B. L'ABSENCE DE MÉCANISME INSTITUTIONNEL PERMETTANT AU PARLEMENT D'OBTENIR LA PUBLICATION DES MESURES D'APPLICATION

1. L'absence de garanties institutionnelles quant à la prise effective des instruments d'application

Si, en vertu de l'article 24 de la Constitution, le Parlement « contrôle l'action du Gouvernement » , aucun mécanisme ad hoc de nature constitutionnelle ou législative ne lui permet d'obtenir du Gouvernement la publication des instruments d'application manquants. En effet, aucune règle ne fixe le délai maximum dont dispose le Gouvernement pour prendre ces décrets. Certes, la circulaire du Premier ministre du 29 février 2008 relative à l'application des lois fixe un délai de six mois, mais ce texte n'a pas de portée normative effective.

Seule demeure, en théorie, la possibilité ouverte à l'Assemblée nationale de mettre en oeuvre la responsabilité du Gouvernement en application de l'article 50 de la Constitution.

2. Le contrôle politique de l'application des lois mis en oeuvre par le Sénat

Face à cette absence de mécanisme institutionnel, le Sénat a choisi d'offrir un traitement politique à la question de l'application des lois en publiant depuis 1972 un bilan annuel ainsi que certains bilans exceptionnels 2 ( * ) , et en organisant des débats en séance publique dédiés à cette question, en présence du ministre en charge des relations avec le Parlement.

Le dernier bilan de l'application des lois au 31 mars 2021 3 ( * ) marque ainsi le cinquantième anniversaire du contrôle de l'application des lois organisé par le Sénat. Comme le précise Mme Pascale Gruny, Président de la délégation du Bureau en charge du travail parlementaire, du contrôle et du suivi des ordonnances, dans son avant-propos, « dans cet exercice, notre institution s'attache à vérifier que les mesures d'application des lois que vote le Parlement sont prises en temps et en heure. Au fil du temps, ce contrôle est devenu un dispositif incontournable de l'arsenal dont dispose le Sénat pour assurer sa mission constitutionnelle de contrôle de l'action du Gouvernement » 4 ( * ) .

Ces bilans d'application des lois s'appuient sur les bilans respectifs des commissions permanentes qui sont en charge du suivi de l'application des lois, en application de l'article 19 bis A du Règlement du Sénat. Si ce contrôle ne permet pas de contraindre le Gouvernement à prendre les instruments d'application manquants, il permet, toutefois, de mettre en lumière annuellement les manques éventuels et de l'inviter à expliciter les raisons de ces manques.

Sur, le fond, si l'on excepte la période récente marquée par la crise sanitaire 5 ( * ) , les taux d'application relevés par les bilans annuels sont relativement satisfaisants, comme le montre le tableau synthétique issu du bilan d'application des lois au 31 mars 2020.

Ces statistiques globales sont complétées par les analyses des commissions permanentes sur la qualité des mesures prises, leur respect de la volonté du législateur et sur l'importance des mesures restant à prendre. Comme l'indiquait Philippe Bas, alors président de la commission des lois, « il convient de relativiser les données chiffrées, car les mesures d'application des lois ne sont ni toutes aussi urgentes ni toutes aussi aisées à prendre les unes que les autres 6 ( * ) » .

3. Le réel travail de suivi effectué par le secrétariat général du Gouvernement

Comme l'a confirmé Claire Landais, secrétaire générale du Gouvernement (SGG), entendue par le rapporteur, le Gouvernement n'utilise pas le veto implicite qui lui est offert par la Constitution mais s'efforce, au contraire, de veiller à la publication des décrets d'application dans le délai indicatif de six mois que fixe la circulaire du 29 février 2008 précitée.

Le SGG et les vice-présidents du Sénat successifs en charge du suivi de l'application des lois collaborent depuis de nombreuses années dans le but d'évaluer objectivement le degré d'application des lois adoptées par le Parlement. Les différences de taux d'application constatées entre les chiffres fournis par les bilans d'application des lois du Sénat et ceux du Secrétariat général du Gouvernement s'expliquent, le plus souvent, par des différences de méthodologie .

Afin de calculer le taux d'application d'une loi ou d'un ensemble de lois sur une période de temps donnée, les commissions permanentes du Sénat répertorient, parmi les dispositions législatives votées, les mesures d'application qu'elles nécessitent à l'aide d'APLEG, une application informatique dédiée. Les mesures ainsi répertoriées sont aussi bien des arrêtés que des décrets, la loi faisant souvent référence à des mesures d'application prises par « voie réglementaire » . Le même article d'une loi peut donc nécessiter plusieurs mesures d'application distinctes au sens que lui donne le Sénat. Le taux d'application correspond alors au rapport entre les mesures effectivement prises à un instant donné et celles qui étaient attendues ab initio .

La méthode de calcul utilisée par le SGG diffère légèrement. Elle se fonde sur la remise de calendriers d'application élaborés par chaque ministère en charge de l'application d'un texte, qui fait état des décrets dont la publication est jugée nécessaire ainsi que des éventuelles obligations consultatives qui y sont attachées.


* 2 Voir, notamment, le rapport d'information n° 396 (2016-2017) de M. Claude Bérit-Débat sur le bilan de l'application des lois significatives du quinquennat au 31 décembre 2016.

* 3 La date du 31 mars est choisie car elle correspond à l'écoulement d'un délai de 6 mois à l'issue d'une éventuelle session extraordinaire précédant l'ouverture de la session ordinaire en cours. À cette date, les instruments d'application des lois votées lors des précédentes sessions ordinaires et extraordinaires doivent donc être théoriquement publiés, en application de la circulaire du premier ministre du 29 février 2008 relative à l'application des lois.

* 4 Rapport d'information n° 645 (2020-2021) sur le bilan annuel de l'application des lois au 31 mars 2021, fait par Pascale Gruny, page 15.

* 5 Le bilan de l'application des lois aux 31 mars 2021 indique que le taux d'application des lois, pour la session 2019-2020, est de 62%.

* 6 Extrait de la communication de la commission des lois du mercredi 29 avril 2020.

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