EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 6 juillet 2022, sous la présidence de M. Cédric Perrin, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de Mme Vivette Lopez sur le projet de loi n° 408 (2021-2022) autorisant l'approbation de l'accord portant révision de l'accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l'océan Indien.

M. Cédric Perrin, président . - Nous examinons à présent le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord portant révision de l'accord général de coopération entre les États membres de la Commission de l'océan Indien, sur le rapport de notre collègue Vivette Lopez.

Mme Vivette Lopez, rapporteur . - Créée au début des années 1980, la Commission de l'océan Indien (COI) est une organisation régionale intergouvernementale qui regroupe cinq États du sud-ouest de l'océan Indien : les Comores, Madagascar, Maurice, les Seychelles et la France, au titre de La Réunion. Il s'agit de la seule organisation régionale d'Afrique à être composée exclusivement d'îles et francophone. En effet, des liens historiques nous unissent à ces États insulaires qui, pour une période plus ou moins longue, ont tous été sous souveraineté française.

À l'origine, le champ de la coopération de la COI était circonscrit à quatre domaines : la diplomatie, l'économie et le commerce, l'agriculture, ainsi que les sciences et l'éducation. Progressivement, les domaines d'action se sont étendus, entre autres, à la lutte contre le changement climatique, à la sécurité alimentaire et sanitaire, à l'économie bleue, ou encore à la sécurité maritime.

Compte tenu, d'une part, des nouveaux enjeux de la coopération régionale dans l'Indianocéanie - comme le défi climatique ou la connectivité numérique - et, d'autre part, de l'extension progressive des domaines d'intervention de la COI, les États membres se sont engagés dans un processus de modernisation de l'organisation afin de lui donner les moyens de ses ambitions.

Sur la base de la déclaration de Moroni, signée par les États membres en août 2019, qui définit les orientations politiques et stratégiques de l'organisation, l'accord de Victoria de 1984, texte fondateur de la COI, a fait l'objet d'une révision adoptée en mars 2020 et soumise aujourd'hui à l'examen du Parlement en vue de sa ratification.

Outre l'extension des domaines de coopération précédemment évoquée, l'accord tend à affirmer l'identité de la COI en inscrivant l'insularité et l'appartenance à l'espace africain du sud-ouest de l'océan Indien comme critères d'adhésion. Cette disposition permet de garantir l'identité de la commission comme organisation régionale de proximité, sa cohésion, ainsi que son caractère francophone et africain.

En outre, le présent accord tend à assainir la gestion financière de la commission. En effet, la COI rencontre des difficultés de gestion de ses ressources, qu'elle travaille à améliorer. Ces difficultés trouvent leur origine dans le fait que, depuis 2011, près de 600 000 euros de dépenses ont été déclarés inéligibles par l'Union européenne sur les projets qu'elle finance. Ces dépenses se transforment alors en dettes pour la COI, qui représentent 40 % de son budget annuel.

Enfin, les États membres ont souhaité renforcer le volet institutionnel de l'organisation, afin de l'accompagner dans ses nouvelles missions. La COI a décidé de maintenir l'unanimité comme mode de décision, de doubler le nombre de réunions annuelles du conseil des ministres - son organe décisionnel -, d'instaurer un sommet quinquennal des chefs d'État et de gouvernement, et de porter le mandat de son secrétaire général de quatre à cinq ans non renouvelable.

Si cette réforme de l'organisation est évidemment bienvenue, elle suscite plusieurs remarques et interrogations. Dans son discours du 23 octobre 2019 prononcé en clôture du sommet Choose La Réunion , le Président de la République insistait sur la nécessité, pour les territoires français de la zone - La Réunion et Mayotte -, de tirer parti des potentiels importants de la région, en renforçant l'intégration et la coopération régionales. Or, en raison d'un contentieux territorial qui oppose la France aux Comores, Mayotte n'est pas membre de plein droit de la COI. Les consultations diplomatiques ont néanmoins ouvert la voie à une participation de représentants mahorais à des projets d'intérêt commun, après une autorisation préalable des États membres. Il n'y a donc pas, à ce jour, de démarches pour l'adhésion de Mayotte à l'organisation, mais des actions sont entreprises pour mieux associer le département à certains programmes.

Par ailleurs, l'un des axes de notre politique étrangère consiste à accroître la présence française auprès des enceintes régionales qui sont en mesure de contribuer au développement du multilatéralisme renforcé et rénové que la France appelle de ses voeux. À ce titre, la participation à la COI s'inscrit dans la stratégie française en Indopacifique. Or, malgré les efforts entrepris par la présidence française qui s'est achevée en février dernier, l'organisation manque d'une vision stratégique claire et assumée au plus haut niveau des États membres, ainsi que de moyens financiers idoines.

En effet, le nouveau plan de développement stratégique, qui constitue la feuille de route de la COI, tarde à être adopté. En outre, le sommet des chefs d'État et de gouvernement, censé fixer le cap de la COI et définir ses grandes orientations politiques, ne s'est tenu que quatre fois depuis la naissance de l'organisation, ce qui peut être considéré comme le signe d'un relatif désintérêt des exécutifs. S'agissant des ressources financières de la COI, le secrétaire général de l'organisation a souligné, lors de son audition, la forte inadéquation entre, d'une part, les moyens qui lui sont alloués, et d'autre part, les besoins réels et les exigences des États membres et des bailleurs.

Pour conclure, l'objectif du présent accord est d'insuffler un nouvel élan à la coopération dans l'océan Indien occidental, où la France et l'Union européenne ont des intérêts. Le rôle du Parlement est d'accompagner ce mouvement, même s'il suscite des questions, voire des réserves, sur l'efficience des actions conduites par la COI jusqu'à présent, mais aussi sur l'engagement des États membres à faire vivre cette coopération.

Si les actions entreprises ces dernières années et les annonces faites à l'occasion de la présidence française semblent répondre aux difficultés rencontrées par la COI et aux défis auxquels elle doit faire face, on peut légitimement s'interroger sur la capacité de l'organisation à se doter des moyens suffisants pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés et à mobiliser les chefs d'État et de gouvernement pour que les décisions politiques trouvent une traduction concrète, au bénéfice des îles de la région et de ses habitants.

En dépit des remarques que je viens d'exprimer, je préconise l'adoption de ce projet de loi, en espérant que cette réforme donne à l'organisation les moyens d'agir davantage et mieux. L'examen en séance publique est prévu le mardi 19 juillet, selon la procédure d'examen simplifié, ce à quoi la conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

Mme Nicole Duranton . - Retenu dans son département, notre collègue Abdallah Hassani, sénateur de Mayotte, m'a demandé de vous lire son intervention : « Ces deux accords de coopération dans l'océan Indien permettront une meilleure efficience de la Commission de l'océan Indien et la poursuite du renforcement de la sécurité maritime dans la zone. C'est une zone stratégique, carrefour du commerce mondial, confrontée à des défis majeurs comme le climat, la préservation des ressources ou les migrations. On ne peut donc que les approuver.

Je voudrais simplement rappeler ici que la France, qui finance pourtant 40 % de la COI, n'y est membre qu'au titre de La Réunion. Mayotte en est exclue, l'Union des Comores ne la reconnaissant pas comme française. Je le déplore, même si je sais que la France oeuvre toutefois pour permettre à Mayotte de bénéficier des projets menés par la COI, avec l'accord de principe de tous ses membres, y compris les Comores. La France a pris la précaution d'assortir sa signature de l'accord de coordination des opérations en mer dans l'océan Indien occidental d'une annexe à l'accord initial. Le champ d'application géographique de l'accord sur la sécurité maritime concerne les trois collectivités territoriales de l'océan Indien - la Réunion, Mayotte et les Terres australes et antarctiques françaises, notamment le district des îles Éparses et l'île d'Amsterdam pour le district des îles Saint-Paul et Amsterdam -, ainsi que leur espace aérien sous-jacent. Ces territoires sont revendiqués par plusieurs États parties au traité.

Il s'agit donc d'accords pragmatiques. Mayotte souhaite toujours être membre de la COI. C'est essentiel pour son développement et sa reconnaissance, mais le département n'attend pas qu'elle le soit pour coopérer avec ses voisins dans le cadre de ses compétences. Par exemple, le département a signé en juin dernier onze accords avec chacune des régions de Madagascar. »

M. Philippe Folliot . - Je souscris tout à fait aux propos de notre collègue mahorais. Il est anormal que la France ne soit reconnue dans cette organisation régionale de proximité qu'au titre de La Réunion. Certes, les éléments de revendication et de contentieux sont nombreux dans la région, mais il y en a d'autres, comme l'île Tromelin, qui est revendiquée par Maurice ; heureusement que la France n'a pas ratifié l'inique traité de cogestion ! Les îles Éparses font également l'objet de revendications de la part de Madagascar.

La ratification de cet accord doit être l'occasion pour le Parlement de revendiquer et d'assumer de manière claire, pérenne et sans conteste, la souveraineté française sur l'ensemble des possessions et territoires français de la région. Le rôle premier d'un État est de défendre sa souveraineté. En l'occurrence, cette dernière n'est nullement remise en cause par les populations vivant sur ces territoires et cela doit être affirmé.

Sur la forme, je regrette que ce traité fasse l'objet d'une adoption par la procédure simplifiée. Je pense qu'il eût été bon de débattre, en séance plénière, de ces questions de fond. Il me paraît important de poursuivre les efforts de coopération régionale, en nous appuyant sur l'élément essentiel qu'est la francophonie. Il existe peu d'organisations régionales essentiellement francophones. C'est une raison supplémentaire de continuer à la soutenir, y compris financièrement.

Vouloir jouer la carte de la coopération régionale n'exclut pas d'affirmer clairement, fermement - j'allais dire fièrement - nos positions et notre soutien à nos compatriotes réunionnais et mahorais, mais aussi de défendre les positions du Conseil consultatif des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), où j'ai l'honneur de représenter le Sénat.

M. André Vallini . - Au risque de doucher l'enthousiasme de notre collègue Philippe Folliot, je me souviens de ma participation, il y a huit ans, à une réunion de la COI qui se tenait à La Réunion. Les problèmes, les difficultés financières et les questions existentielles autour de la COI étaient alors identiques à ceux que vient d'exposer le rapporteur. Comme l'ensemble de mes collègues, je voterai pour cette convention, mais huit ans plus tard, les choses n'ont pas évolué et c'est assez désespérant.

Mme Gisèle Jourda . - J'étais à Mayotte il y a encore trois jours au titre de la délégation aux outre-mer, et la question de la participation à la COI a été abordée de manière douloureuse - nous pouvons parler de « ras-le-bol ». Mayotte ne comprend plus pourquoi elle n'est pas associée aux travaux de cette commission. Nous assistons à une stagnation, voire à une régression sur le sujet. Peut-être devrions-nous, en marge de ce rapport, nous pencher sur cette question, vitale pour nos compatriotes ultramarins.

Mme Vivette Lopez, rapporteur . - Nous espérons vivement que la révision de l'accord de Victoria permettra des évolutions positives. Nous pouvons regretter la position de la diplomatie française, qui consiste à ne pas entreprendre les démarches officielles pour la pleine adhésion de Mayotte à la COI. L'association des Mahorais au cas par cas n'est pas suffisante, car elle ne permet pas au territoire de tirer profit de la coopération régionale, dont il aurait pourtant bien besoin. Nous ne pouvons qu'inviter le Gouvernement à revoir sa position, d'autant que l'opposition de l'Union des Comores semble moins vive.

Enfin, je répondrai à Philippe Folliot que la COI a vocation à traiter des questions non pas de souveraineté - elles sont exclues de ses travaux et c'est heureux ! -, mais de coopération régionale.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

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