II. LA PORTÉE DE LA RECONNAISSANCE PAR LA LOI DE LA RESPONSABILITÉ DE LA FRANCE ET DE LA MISE EN PLACE D'UNE COMMÉMORATION OFFICIELLE NE FAIT PAS CONSENSUS.

A. MÉMOIRE DES VICTIMES ET MISE EN CONTEXTE DE L'ÉVÉNEMENT

La formule retenue par la proposition de loi dans son article 1 er semble viser au plus large consensus possible . Elle n'attribue pas de responsabilité publique au sens strict, et s'abstient donc de toute prise de position sur la responsabilité individuelle des agents de l'État ou de l'exécutif, mais pointe une responsabilité nationale, celle de la France. Elle reconnaît « la répression de manifestants algériens réclamant pacifiquement l ' indépendance de leur pays » mais ne porte pas de jugement sur la nature de cette répression, ni sur son caractère légal ou illégal. Elle se distingue donc de la proposition de loi déposée en 2011 par le député Patrick Mennucci et plusieurs de ses collègues qui visait à la reconnaissance par la France de « sa responsabilité dans le massacre causé par la répression de la police française le 17 octobre 1961 à Paris » 6 ( * ) .

Ainsi que plusieurs des historiens auditionnés par la rapporteure l'ont souligné, l'enjeu mémoriel est d'abord la reconnaissance des souffrances subies par les victimes . Il se distingue donc de la recherche scientifique de la vérité des faits et de leur causalité qui caractérise la démarche historique. La violence de la répression contre les manifestants du 17 octobre 1961 ne fait aucun doute. Elle a été reconnue tant par le Sénat que par deux Présidents de la République.

La responsabilité de la France telle que l'article 1 er propose de la reconnaître ne fait pour sa part pas consensus. Tout d'abord la violence de la répression était illégale, illégalité imputable non à la Nation mais aux auteurs de ces actes et à leurs complices. Le communiqué de la Présidence de la République publié à l'occasion de la commémoration du soixantième anniversaire de la manifestation déclare : « les crimes commis cette nuit-là sous l'autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République ». Il rappelle donc la responsabilité administrative et morale du Préfet de Police. La question de la responsabilité de la France peut paraître trop générale, à la fois à ceux qui souhaitent l'assignation claire et nominative de responsabilités et à ceux qui refusent que soit imputée à la Nation entière la responsabilité d'actes illégaux. Elle ne peut donc satisfaire ni ceux qui souhaitent l'assignation officielle d'une responsabilité ni ceux qui ne la souhaitent pas. De fait, nombre des partisans de l'adoption de la proposition de loi ont indiqué à la rapporteure qu'ils lui étaient favorables en tant qu'elle représente une première étape sur le chemin de la reconnaissance.

La question des responsabilités dans les violences commises dans la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 ne peut non plus être abstraite du contexte historique dans laquelle celle-ci s'est déroulée . Les origines de la violence à Paris en octobre 1961 font l'objet de controverses historiques entre ceux qui en imputent l'origine aux attentats du FLN en métropole, spécialement dirigés contre les policiers (22 tués et 79 blessés en 1961 pour un total de 47 policiers morts et 140 blessés depuis 1957), et ceux qui considèrent que la cause réside d'abord dans la « terreur d'État » mise en place pour empêcher l'indépendance de l'Algérie.

La controverse historique sur les causes des violences du 17 octobre et des jours suivants renvoie à la question des motivations des manifestants du 17 octobre 1961 . Les auteurs de la proposition de loi se placent sur le plan de la décolonisation et des relations internationales en indiquant que les manifestants réclamaient pacifiquement « l'indépendance de leur pays ». Cette motivation n'était cependant pas la seule . Le rapport Stora évoque pour sa part le 17 octobre comme la « répression des travailleurs algériens en France », tandis que la rapporteure a également entendu la revendication d'une commémoration de la protestation contre le couvre-feu illégal et discriminatoire auquel étaient soumis les Français musulmans d'Algérie. La commémoration du 17 octobre apparaît moins liée pour les porteurs de mémoire à la question de l'indépendance de l'Algérie qu'à la dignité des victimes et à la question de la discrimination dont peuvent faire l'objet les travailleurs immigrés et leurs familles. Dès lors que les revendications des manifestants le 17 octobre concernaient à la fois l'indépendance de l'Algérie et la protestation contre les discriminations et contre le couvre-feu de fait imposé par la Préfecture de Police, il paraît difficile de n'identifier qu'un seul de ces motifs dans la loi.

La rapporteure s'est interrogée sur le choix de décrire les manifestants comme « Algériens », ce qui était juridiquement inexact au moment des faits : la nationalité algérienne n'existait pas et tous les citoyens résidents en Algérie avaient la même nationalité et les mêmes droits civiques depuis les réformes de 1944 et 1956, la seule distinction étant celle de leur statut civil.

La rapporteure a cependant constaté que cette formule fait consensus parmi les historiens, qui se fondent notamment sur la perception que les manifestants pouvaient avoir d'eux-mêmes en tant qu'Algériens et non en tant que Français musulmans d'Algérie, alors que d'autres, notamment les supplétifs de l'armée et de la police françaises, se considéraient comme Français.


* 6 Proposition de loi n° 4162 (XIVème législature) relative à la reconnaissance du massacre des Algériens du 17 octobre 1961 à Paris.

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