Rapport n° 802 (2021-2022) de M. Christian CAMBON , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 20 juillet 2022

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N° 802

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 juillet 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole au Traité de l' Atlantique Nord sur l' accession de la République de Finlande et la ratification du protocole au Traité de l' Atlantique Nord sur l' accession du Royaume de Suède
(procédure accélérée),

Par M. Christian CAMBON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Abdallah Hassani, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard .

Voir les numéros :

Sénat :

782 et 803 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné, le 20 juillet 2022, le rapport de M. Christian Cambon, président de la commission, sur le projet de loi autorisant la ratification des protocoles au Traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la Finlande et de la Suède à l'OTAN.

Précipitée par l'agression russe contre l'Ukraine en février 2022, l'adhésion à l'Alliance de ces deux pays, dont la neutralité était très ancienne, constitue un événement de portée historique pour l'Europe.

I. LA FIN SOUDAINE D'UNE DOUBLE NEUTRALITÉ FONDÉE SUR DEUX LOGIQUES DIFFÉRENTES

A. DES ÉTAPES RAPIDEMENT FRANCHIES

L'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 a constitué l'événement déclencheur de la demande d'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN. Dès le mois de février, les deux pays ont commencé à livrer des armes à l'Ukraine. En mai 2022, ils ont exprimé officiellement leur volonté d'adhérer à l'Alliance. Lors du sommet de Madrid qui s'est tenu dans la capitale espagnole du 28 au 30 juin 2022, la Suède et la Finlande ont été officiellement invitées à rejoindre l'OTAN. La Turquie, pays membre de l'Alliance, avait auparavant levé son véto à l'entrée des deux pays à la suite de la signature d'un accord tripartite . Les pays membres de l'organisation ont ensuite signé les protocoles d'adhésion le mardi 5 juillet, ouvrant la voie au processus des ratifications nationales par l'ensemble des membres de l'Alliance.

Au total, 12 pays de l'OTAN ont ratifié les protocoles à ce jour . La plupart des autres ratifications devraient intervenir pendant l'été 2022. La principale interrogation porte sur la Turquie, qui a annoncé ne pouvoir ratifier avant octobre en raison de la suspension des travaux de la Grande Assemblée nationale. Il est nécessaire que le processus de ratification se déroule le plus rapidement possible : la Finlande et la Suède ne sont pas encore protégées par la clause de défense mutuelle (article 5) du Traité de l'Atlantique Nord tant que l'adhésion n'est pas complète.

B. UNE MÊME NEUTRALITÉ, DEUX HISTOIRES DIFFÉRENTES

La neutralité militaire de la Finlande constitue un choix stratégique à demi contraint effectué, au lendemain de la seconde guerre mondiale, par un pays depuis longtemps sous la menace de son voisin russe, dont l'empire l'a englobé de 1809 à 1917 en tant que grand-duché de Finlande. Celle-ci a signé le 6 avril 1948 avec l'Union soviétique un pacte d'amitié, sous la pression de celle-ci et après avoir dû renoncer au plan Marshall. Ce pacte a été renouvelé trois fois entre 1955 et 1983. Cette « finlandisation » a coûté au pays la maîtrise de sa politique étrangère, subordonnée à celle de l'URSS, mais lui a permis de rester en dehors du Pacte de Varsovie pendant la guerre froide et ainsi de conserver une politique intérieure autonome .

La fin de la neutralité de la Suède constitue une évolution encore plus radicale. En paix depuis 1814, seul pays du nord de l'Europe à ne pas avoir été envahi pendant la deuxième guerre mondiale, ce pays pouvait, plus qu'aucun autre, se féliciter de son non-alignement. Élément essentiel de sa politique étrangère, voire de son identité, cette neutralité allait de pair avec un soutien sans faille du multilatéralisme et une politique « compassionnelle » envers les pays en développement (haut niveau d'aide publique au développement). Cette neutralité bi-séculaire suédoise avait toutefois été assouplie en 1992, dans la perspective d'une adhésion à l'UE.

C. UNE RENONCIATION À LA NEUTRALITÉ MOTIVÉE ESSENTIELLEMENT PAR LA MENACE RUSSE

S'agissant de la Finlande, l'invasion de la Crimée par la Russie en 2014, les actions de déstabilisation du Kremlin invoquant notamment le sort de la minorité russophone de Finlande, enfin et surtout l'invasion de l'Ukraine, ont eu raison de la neutralité du pays . Celle-ci ne semble plus en effet fournir une immunité suffisante contre la menace russe. Loin d'aboutir à la « finlandisation » de l'Ukraine, son invasion par la Russie a ainsi paradoxalement conduit à l'« otanisation » de la Finlande . Alors qu'en 2020, 20 % de la population finlandaise à peine soutenait le principe d'une adhésion à l'OTAN, cette proportion a grimpé à 53 % le 28 février 2022, à 62 % en mars et à 76 % en mai 2022. Le 17 mai, 188 des 200 députés finlandais ont voté en faveur de l'adhésion à l'OTAN.

des Finlandais favorables à l'adhésion à l'OTAN avant l'invasion de l'Ukraine

des Finlandais favorables à l'adhésion à l'OTAN après l'invasion de l'Ukraine

des Suédois favorables à l'adhésion à l'OTAN avant l'invasion de l'Ukraine

des Suédois favorables à l'adhésion à l'OTAN après l'invasion de l'Ukraine

S'agissant de la Suède, outre l'agression contre l'Ukraine, la crainte de voir l'île de Gotland devenir un point d'appui éventuel pour l'armée russe dans la mer Baltique a précipité la volonté d'adhésion à l'OTAN. En outre, après la manifestation de la volonté de la Finlande d'adhérer à l'Alliance, la Suède ne pouvait rester en dehors de celle-ci, au risque de se trouver isolée en Europe du Nord , l'ensemble de ses partenaires scandinaves étant désormais membres de l'OTAN. Ainsi, l'opinion publique a majoritairement basculé en faveur d'une adhésion à l'OTAN : 42 % de la population soutenait cette perspective en janvier 2022 et 57 % en mai. Le 15 mai 2022, six des huit partis représentés au Parlement ont exprimé leur soutien à l'adhésion.

Loin d'aboutir à la « finlandisation » de l'Ukraine, son invasion par la Russie a finalement conduit à l'« otanisation » de la Finlande et de la Suède

La Finlande et la Suède ont ainsi formellement fait acte de candidature à l'OTAN le 18 mai 2022. L'acceptation de ces candidatures, largement soutenue par les Alliés, a fait l'objet d'un blocage de la part de la Turquie, sur la base de différends bilatéraux, principalement avec la Suède. À la suite de l'accord trouvé avec Ankara et matérialisé par la signature d'un memorandum tripartite lors du Sommet de Madrid le 29 juin, les protocoles d'adhésion ont été signés par l'ensemble des Alliés le 5 juillet 2022 .

II. UNE ADHÉSION MUTUELLEMENT PROFITABLE

A. L'ACCÈS À LA PROTECTION OFFERTE PAR L'ARTICLE 5 DU TRAITÉ DE L'ATLANTIQUE NORD

La première motivation des deux pays pour adhérer à l'OTAN réside dans l'accès à la protection offerte par l'article 5 du Traité fondateur de l'OTAN . Cet article prévoit en effet que « Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles (...) sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que (...) chacune d'elles (...) assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt (...) telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée ». Les récentes déclarations américaines et de responsables de l'OTAN selon lesquelles l'Alliance défendrait « chaque centimètre carré » du territoire des pays membres ont renforcé cette confiance en l'article 5 du Traité.

Il s'agit en effet d'une « assurance stratégique » précieuse au moment où plusieurs pays de l'Europe du Nord et de l'Est non membres de l'OTAN se sentent menacés par l'attitude de la Russie. S'agissant spécifiquement de la Finlande et la Suède, l'effort de normalisation et de coopération nécessaire à l'adhésion ayant déjà été largement accompli par les deux pays, l' adhésion récompensera cet effort en leur faisant pleinement bénéficier de la protection offerte par l'Alliance.

B. UN SUCCÈS IMPORTANT POUR L'OTAN

Du point de vue de l'OTAN, l'adhésion de la Suède et de la Finlande représente un succès considérable . Malmenée il y a encore deux ans par le précédent président des États-Unis, Donald Trump, alors focalisé sur la rivalité américaine avec la Chine, l'Organisation est apparue soudée et revivifiée face à l'invasion russe de l'Ukraine et s'apprête désormais à accueillir deux pays dont la neutralité paraissait immuable.

1. Des armées finlandaise et suédoise pleinement interopérables avec celles des membres de l'OTAN

Plus concrètement, l'entrée de la Finlande et de la Suède constitue un apport significatif pour l'Alliance. Les armées finlandaises et suédoises sont totalement interopérables avec celles des membres de l'OTAN. En effet, après la fin du bloc soviétique, la neutralité des deux pays ne les a pas empêchés de s'engager dans de multiples coopérations avec l'OTAN :

ü En 1994, ils ont rejoint le programme de partenariat pour la paix (PPP), programme de coopération pratique bilatérale entre l'OTAN et des partenaires euro-atlantiques, permettant à ces derniers de développer une relation individuelle avec l'OTAN en fixant leurs propres priorités en matière de coopération ;

ü En 1997, ils sont devenus membres du Conseil de partenariat euroatlantique , qui rassemble les membres de l'OTAN, des pays partenaires et la Russie afin de discuter des problèmes de sécurité sur le continent européen ;

ü Ils ont apporté une contribution aux opérations de l'OTAN dans les Balkans, en Afghanistan et en Irak et participent actuellement à la KFOR ainsi qu'à la mission de l'OTAN en Irak ;

ü La Finlande et la Suède sont deux des six pays, avec l'Ukraine, l'Australie, la Jordanie et la Géorgie, à avoir reçu le statut de partenariat aux opportunités renforcées (EOP), la forme de coopération la plus avancée de l'OTAN, lancée au sommet du pays de Galles, en 2014, pour que les relations étroites entre les forces de l'OTAN et celles des pays partenaires établies au cours des années d'opérations puissent être maintenues et approfondies ;

ü Helsinki accueille depuis 2017 le Centre d'excellence européen pour la lutte contre les menaces hybrides, soutenu par l'OTAN et l'UE.

En outre, la Finlande et la Suède ont commencé à fournir des armes à l'Ukraine dès février 2022, en même temps que leur coopération avec l'OTAN s'intensifiait. Lors du sommet extraordinaire du 25 février 2022, les Alliés ont activé en faveur des deux pays le dispositif des « modalités d'interaction renforcée » , les rendant destinataires des documents de l'OTAN relatifs à la situation en Ukraine. Ils participent également au Conseil de l'Atlantique Nord et sont susceptibles d'ouvrir à l'Alliance l'accès à leur territoire si nécessaire. L'adhésion des deux pays va parachever ce processus.

2. Des capacités militaires significatives

Les deux pays apportent par ailleurs des capacités militaires importantes . En 2022, le budget finlandais consacré à la défense s'établit à 5,1 milliards d'euros, et représente 1,96 % du PIB. Des efforts importants ont ainsi été consentis par Helsinki pour se rapprocher de l'objectif fixé par l'OTAN des 2 % du PIB : en 2020, la part du budget de défense n'en représentait que 1,34 %. Le budget de défense suédois est en cours de revalorisation : de seulement 0,9 % du PIB en 2015, il est passé à 1,2 % en 2020 et 1,3 % en 2021, soit 6,2 milliards d'euros. En avril dernier, le gouvernement suédois a fixé pour 2028 l'objectif des 2 %.

La Finlande dispose de 280 000 soldats et peut mobiliser jusqu'à 870 000 réservistes, ce qui en fait l'une des plus grosses armées européennes. La Suède dispose actuellement de 22 700 soldats d'active, soutenus par 32 400 personnels d'appoint (réservistes et gardes nationaux). Elle a rétabli le service militaire obligatoire en 2017.

Des équipements modernes

La capacité de combat de l'armée de l'air finlandaise est centrée sur plus de 50 F/A-18C Hornet monoplaces et sept F/A-18D biplaces. L'armée de l'air suédoise déploie comme principal atout défensif et offensif le chasseur léger JAS-39 Gripen, dans sa variante C, entre 65 et 70 unités. La marine suédoise possède cinq sous-marins, la flotte de surface comprend 5 corvettes furtives de classe Visby et 2 de classe Goteborg, 9 dragueurs de mines, 1 patrouilleur hauturier, 13 patrouilleurs, 147 vedettes et un navire de renseignement électromagnétique. Les forces finlandaises et suédoises opèrent des capacités modernes et communes à de nombreux alliés (avions américains F18 et F35, chars de combat allemands Léopard, hélicoptères européens NH90), permettant une parfaite interopérabilité. Les principaux partenaires finlandais et suédois en matière de commerce de matériel d'armement sont les États-Unis, la Suède, la Norvège, l'Italie, la France, l'Allemagne, les Pays-Bas et Israël. Parmi les principaux achats d'armement finlandais de la dernière décennie : les missiles AGM-158 Joint Air-to-Surface Standoff Missiles des États-Unis (2012), les chars de combat principal Leopard 2A6 des Pays-Bas (2014), les obusiers blindés K9 de la Corée du Sud (2017), 64 avions de combat F-35 des États-Unis. En 2012, la Suède a fixé une commande pour le renouvellement de sa flotte d'avions (60 jets Saab Gripen), en 2021, elle est devenue le premier pays non membre de l'OTAN à déployer un système de défense aérienne Patriot fabriqué aux États-Unis, et a lancé le processus d'acquisition de nouveaux navires de combat.

3. Davantage de profondeur stratégique pour l'OTAN

L'adhésion de la Finlande et de la Suède constitue également un apport de profondeur stratégique qui permet de renforcer la posture de défense et de dissuasion du flanc oriental de l'OTAN. Ceci créerait de nouveaux dilemmes pour la Russie si elle envisageait d'attaquer un pays d'Europe centrale ou orientale. La difficile protection des États baltes en cas d'attaque russe sera également rendue plus crédible par l'adhésion des deux pays , à travers une défense en profondeur incluant déjà la Norvège, le Danemark et l'Islande.

Inversement, il faut souligner qu'aucune demande n'a été formulée en vue du déploiement de forces ou d'équipements de l'OTAN sur les territoires suédois et finlandais, ces deux pays estimant être en mesure de se défendre.

Concernant les relations de l'OTAN avec la Russie, ce sont certes 1 300 nouveaux kilomètres de frontière où il faudra éviter tout risque d'escalade. Toutefois, la Finlande garde une tradition de bon voisinage avec la Russie et a, précisément, un intérêt évident à éviter une telle escalade.

III. DES POINTS DE VIGILANCE : PRÉSERVER L'ESSENCE EURO-ATLANTIQUE DE L'OTAN, RENFORCER LA DÉFENSE EUROPÉENNE

A. LE BLOCAGE DE LA TURQUIE N'A ÉTÉ SURMONTÉ QU'AU PRIX D'UN ACCORD TRIPARTITE QUI SUSCITE DES INTERROGATIONS

Dans l'accord qu'elles ont signé le 28 juin 2022 avec la Turquie, la Finlande et la Suède ont promis de soutenir davantage ce pays dans sa lutte contre le terrorisme , s'engageant à empêcher les activités non seulement du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), mais aussi du PYD et des YPG, qui combattent Daech en Syrie. Les deux pays candidats à l'OTAN se sont également engagés à améliorer les extraditions de ressortissants turcs accusés de terrorisme. Ils ont aussi promis de lever leur embargo sur la vente de certaines armes à Ankara, instauré depuis l'offensive de la Turquie dans le nord de la Syrie en octobre 2019. De leur côté, les États-Unis ne se sont pas engagés sur la reprise du programme F35 en Turquie, interrompu à la suite de l'acquisition de missiles S-400 russes par le pays. En revanche, ils pourraient accepter de moderniser les avions de combat F16 turcs.

Par ailleurs, la Suède et la Finlande se sont engagées à soutenir la participation de la Turquie aux initiatives de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), en particulier en ce qui concerne la coopération structurée permanente (CSP) « mobilité ». Les États-Unis, le Canada et la Norvège y avaient déjà été invités à l'initiative de l'Allemagne. La commission estime cependant qu'une telle participation de la Turquie ne va pas de soi étant donné ses relations actuelles avec la Grèce et Chypre, membres de l'Union européenne, en Méditerranée orientale . Comme l'a souligné le rapport d'information sur la « Boussole stratégique » européenne de Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret, cette participation « pose un problème de compatibilité de valeurs ». En outre, certains États membres estiment, à juste titre, que la participation d'États tiers devrait rester exceptionnelle afin d'éviter les situations dans lesquelles les bénéfices mutuels s'avèreraient déséquilibrés.

Il est donc impératif de veiller à ce que l'OTAN ne s'aligne pas sur un accord tripartite qui, par nature, ne doit pouvoir engager ni l'Alliance ni les Alliés , ne liant que ses trois signataires.

B. PRÉSERVER LE CARACTÈRE EURO-ATLANTIQUE DE L'OTAN, RENFORCER LA DÉFENSE EUROPÉENNE

L'entrée de la Suède et de la Finlande pourrait avoir des conséquences sur la politique de la « porte ouverte » de l'Organisation. Les candidats actuels à une adhésion sont l'Ukraine, la Géorgie et la Bosnie-Herzégovine. Ce sujet doit continuer à être abordé avec courage et lucidité. Chaque adhésion doit ainsi rester un processus individuel, lié à la mise à niveau de l'appareil de défense mais aussi à la situation politico-militaire de chaque candidat.

Par ailleurs, le sommet de Madrid a abouti à une révision du « Concept stratégique » de l'OTAN , avec une mention inédite du fait que les « ambitions et les politiques coercitives » de la Chine « remettent en cause nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs ». En outre, à cette occasion, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle Zélande ont été pour la première fois invités à assister à un sommet de l'OTAN. Ceci pourrait sembler élargir l'organisation aux dimensions d'une alliance globale présente aussi bien dans l'espace euro-atlantique que dans l'espace indo-pacifique.

Parallèlement, il faut cependant se féliciter que la dimension essentiellement « euro-atlantique » de l'OTAN soit soulignée à plusieurs reprises au sein de ce nouveau concept stratégique. L'entrée dans l'OTAN de deux pays membres de l'Union, qui se sont d'ailleurs engagés à renforcer la coopération entre l'UE et l'OTAN, doit ainsi constituer un levier pour renforcer la dimension européenne de notre sécurité , loin d'une dilution dans une alliance globale.

Le soutien finlandais et suédois à la politique de sécurité et de défense commune (PSDC)

La Finlande est intéressée par les concepts d'autonomie et de Boussole stratégiques de l'UE. Le Président Niinistö est l'un des plus fervents demandeurs d'une PSDC commune de l'UE au-delà de sa politique de sanctions, une Europe de défense forte devant être vue comme un meilleur partenaire pour l'OTAN et non comme un concurrent. Le pays est fortement mobilisé en faveur du renforcement de l'Europe de la défense , à laquelle il contribue activement depuis son adhésion à l'Union. La Finlande participe à 11 des 15 missions et opérations de PSDC, avec 90 personnels, et est l'un des principaux contributeurs per capita aux missions de PSDC civiles. Elle a été le premier État membre à répondre à la demande d'assistance de la France au titre de l'article 42-7 du TUE, et a participé à renforcer l'opérationnalisation de ce dernier durant sa présidence du Conseil de l'Union, notamment en cas de menaces hybrides. Elle a créé en 2017 un Centre européen d'excellence dédié à ces dernières, auquel la France s'est associée, et qui vise à développer une « culture stratégique européenne commune » de lutte contre ces nouvelles menaces. Elle a également rejoint en novembre 2018 l'Initiative européenne d'intervention (IEI) et participe notamment aux groupes de travail sur le Sahel et la mer Baltique . La Suède prend part activement à l'élaboration de la PSDC dans le cadre européen, en particulier pour les aspects civils de la gestion des crises. Elle a été responsable de l'état-major de force de l'opération Atalante. De même, elle participe activement aux travaux de l'Agence européenne de défense. Suite aux attentats à Paris en 2015, et en réponse à la sollicitation française dans le cadre de l'article 42-7 du TUE, Stockholm avait proposé la poursuite des actions de formation en Irak (35 personnels à Erbil).

À cet égard, le fait que la Finlande et la Suède ont souhaité rejoindre l'OTAN alors même qu'ils sont, en tant qu'États membres de l'Union, couverts par la garantie de sécurité de l'article 42-7, montre que l'Union européenne a encore beaucoup à faire pour assurer la crédibilité de cette garantie de sécurité. Dans cette optique, il est nécessaire pour la France d'oeuvrer au sein de l'OTAN pour que ce nouvel essor profite au renforcement des capacités de défense propres aux pays européens .

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 20 juillet 2022, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Christian Cambon sur le projet de loi n° 782 (2021-2022) autorisant la ratification du protocole au Traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la République de Finlande et la ratification du protocole au Traité de l'Atlantique Nord sur l'accession du Royaume de Suède.

M. Christian Cambon, président, rapporteur . - L'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN, que le Sénat est appelé à ratifier le 21 juillet prochain, est un événement historique en ce qu'elle met fin à une neutralité de trois quarts de siècle pour la Finlande et de plus de deux siècles pour la Suède. Cette neutralité commune répond en réalité à deux approches différentes.

Pour la Finlande, c'est d'abord le choix dicté par la prudence d'un pays englobé dans l'empire russe jusqu'en 1917. La Finlande a ainsi signé, le 6 avril 1948, un pacte d'amitié quelque peu forcé avec l'URSS. Cette « finlandisation » lui a coûté la maîtrise de sa politique étrangère, mais lui a offert une relative immunité et une véritable tranquillité pendant la guerre froide.

La fin de la neutralité de la Suède est un événement encore plus remarquable. En paix depuis 1814, elle avait fait de cette neutralité un élément de son identité, aux côtés de son soutien sans faille au multilatéralisme et de sa politique « compassionnelle » envers les pays en développement.

L'agression de l'Ukraine par la Russie aura donc eu raison de cette double neutralité. Loin d'aboutir à la finlandisation de l'Ukraine, l'aventure de M. Poutine a mené tout droit à l'otanisation de la Finlande ! Sans doute ne l'avait-il pas prévu. S'agissant de la Suède, sa solidarité avec la Finlande et la crainte de voir l'île de Gotland devenir un point d'appui pour l'armée russe dans la Baltique ont également précipité la volonté d'adhésion.

Qu'apportera cette adhésion à ces deux pays et, réciproquement, qu'apporteront-ils à l'Alliance ?

L'accès à la protection offerte par l'article 5 du traité de Washington constitue évidemment la première motivation de la Suède et de la Finlande. Il s'agit d'une assurance stratégique précieuse au moment où nombre de pays de l'Europe du Nord et de l'Est non membres de l'OTAN se sentent directement menacés par la Russie.

Du point de vue de l'OTAN, il s'agit d'un succès considérable. Le temps où le président Trump malmenait ses alliés et où le Président de la République évoquait la « mort cérébrale » de l'Organisation n'est pas si loin. L'adhésion de deux pays dont la neutralité paraissait intangible vient ainsi couronner une véritable résurrection.

Concrètement, l'apport à notre sécurité collective est significatif. D'abord, les armées de ces deux pays sont pleinement interopérables. En effet, leur neutralité ne les a pas empêchés de coopérer avec l'Alliance de longue date. Membres du partenariat pour la paix (PPP) dès 1994, puis du Conseil de partenariat euroatlantique en 1997, ils ont contribué aux opérations de l'OTAN dans les Balkans, en Afghanistan et en Irak. Bref, ce sont aujourd'hui les deux pays les plus proches de l'Alliance.

Cette coopération s'est accélérée depuis l'invasion de l'Ukraine. Lors du sommet du 25 février, les alliés ont activé en faveur de la Finlande et de la Suède le dispositif des « modalités d'interaction renforcée ». Les deux pays sont désormais destinataires des documents de l'OTAN sur la situation en Ukraine, participent au Conseil de l'Atlantique Nord et sont susceptibles de donner accès à leur territoire à l'organisation.

Ces deux pays sont en outre des démocraties, membres de l'Union européenne, qui adhèrent à ce titre à la clause d'assistance mutuelle du traité de Lisbonne - le fameux article 42-7. Ils disposent aussi d'importantes capacités. Leur budget de défense est significatif : le quinzième de l'OTAN pour la Finlande malgré la petite taille du pays, soit 2 % du PIB atteints en 2022. La Suède, actuellement au treizième rang, a prévu d'atteindre ces 2 % en 2028. Elle possède une industrie de défense substantielle et a récemment réintroduit le service militaire obligatoire, tandis que la Finlande peut mobiliser 870 000 réservistes.

C'est aussi un apport de profondeur stratégique qui permet de renforcer la posture de défense et de dissuasion du flanc oriental de l'OTAN. Cela créerait un dilemme nouveau pour la Russie si elle envisageait d'attaquer un pays d'Europe centrale ou orientale. Avec la Suède, cette profondeur permet aussi une meilleure défense des pays baltes.

Inversement, il faut souligner qu'aucune demande n'a été formulée en vue du déploiement de forces ou d'équipements de l'OTAN sur les territoires suédois et finlandais, ces deux pays estimant être en mesure de se défendre. C'est un élément important.

Dans ce tableau positif, je voudrais cependant mentionner deux importants points de vigilance.

D'abord, le blocage, peut-être devrais-je dire le chantage, de la Turquie n'a été surmonté qu'au prix d'un mémorandum trilatéral qui ne laisse pas d'interroger. Ainsi, la Finlande et la Suède ont promis de coopérer davantage avec la Turquie dans la lutte contre le terrorisme, s'engageant à empêcher les activités non seulement du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), mais aussi du parti de l'Union démocratique (PYD) et des Unités de protection du peuple (YPG), dont on ne peut ignorer qu'ils sont nos alliés contre Daech en Syrie. Les deux pays s'engagent aussi à faciliter les extraditions et à lever leur embargo sur la vente de certaines armes à Ankara.

Autre point troublant de l'accord, la Suède et la Finlande se sont engagées à soutenir la participation de la Turquie aux initiatives de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), en particulier à la coopération « mobilité ». Une telle participation ne va pas de soi, étant donné les relations actuelles de la Turquie avec la Grèce et Chypre. Une mission de notre commission se rendra en septembre dans cette région. Comme l'a souligné le rapport d'information sur la boussole stratégique de nos collègues Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret, elle pose un problème de « compatibilité de valeurs ». Plus généralement, la participation d'États tiers, disent nos rapporteurs, « devrait rester exceptionnelle afin d'éviter les situations dans lesquelles les bénéfices mutuels s'avéreraient déséquilibrés ». Il est donc impératif de veiller à ce que les travaux de l'OTAN ne s'alignent pas sur un mémorandum qui, par nature, ne peut et ne doit engager ni l'Alliance ni les alliés.

Deuxième point de vigilance : cette double adhésion signifie un renforcement de l'OTAN, mais de quelle OTAN parlons-nous, et surtout, quelle OTAN voulons-nous ?

Premièrement, l'entrée de la Suède et de la Finlande pourrait avoir des conséquences sur la politique de la « porte ouverte ». Les candidats actuels sont l'Ukraine, la Géorgie et la Bosnie-Herzégovine. Chaque adhésion doit rester un processus individuel, qui dépend aussi bien de la mise à niveau de l'appareil de défense que de la situation politico-militaire de chaque pays candidat.

Deuxièmement, le sommet de Madrid a abouti à une révision du concept stratégique de l'Alliance. Une importante nouveauté est la mention inédite du fait que les « ambitions et les politiques coercitives » de la Chine « remettent en cause nos intérêts, notre sécurité et nos valeurs ». En outre, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande ont été pour la première fois invités à assister à un sommet de l'OTAN.

Certes, le négociateur français est parvenu à faire inscrire deux fois la mention « euro-atlantique » dans ce concept stratégique. Dont acte. L'entrée de deux pays membres de l'Union européenne, qui se sont d'ailleurs engagés à renforcer la coopération entre l'Union et l'OTAN, doit être pour nous un nouveau levier pour renforcer la dimension européenne de notre sécurité, contre les tendances à la dilution dans une alliance globale dirigée contre la Russie et la Chine. L'OTAN a été constituée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour faire face à la Guerre froide. Il ne faudrait pas que les États-Unis nous entraînent dans une dilution générale en y faisant entrer des pays comme le Japon, la Corée du Sud ou la Nouvelle-Zélande. Nous ne pouvons adopter telle quelle la ligne des États-Unis vis-à-vis de la Chine.

Nous devons aussi être attentifs au fait que ces deux pays ont souhaité rejoindre l'OTAN alors même qu'ils sont, en tant qu'États membres de l'Union, couverts par la garantie de sécurité de l'article 42-7. C'est dire que l'Union a encore beaucoup à faire pour crédibiliser sa garantie de sécurité.

Autre conséquence pratique pour nos intérêts : nous devons, à mes yeux, développer notre capacité à expliquer et à promouvoir nos conceptions au sein de l'OTAN, pour que son nouvel essor soit compatible avec la montée en puissance des capacités en matière de défense propres aux pays européens. C'est une thématique spécifiquement française : il faut, sans mettre en difficulté l'OTAN, développer une vraie Europe de la défense.

Malgré ces réserves, je vous propose de ratifier l'entrée de la Suède et de la Finlande dans l'OTAN. La période qui s'est ouverte avec la signature des protocoles d'adhésion le 5 juillet est sensible pour les deux pays, ce que m'ont confirmé les deux ambassadeurs lorsque je les ai reçus. C'est aussi ce que le président de la République de Finlande a déclaré : la période qui s'ouvre jusqu'à l'adhésion effective est celle de tous les dangers. La Russie pourrait mettre en oeuvre des représailles, dont l'ampleur est difficile à anticiper, même si elle a fait descendre sa rhétorique d'un cran sur ce sujet. Douze pays ont déjà ratifié les protocoles. Nous avons encore quelques inquiétudes à l'égard de la Turquie, qui a indiqué qu'elle ne serait pas en mesure de ratifier l'adhésion avant le mois d'octobre. Mais la ratification française sera, n'en doutons pas, une étape symbolique importante. Le Sénat a été saisi en premier de ce projet de loi, ce qui est rare dans ce domaine, signe que le Gouvernement a souhaité faire appel à notre expérience.

En rejoignant l'OTAN, le peuple suédois et le peuple finlandais ont fait un choix qui remet profondément en cause leur politique étrangère, voire leur identité nationale. À nous désormais de les accueillir au sein de l'Alliance et de leur montrer que leur adhésion est pleinement conforme aux valeurs de paix, de primauté du droit et de liberté auxquelles ils sont, comme nous, profondément attachés !

M. Pierre Laurent . - Je développerai en séance les raisons de l'opposition du groupe CRCE à cette adhésion. Une remarque sur le délai de la ratification. C'est une décision historique, qui devrait s'accompagner d'un débat approfondi et d'une analyse de la révision du Concept stratégique de l'OTAN au sommet de Madrid. Les deux sujets sont à mes yeux indissociables. Vous avez évoqué la « prudence » qu'appelle cette double adhésion, je parlerai plutôt de véritable inquiétude.

Or les conditions de la ratification ne permettent pas un débat sur l'ampleur de ce qui est en train de se passer. Le Parlement n'a pas même été informé de ce qui avait été décidé à Madrid. La seule occasion d'en parler sera le débat de demain, avec quelques minutes pour chaque intervenant. Ce point a été ajouté le 16 juillet dernier à l'ordre du jour de nos travaux, pour une ratification cinq jours plus tard. Ce ne sont pas des conditions sérieuses d'examen.

M. Christian Cambon, président, rapporteur . - Nous nous plaignons souvent que les traités internationaux nous sont soumis avec un grand retard... En l'espèce, le délai est lié aux conditions géostratégiques : si l'on m'avait dit il y a quelques mois que nous examinerions l'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN, je ne l'aurais pas cru ! Le mot de « finlandisation » pour désigner la neutralité était passé dans le vocabulaire courant. Le président de la Finlande nous a dit que, en trois mois, l'opinion publique finlandaise était passée d'une petite minorité à une large majorité en faveur de l'adhésion. Les 1 300 kilomètres de frontière avec la Russie inquiètent le pays, et les déclarations belliqueuses du président russe, qui a dernièrement indiqué qu'il n'avait pas encore commencé les choses sérieuses, ne contribuent pas à calmer la situation, pas plus qu'à l'égard des pays baltes.

Il faut respecter la volonté de ces deux pays démocratiques qui ont décidé librement. Il faudra bien entendu prendre en compte les motifs de prudence, notamment la Turquie qui tire profit de sa capacité à bloquer l'adhésion pour remettre en cause l'accueil par les deux pays de certains opposants.

M. Jean-Marc Todeschini . - La plupart des membres du groupe SER voteront ce projet de loi demain. Les gouvernements finlandais et suédois ne font que s'adapter à la nouvelle réalité géopolitique en demandant une adhésion d'urgence. C'est un bouleversement total. Lorsque j'avais rencontré, dans d'autres fonctions, le président finlandais, il m'avait expliqué que son pays avait été occupé plusieurs fois dans son histoire par la Russie et que ce n'était pas un véritable problème, même si les avions russes survolaient régulièrement leur territoire... Leur position a totalement changé, ce qui provoquera des réactions. La frontière entre l'OTAN et la Russie s'allonge, et celle-ci ne restera pas inactive.

L'adhésion n'étant pas imposée par les États-Unis, nous ne voyons pas de raison de nous opposer à cette demande, tout en notant qu'elle marque un échec de l'Union européenne à offrir des garanties de sécurité.

Le projet de loi est adopté sans modification.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mme Muriel Domenach , ambassadrice, représentante permanente de la France à l'OTAN.

ANNEXE -
AUDITION DE MME MURIEL DOMENACH

(13 juillet 2022)

M. Christian Cambon, président . - Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui l'ambassadrice Muriel Domenach, représentante permanente de la France au conseil de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), pour évoquer l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'Alliance.

Ces deux pays ont été invités à rejoindre l'OTAN lors du sommet de Madrid qui s'est tenu du 28 au 30 juin dernier, après avoir manifesté leur volonté d'y adhérer en mai dernier. Les pays membres ont signé les protocoles d'adhésion le 5 juillet, ouvrant la voie à une ratification rapide par chaque État. Le Sénat ayant été saisi en premier du projet de loi de ratification de ces deux adhésions, notre commission examinera ce texte le mercredi 20 juillet, avant une discussion en séance publique le 21 juillet.

L'adhésion de ces deux pays était presque inimaginable il y a moins d'un an. Elle mettra fin à une neutralité militaire que ces États avaient adoptée pour des raisons différentes, mais qui ne leur paraît plus tenable aujourd'hui face à un même événement : l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Tant la Suède que la Finlande estiment en effet que ce développement constitue un bouleversement stratégique majeur, et que leur sécurité serait désormais mieux assurée au sein de l'Alliance qu'en dehors.

Nous aimerions aborder ce matin avec vous cette double adhésion et ses conséquences pour l'Alliance.

S'agissant de l'adhésion elle-même, vous évoquerez sans doute les négociations qui ont eu lieu en amont, notamment entre la Turquie, dont la position a changé, et les deux pays candidats. Nous avons quelque inquiétude à cet égard. Par ailleurs, à quelle échéance peut-on s'attendre à ce que le processus d'adhésion soit bouclé ?

Ensuite, peut-on la replacer dans le cadre du nouveau concept stratégique adopté lors du sommet de Madrid, qui comprend un certain nombre d'innovations s'agissant de la posture de dissuasion et de défense de l'OTAN ?

Par ailleurs, quelle nouvelle contribution ces deux pays pourront-ils apporter à l'Alliance en termes militaires, sachant que de multiples mécanismes de coopération existent déjà de longue date entre eux et l'OTAN ? Est-il également envisagé de déployer de nouvelles positions militaires de l'Alliance dans ces deux pays ? Rappelons qu'à la suite de l'invasion russe, l'OTAN a déjà activé ses plans de défense et déployé des éléments de sa force de réaction à la suite de l'agression russe. L'Alliance a ainsi mis en place quatre groupements tactiques multinationaux en Bulgarie, Hongrie, Slovaquie et Roumanie, avec la France comme nation-cadre, ceci en plus des groupements déjà déployés dans les pays baltes et en Pologne.

Le président Poutine a indiqué qu'un déploiement supplémentaire en Suède et en Finlande entraînerait automatiquement une réaction de la part de la Russie ; on ignore de quel ordre.

Le deuxième aspect important que nous souhaiterions aborder est celui de la manière dont notre pays envisage ces deux candidatures, ainsi que la suite du processus d'adhésion. Notre position sur la Suède et la Finlande aura-t-elle également des conséquences sur la manière dont nous considérons les autres candidatures déjà déclarées, à savoir celles de l'Ukraine, de la Géorgie et de la Bosnie-Herzégovine ?

Que penser, enfin, de l'invitation faite au Japon, à la Corée du Sud et à la Nouvelle-Zélande, représentés pour la première fois lors d'un sommet de l'OTAN le 28 juin dernier à Madrid, en lien avec la mention de la Chine dans le nouveau concept stratégique ? Cette évolution correspond-elle à la vision de l'Alliance promue par la France ?

Mme Muriel Domenach, ambassadrice, représentante permanente de la France à l'OTAN . - J'ai signé les protocoles d'adhésion de la Finlande et de la Suède le 5 juillet. Nous avons connu un moment historique que nous ne pensions pas vivre. Nous nous étions entretenus avec les représentations nationales de Finlande et de Suède en 2021, mais ce débat n'était pas mûr et personne ne faisait pression en ce sens. Ces États étaient déjà les partenaires les plus proches de l'Alliance, dans le cadre du partenariat pour la paix depuis 1994, et avaient participé aux opérations au Kosovo, en Afghanistan et en Irak. Ils sont partenaires renforcés depuis 2014.

C'est bien la guerre en Ukraine et l'agression russe qui ont marqué une rupture vers l'adhésion. Le président finlandais a été reçu ici même, ses voeux de Nouvel An avaient frappé les observateurs tant ils annonçaient une évolution de la position de la Finlande, donc de la Suède. Le pays dont on s'attendait le moins qu'il le fasse, celui qui a toujours revendiqué le dialogue avec la Russie, a pris l'initiative.

Dès le déclenchement de l'invasion de l'Ukraine, le 25 février, l'OTAN a activé le mécanisme d'interactions renforcé, qui permet l'échange d'informations classifiées, et l'accès des alliés aux territoires et aux eaux territoriales suédois et finlandais. Ces pays réunissant les critères - ils sont démocratiques, leurs forces armées sont interopérables, ils apportent une contribution nette à la sécurité de l'Europe -, le processus d'adhésion a été très rapide. Dès le dépôt de leur candidature, mi-mai, nous avons préparé un calendrier accéléré en vue de leur participation comme invités au sommet de Madrid du 28 au 30 juin, ce qui signifiait que le protocole était signé. Celui-ci n'avait pu être finalisé avant Madrid, car M. Erdogan avait exprimé des objections, ce qui a suscité un flottement. Le secrétaire général, Jens Stoltenberg, s'est investi dans une mission de bons offices et a organisé une réunion trilatérale entre la Turquie, la Suède et la Finlande, qui a permis de signer un mémorandum levant l'objection turque. La signature des protocoles a pris place le 5 juin.

La Suède et la Finlande sont donc déjà invitées à nos réunions et nous sommes engagés dans le processus de ratification.

Vu de l'OTAN, dix des alliés ont déjà ratifié le protocole d'adhésion, parmi lesquels l'Allemagne, le Royaume-Uni, et les Pays-Bas. Les États-Unis le feront d'ici à août. Le calendrier de la plupart de nos alliés prévoit des ratifications avant septembre. Restent des points d'interrogation pour la Grèce, en raison d'élections anticipées, la Hongrie et la Turquie, car la Grande assemblée ne reprend ses travaux que début octobre. Nos partenaires suédois et finlandais attendent donc une ratification susceptible de les appuyer dans la perspective du processus turc, lequel s'annonce difficile.

M. Erdogan a ainsi indiqué que la Turquie attendait des témoignages de solidarité envers elle de la part de ses alliés. Elle demande ainsi des extraditions de militants depuis la Suède et la Finlande et la modernisation par les États-Unis de certains de ses F16. En effet, elle a été suspendue du programme F35 après avoir acheté des batteries antiaériennes russes et ne bénéficie donc pas d'avions de cinquième génération, alors que, en Méditerranée orientale, la Grèce bénéficiera de Rafale. La Turquie demande donc la cession de quarante F16 et la modernisation de quatre-vingts autres. Ces demandes sont à l'examen auprès du Congrès des États-Unis.

Il y aura donc une conversation difficile avec la Turquie ; en évitant autant que possible la confrontation, nous, démocraties européennes, avons intérêt à faire poids du côté de la Suède et de la Finlande.

Quant aux apports de la Suède et de la Finlande à l'OTAN, ils se résument en trois points. D'abord, l'interopérabilité des forces suédoises et finlandaises avec celles des alliés est déjà très élevée. Par exemple, la semaine dernière, l'armée de l'air française a conduit des exercices avec les forces aériennes finlandaises.

Ensuite, la Suède et la Finlande ont des forces armées, des budgets et des industries de défense conséquents. La Finlande bénéficie d'un dispositif dit « de résilience ». Elle dispose de 280 000 personnels et d'une capacité de mobilisation allant jusqu'à 870 000 réservistes, ce qui en fait l'une des armées européennes les plus importantes. Son budget de défense la place au quinzième rang parmi les alliés de l'OTAN, pour une population réduite, et devrait augmenter à 2 % du PIB dès 2022.

La Suède a une armée plus réduite, qu'elle a prévu de renforcer, en élevant son budget de défense à 2 % du PIB d'ici à 2028. Elle se trouve actuellement au treizième rang parmi les alliés de l'OTAN et elle dispose d'une industrie de défense importante.

Sur le plan stratégique, ces deux pays apportent la profondeur stratégique dont nous avons besoin pour renforcer la posture de défense et de dissuasion de l'OTAN sur le flanc oriental, comme le prévoit le concept stratégique adopté à Madrid. Dans ce contexte, la France est présente en Estonie aux côtés des Britanniques, elle a endossé un rôle de nation-cadre en Roumanie et le Président de la République a annoncé qu'elle se tenait prête à augmenter son dispositif jusqu'à l'équivalent du niveau brigade, en cas de besoin. Elle dispose en outre de capacités de défense aérienne, notamment autour du port de Constanza, en Roumanie. Nous veillons à ne pas fixer inutilement les forces dont nous avons besoin. Si une présence sur le flanc oriental est nécessaire, la profondeur stratégique est un enjeu encore plus important, de sorte que l'adhésion de la Finlande et de la Suède est indispensable pour améliorer la défense des pays baltes et plus largement celle du front oriental.

Enfin, ces deux États sont des partenaires engagés en faveur de la défense européenne. Ils ont contribué à la task force Takuba et ont marqué leur intention de favoriser le renforcement de la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne dans leur lettre d'adhésion.

Quant à la Russie, le risque qu'elle les déstabilise reste limité, notamment en raison de l'engagement des forces de la région militaire nord dans les combats en Ukraine, où elles ont connu des pertes importantes.

De plus, la Suède et la Finlande ont d'ores et déjà reçu des réassurances en matière de sécurité de la part des Alliés, dont la France.

Enfin, la rhétorique du pouvoir russe semble avoir évolué : alors que le ministre des affaires étrangères russe s'était initialement montré menaçant, le président Poutine est revenu, le 29 juin dernier, à un discours bien plus apaisé, laissant entendre que si les deux pays voulaient rejoindre l'OTAN, ils n'avaient qu'à le faire.

La position de la France à l'OTAN a consisté à soutenir ces deux démocraties européennes qui contribuent à la sécurité de l'Europe et sont des membres actifs de l'Union européenne, dont la Suède prendra la présidence à l'issue du mandat tchèque.

M. Gilbert Roger . - Je suis favorable à l'entrée de ces deux pays dans l'OTAN. Il n'est sans doute pas très diplomatique de parler de « chantage turc ». Toutefois, une communauté kurde importante se trouve en Finlande et en Suède. Quelle contrepartie exigera donc Erdogan ? De plus, a-t-on des informations sur ce que les États-Unis donneront à la Turquie, en particulier en ce qui concerne les F16 ?

M. Pierre Laurent . - Nous nous opposerons à la ratification, car nous considérons qu'elle est trop rapide et qu'il faudrait d'abord ouvrir un débat politique approfondi sur la nature globale du document stratégique de l'OTAN adopté à Madrid, car l'enjeu n'est pas seulement celui de l'adhésion de la Suède et de la Finlande.

Cette demande d'adhésion est motivée par un désir de protection qui s'est accru en très peu de temps, dans l'opinion publique, en Finlande et en Suède. Toutefois, si elle se réalisait, l'adhésion ferait de la frontière russo-finlandaise le front oriental de la confrontation entre l'OTAN et la Russie, avec des conséquences inconnues à ce jour. Le document stratégique de l'OTAN mentionne qu'il faut intensifier la présence de l'OTAN dans les pays géographiquement limitrophes. Derrière l'adhésion de la Finlande et de la Suède, se profile donc l'installation de bases de l'OTAN tout le long de la frontière avec la Russie. Pourriez-vous préciser la nature du projet en la matière ?

Concernant la Turquie, vous avez mentionné les extraditions des démocrates kurdes. Erdogan propose de les enfermer à vie, comme des milliers d'autres le sont déjà dans les prisons turques. Qu'en est-il également de la possibilité d'une nouvelle offensive turque dans le nord de la Syrie ? Ce point fait-il partie des marchandages en cours avec Erdogan dans le cadre des discussions à l'OTAN ?

Mme Marie-Arlette Carlotti . - Je me réjouis que les trente États membres de l'OTAN soient parvenus à un accord à Madrid pour permettre à la Suède et à la Finlande de les rejoindre. Cette addition de deux pays neutres de l'Union européenne est à saluer, même si l'on aurait pu s'épargner la défiance de la Turquie, qui tourne maintenant au chantage.

L'adhésion de ces deux pays envoie un signal nouveau sur l'échiquier de la sécurité européenne. Quel devenir envisager pour la stratégie de l'Alliance atlantique, particulièrement au carrefour stratégique que constitue la Méditerranée ? Les tensions en mer Égée, déclenchées par la Turquie, sont très inquiétantes, de même que les potentielles intentions de Poutine qui, loin de se concentrer sur le Donbass, semble vouloir étouffer économiquement l'Ukraine en contrôlant une partie de la Méditerranée.

L'adhésion de la Suède et de la Finlande, si elle est ratifiée, ouvrira-t-elle une nouvelle stratégie d'alliance, dirigée davantage vers le Nord que vers le Sud ? Comment la France oeuvrera-t-elle pour que la position stratégique de l'OTAN en Méditerranée perdure ?

M. Philippe Folliot . - Il n'y aura pas de ratification, car il faut l'unanimité. D'un point de vue politique, le signal n'en sera pas moins désastreux à certains égards. Dans quelle mesure prend-on cela en compte ?

En outre, quid de cet élargissement de l'OTAN par rapport au concept stratégique et aux perspectives concernant le Japon et la Corée ? L'Alliance est-elle appelée à changer complètement de nature, passant d'un cadre euro-atlantique à une alliance des démocraties à l'échelle mondiale, avec toutes les conséquences que cela pourra entraîner ? Quelles perspectives envisager, notamment au regard de l'alliance Aukus qui a été mise en place il y a quelques mois ?

M. Hugues Saury . - Je suis favorable à cette adhésion, mais je m'interroge sur les conséquences qu'elle aura sur l'Europe de la défense. À plusieurs reprises, le Président de la République a qualifié l'OTAN d'organisation « en état de mort cérébrale ». Il me semble que l'agression russe a entraîné un retour à la vie de l'Alliance. Toutefois, ce nouveau dynamisme que confirme cette double adhésion ne condamne-t-il pas, en dernier ressort, le développement d'une Europe de la défense ?

M. Jacques Le Nay . - Quid de la posture de l'OTAN concernant l'enclave de Kaliningrad ?

M. Guillaume Gontard . - Je comprends la volonté finlandaise et suédoise de rejoindre l'OTAN, mais je m'interroge sur la rapidité de cette ratification et sur les conséquences qu'elle pourrait avoir quant à l'escalade des tensions, en particulier avec la Russie.

De plus, je partage les interrogations de mes collègues : n'est-ce pas là une condamnation de l'Europe de la défense ? Il faudrait sans doute revoir cette question géopolitique, car la place de l'Europe me paraît importante.

Un point nous inquiète particulièrement : il semblerait que M. Erdogan ait obtenu, en échange de la levée de son veto, que la Finlande et la Suède s'engagent à lutter contre ce qu'il appelle « le terrorisme » avec détermination et résolution, et qu'elles traitent notamment de manière rapide la demande d'extradition portant sur trente-trois individus. Ce point très précis laisse entendre qu'il y aurait une coopération renforcée pour réprimer la minorité kurde partout où cela est possible, ce qui nous semble très inquiétant. Avez-vous des précisions sur ce sujet ?

Mme Nicole Duranton . - Alors que Vladimir Poutine semble avoir mis en pause ses menaces de représailles en cas d'adhésion suédo-finlandaise à l'OTAN, le principal obstacle intervient désormais à l'intérieur de l'Alliance atlantique. Des consultations ont eu lieu, mercredi dernier, au sein du Conseil atlantique pour tenter de lever l'opposition de la Turquie au lancement du processus. Comment l'action de la Russie peut-elle remettre en cause ces adhésions et quelles conséquences celles-ci peuvent-elles avoir sur la protection de l'Union européenne contre d'éventuelles tentatives d'agression russes ?

L'adhésion de la Suède et de la Finlande, en matière d'achats d'armements stratégiques, ne profitera-t-elle pas d'abord aux États-Unis ? Dans quelle mesure pourra-t-elle bénéficier aux fournisseurs d'armement européens ?

M. Mickaël Vallet . - D'un point de vue strictement franco-français, quel intérêt représente l'adhésion de ces deux pays à l'OTAN ?

Pour nuancer quelque peu l'enthousiasme général, ne faudrait-il pas s'interroger sur les risques qu'implique la fin de la finlandisation et de la zone tampon ? Il n'est pas neutre pour l'Alliance atlantique que s'établisse une frontière de 1 300 kilomètres avec la Russie. Qu'avons-nous à y perdre et comment compenser d'éventuels inconvénients ?

Mes collègues ont déjà évoqué le paradoxe qu'il y a à approfondir l'Alliance atlantique, d'un côté, et à développer, de l'autre, l'idée d'une défense européenne. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, pour l'instant, l'OTAN ne semble pas prévoir de déployer des forces supplémentaires en Suède et en Finlande. Quelle visibilité avons-nous en la matière et jusqu'à quand cette position vaudra-t-elle ?

M. Joël Guerriau . - Le budget de l'OTAN représente près de 2,5 milliards d'euros. La contribution qu'apporteront la Finlande et la Suède s'ajoutera-t-elle à ces 2,5 milliards d'euros ou bien y sera-t-elle intégrée, de sorte que la participation française, qui avoisine les 12 %, pourra être réduite ?

De plus, est-ce leur contribution à l'OTAN qui conduit la Finlande et la Suède à augmenter leur budget de défense jusqu'à 2 % du PIB ?

Enfin, quelles conséquences leur contribution aura-t-elle sur les efforts que nous menons pour la création d'un fonds de défense européen ?

M. Pascal Allizard, président . - Madame l'ambassadrice, nous suspendons ici la captation de cette réunion pour vous permettre d'aborder dans vos réponses certains points nécessitant le huis clos.

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