III. L'ESSENTIEL DES DÉPENSES DE LA MISSION SE CONCENTRE SUR UN NOMBRE TRÈS RESTREINT DE DISPOSITIFS

Le plan France très haut débit, la compensation du Groupe La Poste et la compensation carbone représentent à eux seuls près des trois quarts des dépenses hors titre 2 de la mission 28 ( * ) . Ces trois éléments sont déterminants pour l'évolution des crédits et constituent, outre les missions des administrations mentionnées plus haut, les trois principales politiques publiques portées par la mission.

Par ailleurs, l'activité de garantie directe de prêts accordés aux PME et aux TPE est confiée à Bpifrance et bénéficie de crédits publics. Si les rapporteurs spéciaux ont de nombreuses fois dénoncé l'absence de budgétisation du financement des fonds de garantie, ceux-ci n'en relèvent pas moins du périmètre de la mission « Économie ». Selon les termes mêmes de la secrétaire d'État Agnès Pannier-Runacher, il existe un « cordon ombilical » 29 ( * ) entre Bpifrance et la mission « Économie ».

A. SI LE PLAN FRANCE TRÈS HAUT DÉBIT A PERMIS UNE NETTE ACCÉLÉRATION DES DÉPLOIEMENTS, PLUSIEURS SUJETS RESTENT NÉANMOINS OUVERTS

1. Les réseaux d'initiative publique (RIP), cofinancés par le Plan FTHD, ont permis de résorber les écarts importants entre les territoires

Le programme 343 porte une partie de la participation de l'État au financement du plan France Très haut débit, qui devrait s'élever au total à 3,5 milliards d'euros d'ici à 2022. Ces crédits ont été complétés en 2021 par 240 millions d'euros ouverts en autorisations d'engagement sur la mission « Plan de relance ». Ils permettent de subventionner les réseaux d'initiative publique (RIP).

Alors que la création du programme 343, en loi de finances initiale pour 2015, devait permettre d'offrir un vecteur budgétaire unique en complément des crédits du programme d'investissement d'avenir (PIA) l'ouverture de crédits nouveaux au sein de la mission Plan de relance en loi de finances initiale pour 2021 complexifie à nouveau le suivi des crédits dédiés au plan.

Ainsi, comme cela a été relevé de nombreuses fois par les rapporteurs spéciaux, la participation de l'État au plan FTHD pose des difficultés importantes en termes de lisibilité budgétaire 30 ( * ) .

Le plan France Très haut débit

La technologie : un accès supérieur à 30 Mbit/s

Le « très haut débit » (supérieur à 30 Mbit/s) doit être distingué de la fibre optique jusqu'à l'abonné ( FttH - Fiber to the Home ), qui permet de monter jusqu'à 100 Mbit/s.

Pour déployer le très haut débit sur le territoire, plusieurs technologies peuvent être utilisées :

- la fibre optique jusqu'à l'abonné ( FttH ) : il s'agit du standard le plus élevé, mais aussi le plus coûteux à mettre en oeuvre puisqu'il implique le déploiement de nouveaux réseaux. Le plan France Très haut débit prévoit un objectif de 80 % des locaux raccordables en fibre optique en 2022 et de 100 % des locaux à horizon 2025 ;

- le réseau cuivre modernisé (ADSL/VDSL2) ou le réseau câblé modernisé, en mobilisant la fibre optique jusqu'au sous-répartiteur voire jusqu'à l'immeuble. Ces opérations de « montée en débit » sont plus rapides et moins coûteuses à déployer ;

- les technologies hertziennes de type WiMAX (équivalent de la 4G pour le fixe) ou par satellite, qui constituent des solutions alternatives pour les zones où le déploiement serait trop difficile ou trop onéreux (habitat très isolé etc.).

L'objectif : 100 % des locaux éligibles non plus en 2022, mais en 2025

Il convient de distinguer la « couverture » du territoire, qui fait référence au nombre de locaux éligibles au très haut débit et constitue la référence du plan France THDD, de l'accès effectif à une connexion à très haut débit, qui implique le raccordement des locaux et la souscription d'un abonnement. En outre, le débit constaté peut s'avérer différent du débit théorique, notamment avec les technologies intermédiaires.

Depuis 2021, le nombre d'abonnés fibre dépasse le nombre d'abonnés ADSL :

Au 30 juin 2021, le nombre d'accès au très haut débit s'élève à 16,6 millions au 30 juin 2021 et représente 54% du nombre total d'abonnements internet haut débit et très haut débit sur le territoire français (+12 points en un an). Le nombre de ces accès atteint 12,4 millions, soit 75% du nombre total d'abonnements à très haut débit.

Le renforcement de la dynamique des déploiements au cours des derniers mois est majoritairement porté par les réseaux d'initiative publique, financés par le plan France très haut débit. Les réseaux d'initiative publique (RIP) font l'objet d'un financement partagé des acteurs publics (collectivités territoriales, généralement organisées en syndicats mixtes pour porter les projets, l'État et l'Union européenne) et intervenants privés.

Entre les premiers semestres 2020 et 2021, le nombre de nouveaux locaux rendus raccordables à la fibre est passé de + 2,43 millions à + 2,86 millions. Dans le même temps, le nombre de locaux rendus raccordables en zone RIP est passé de + 0,8 million (33 % du total) à + 1,56 million de locaux (55 % du total). Ainsi, les déploiements réalisés au second semestre 2021 sont supérieurs à l'ensemble des déploiements réalisés en 2018. Le département de l'Oise, situé en zone RIP, est également devenu le premier territoire à atteindre la complétude en fibre cette année.

Alors que la dynamique de déploiement est très positive dans les zones financées par le plan France très haut débit, les rapporteurs souhaitent relever plusieurs sujets d'inquiétudes concernant les zones non RIP.

Les zones non-RIP du plan France Très haut débit

Les zones très denses (ZTD), réputées rentables, ne font pas l'objet d'engagements spécifiques de la part des opérateurs, les pouvoirs publics ayant anticipé que la concurrence par les infrastructures devait permettre de garantir le déploiement de la fibre dans ces zones.

Les zones AMII désignent les zones dans lesquelles le Gouvernement a engagé, à l'intention des opérateurs, un appel à manifestation d'intentions d'investissement (AMII) « afin de définir les zones en dehors desquelles les collectivités étaient fondées à intervenir ». Ces engagements avec les opérateurs SFR et Orange n'ont pas été formalisés puis, en 2018, « à la demande du Gouvernement, afin de sécuriser et d'accélérer le déploiement de la fibre, les opérateurs se sont engagés de manière contraignante à couvrir près de 3 600 communes (de la zone dite « AMII ») au niveau national, au titre de l'article L.33-13 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) ». Les deux opérateurs se sont engagés à rendre 100 % des locaux raccordables ou raccordables à la demande d'ici fin 2020 et, pour Orange, de rendre 100 % des locaux « raccordables » à fin 2022.

Les zones AMEL désignent les zones pour lesquelles le Gouvernement a autorisé les collectivités à accélérer les déploiements via des appels à manifestation d'engagement local (AMEL) afin que les opérateurs privés déploient la fibre sur leurs fonds propres dans des locaux situés en zone RIP.

Les déploiements de prises fibre de 2018 au premier semestre 2021

(en milliers de prises déployés)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de l'Arcep

Dans les zones très denses (ZTD), seulement 239 000 nouvelles prises FttH ont été déployées sur le premier semestre 2021 31 ( * ) . En juillet dernier, aucune zone très dense n'était couverte en fibre à plus de 97 % et 5 villes qui avaient été couvertes auparavant à plus de 95 % en fibre ne l'étaient plus.

Par ailleurs, plusieurs grandes villes (Marseille, Strasbourg, Lille) sont encore mal couvertes en fibre (locaux rendus raccordables à moins de 75 %). Les rapporteurs spéciaux s'inquiètent de ce que les nouveaux branchements ne couvrent plus les nouveaux besoins dans les zones urbaines.

En zone AMII, les opérateurs privés n'atteignent aucun des engagements fixés par le Premier ministre 32 ( * ) , ce qui inquiète les rapporteurs. De surcroît, la dynamique de déploiement des opérateurs ralentit considérablement : les zones AMII rendaient raccordables 1 057 locaux au quatrième trimestre 2020, contre 584 000 au premier trimestre 2021 et 474 00 au second trimestre.

La dynamique de déploiement en zone AMEL est pour le moins alarmante. À ce jour, seulement 13 % des locaux à rendre raccordables en zone AMEL ont été rendus raccordables et 3 zones AMEL sur les 10 existantes ne comptent aucune prise en FttH .

Les échéances de la zone AMEL

Départements

Opérateurs concernés

Arrêté ministériel d'acceptation

Échéances juridiquement opposables

Côte-d'Or

Altitude Infrastructure

20/05/2019

2022 (100 %)

Lot-et-Garonne

Orange

20/05/2019

Fin juin 2024 (100 %)

PACA

SFR

20/05/2019

2019 (56 000 locaux) - 2020 (143 000 locaux) - 2021 (231 000 locaux) - 2022 (100 %)

Saône-et-Loire

Covage 33 ( * )

25/07/2019

Fin juillet 2023 34 ( * ) (100 %)

Savoie

Covage

25/07/2019

Fin juillet 2022 (50 %) -Fin juillet 2024 35 ( * ) (100 %)

Eure-et-Loir

SFR

10/10/2019

2020 (27 locaux) - 2021 (100%)

Haute-Vienne

Orange

04/02/2020

2024 (100 %)

Landes

Altitude Infrastructure

19/12/2019

2020 (10,4 %) - 2021 (65,7 %) - 2022 (100 %)

Nièvre

SFR

19/12/2019

2020 (5 000 locaux) - 2021 (58 000 locaux) - 2022 (100 %)

Vienne et Deux-Sèvres

Orange

17/08/2020

Fin mars 2025 (100 %)

Source : Réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux de l'Agence nationale de la Cohésion des territoires

L'Arcep a le pouvoir de sanctionner les opérateurs qui ne respectent pas leurs engagements pris dans le cadre de l'article L.33-13 du code des postes et des communications électroniques.

Les rapporteurs spéciaux estiment, avec Patrick Chaize, président de l'association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), que l'autorité de régulation doit se saisir de ce pouvoir de sanction pour atteindre l'objectif de complétude sur le territoire national en très haut débit. Cette intervention du régulateur apparaît d'autant plus urgente qu'est à craindre une rupture d'égalité dans l'accès au numérique sur le territoire.

2. Le Fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT) doit désormais être abondé pour permettre les raccordements complexes et l'entretien des réseaux existants

Si les rapporteurs spéciaux dressent un bilan globalement positif de la zone RIP et du levier financier qu'a constitué le plan France très haut débit, ils s'inquiètent néanmoins de l'avenir des réseaux déployés et des coûts liés à l'entretien de ce réseau, ainsi que des financements nécessaires à la réalisation des raccordements complexes.

Les raccordements complexes désignent des « raccordements nécessitant la création ou la mise à niveau des infrastructures mobilisables ou rencontrant des difficultés pour les mobiliser » 36 ( * ) . Un raccordement complexe est donc mécaniquement plus coûteux pour la collectivité dans les zones RIP.

Le financement de ces raccordements doit permettre de sécuriser l'éligibilité de tous nos concitoyens à la fibre. D'après les estimations présentées aux rapporteurs spéciaux, ces raccordements en zone RIP représentent l'équivalent de 1,2 milliard d'euros.

De plus, la question de l'entretien des infrastructures déployées par les syndicats mixtes est pleinement posée, alors que les coûts seront bien plus élevés dans les territoires ruraux et qu'une péréquation entre les territoires est indispensable. Les rapporteurs spéciaux estiment qu'il est désormais nécessaire de mobiliser le fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT) qui, depuis sa création en 2009, n'a encore jamais été abondé.

Fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT)

La loi n°2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, dite loi Pintat, crée, à l'article 24, le Fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT).

D'après cet article le FANT « a pour objet de contribuer au financement de certains travaux de réalisation des infrastructures et réseaux ». Un comité national de gestion du fond est prévu pour donner un avis sur les décisions tendant à accorder des aides aux maîtres d'ouvrages. « Les aides doivent permettre à l'ensemble de la population de la zone concernée par le projet d'accéder, à un tarif raisonnable, aux communications électroniques en très haut débit . »

Alors que le Gouvernement a répondu, au début des années 2010, à plusieurs questions de parlementaires en indiquant que le FANT prendrait le relais du FSN une fois ce dernier épuisé, force est de constater que le FSN est désormais épuisé mais que le projet de loi de finances pour 2022 ne prévoit pas d'abonder le FANT.

Les rapporteurs spéciaux partagent la position de M. Patrick Chaize, président de l'Avicca, suivant lequel les modalités d'abondement du FANT devraient s'inspirer de celles du Fonds d'amortissement des charges d'électrification (Facé), donnant lieu à un financement par les abonnés à la fibre, permettant d'assurer la péréquation entre les territoires.

Afin de prendre en charge une partie de ces surcoûts et d'appeler l'attention du Gouvernement sur le risque bien réel de ne pas atteindre l'objectif de couverture intégrale du territoire à horizon 2025 avec l'enveloppe proposée, les rapporteurs spéciaux présentent un amendement n° II-4 pour majorer de 150 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 75 millions d'euros en crédits de paiement les crédits prévus au titre du FANT.


* 28 Hors programme 367 « Financement des opérations patrimoniales envisagées en 2021 et en 2022 sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». »

* 29 Compte rendu de la séance publique du jeudi 31 octobre 2019, Assemblée nationale .

* 30 Le plan FTHD a été abondé par 900 millions d'euros de crédits issus du PIA-1, 2,4 milliards d'euros d'autorisations d'engagements dans le programme 303 (auxquels s'ajoutent 30 millions d'euros ouverts par la loi de finances rectificative du 30 juillet 2020) et 240 millions d'euros ouverts en loi de finances initiale pour 2021.

* 31 Sur la même période, 201 000 nouveaux locaux étaient à rendre raccordable

* 32 92 % de locaux rendus raccordables et 80 % rendus raccordables à la fibre à horizon 2022.

* 33 L'opérateur Covage a depuis été racheté par SFR ; la structure issue de cette fusion a été baptisée XP Fibre.

* 34 48 mois après acceptation des engagements par le ministre, dont l'arrêté a été publié le 25 juillet 2019.

* 35 Respectivement 36 et 60 mois après acceptation des engagements par le ministre, dont l'arrêté a été publié le 25 juillet 2019.

* 36 Audition de l'ANCT

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