).

* 20 Voir le rapport n° 628 (2020-2021) de François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois, sur la proposition de résolution visant à améliorer le suivi des ordonnances, rénover le droit de pétition, renforcer les pouvoirs de contrôle du Sénat, mieux utiliser le temps de séance publique et renforcer la parité , consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l20-628/l20-628.html . Depuis le début de l'actuelle législature, le nombre d'habilitations à légiférer par ordonnances a crû de 23,6 % par rapport à la législature 2012-2017 et de 98,6 % par rapport à la législature 2007-2012 ; le nombre d'ordonnances publiées a augmenté, pour sa part, de 18,6 % et 111,5 % respectivement.

* 21 Là encore, les études statistiques qui ont été menées pour vérifier ce lien entre cumul des mandats et indépendance des parlementaires de la majorité sont loin d'être probantes (voir notamment L. Bach, « Faut-il abolir le cumul des mandats ? », loc. cit .). Elles se fondent, en général, sur la proportion de votes dissidents lors des scrutins publics. Or, dans un système parlementaire fondé sur la logique majoritaire, un vote dissident est un acte grave, surtout s'il porte sur l'ensemble d'un projet de loi présenté par le Gouvernement. Pour faire valoir son point de vue, un parlementaire de la majorité disposant d'une assise politique suffisante n'a pas besoin d'en arriver là.

* 22 « Un député LRM propose de rétablir le cumul des mandats », Le Monde , 1 er février 2019.

* 23 Les incompatibilités applicables aux membres du Gouvernement relèvent de la Constitution et non de la loi organique ou ordinaire. Aux termes de l'article 23 de la Constitution, les fonctions de membre du Gouvernement sont seulement incompatibles avec l'exercice « de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle ».

* 24 Interview de Richard Ferrand dans Le Journal du dimanche , 3 juillet 2021.

* 25 « Fin du cumul des mandats : et si c'était une erreur ? », L'Express , 15 juillet 2021.

* 26 Loi n° 71-588 du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes .

* 27 Articles L. 2113-1 à L. 2113-23 du code général des collectivités territoriales.

* 28 Loi organique n° 85-1405 du 30 décembre 1985 tendant à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives par les parlementaires .

* 29 Loi organique n° 2000-294 du 5 avril 2000 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux .

* 30 Conseil constitutionnel, décision n° 2000-427 DC du 30 mars 2000. Ce seuil, inscrit à l'article L.O. 141 du code électoral, a été ramené à 1 000 habitants par la loi organique n° 2013-402 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux , concomitamment avec l'abaissement du seuil du scrutin de liste aux élections municipales.

* 31 Troisième alinéa de l'article 4 de l'ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l'indemnité des membres du Parlement , issu de la loi organique n° 92-175 du 25 février 1992 modifiant l'ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l'indemnité des membres du Parlement .

* 32 Rappelons que l'exercice des mandats électifs locaux est en principe gratuit. Il ne peut être indemnisé que si la loi l'autorise expressément et si l'assemblée délibérante le décide. S'agissant des conseillers municipaux qui n'exercent ni les fonctions de maire, ni celles d'adjoint au maire, l'article L. 2123-24-1 du code général des collectivités territoriales distingue 1° les conseillers municipaux des communes d'au moins 100 000 habitants, dont l'indemnité ne peut excéder 6 % de l'indice brut terminal de la fonction publique ; 2° ceux des communes dont la population est inférieure à ce seuil, qui sont soumis à la même règle mais dont les indemnités doivent, le cas échéant, être comprises dans « l'enveloppe indemnitaire globale » définie au II de l'article L. 2123-24 du même code ; 3° les conseillers municipaux ayant reçu délégation, dont l'indemnité n'est pas plafonnée mais doit être comprise dans l'enveloppe indemnitaire globale.

* 33 Cette limite serait rarement atteinte, le montant maximal de l'indemnité susceptible d'être allouée au maire d'une commune de 3 500 à 9 999 habitants étant aujourd'hui fixé à 2 139,17 euros.

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