Rapport n° 302 (2021-2022) de Mme Catherine MORIN-DESAILLY , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 15 décembre 2021

Disponible au format PDF (617 Koctets)

Synthèse du rapport (384 Koctets)


AVANT-PROPOS

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a adopté, le 15 décembre 2021, la proposition de loi de Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias, qui constitue l'aboutissement des travaux conduits par le Sénat sur la question des restitutions.

Cette proposition de loi vise à combler les faiblesses de la procédure actuelle. Elle permet de poser un cadre juridique pérenne et transparent pour traiter les demandes de restitution reçues par la France et poursuivre la réflexion prospective indispensable sur ces questions, tout en réservant un sort particulier aux restitutions des restes humains , pour lesquelles un dispositif-cadre est d'ores et déjà possible.

Souscrivant pleinement à ses objectifs, la commission y a apporté plusieurs modifications afin de garantir le caractère opérationnel du dispositif et d' engager davantage notre pays sur la voie d'une gestion plus éthique de nos collections .

I. COMBLER LES FAIBLESSES DE LA PROCÉDURE ACTUELLE DE RESTITUTION

A. UNE PROCÉDURE INSUFFISAMMENT TRANSPARENTE ET COLLÉGIALE

Faute d'avoir véritablement anticipé la montée des revendications en matière de restitution en engageant à temps une réflexion de fond, la France se retrouve aujourd'hui dans un moment charnière où il lui faut se doter d'une méthode pour répondre aux demandes légitimes de circulation et de retour des biens culturels, sans exacerber les tensions et les frustrations.

1. L'absence de débat démocratique et transparent

Alors que le Parlement est la seule autorité habilitée à faire sortir un bien des collections publiques en vue de son éventuelle restitution, il a été dépossédé de ce rôle par le pouvoir exécutif :

- soit il a été sollicité pour entériner la restitution de biens culturels que le Président de la République ou le Gouvernement s'était déjà engagé à rendre auprès des autorités des pays demandeurs, le privant de toute capacité à jouer un véritable rôle dans le processus et ce d'autant plus que les travaux, en particulier scientifiques, ayant permis d'instruire la demande, n'ont jamais été rendus publics (cas de la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal, cas à venir du tambour parleur des Ebrié revendiqué par la Côte d'Ivoire) ;

- soit il a été contourné par le biais de la remise aux pays concernés de certains biens revendiqués sous la forme d'un dépôt (cas des crânes algériens remis à l'Algérie en juillet 2020 et de l'élément décoratif en forme de couronne remis à Madagascar en novembre 2020). Le recours à cette procédure aux fins d'anticiper des restitutions, voire de les travestir, apparait malhonnête et délétère pour le débat démocratique.

L'opacité des décisions de restitution pose d'autant plus problème que les collections publiques appartiennent à la Nation.

2. Une concertation insuffisante avec les pays demandeurs

Le processus actuel ne parait pas non plus satisfaire pleinement les pays demandeurs . Dans son rapport sur les nouvelles relations France-Afrique remis au Président de la République en octobre 2021, Achille Mbembe regrette le manque de clarté de la procédure de restitution en France et l'instrumentalisation de cette question « dans des jeux d'intérêts et de pouvoir ». Il note que le processus « fait peu cas des voix, voire de l'expertise, africaine », ajoutant que « là où cette expertise est sollicitée, elle est diluée et sans conséquence notable sur la décision finale ».

Ce manque de concertation avec les pays demandeurs fait courir le risque que les restitutions ne se résument qu'à des opérations sans suite , alors qu'elles n'ont de sens que si elles constituent un volet d'un véritable processus de coopération dans le domaine culturel et patrimonial, au bénéfice des deux parties.

B. DES TRAVAUX RESTÉS SANS SUITE CONCERNANT LES RESTES HUMAINS

À l'inverse de la question de la restitution des objets d'art sur laquelle le lancement d'une réflexion globale a toujours été différée, la gestion des collections de restes humains a fait l'objet de travaux approfondis par un groupe de travail pluridisciplinaire , comme l'avait souhaité le législateur dans le cadre de la loi du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections, déposée par Catherine Morin-Desailly.

Ces travaux ont permis de déboucher sur un accord autour d'une série de critères pouvant justifier d'éventuelles restitutions et sur une proposition de faire appel au juge pour obtenir la sortie de ces restes humains des collections publiques afin d'en faciliter la restitution. Ils n'ont cependant jamais fait l'objet d'une réception officielle de la part du Gouvernement.

Malgré cette réflexion aboutie, les travaux du groupe de travail sur les restes humains sont restés lettre morte, faute de réelle volonté des gouvernements successifs d'avancer sur ces questions.

La solution préconisée par le groupe de travail aurait pu être intégrée à la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, mais des questions de priorisation ont conduit le Gouvernement de l'époque à privilégier la lutte contre le trafic illicite de biens culturels, alors que rien ne faisait obstacle à ce que cette loi traite les deux enjeux.

L'absence de disposition facilitant la restitution des restes humains se révèle aujourd'hui problématique , comme l'illustre le choix du Gouvernement de recourir en juillet 2020 à la solution, en principe temporaire, du dépôt pour remettre aux autorités algériennes des crânes conservés dans les collections du Museum national d'histoire naturelle, inhumés dès le surlendemain au cimetière d'El Alia, dans la banlieue d'Alger.

II. UNE PROPOSITION DE LOI OPPORTUNE QUI NÉCESSITE DES AMÉLIORATIONS POUR GARANTIR SON OPÉRATIONNALITÉ

A. UN CADRE JURIDIQUE PÉRENNE ET TRANSPARENT RÉPONDANT AUX BESOINS ACTUELS

1. Une proposition directement inspirée des récents travaux du Sénat

La proposition de loi s'inscrit dans la continuité des travaux rendus en décembre 2020 par la mission d'information de la commission de la culture sur les restitutions de biens culturels appartenant aux collections publiques, lancée à l'initiative de Catherine Morin-Desailly. Elle vise à répondre aux deux principaux enjeux identifiés par cette mission :

- l'urgence à engager un véritable travail de fond permettant à la France de répondre de manière solide et cohérente aux enjeux associés au retour des biens culturels vers leur pays d'origine et à la gestion éthique de collections, plutôt que de continuer à prendre des décisions, dictées uniquement par l'urgence ou par des considérations diplomatiques ;

- la nécessité de répondre à cette question avec rigueur historique et scientifique et en toute transparence , compte tenu de sa complexité, de son caractère sensible et de ses effets potentiellement déstabilisateurs sur deux principes fondamentaux de nos musées, à savoir l'inaliénabilité des collections et leur conception universaliste.

L'article 1 er du texte instaure une instance scientifique pérenne chargée de réfléchir à la question des restitutions et de donner son avis, sur chacune des demandes, avant toute réponse politique formelle. Le Sénat s'était prononcé en faveur de la création d'une telle instance, déjà proposée par la rapporteure de la commission, Catherine Morin-Desailly, lors de l'examen du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Cette création parait judicieuse pour apporter plus de transparence à la procédure, recentrer l'examen des demandes sur la vérité historique et garantir une plus grande permanence dans les décisions de la France malgré les alternances politiques. Ce type de commission a déjà fait la preuve de son efficacité dans d'autres domaines (Commission nationale du patrimoine et de l'architecture, Commission pour l'indemnisation de victimes de spoliation de biens culturels pendant l'occupation).

L' article 2 découle de la réflexion initiée par le Sénat lors de l'examen de la loi précitée sur les têtes maories. Il s'agit d'une disposition-cadre visant à faciliter la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques en passant par le juge, comme le préconisait le groupe de travail pluridisciplinaire, plutôt que par le Parlement pour obtenir la sortie des collections.

Compte tenu du consensus autour de critères de restituabilité des restes humains, la France s'honorerait à aller de l'avant sur cette question.

2. Une pertinence non remise en cause par le débat actuel autour d'une loi-cadre

Le Président de la République a exprimé, en octobre dernier, le souhait de pouvoir « cadrer les restitutions dans la durée » et a confié à Jean-Luc Martinez, ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, le soin de lui faire des propositions pour établir une doctrine et des critères de restituabilité. La réflexion tout juste lancée autour d'une loi-cadre ne rend pas pour autant caduc le dispositif prévu par ces deux articles .

L'horizon auquel pourra aboutir ce travail reste très incertain . Il y a un an encore, le Gouvernement estimait qu'une loi-cadre n'était pas envisageable au regard de la difficulté à établir une critériologie suffisamment précise et exhaustive face à la variété des cas susceptibles de se présenter, craignant même qu'elle ne fasse obstacle à des restitutions qui seraient pourtant souhaitables. Il n'est pas certain que l'expérience des restitutions au Bénin et au Sénégal suffise à donner le recul nécessaire à l'identification de critères de restituabilité.

Le travail sur la provenance de nos collections et sur l'histoire des biens qui la composent doit être considéré comme un élément clé de l'élaboration d'une éventuelle loi-cadre . S'agissant des collections de restes humains, un travail de recensement des dossiers sensibles a été conduit. Il n'a pas encore été réalisé en ce qui concerne les objets d'art et fait figure d'urgence.

Compte tenu de ces incertitudes, il serait regrettable d'attendre l'adoption de ladite loi-cadre pour définir les règles applicables à la restitution des restes humains et de se priver de l'outil que pourrait constituer le conseil national de réflexion prévu par l'article 1 er pour faire progresser de façon collégiale la réflexion sur les critères de restituabilité.

Le conseil national n'est nullement incompatible avec le projet
de loi-cadre : il peut constituer un outil complémentaire.

B. L'APPORT DE LA COMMISSION : RENFORCER L'EFFICACITÉ DU DISPOSITIF

1. Garantir son caractère opérationnel

À l'article 1 er , la commission a jugé utile de prévoir la consultation systématique du personnel scientifique des pays demandeurs par le conseil national avant qu'il ne rende son avis sur les demandes de restitution présentées par des États étrangers afin d'accroître le caractère partenarial de la démarche.

La rédaction de l'article 2 comportant des risques de ne pas atteindre l'effet recherché, la commission en a adopté une nouvelle qui définit précisément le cadre général applicable à la restitution des restes humains et confie cette tâche à l'administration.

2. Progresser en matière de gestion éthique des collections

La gestion éthique de nos collections apparait comme l'un des axes essentiels de la réponse aux demandes de retour et aux questionnements actuels sur la légitimité desdites collections. Il est indispensable de mieux connaître et de mieux faire connaître le parcours des pièces qui la composent afin, d'une part, de restaurer l'image des collections et de leur conception universaliste et, d'autre part, de démontrer que l'essentiel des pièces originaires de pays tiers n'a pas vocation à être rendu. Forte de cette conviction, la commission a souhaité :

- donner une impulsion politique au travail sur la recherche de provenance , en confiant au conseil national le soin de formuler des recommandations sur la méthodologie et le calendrier dans ce domaine. La commission estime nécessaire que le Gouvernement fasse de ce travail une priorité politique en y allouant, comme vient de le faire l'Allemagne, les moyens nécessaires à sa réalisation dans des délais raisonnables , les musées ne disposant pas aujourd'hui des personnels pour remplir cette mission ;

- renforcer la capacité de réflexion du conseil national en ouvrant sa composition à d'autres sensibilités (archéologues, anthropologues), dans la limite du plafond de douze membres fixé par le texte initial.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Création d'un Conseil national de réflexion
sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens

Cet article vise à créer une instance de réflexion et de consultation compétente sur les questions relatives à la circulation et au retour des biens culturels extra-européens conservés dans les collections publiques. Elle serait notamment chargée de donner son avis sur les demandes de restitution émanant de pays étrangers.

I. - Le dispositif de la proposition de loi : la mise en place d'une procédure pérenne et transparente encadrant la méthode des restitutions

Cet article vise à introduire un nouveau chapitre dans le titre I er du code du patrimoine consacré à la protection des biens culturels créant une instance compétente sur les questions relatives à la circulation et au retour des biens culturels extra-européens conservés dans les collections publiques , dénommée « Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européens ». Ce nouveau chapitre comporte trois articles, qui définissent les missions (article L. 117-1) et la composition (article L. 117-2) de ce conseil et renvoient à un décret en Conseil d'État le soin d'en préciser les modalités d'application (article L. 117-3).

La création de cette instance répond au souci de pallier les faiblesses et les dysfonctionnements de la procédure actuelle de restitution au travers d' une instance de contrôle et de réflexion pérenne en matière de restitutions . Elle poursuit deux objectifs :

- d'une part, encadrer la procédure de restitution afin de la rendre plus transparente et de garantir que les demandes de restitution soient avant tout examinées avec rigueur historique et scientifique. L'exposé des motifs de la proposition de loi précise ainsi que le conseil national doit contribuer « à préserver le principe d'inaliénabilité des collections, en apportant aux pouvoirs publics un éclairage scientifique dans leur prise de décision, réduisant le risque que ladite décision ne soit le "fait du prince" et ne réponde exclusivement à des considérations diplomatiques ou des revendications mémorielles ou communautaires ». ;

- d'autre part, doter la France d'un outil lui permettant d'engager une réflexion et un travail de fond sur les enjeux associés au retour des biens culturels vers leur pays d'origine, qui soient moins susceptibles de fluctuer au gré des alternances politiques.

À cet effet, le conseil national se verrait attribuer deux rôles :

- un rôle consultatif . En application du 1° de l'article L. 117-1, il serait chargé de rendre un avis sur les demandes de restitution avant toute réponse politique formelle des autorités françaises au pays demandeur. Rendu public, son avis n'aurait qu'un caractère simple, les pouvoirs publics restant libre de le suivre ou non. Le conseil ne serait pas compétent pour juger de toutes les demandes de restitution : les demandes relatives à des biens culturels qui auraient fait l'objet d'un trafic illicite en application de la convention de l'Unesco de 1970 sont exclues de son périmètre, dans la mesure où une procédure particulière est déjà prévue par le code du patrimoine. Il en irait de même des demandes de restitution relatives à des restes humains, pour lesquelles l'article 2 de la présente proposition de loi vise à fixer une procédure spécifique ;

- un rôle de réflexion . En application du 2° du nouvel article L. 117-1, il aurait pour mission de prodiguer des conseils sur les questions entrant dans son champ de compétences à la demande des ministres intéressés ou des commissions chargées de la culture et des affaires étrangères du Parlement afin de les accompagner dans leurs éventuels questionnements prospectifs.

Le nouvel article L. 117-2 limite sa composition à un maximum de douze membres, choisis pour l'essentiel en raison de leurs compétences scientifiques , dont au minimum, trois conservateurs, un historien, un historien de l'art, un ethnologue et un juriste spécialisé en droit du patrimoine. L'article confie aux ministres chargés de la culture et de la recherche le soin de procéder aux désignations.

L'exposé des motifs de la proposition de loi précise que cette composition a été fixée afin de ne pas reproduire les erreurs qui avaient été à l'origine de certaines des difficultés de fonctionnement de la Commission scientifique nationale des collections , créée par la loi du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections afin de contrôler les déclassements des biens appartenant aux collections publiques, et finalement supprimée par la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique. La composition pléthorique de cette commission avait nui à son efficacité et paralysé son fonctionnement, en l'empêchant régulièrement de réunir le quorum.

II. - La position de la commission : renforcer l'efficacité du conseil créé par la proposition de loi

Le Sénat avait déjà adopté une disposition identique en 2020 , sur proposition de la rapporteure de la commission de la culture, Catherine Morin-Desailly, dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et du Sénégal. Il avait alors estimé que la création d'une instance scientifique pérenne serait opportune pour apporter plus de transparence à la procédure de restitution, recentrer l'examen des demandes sur la vérité historique et garantir une plus grande permanence dans les décisions de la France en matière de restitution malgré les alternances politiques. Alors rejetée par les députés, elle n'avait pas été intégrée dans la loi définitivement promulguée.

Cette solution permettrait par ailleurs de ne pas limiter la réflexion sur les restitutions au seul patrimoine africain et d' instaurer une procédure unique pour toutes les demandes de restitution susceptibles de se poser , quel que soit l'État dont elles émanent. Même si une proportion très substantielle du patrimoine de l'Afrique subsaharienne est aujourd'hui détenue hors de ce continent , cette situation ne paraît pas de nature à justifier un traitement juridique différencié au profit des États africains par rapport aux pays d'autres continents.

Le caractère complexe et sensible des questions relatives aux restitutions plaident pour la mise en place d'une instance de contrôle garantissant une véritable transparence .

Ce type d'instance a déjà fait la preuve de son efficacité dans d'autres domaines. La Commission nationale du patrimoine et de l'architecture joue un rôle essentiel de contrôle de la reconstruction de la cathédrale de Notre-Dame de Paris. En matière de spoliation, la Commission pour l'indemnisation de victimes de spoliation de biens culturels pendant l'occupation (CIVS) joue un rôle majeur dans le traitement des spoliations depuis sa création en 1999. Le Gouvernement lui-même a souhaité en étendre les pouvoirs fin 2018 afin d'en faire véritablement l'une des clés de voûte de la recherche sur les oeuvres spoliées : elle peut désormais recommander, de sa propre initiative ou à la demande de toute personne concernée, la restitution d'oeuvres spoliées ou, à défaut, des mesures d'indemnisation des victimes.

La réflexion lancée il y a quelques semaines par le Président de la République autour d'une loi-cadre ne rend en aucune manière le dispositif prévu par cet article sans objet .

D'une part, il n'apparait pas certain que ce projet puisse rapidement aboutir . Les travaux de recherche sur la provenance des oeuvres d'art présentes dans les collections n'en sont encore qu'à leurs balbutiements. L'absence de moyens suffisants alloués aux musées à cet effet est un vrai handicap pour progresser rapidement dans cette direction. Il manque aujourd'hui une impulsion politique suffisante dans ce domaine, même si les musées se lancent de plus en plus dans cette tâche. Or, l'identification des cas sensibles constitue sans doute un préalable pour déterminer correctement les critères permettant de traiter correctement la multiplicité de cas susceptibles de se présenter, sans faire obstacle à des restitutions qui seraient pourtant légitimes.

D'autre part, le conseil national n'est pas incompatible avec le projet de loi-cadre . Dès à présent, il peut permettre de faire progresser de façon collégiale la réflexion sur les critères de restituabilité. Demain, il constituera un instrument utile afin de contrôler la bonne application des critères fixés par la loi-cadre et de poursuivre la réflexion sur les voies d'amélioration de la circulation et du retour des biens culturels conservés dans les collections publiques.

Souscrivant pleinement à ce dispositif, la commission de la culture a adopté plusieurs amendements, à l'initiative de la rapporteure, de nature à permettre au futur conseil de mieux répondre aux enjeux susceptibles de se poser en matière de circulation et de retour des biens culturels.

Outre un amendement de modification sémantique ( COM-1 ), elle a adopté un amendement COM-2 étoffant les missions du conseil en lui confiant le soin de formuler des recommandations relatives à la méthodologie et au calendrier des travaux consacrés à la recherche de provenance .

Elle a adopté un amendement COM-3 prévoyant une obligation de consultation des experts scientifiques des pays demandeurs lorsque le conseil national prépare son avis sur une demande de restitution.

Elle a par ailleurs adopté deux amendements visant à renforcer la capacité de réflexion du conseil en ouvrant sa composition à un archéologue ( COM-4 ) et en donnant la possibilité d'y faire siéger un anthropologue au même titre qu'un ethnologue ( COM-5 ), tout en conservant le nombre maximal de douze membres.

Par ailleurs, pour faciliter la mise en place rapide de cette instance une fois la loi promulguée, elle a adopté un amendement COM-6 octroyant un délai maximal de quatre mois au Gouvernement pour la publication des mesures réglementaires d'application .

La commission a adopté cet article ainsi modifié

Article 2

Instauration d'une procédure judiciaire d'annulation de l'acquisition de certains restes humains en vue de leur restitution

Cet article vise à faciliter la restitution de certains restes humains appartenant aux collections publiques, afin de ne plus avoir à recourir à l'avenir à une autorisation au cas par cas du législateur pour les faire sortir des collections.

I. - La situation actuelle : l'obligation de recourir à des lois spécifiques

Le principe à valeur législative d'inaliénabilité des collections publiques , prévu à l'article L. 451-5 du code du patrimoine, empêche de transférer la propriété d'un bien conservé dans lesdites collections. Seul le législateur peut faire exception à ce principe en en autorisant sa sortie définitive. À deux reprises par le passé, le Parlement a été amené à voter des lois spécifiques pour rendre possible, en 2002, la restitution des restes de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud et, en 2010, la restitution des têtes maories.

La nécessité de recueillir l'autorisation du Parlement avant toute restitution ralentit considérablement la procédure et peut décourager les initiatives . Elle a également conduit le Gouvernement à détourner la procédure de dépôt en juillet 2020 pour satisfaire, à la veille du 58 e anniversaire de l'indépendance algérienne, la demande de l'Algérie de restitution de plusieurs crânes de résistants algériens décapités au XIX e siècle conservés dans les collections françaises.

L'adoption par le Parlement d'un cadre général pour les restitutions de certains restes humains constituerait donc une avancée. Dans la foulée de la loi de restitution des têtes maories, un groupe de travail , mis en place conjointement par le ministère de la culture et le ministère de la recherche et de l'innovation a examiné les voies possibles de restitution de restes humains qui permettraient de ne plus avoir à adopter de lois spécifiques. Il était animé par Michel Van Praët, professeur émérite du muséum national d'histoire naturelle.

Ce groupe s'est mis d'accord autour de plusieurs critères de restituabilité des restes humains et a préconisé une solution consistant à faire appel au juge pour obtenir au cas par cas la sortie de restes humains des collections publiques, dans le cadre d'un recours visant à annuler leur acquisition .

Une telle procédure judiciaire a déjà été mise en place par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine pour les biens culturels qui auraient été volés ou illicitement exportés après l'entrée en vigueur, en France et dans l'État d'origine, de la convention de l'Unesco de 1970 sur le trafic de biens culturels. Elle est prévue par l'article L. 124-1 du code du patrimoine. Cette procédure ne semble néanmoins jamais avoir été utilisée jusqu'à présent. Le fait que le ministère de la culture n'ait jamais pris les mesures d'application nécessaires pour permettre sa mise en oeuvre n'y est sans doute pas étranger.

Cet exemple est révélateur de l'inertie du ministère sur ces différentes questions. Aucune suite n'a été donnée jusqu'alors au rapport du groupe de travail sur la gestion des restes humains patrimonialisés , celui-ci n'ayant même jamais fait l'objet d'une réception officielle par le Gouvernement.

II. - Le dispositif de la proposition de loi : faciliter la restitution des restes humains en faisant appel au juge pour annuler au cas par cas leur acquisition et permettre leur sortie des collections

Cet article vise à instaurer la solution proposée par le groupe de travail interministériel et pluridisciplinaire sur la gestion des restes humains patrimonialisés.

Il crée un nouvel article L. 124-2 dans le code du patrimoine permettant à la personne publique propriétaire d'un corps humain ou d'éléments de corps humain dûment identifiés , dès lors qu'une demande de restitution a été formellement adressée par l'État d'origine , de saisir le juge pour faire annuler leur acquisition et ordonner leur restitution .

Il renvoie à un décret en Conseil d'État le soin d'en fixer les modalités d'application.

Cette procédure ne pourrait donc concerner que des restes d'individus précisément nommés ou des restes d'individus non nommés, mais dont l'appartenance à un pays ou à une communauté est identifiable.

Elle ne pourrait être déclenchée qu'à la condition que l'État d'origine ait présenté une demande formelle de restitution.

L'exposé des motifs de la proposition de loi précise qu'il conviendrait que la saisine du juge ne puisse intervenir qu'à l'issue d'un examen scientifique préalable , réalisé par une équipe composée de scientifiques français et de scientifiques de l'État demandeur, permettant de s'assurer du bien-fondé de la restitution . Il dresse la liste des différents critères qui devront être appréciés lors de cet examen :

- la demande doit émaner d'un État relayant le souhait d'une famille ou d'une communauté existante située sur son territoire (critère temporel) ;

- les conditions dans lesquelles les restes ont été collectés doivent porter atteinte au principe de dignité humaine ;

- la restitution doit être justifiée au regard du respect dû aux cultures et croyances des autres peuples ;

- la restitution doit permettre d'initier une réflexion commune avec le pays demandeur sur ce qu'elle représente, ce qui signifie qu'elle doit déboucher sur des coopérations scientifiques et culturelles.

Ces critères correspondent à ceux qui avaient été dégagés par le groupe de travail.

III. - La position de la commission : remplacer ce dispositif par une véritable disposition-cadre plus opérante

Les auditions ont révélé que la solution préconisée par le groupe de travail n'avait pas fait l'objet de concertations préalables avec le ministère de la justice . Or, celui-ci estime que le dispositif comporte des fragilités qui pourraient le rendre inopérant . Plusieurs motifs ont été mentionnés :

- la difficulté pour le juge d'annuler une acquisition sans qu'existe un véritable motif d'ordre public ;

- le danger que l'annulation de l'acquisition ne permette pas pour autant la restitution des restes humains concernés, dans la mesure où ils seront remis à son ancien propriétaire, qui peut être opposé à leur restitution ;

- le risque que la disposition ne puisse être censurée pour incompétence négative par le Conseil constitutionnel, dès lors qu'elle renvoie au pouvoir réglementaire le soin de déterminer précisément les conditions dans lesquelles le juge pourra prononcer l'annulation de l'acquisition, alors que seul le législateur est habilité à poser des exceptions au principe d'inaliénabilité des collections.

Compte tenu de l'encombrement des tribunaux, il est par ailleurs apparu que cette solution ne permettrait sans doute pas réellement d'accélérer d'éventuelles restitutions par rapport au vote d'une loi spécifique .

La commission de la culture a néanmoins estimé qu'il serait dommage de ne pas aller plus loin sur la question de la restitution des restes humains et de ne pas profiter du bénéfice du travail effectué autour de critères de restituabilité. D'une part, les restes humains, même patrimonialisés, présentent des spécificités par rapport aux autres biens culturels conservés dans les collections publiques qui justifient qu'un traitement particulier soit réservé aux demandes de restitution qui les concernent . D'autre part, le besoin de faciliter les restitutions de restes humains est réel .

Évidemment, tous les cas ne sont pas litigieux et ne posent pas de problèmes éthiques. La majorité des individus conservés dans les collections sont d'origine européenne, même si des questions peuvent néanmoins se poser dans le cas d'individus tels que les aliénés et les condamnés à mort, en dépit du fait qu'ils soient entrés légalement dans les collections.

Plusieurs pièces conservées dans les collections publiques apparaissent comme des cas potentiellement litigieux . Il peut s'agir :

- d'individus identifiés et clairement nommés. C'est le cas par exemple d'un groupe de cinq Inuits aujourd'hui conservés dans les collections du Museum national d'histoire naturelle. Emmenés en Europe en 1880 pour être exposés dans des spectacles, ils sont morts à Paris de la variole à la fin de cette même année. Enterrés au cimetière de Saint-Ouen, leurs squelettes ont été exhumés cinq ans après pour enrichir les collections anthropologiques à des fins de recherches scientifiques.

- d'individus anonymes, mais dont l'appartenance à un groupe est clairement établie ou les conditions de collecte sont connues. Les muséums d'histoire naturelle possèdent ainsi des collections de squelettes et de crânes faisant l'objet de revendications (crânes aborigènes réclamés par le gouvernement australien) ou susceptibles de faire l'objet de demandes.

La commission a donc remplacé le dispositif initial par une disposition définissant un cadre général visant à faire sortir un certain nombre de restes humains des collections et à en autoriser la restitution dans le cas où elle serait demandée ( COM-7 ). Il pose précisément les conditions dans lesquelles ces deux opérations distinctes seraient possibles.

Ce nouveau dispositif prévoit, dans un premier temps, la sortie des collections des restes humains remplissant un certain nombre de conditions , à savoir ceux :

- qui sont dûment identifiés, ce qui renvoie à la fois aux individus nommés et aux individus anonymes dont l'origine est clairement établie ;

- qui appartiennent à des groupes humains dont les cultures et les traditions perdurent. Cette condition exclue de facto le cas, par exemple, des momies égyptiennes ;

- dont les conditions de collecte ou la présence dans les collections portent atteinte au principe de dignité de la personne humaine. Cette condition renvoie, par exemple, à la violence ou aux actes de barbarie dont ils ont pu faire l'objet ou aux éventuelles violations de sépulture qui ont pu intervenir ;

- sur lesquelles aucune recherche scientifique n'a été menée au cours des dix dernières années, signe que leur conservation dans les collections n'est nullement justifiée.

Ces restes humains feraient l'objet d'un récolement et seraient inscrits provisoirement sur un inventaire transmis à leur État d'origine . Ils resteraient néanmoins conservés dans les collections jusqu'à leur restitution éventuelle.

Dans un second temps, le dispositif pose une obligation pour l'administration de restituer les restes qui auraient été revendiqués par leur État d'origine, sous réserve que certaines conditions supplémentaires entourant leur retour soient réunies . Leur retour doit être justifié au regard du principe de dignité et de respect de toutes les cultures. Il ne doit pas avoir pour objet leur exposition. Il doit s'inscrire dans un processus de coopération scientifique et culturel avec le pays demandeur.

Afin de rendre possible la restitution de restes humains d'origine française - le cas étant, par exemple, susceptible de se présenter s'agissant des collectivités d'outre-mer -, le dispositif ménage la possibilité d'une demande de restitution émanant d'un groupe humain vivant pour les restes humains d'origine française.

Cette procédure en deux étapes constitue une solution pour répondre aux demandes de restitution fondée sur le respect, l'éthique et le souci d'en revenir à la vérité historique.

La commission de la culture considère qu' un tel mécanisme permet à la fois de poser un cadre clair et transparent aux demandes de restitution portant sur des restes humains et d'accélérer l'identification des cas sensibles au sein de nos collections en demandant aux institutions muséales de réaliser de véritables enquêtes scientifiques sur leurs collections. Il permettrait de régler un certain nombre de cas sensibles, ainsi que de régulariser, a posteriori, la mise en dépôt des crânes algériens.

Elle jugerait important que le travail qu'auront à engager les institutions muséales sur cette base soit réalisé en partenariat avec les États d'origine , afin de saisir cette occasion pour nouer dès à présent de nouvelles coopérations.

La commission a adopté cet article ainsi modifié .

*

* *

La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 15 DÉCEMBRE 2021

___________

M. Laurent Lafon, président . - Nous entendons ce matin le rapport de Catherine Morin-Desailly sur la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques. Je vous rappelle que ce texte est l'aboutissement, sur le plan législatif, des travaux de la mission d'information sur la restitution des biens culturels appartenant aux collections publiques, dont Max Brisson et Pierre Ouzoulias étaient les rapporteurs.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure, coauteure de la proposition de loi . - Je serai brève sur l'historique et les enjeux de cette proposition de loi, car vous avez encore tous sans doute à l'esprit les débats que nous avions eus, il y a un an, au sujet du projet de loi de restitution de biens culturels à la République du Bénin et du Sénégal, et dans le cadre de cette mission d'information.

Les demandes de restitution constituent une question complexe, parce qu'elles mettent en jeu le principe d'inaliénabilité de nos collections et questionnent la légitimité du projet universel des musées, deux pierres angulaires de nos institutions patrimoniales. C'est pourquoi il faut les traiter avec la plus grande rigueur et la plus grande transparence, au plus près de la vérité historique.

Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité de la réflexion conduite par le Sénat depuis vingt ans en faveur d'une gestion plus éthique des collections, qui a débuté en 2002 avec la loi de restitution de la Vénus hottentote, Saartjie Baartman, à l'Afrique du Sud, et la loi Musées, et s'est poursuivie ensuite avec la loi de restitution des têtes maories en 2010, dont j'étais à l'initiative, et la loi de restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal l'an passé, dont j'étais la rapporteure.

Quel est l'objet de ce texte ?

Son premier objectif est de cadrer la méthode applicable aux décisions de restitution pour la rendre plus transparente, plus collégiale, plus scientifique, mais aussi lui garantir une cohérence et une permanence quelle que soit la majorité politique au pouvoir.

La manière dont ont été conduites les dernières restitutions n'a guère été satisfaisante.

Premier constat, le Parlement a été dépossédé de son pouvoir, alors qu'il est pourtant le seul habilité à autoriser la sortie de biens culturels des collections. Le législateur a la compétence exclusive de pouvoir faire exception au principe d'inaliénabilité des collections, principe de valeur législative. Malgré ce principe, qu'observe-t-on depuis deux ans ? Soit le Parlement a été sollicité pour entériner la restitution de biens culturels que le Président de la République ou le Gouvernement s'étaient déjà engagés à rendre, soit il a été contourné par le biais de la remise aux pays concernés de certains biens revendiqués sous la forme d'un dépôt, comme ce fut le cas pour la couronne du dais de la dernière reine de Madagascar, qui a été restitué au moment même où nous débattions du texte visant à restituer des objets au Bénin et au Sénégal.

Deuxième constat : l'instruction des demandes a été menée dans une grande opacité, donnant le sentiment que les considérations diplomatiques l'emportaient sur tout le reste. Le travail scientifique que les musées ont effectivement réalisé pour instruire les demandes de restitution n'a jamais été rendu public. Vous vous souvenez sans doute que l'étude d'impact qui accompagnait le projet de loi de restitution des biens culturels au Bénin et au Sénégal était relativement succincte.

Troisième constat : les pays demandeurs eux-mêmes ne semblent pas pleinement satisfaits par le processus. Ils observent un manque de clarté de la procédure et un déficit de concertation dans l'instruction. Le risque, à terme, est que les restitutions ne se résument qu'à des opérations sans suite, alors que ce qui compte tout autant, ce sont les coopérations dans le domaine culturel et patrimonial sur lesquelles elles peuvent déboucher.

Il faut donc améliorer la procédure pour ne pas faire voler en éclat le principe fondamental d'inaliénabilité des collections, ce qui suppose avant tout de répondre aux demandes de restitution avec rigueur historique et scientifique et en toute transparence. C'est pourquoi nous devons nous emparer du sujet.

Le second objectif de la proposition de loi, c'est de doter la France d'outils lui permettant d'engager un vrai travail de fond sur les enjeux associés au retour des biens culturels vers leur pays d'origine.

Le mouvement est aujourd'hui en marche et concerne l'ensemble des anciennes puissances coloniales : c'est un fait. La réflexion progresse dans plusieurs pays. L'Allemagne vient de consacrer des moyens financiers importants pour faire la lumière sur la provenance d'une partie de ses collections. La Belgique envisage un projet de loi-cadre pour faciliter la restitution des objets présents dans les collections acquis de manière illégitime.

Chaque pays a son histoire coloniale propre, qui peut appeler une réponse distincte. Mais il est important que la France soit en mesure de répondre de manière solide et cohérente aux demandes en anticipant le sujet, plutôt que de continuer à avoir une position défensive et à prendre des décisions dictées uniquement par l'urgence ou par des considérations diplomatiques.

Le manque d'allant manifesté par le ministère de la culture et par un grand nombre de conservateurs pour réfléchir à ces questions depuis vingt ans est très largement responsable de la situation actuelle. Notre ancien collègue Philippe Richert, qui a été rapporteur de la loi sur la restitution de la Vénus hottentote, de la loi Musées et de la proposition de loi de restitution des têtes maories en 2010, avait déjà soulevé ce problème lors de l'examen de cette dernière. La manière dont il a été fait obstacle au travail de la Commission scientifique nationale des collections est très révélatrice. Si le ministère s'était davantage saisi de cet enjeu, le ministère des affaires étrangères n'aurait sans doute pas autant repris le sujet en main et nous aurions sans doute pu éviter bien des dysfonctionnements que nous observons aujourd'hui. Aucun ministre de la culture ne s'est véritablement préoccupé du sujet, à l'exception peut-être de Frédéric Mitterrand à l'occasion de la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande.

Deux articles composent cette proposition de loi.

L'article 1 er vise à créer un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens. Là encore, je serai brève, car vous vous souvenez sans doute que c'était déjà la solution que le Sénat avait adoptée, sur ma proposition, dans le cadre du projet de loi de restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal.

Cette instance doit permettre de combler les faiblesses de la procédure actuelle que je viens d'évoquer et de compenser l'inertie du ministère de la culture.

Elle aurait une double mission : donner son avis sur les demandes de restitution, afin d'apporter aux pouvoirs publics un éclairage scientifique dans leur prise de décision ; et mener une réflexion prospective en matière de circulation et de retour des biens culturels.

Pour tenir compte des problèmes de fonctionnement rencontrés par la Commission scientifique nationale des collections, instituée par la loi de restitution des têtes maories, qui ont conduit à sa suppression par le Gouvernement il y a un an, l'objet du Conseil national est clair et sa composition est réduite à douze membres pour garantir son efficacité. Il s'agit, pour l'essentiel, de personnalités qualifiées choisies pour leurs compétences scientifiques - conservateurs, historiens, historiens de l'art, ethnologues, juristes -, nommées par le ministre de la culture et le ministre de la recherche, l'objectif étant de remettre ces deux ministères au centre du jeu.

L'article 2, quant à lui, vise à faciliter la restitution de certains restes humains conservés dans les collections publiques. À cet effet, il crée une nouvelle procédure judiciaire permettant, au cas par cas, l'annulation de l'acquisition par les musées de certains restes humains en vue de leur restitution. L'un des intérêts de cette procédure, c'est qu'elle permet de faire sauter le verrou de l'inaliénabilité. Si l'acquisition est annulée, c'est comme si le bien n'avait jamais fait partie des collections publiques : il peut donc être restitué sans nécessiter une autorisation expresse du Parlement.

Cette solution s'inspire de celle mise en place par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine pour les biens culturels qui se révéleraient avoir fait l'objet d'un trafic illicite.

L'article 2 met en place cette mesure d'annulation de l'acquisition, parce qu'elle avait été proposée comme piste par le groupe de travail mis en place par le ministère de la culture et le ministère de la recherche à la suite de la loi sur les têtes maories. Ce groupe s'était mis d'accord autour de plusieurs critères de restituabilité des restes humains et avait identifié cette solution comme la meilleure voie pour faciliter les restitutions sans avoir à recourir à l'intervention du Parlement. Michel Van Praët, éminent muséologue, professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle, nous l'avait présentée lorsqu'il avait été auditionné par la commission en janvier 2020.

Au final, que penser de ces deux articles ?

En ce qui concerne l'article 1 er , je suis convaincue que la création d'une instance scientifique pérenne est opportune pour apporter plus de transparence à la procédure, recentrer l'examen des demandes sur la vérité historique et garantir une plus grande permanence dans les décisions de la France malgré les alternances politiques.

Ce type d'instance a déjà fait la preuve de son efficacité dans d'autres domaines. Pensons au rôle joué par la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture dans le dossier de Notre-Dame de Paris ! C'est une vraie garantie en termes de transparence et de contrôle, surtout lorsque l'on traite de sujets aussi complexes et sensibles que celui des restitutions, qui échappent aujourd'hui très largement au ministère de la culture.

Je note d'ailleurs, que sur d'autres sujets - pas très éloignés -, le Gouvernement s'est montré favorable au rôle que pouvaient jouer certaines commissions : par exemple, les pouvoirs de la Commission pour l'indemnisation de victimes de spoliation de biens culturels pendant l'occupation (CIVS) ont été accrus fin 2018 pour l'autoriser à recommander, de sa propre initiative ou à la demande de toute personne concernée, la restitution d'oeuvres spoliées ou, à défaut, des mesures d'indemnisation des victimes.

Par ailleurs, je ne crois pas que la réflexion que le Président de la République vient de lancer autour d'une loi-cadre rende le dispositif sans objet. Bien au contraire ! Nous ne savons absolument pas à quel moment ce travail pourra aboutir. Nous avons auditionné une dizaine de personnes. Il y a un an encore, le Gouvernement estimait qu'une loi-cadre n'était pas envisageable et qu'il serait extrêmement difficile d'établir une critériologie suffisamment précise et exhaustive pour convenir à la multiplicité des cas susceptibles de se présenter. Il craignait que l'adoption de critères ne fasse obstacle à des restitutions qui seraient pourtant souhaitables. C'est en tout cas ce qu'il écrivait dans l'étude d'impact du projet de loi de restitution au Bénin et au Sénégal.

On peut donc s'interroger sur ce brusque revirement, sachant que le travail sur la provenance de nos collections et sur l'histoire des biens qui la composent n'en est encore qu'à ses balbutiements. Or, il s'agit à mon sens d'un élément clé de l'élaboration d'une éventuelle loi-cadre, parce qu'il me paraît nécessaire d'avoir identifié au préalable les cas sensibles pour déterminer correctement les critères. L'essentiel des pièces originaires de pays tiers n'a pas vocation à être rendu. Et ce qui valait pour le Bénin et le Sénégal ne vaudra pas forcément pour des biens provenant d'autres pays, d'autant que la question des restitutions ne se résume pas à l'Afrique.

Le musée du quai Branly - Jacques Chirac s'est engagé dans ce travail de recherche, mais son président n'a pas caché qu'il manquait de moyens pour la déployer comme il le faudrait. Il a recruté une personne pour ce faire, qui est assistée de deux vacataires, de quelques étudiants boursiers et d'un bénévole... La situation est évidemment encore plus difficile dans les musées de moindre envergure - je pense notamment aux musées de nos régions.

Compte tenu de ces incertitudes, il me semblerait regrettable d'attendre l'adoption de ladite loi-cadre pour renforcer la transparence de la procédure de restitution. Je crois d'ailleurs que le Conseil national pourrait faire progresser de façon collégiale la réflexion sur les critères de restituabilité et qu'il serait dommage de s'en priver.

Je vous proposerai cependant tout à l'heure une série d'amendements destinés à rendre le Conseil national plus opérant, notamment dans la perspective de faire progresser la réflexion.

J'en viens maintenant à l'article 2.

Les auditions ont révélé que la solution préconisée par le groupe de travail mis en place par le ministère de la culture et le ministère de la recherche à la suite de la loi sur les têtes maories n'avait pas fait l'objet de concertations préalables avec le ministère de la justice. Celui-ci y voit des fragilités juridiques susceptibles de rendre le dispositif inopérant.

Par ailleurs, compte tenu de l'encombrement des tribunaux, il existe un risque que cette procédure ne permette pas réellement d'accélérer d'éventuelles restitutions par rapport au vote d'une loi spécifique.

Je crois néanmoins qu'il serait vraiment dommage de ne pas aller plus loin sur la question de la restitution des restes humains et de ne pas profiter du bénéfice du travail effectué par le groupe de travail animé par Michel Van Praët autour de critères de restituabilité.

Le besoin de faciliter les restitutions de restes humains est réel. Plusieurs pièces conservées dans les collections publiques mériteraient d'être restituées. Plusieurs cas ont été portés à notre connaissance pendant les auditions, comme celui, très significatif, d'un groupe d'Inuits emmenés en Europe en 1880 pour être exposés dans des spectacles, morts de la variole, enterrés, avant que leurs squelettes ne soient exhumés cinq années plus tard à des fins de recherches scientifiques. Mais on trouve aussi étonnamment dans nos collections des crânes datant du génocide arménien ou de nombreux sujets anonymes, originaires de nombreux pays, prélevés dans des cimetières identifiables.

Je vous soumettrai donc dans quelques instants une nouvelle rédaction de l'article 2 définissant un cadre général, fondé sur des critères précis, permettant directement à l'administration de faire sortir un certain nombre de restes humains des collections et d'en autoriser la restitution dans le cas où elle serait demandée. Ces cas sont très circonscrits.

Cette procédure permettrait à mon sens à notre pays de répondre aux demandes de restitution d'une façon fondée scientifiquement et respectueuse de la dignité humaine et des cultures et croyances des autres peuples. Grâce à elle, nous pourrions régler un certain nombre de cas sensibles et régulariser, a posteriori , la mise en dépôt des crânes algériens opérée par le Gouvernement il y a un an et demi, en catimini, au moment même où nous débattions de la loi sur la restitution de biens de biens culturels à la République du Bénin et du Sénégal... Ce dispositif aurait permis de les restituer de manière transparente.

J'espère que cette proposition vous agréera, car elle participe, à mes yeux, d'une gestion plus éthique de nos collections. Cette idée a été l'une de mes préoccupations principales dans l'élaboration de ce rapport, dans la mesure où elle restait fondée d'un point de vue scientifique, car nous devons nous tenir éloignés de la repentance.

Je tiens enfin à saluer et remercier tous nos collègues, et notamment Lucien Stanzione, qui ont participé aux auditions que nous avons menées véritablement à trois avec Pierre Ouzoulias et Max Brisson dans le prolongement des travaux de notre mission d'information sur les restitutions de biens culturels. Nous beaucoup échangé ensemble pour m'aider à préparer ce rapport.

Avant de conclure, il nous revient de définir le périmètre pour l'application de l'article 45 de la Constitution. Ce périmètre pourrait comprendre les dispositions qui ont trait à l'organisation, à la procédure et aux conditions applicables au retour des biens culturels conservés dans les collections publiques ou à leur circulation au niveau international.

M. Max Brisson, coauteur de la proposition de loi . - Je voudrais d'abord remercier Catherine Morin-Desailly pour son rapport, qui montre l'intérêt de notre proposition de loi et replace ce sujet complexe dans son contexte politique, culturel et muséographique. Je voudrais saluer la constance avec laquelle elle porte cette question depuis longtemps au Sénat, contribuant à l'élaboration du point de vue équilibré et constant de la Haute Assemblée, qui tranche avec la versatilité de l'exécutif actuel sur la question !

J'ai eu le plaisir de rejoindre Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias après la démission de notre collègue Alain Schmitz, qui avaient déjà beaucoup avancé sur le sujet, pour rédiger un rapport d'information que vous avez approuvé et qui est à l'origine de la proposition de loi que nous examinons.

Le sujet est d'importance, car il renvoie à la conception que nous nous faisons de nos musées et du dialogue des cultures. Le sujet nécessite également de la constance. Or, lors de son déplacement au musée du quai Branly - Jacques Chirac, le Président de la République a pris ses ministres et ses conseillers à contrepied en annonçant, à rebours de toutes les déclarations ministérielles antérieures, à l'occasion du départ du trésor du roi Béhanzin pour le Bénin, la nécessité d'une loi-cadre sur les restitutions. Au Sénat, pourtant, la ministre n'avait pas trouvé une telle loi nécessaire. Elle avait d'ailleurs raison...

Toute restitution constitue, en effet, un cas particulier. Voilà pourquoi le Sénat a toujours estimé qu'il était nécessaire que le Parlement se prononce en dernier ressort et sur chaque cas, en étant éclairé par un travail de recherche qui permette, pour chaque oeuvre, d'en connaître la provenance, le parcours et le contexte qui a présidé à son dépôt.

Lors de ce revirement présidentiel, les analyses et les apports du Sénat n'ont pas été cités par le Président de la République. Ce n'est pas dans les habitudes de l'exécutif !

Depuis, un ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, M. Jean-Luc Martinez, a été désigné pour réfléchir au sujet et à la nécessité d'une loi-cadre. Au moment de son audition, nous n'avons cependant pas pu connaître ni le contenu de sa lettre de mission ni l'autorité à laquelle il sera rattaché pour la mener.

De même, l'exécutif, auditions après auditions, n'a jamais semblé faire cas ni du rapport présenté devant notre commission par Catherine Morin-Desailly, Pierre Ouzoulias et moi-même, ni de la proposition de loi que nous avons rédigée ensemble. Ainsi, notre proposition de création d'un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels, qui aurait à donner son avis public sur chaque demande présentée par un pays tiers, et ce avant toute promesse de restitution par l'exécutif, n'a reçu qu'une fin de non-recevoir, à peine polie. Seul le cabinet du garde des Sceaux s'est montré judicieusement coopératif sur l'article 2.

Pourtant, en écoutant le président du musée du quai Branly - Jacques Chirac, nous avons eu la confirmation de la pertinence de réaliser un travail méthodique d'éclairage, de contextualisation, de recherche pour identifier la provenance de chaque objet. Ce travail en coopération avec les scientifiques des pays demandeurs est crucial. Il pourrait faire tomber les visions idéologiques qui tendent à examiner l'histoire de chaque oeuvre au prisme d'une vision globale empruntant les lunettes déformantes du présent pour soumettre le passé aux exigences présupposées de notre époque. Oui, chaque objet a une histoire propre, qui ne peut se réduire à une vision globale et généraliste. On doit au respect de la vérité historique d'accomplir ce travail minutieux au cas par cas.

Pourtant, le musée du quai Branly effectue ce travail indispensable, sans commande politique claire et sans moyen. Plus cette démarche progresse, plus elle ramène les préconisations du rapport Sarr-Savoy à ce qu'elles sont, c'est-à-dire une démarche politique qui cherche à répondre aux oukases du présent au prix de l'universalisme de nos musées. La réalité dessinée par le travail des conservateurs, des archéologues et des historiens fait rarement bon ménage avec la réécriture historique...

Cette proposition de loi est débattue au Sénat au moment où les deux ministères concernés, celui de la culture et celui des affaires étrangères, sont face à une contradiction : ils doivent répondre à la demande présidentielle sans se renier, puisqu'ils ont longtemps porté un discours hostile à une loi-cadre, arguant du fait, à juste titre, que chaque objet est différent, que l'analyse des demandes ne peut pas obéir aux mêmes principes, et qu'il est donc préférable de les traiter dans un cadre bilatéral et par des lois ad hoc . S'ils doivent, annonces présidentielles obligent, se résoudre à promouvoir une loi-cadre dont ils rejetaient le principe il y a un an, pourquoi refusent-ils encore de soumettre toutes les demandes à l'avis d'un organisme indépendant, scientifique, qui éclairerait chaque demande de restitution à la lumière du parcours muséographique de l'oeuvre, depuis son premier dépôt jusqu'à sa situation actuelle, avec une contextualisation de toutes ses étapes ?

Inscrire dans la loi l'outil permettant de réaliser cet éclairage historique, archéologique et muséographique, éloigné de toute autre considération, tel est l'objet de l'article 1 er de la proposition de loi qui vous est proposée ce matin.

Il s'agit d'une démarche pragmatique. En effet, quoi qu'en pensent les tenants d'une histoire réécrite, les contextes varient selon la nature du bien, le pays d'origine, les conditions d'acquisition, les voies d'entrée dans les collections publiques. Il importe de définir une méthode, et la commission de réflexion prévue à l'article 1 er pourrait contribuer à la fixer. Bien entendu, cette création devrait s'accompagner de moyens importants ; c'est essentiel pour étayer la vérité. Cette démarche offrirait de plus l'intérêt de la transparence démocratique, en éclairant le Parlement, seul décideur au fond.

En revanche, une loi-cadre ne me paraît, en l'état actuel des travaux réalisés dans nos musées, ni souhaitable ni possible tant que la réflexion n'aura pas avancée. Ce pourrait être d'ailleurs l'une des missions qui pourraient être confiées à la commission de réflexion que nous vous proposons de créer !

Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter la proposition de loi et les amendements de notre rapporteure. Son expertise est reconnue. Le travail du Sénat s'inscrit dans la durée. Le Sénat est favorable à la circulation des oeuvres et au dialogue des cultures. Il peut accepter des restitutions dans certaines conditions, mais il ne peut le faire qu'éclairé par une analyse du contexte d'acquisition, fondée sur une méthode partagée, et au cas par cas. Sinon, le fait du prince continuera de sévir au service, au mieux, de la diplomatie, au pire, de la réécriture de notre histoire, chaque objet étant alors soumis, malgré lui, à l'instrumentalisation politique.

M. Pierre Ouzoulias, coauteur de la proposition de loi . - Je tiens tout d'abord à remercier Alain Schmitz et Catherine Morin-Desailly. Nous avons réalisé en peu de temps un travail de fond passionnant. Les membres de notre commission montrent qu'ils savent se retrouver sur des sujets importants, autour de positions fortes et de principes partagés unanimement.

Ayant été conservateur du patrimoine, je sais qu'à la base d'une collection, il y a très souvent une violence. Picasso, à ses débuts, vendait ses oeuvres pour pouvoir manger : les relations avec les marchands d'art étaient dissymétriques - on pourrait presque parler de dol, tant la relation commerciale était inégale. Une éventuelle loi-cadre devrait ainsi viser le cas de ces oeuvres qui sont considérées comme ayant été légalement acquises, mais dont on pourrait pourtant questionner la procédure d'acquisition en étudiant plus attentivement le contexte. Il semble difficile d'envisager la multiplicité des situations a priori . C'est pourquoi je doute de l'intérêt d'une loi-cadre. Mais je ne doute pas que l'ambassadeur, M. Jean-Luc Martinez, qui suit manifestement un axe politique bien structuré, à tel point qu'il a refusé de nous le présenter, saura y voir clair...

De même, nous n'avons pas eu, en dépit de nos demandes, transmission des lettres que les chefs d'État béninois et sénégalais ont officiellement adressées au ministère des affaires étrangères pour demander la restitution des biens culturels. Qui a choisi les objets ? Nul ne le sait. Les Béninois réclamaient des oeuvres qui ne sont pas tout à fait celles qui leur ont été restituées. Ils demandaient par exemple la restitution de la statue du dieu Gou, qui est exposée au Louvre, mais M. Martinez, qui était le président du musée à l'époque, nous a dit qu'il ne savait pas qui avait pris la décision de conserver la statue, celle-ci n'étant exposée au Louvre que sur la base d'un dépôt du musée du Quai Branly - Jacques Chirac.

Loin d'être transparente, la procédure a été gérée par les officines élyséennes. Ces restitutions apparaissent, de fait, comme le domaine réservé du Président de la République - encore une fois, l'exécutif s'arroge des prérogatives du Parlement, qui est chargé de la protection du patrimoine de la Nation.

D'un point de vue culturel, la manière avec laquelle les restitutions au Sénégal et au Bénin ont été faites est catastrophique ; ces restitutions sèches ont créé des frustrations dans ces pays comme en France. On aurait pu les gérer autrement, pour en faire non une simple transmission patrimoniale notariale, mais un pont entre différentes cultures, un acte fort de coopération culturelle qui nous engage dans la durée, dans les deux sens, de la France vers le Bénin, et du Bénin vers la France ; or ce mouvement retour manque. D'où notre volonté de mieux encadrer ces restitutions à l'article 1 er .

L'amendement proposé par Catherine Morin-Desailly à l'article 2 formule une solution d'une extrême élégance : fondée sur des principes philosophiques forts, sur le fait que des restes humains n'ont pas vocation à constituer des collections patrimoniales, la rédaction permet de sortir des collections nationales ces objets, de les inscrire provisoirement sur un inventaire pour en permettre ensuite la restitution. J'ai été bouleversé en apprenant que cinq crânes d'Arméniennes victimes du génocide arménien, qui ont été récupérés à Deir ez-Zor, sont encore dans les collections du musée de l'Homme. Je pourrais aussi évoquer les restes de personnes gazées dans le camp de Natzweiler-Struthof pour réaliser des expériences macabres qui ont longtemps été dans les collections du musée de Strasbourg. Tout cela est intolérable. On risque un conflit diplomatique majeur avec certains États lorsqu'ils prendront conscience du contenu de nos collections. Il est temps que cela cesse. On ne peut plus vivre avec des cadavres dans nos placards !

M. Lucien Stanzione . - Je tiens tout d'abord à remercier notre rapporteure pour le travail qu'elle a effectué, ainsi que nos collègues Pierre Ouzoulias et Max Brisson, cosignataires de la proposition de loi.

Cette proposition de loi fait suite au rapport de décembre 2020 de la mission d'information sur la restitution des biens culturels appartenant aux collections publiques. Deux des quinze propositions de ce rapport ont été reprises dans ce texte : d'une part, la création d'une instance de réflexion indépendante sur la circulation et le retour de biens culturels, afin d'éviter notamment les déclassements décidés de manière discrétionnaire par le Président de la République ; et d'autre part, l'instauration d'une procédure facilitant la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, pour éviter d'avoir à en passer à chaque fois par la voie législative.

Ce texte s'inscrit dans un contexte où les demandes de restitutions sont de plus en plus fréquentes, posent des questions éthiques, renvoient souvent à notre passé colonial et enfin soulèvent des interrogations sur le principe d'inaliénabilité des collections - ce qui ne peut que nous conduire à nous interroger sur les restitutions de fait opérées par le Président de la République à l'occasion de voyages au Bénin et au Sénégal.

Enfin, il convient de prendre en compte la nécessité d'anticiper les restitutions des biens culturels. De plus en plus, de nombreux pays vont demander ces restitutions. Pour éviter de traiter dans l'urgence ces demandes, il conviendrait que chaque structure détenant ce type de biens en fasse l'inventaire et étudie les modalités possibles de restitution dans le futur. Il s'agit d'un lourd travail, qui réclame des moyens.

Au sein de notre assemblée, un large consensus prévaut sur l'utilité de ces mesures. Nous avons conduit les travaux ensemble. Les auditions ont été extrêmement intéressantes, même si certains invités se sont montrés quelque peu hermétiques et peu coopératifs. Tout en formulant les suggestions ci-dessus, le groupe socialiste soutiendra le texte et le votera.

M. Thomas Dossus. - Le discours d'Emmanuel Macron à Ouagadougou n'a pas débouché sur une vaste coopération culturelle durable avec le continent africain. Les restitutions sous forme de cadeaux diplomatiques ont continué, avec une dépossession du Parlement. Il y a pourtant urgence à engager une coopération culturelle durable avec l'Afrique. Il y va de la réconciliation de la France avec un continent, avec son passé et avec sa jeunesse.

La proposition de loi encadre les restitutions et tente de mettre fin au fait du prince. Des milliers de demandes sont en souffrance. Personne ne peut se satisfaire de la politique d'exception permanente.

Nous espérons que la création de la nouvelle instance permettra aux pays demandeurs d'obtenir rapidement une réponse et offrira à la représentation nationale une base solide pour s'exprimer, à défaut de loi-cadre. Nous y sommes donc favorables.

M. Julien Bargeton . - Indépendamment de la question éthique particulière des restes humains, qui fait appel à notre commune humanité, le véritable débat politique porte sur la restitution des oeuvres d'art. Les pays occidentaux sont confrontés à des demandes de restitution, liées à la période de la colonisation, mais également à certaines affaires qui ont défrayé la chronique. Notre collègue Max Brisson a placé le débat au bon niveau : celui du rapport que nous entretenons avec l'histoire. Faut-il relire le passé à l'aune de nos critères actuels ou bien simplement traiter les demandes très contemporaines de restitution ?

La commission pourrait se réjouir d'une loi-cadre. Il me paraît tout de même contradictoire de critiquer des décisions « au coup par coup », voire le « fait du prince », et de se contenter d'une brève proposition de loi discutée rapidement en fin d'année et de mandature.

Sans vouloir faire offense à la majorité sénatoriale, ce texte, sur lequel je m'abstiendrai, me semble sous-tendu par certaines réticences, d'ailleurs partagées par une partie des conservateurs et de nos concitoyens, à l'égard des demandes de restitution.

M. Max Brisson . - C'est un procès d'intention.

M. Julien Bargeton . - Mais non. J'ai bien entendu vos propos, qui ne sont d'ailleurs pas critiquables. Nous sommes ici pour faire de la politique, au sens noble. Posons le débat de principe, quitte d'ailleurs à ce que nous ne soyons pas d'accord sur la manière de traiter les demandes de restitution et la composition des instances de décision. Au nom de quoi décide-t-on ? Et qui prend la décision ? Ce n'est pas la même chose si l'instance de décision n'est composée que de conservateurs ou si elle est beaucoup plus ouverte.

Sur le fond, je n'ai pas d' a priori . Je sais bien que certaines oeuvres antiques, comme les tablettes cunéiformes syriennes, ont malheureusement été détruites après leur restitution. Le sujet est extrêmement sérieux. Cela renvoie au passé colonial de la France, ainsi qu'à la manière dont les oeuvres ont été collectées.

D'ailleurs, des oeuvres aujourd'hui qualifiées d'oeuvres d'art étaient considérées comme des objets lorsqu'elles ont été ramenées. Ce sont Picasso, les cubistes et les surréalistes qui en ont fait des oeuvres d'art.

N'allons pas trop vite. Je comprends que le Sénat veuille fixer des règles. Je me réjouis aussi de la volonté de l'exécutif. Nous disposons d'un rapport qui contient des éléments extrêmement intéressants, de nature à nous permettre d'aborder sereinement le sujet.

Ainsi que cela a été rappelé, l'application stricte de critères pourrait nous amener, selon les cas, à être obligés de restituer certaines oeuvres ou, à l'inverse, de répondre négativement aux demandes.

Je m'abstiendrai sur la proposition de loi, mais je me réjouis que le débat soit ouvert et je souhaite qu'il soit posé dans des termes clairs.

Mme Annick Billon . - Monsieur Bargeton, le débat est posé dans des termes extrêmement sérieux et précis. Je connais l'engagement de longue date, l'expertise et la technicité de notre rapporteure Catherine Morin-Desailly sur ce dossier. J'ai même eu l'occasion de mesurer sa popularité en Nouvelle-Zélande lors d'un déplacement sénatorial.

Sur le fond, l'instance scientifique qui avait été mise en place n'existe plus. Il faut donc trouver une solution. Les demandes de restitution se multiplient. Elles sont parfois instrumentalisées. Comme cela a été souligné, elles ne doivent pas être synonymes de repentance ni prétextes à instrumentalisation politique.

La proposition de loi crée un outil pour que les restitutions puissent s'effectuer dans des conditions optimales. Elle reprend les conclusions contenues dans le rapport de la mission sénatoriale d'information remis le 16 décembre 2020, avec la création d'un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européens et l'extension de la procédure judiciaire d'annulation de l'acquisition pour faciliter la restitution des restes humains. Je m'en félicite. Le groupe Union Centriste soutiendra ce texte.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure . - Mes chers collègues, je vous remercie de vos propos chaleureux, qui soulignent l'excellent travail de notre commission et l'engagement du Sénat sur ce dossier.

Monsieur Bargeton, il n'y a aucune réticence. Le Sénat est même très allant sur ces questions. Il a initié le mouvement de restitution au tournant des années 2000 et invité le ministère de la culture à se saisir du sujet. Car, comme l'a souligné Thomas Dossus, il y a urgence à engager des coopérations culturelles. Malheureusement, le ministère n'a pas été au rendez-vous. Notre ancien collègue Philippe Richert avait même tapé du poing sur la table, car la première commission de déclassement qu'il avait instaurée dans la loi Musées de 2002 n'avait jamais fonctionné. Les réticences ne sont donc pas de notre côté.

Simplement, nous défendons des exigences. Nous voulons de la méthode, de la rigueur, de l'objectivité et des coopérations culturelles. Je trouve dommage que l'exécutif traite notre travail avec indifférence, voire mépris.

Nous ne sommes pas hostiles à une loi-cadre. Simplement, M. Martinez n'est pas capable de nous préciser ce qui sera proposé, et les directeurs d'institutions muséales d'importance soulignent que le sujet est complexe et qu'il faudra du temps. Nous proposons des mesures de bon sens. Le dispositif que je présenterai dans quelques instants résulte d'un travail transpartisan mené pendant une dizaine d'années.

Nous devons nous battre ensemble pour que les institutions concernées aient les moyens de faire des recherches sur les provenances. Il y a urgence. J'ai fait référence au manque de moyens dont disposait le président du musée du Quai Branly - Jacques Chirac. Imaginez ce qu'il doit en être dans les musées de nos territoires.

Nous attendons toujours le décret d'application pour la procédure judiciaire destinée à faciliter la restitution de biens conservés dans nos collections qui s'avéreraient avoir fait l'objet d'un trafic illicite, votée dans la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP).

Si réticence il y a, elle est plutôt à rechercher du côté du ministère de la culture, qui n'avance pas sur le sujet et qui a mis trois ans à instaurer la Commission scientifique nationale des collections pour la faire disparaître ensuite sans en dresser le bilan.

Le dispositif que je vous propose s'agissant des restes humains découle des conclusions du groupe de travail interministériel et pluridisciplinaire sur le sujet. Ce travail n'a jamais été reconnu par le Gouvernement et le ministère de la culture puisqu'il n'a jamais fait l'objet d'une réception officielle. Nous travaillons de manière méthodique pour essayer de trouver des solutions satisfaisantes. Je ne peux donc pas laisser dire qu'il y aurait des réticences de notre part.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure . - L'amendement COM-1 vise à remplacer le terme de « réclamations », qui peut avoir une connotation péjorative - étymologiquement, cela renvoie à l'idée de demander une chose due par des cris ou des acclamations -, par celui, plus neutre, de « revendications ».

L'amendement COM-1 est adopté.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure . - L'amendement COM-2 tend à confier une nouvelle mission au conseil en l'autorisant à formuler des recommandations sur la méthodologie et le calendrier des travaux consacrés à la recherche de provenance. Il s'agit de donner une impulsion politique aux travaux de recherche de provenance, qui sont indispensables pour répondre avec respect et dans le souci de la vérité historique aux demandes de restitution et aux interrogations des publics sur la légitimité de nos collections.

Tous les musées doivent se lancer dans cette démarche : autant qu'ils aient une méthode et un calendrier. C'est une tâche gigantesque qui peut prendre des années si elle n'est pas encadrée. Bien entendu, il faudra aussi que le Gouvernement octroie aux institutions patrimoniales les moyens de mener à bien cette mission. Le manque est aujourd'hui criant.

M. Max Brisson . - Nous voterons évidemment cet amendement, qui enrichit le texte. Vous voyez qu'il n'y a pas d'opposition de principe, monsieur Bargeton. Si c'était le cas, nous ne voudrions pas que des recommandations méthodologiques puissent être formulées.

Notre vision des restitutions ne repose pas sur une approche déformée de l'histoire. Les restitutions peuvent au contraire se justifier du fait de l'histoire, qui n'est pas binaire. Il n'y a pas ceux qui auraient spolié et pillé d'un côté et les victimes de l'autre. L'histoire est complexe. La base du travail des historiens, c'est la contextualisation.

Nous souhaitons éclairer de manière transparente et démocratique la décision politique. Aujourd'hui, elle n'est pas suffisamment éclairée, notamment parce que l'exécutif a fait du rapport Sarr-Savoy l' alpha et l' omega de sa doctrine en matière de restitutions.

Chaque oeuvre a une histoire particulière qui mérite un éclairage, une contextualisation. Il faut donc une méthode. Ce qui nous réunit aujourd'hui, au-delà de nos appartenances politiques, c'est ce souci de vérité historique, que cet amendement conforte.

M. Pierre Ouzoulias . - Le problème des restitutions est aussi ancien que celui des collections. Je vous renvoie au discours de Cicéron contre Verrès, qui avait pillé la Sicile, ou au déboulonnage du quadrige de la porte de Brandebourg sur ordre de Napoléon en 1806.

Je souhaite insister sur le cas des oeuvres spoliées à leurs légitimes propriétaires pendant les persécutions antisémites qui restent dans les collections publiques. Édouard Philippe, alors Premier ministre, avait considéré que le travail de restitution de ces oeuvres n'avançait pas assez vite et avait mis en place une commission relevant du ministère de la culture. En l'occurrence, nous appliquons la même méthode.

Selon M. Martinez, il n'est pas possible d'envisager une loi-cadre tant que toutes les oeuvres ne sont pas inventoriées. Nous voulons agir dans l'intervalle. L'instance que nous proposons permet un encadrement et une mobilisation des services.

L'amendement COM-2 est adopté.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure . - L'amendement COM-3 vise à prévoir la consultation obligatoire des experts scientifiques des pays demandeurs lorsque le Conseil national prépare son avis sur une demande de restitution.

L'objectif est de renforcer le caractère partenarial de la procédure d'examen des demandes de restitution, parce qu'il paraît important, par respect pour les pays demandeurs, que leur point de vue soit pris en compte, mais aussi parce que c'est le meilleur moyen de construire de vraies procédures de coopération dans le domaine culturel et patrimonial. Ce pourrait être l'occasion de réfléchir aux formes possibles de coopération que pourrait ouvrir la restitution, d'identifier les biens que le pays demandeur pourrait souhaiter laisser en dépôt dans le musée français où le bien concerné est conservé si jamais la restitution était décidée.

Une restitution doit permettre avant tout de se réapproprier une histoire commune et de poursuivre ensemble la réflexion.

M. Max Brisson . - Cet amendement bienvenu résulte pour une large part de l'audition de M. Emmanuel Kasarhérou, président du musée du Quai Branly - Jacques-Chirac, qui a montré combien chaque procédure visant à éclairer l'histoire d'un objet était l'occasion d'une coopération avec les scientifiques du pays d'origine. Nous sommes bien dans le dialogue des cultures, contrairement à la vision un peu caricaturale que M. Bargeton nous prête.

M. Bernard Fialaire. - Ce qui est inaliénable à mes yeux, c'est la dimension culturelle de certains objets, qui doit être prise en compte à côté de la possession patrimoniale. Je considère que cet amendement permet de faire progresser la réflexion dans cette direction.

L'amendement COM-3 est adopté.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure . - L'amendement COM-4 vise à renforcer la capacité de réflexion du Conseil national en ouvrant sa composition à une personnalité qualifiée en matière d'archéologie. La présence d'un archéologue paraît utile pour apporter son éclairage sur un certain nombre de biens culturels présents dans les collections publiques. Un tel ajout est sans incidence sur le nombre maximal de membres du Conseil national, qui demeure fixé à douze.

L'amendement COM-4 est adopté.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure . - L'amendement COM-5 tend à rendre possible la nomination d'une personnalité qualifiée au titre de ses compétences en anthropologie. Limiter la composition du Conseil national aux seuls ethnologues pourrait être réducteur, dans la mesure où l'ethnologie représente seulement une partie de l'anthropologie : l'anthropologie est la science de l'homme, tandis que l'ethnologie est la science des peuples.

L'amendement COM-5 est adopté.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure . - L'amendement COM-6 vise à fixer un délai maximal de quatre mois au Gouvernement pour la publication des mesures réglementaires d'application.

L'objectif est de garantir l'installation rapide du Conseil national une fois la loi promulguée. Il ne faudrait pas que sa mise en place soit bloquée, comme l'avait été celle de la Commission scientifique nationale des collections en son temps. Le décret d'organisation de la commission était paru un an après la promulgation de la loi et la nomination des membres avait requis près de trois années supplémentaires. Il sera important que l'arrêté de nomination des membres du Conseil national soit pris parallèlement au décret d'organisation ou très rapidement après.

M. Lucien Stanzione. - Compte tenu des pratiques des uns et des autres, quatre mois, ce n'est pas un peu court ?

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure . - Il s'agit de quatre mois après la promulgation de la loi, ce qui laisse largement le temps d'anticiper d'ici là.

L'amendement COM-6 est adopté.

L'article 1 er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure . - Par l'amendement COM-7, je propose une nouvelle rédaction globale de l'article 2. Il s'agit d'un véritable cadre général fixant la procédure et les conditions de restitution des restes humains par l'administration qui en est propriétaire.

Cette rédaction instaure une procédure en deux étapes. La première est destinée à faire automatiquement sortir des collections un certain nombre de restes humains dès lors qu'ils répondent à une série de critères, se traduisant par une inscription provisoire sur un inventaire transmis aux États d'origine de ces restes. La seconde prévoit la restitution par l'administration de ces restes humains lorsqu'elle serait demandée, sous réserve que le retour réponde à une série de conditions supplémentaires.

La procédure doit permettre de poser un cadre clair et transparent aux demandes de restitution portant sur des restes humains et d'accélérer l'identification des cas sensibles au sein de nos collections. Il permettrait de régler un certain nombre de cas sensibles, ainsi que de régulariser a posteriori la mise en dépôt des crânes algériens.

Les critères retenus correspondent à ceux qui avaient été dégagés par le groupe de travail animé par Michel Van Praët ou à ceux qui avaient guidé la procédure de restitution des têtes maories.

Afin de rendre possible la restitution de restes humains d'origine française - le cas est, par exemple, susceptible de se présenter s'agissant des collectivités d'outre-mer -, le dispositif ménage par ailleurs la possibilité d'une demande de restitution émanant d'un groupe humain vivant pour les restes humains d'origine française.

À mon sens, il serait important que le travail qu'auront à engager les institutions muséales sur cette base soit réalisé en partenariat avec les États d'origine, afin de saisir cette occasion pour nouer dès à présent de nouvelles coopérations. C'est ce qui s'était fait pour préparer la restitution des crânes algériens conservés dans les collections du Museum national d'histoire naturelle et les scientifiques ont jugé cette démarche très enrichissante et mutuellement bénéfique.

M. Max Brisson . - Ainsi que nos débats l'ont mis en lumière, la question des restes humains patrimonialisés répondait à une autre logique ethnologique propre. Nos échanges avec le cabinet du garde des sceaux ont été de qualité et ont permis d'améliorer le texte, en le rendant plus pertinent et en simplifiant la procédure. De même, les auditions menées par Mme la rapporteure ont favorisé la rédaction d'un article plus opérationnel.

M. Lucien Stanzione . - La rédaction de l'alinéa 1° du I mentionnant les restes humains « dûment identifiés » n'est-elle pas trop restrictive ? Idem pour le 3° du I, qui limite le dispositif aux corps humains n'ayant pas fait l'objet de recherches depuis plus de dix ans ? Le 2° du II, qui prévoit que les restitutions ne doivent pas avoir pour objet l'exposition des corps, ne risque-t-il pas d'avoir pour conséquence d'en interdire beaucoup ? Et je m'interroge sur le « processus de coopération », dont la nature n'est pas précisée, mentionné au 3° du II. Si la décision de restituer ou non est laissée aux structures détentrices, existe-t-il un mécanisme susceptible de passer outre qui puisse être réinterrogé par le Parlement ?

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure . - De telles questions sont utiles, car elles permettent d'attirer votre attention sur les critères que nous avons établis.

L'objectif n'est pas de restituer tous les restes humains qui demeurent au sein de nos collections. Nous avons souhaité circonscrire le périmètre du dispositif. Il y a par exemple des communautés et des groupes humains contemporains dont les croyances et traditions perdurent, ce qui justifie les demandes de restitution. Les critères que nous avons retenus visent bien à identifier les restes humains qui n'ont rien à faire dans nos collections, d'où la référence à l'absence de recherches scientifiques.

Les crânes n'ont rien à faire exposés dans les vitrines. Nous avions honte que des têtes maories restent dans nos réserves, et il était intolérable d'avoir le cadavre de la Vénus hottentote à la vue de tout le monde. Nous avons ainsi voulu circonscrire le type de restes humains ayant à être dans des collections tant qu'ils ne sont pas réclamés.

Nous avons aussi retenu le critère d'atteinte au principe de la dignité humaine. Je pense aux restes d'humains ayant fait l'objet de violences lors de leur capture ou aux violations de sépulture ; j'ai déjà évoqué les cadavres d'Inuits qui ont été déterrés.

Encore une fois, il s'agit non pas d'ouvrir les collections pour en sortir toutes les pièces, mais d'établir un cadre général précis, dans la continuité des travaux menés par le Sénat sur le sujet.

M. Pierre Ouzoulias . - André Delpuech, directeur du musée de l'Homme, nous a dit tout haut ce que certains de ses collègues souhaitaient sans doute continuer à cacher. Lui-même a procédé à un travail d'inventaire.

Le fait que la décision de restituer ou non relève d'une autorité administrative permet à chacun de saisir le tribunal administratif soit à l'encontre d'une décision, de celle-ci, soit pour défaut d'action.

Le système proposé par Catherine Morin-Desailly est à la fois très élégant d'un point de vue juridique et très solide en pratique. Les conservateurs que nous avons rencontrés, hormis ceux qui ont parfois tendance à confondre les collections avec leurs biens personnels, nous ont précisé que le dispositif ne leur poserait aucun problème de mise en application.

L'amendement COM-7 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. Laurent Lafon, président . Je remercie Mme la rapporteure et les deux autres auteurs de la proposition de loi. Nous pouvons tous, me semble-t-il, nous féliciter qu'un tel travail s'inscrive dans la continuité des travaux de notre commission. Je salue également le consensus assez large qui s'est dégagé au sein de notre commission ; cela n'avait rien d'évident compte tenu de la complexité et de la sensibilité du sujet.

Monsieur Bargeton, s'il est vrai que la proposition de loi vient en fin d'année et de mandature, la question des restitutions est encore largement devant nous. Nous pouvons donc nous réjouir d'une telle anticipation des débats à venir. S'il devait y avoir une loi-cadre, nous aurions déjà deux articles opérationnels à y faire figurer.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er

Mme MORIN-DESAILLY, rapporteure

1

Remplacement du terme de « réclamation » par le terme plus neutre de « revendication »

Adopté

Mme MORIN-DESAILLY, rapporteure

2

Nouvelle mission du Conseil national en matière d'organisation des travaux consacrés à la recherche de provenance

Adopté

Mme MORIN-DESAILLY, rapporteure

3

Obligation de consultation des experts scientifiques des pays demandeurs dans le cadre des avis sur les demandes de restitution

Adopté

Mme MORIN-DESAILLY, rapporteure

4

Présence obligatoire d'un archéologue dans la composition du conseil national

Adopté

Mme MORIN-DESAILLY, rapporteure

5

Précision rédactionnelle

Adopté

Mme MORIN-DESAILLY, rapporteure

6

Fixation d'un délai maximal pour prendre les mesures réglementaires d'application

Adopté

Article 2

Mme MORIN-DESAILLY, rapporteure

7

Définition d'un cadre général pour la sortie de restes humains des collections et leur restitution

Adopté

Proposition de loi n° 41 relative à la circulation et retour
des biens culturels appartenant aux collections publiques

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 1 ( * ) .

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 2 ( * ) .

Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 3 ( * ) .

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 15 décembre 2021, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 41 (2021-2022) relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques .

Elle a considéré que ce périmètre incluait les dispositions relatives à l'organisation, à la procédure et aux conditions applicables au retour des biens culturels conservés dans les collections publiques ou à leur circulation au niveau international.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 1 er décembre 2021

- Musée du Louvre : MM. Jean-Luc MARTINEZ , président-directeur honoraire, ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, et Benoît DE SAINT CHAMAS , directeur de cabinet honoraire, collaborateur de M. Martinez dans le cadre de la coopération internationale dans le domaine du patrimoine.

Jeudi 2 décembre 2021

- Musée de l'Homme : M. André DELPUECH , conservateur général du patrimoine, directeur.

Mardi 7 décembre 2021

Audition commune :

§ Cabinet de la ministre de la culture :

M. Jean-Baptiste DE FROMENT , conseiller spécial en charge du patrimoine, de l'architecture et de la prospective, Mme Séverine FAUTRELLE , conseillère en charge des affaires européennes et internationales, de la francophonie et du droit d'auteur, M. Tristan FRIGO , conseiller technique en charge des relations avec le Parlement ;

§ Ministère de la culture - Direction générale des patrimoines et de l'architecture :

Mmes Anne-Solène ROLLAND , adjointe au directeur général, cheffe du service des musées de France, et Claire CHASTANIER , adjointe au sous-directeur des collections du service des musées de France ;

§ Cabinet du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères :

M. Matthieu PEYRAUD , directeur de la culture, de l'enseignement, de la recherche et du réseau, M. Axel BÉRENGIER, c onseiller-rédacteur pour les questions de patrimoine culturel.

Mardi 7 décembre 2021

- Museum national d'histoire naturelle : M. Michel VAN PRAËT , professeur émérite.

- Ministère de la justice : M. Jean-François DE MONTGOLFIER , directeur des affaires civiles et du sceau.

- Centre national de recherche scientifique (CNRS) : M. Vincent NEGRI , chercheur, membre du groupe de recherches internationales sur le droit du patrimoine culturel et le droit de l'art.

Mercredi 8 décembre 2021

- Établissement public du musée du quai Branly - Jacques Chirac : M. Emmanuel KASARHÉROU , président.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl21-041.html


* 1 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 2 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 3 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page