EXAMEN DE L'ARTICLE

ARTICLE 2

Détention publique du groupe EDF et actionnariat salarié

. Dans le texte initial de la proposition de loi, le présent article prévoyait de transformer l'entreprise Électricité de France en « groupe public unifié » et listait les activités de l'entreprise, dont les actions devaient être rendues incessibles : elles concernaient aussi bien « la production, le transport, la distribution, l'importation [...] l'exportation d'électricité, le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique [que] la prestation de services énergétiques ».

En première lecture au Sénat, le texte de l'article a été réécrit pour éviter qu'il ne soit source d'insécurité juridique : les implications de la notion de « groupe public unifié » étaient très incertaines, et le périmètre des activités retenu risquait de limiter la capacité d'adaptation du groupe et de rotation des actifs.

Ainsi, tirant les conséquences de l'offre publique d'achat initiée par le Gouvernement en 2022, le Sénat a fixé la détention du capital d'EDF par l'État à 100 %, et prévu que cette détention pouvait être minorée par la part éventuellement détenue par les actionnaires salariés. Par ailleurs, dans la rédaction issue de la première lecture du texte au Sénat, l'entreprise EDF est qualifiée « d'intérêt national », et exerce ses activités conformément aux dispositions du code de l'énergie : l'entreprise doit en effet inscrire son action dans un corpus juridique complexe, issu du droit national et du droit européen, permettant de garantir la structuration concurrentielle du marché.

Lors de la deuxième lecture du texte par l'Assemblée nationale, la liste des activités devant être assurées par le groupe EDF a été rétablie. Ainsi, dans cette version du texte, il était prévu que l'entreprise « assure notamment la production, le transport dans les zones non interconnectées, la distribution, la commercialisation, l'importation et l'exportation d'électricité, le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique et la prestation de services énergétiques. » Cette liste, autant que celle adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, présentait des risques d'insécurité juridique et c'est la raison pour laquelle l'article a été de nouveau réécrit par le Sénat en deuxième lecture.

À l'initiative de la commission des finances, la contrainte sur les activités d'EDF a alors été remplacée par une logique d'objectifs. Ainsi, l'article tel qu'ainsi rédigé prévoit la mise en place d'un contrat décennal révisé tous les trois ans, permettant de décliner de façon opérationnelle trois objectifs assignés à EDF, à savoir la décarbonation de la production d'électricité, la maîtrise des prix pour les ménages et les entreprises et l'adaptation des capacités de production à l'évolution de la demande d'électricité. Par ailleurs, afin de répondre à l'ambition initiale des auteurs de la proposition de loi, le texte adopté par le Sénat prévoyait également que l'entreprise Enedis ne pouvait être cédée par EDF et devait demeurer une filiale à 100 % de l'entreprise. Enfin, alors qu'un amendement du rapporteur, adopté en commission, avait prévu de rendre obligatoire l'actionnariat salarié au sein de l'entreprise, un amendement adopté en séance publique a renforcé cette obligation en prévoyant la mise en oeuvre d'une opération dans des conditions précises.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale en troisième lecture résulte, dans sa quasi-intégralité, de dispositions introduites par le Sénat : sont ainsi retenus le taux de détention d'EDF par l'État de 100 % du capital, la qualification « d'intérêt national » de l'entreprise, le contrat d'objectifs décennal entre l'État et EDF, qui sont tous des apports du Sénat.

L'obligation de détention par EDF de 100 % du capital d'Enedis et la référence à l'exercice des activités d'EDF conformément aux dispositions du code de l'énergie ont néanmoins été supprimées.

Le texte dans sa rédaction actuelle est donc, dans sa quasi-intégralité, conforme aux positions de la commission des finances.

La commission a adopté cet article sans modification.

I. LE DROIT EXISTANT : ÉLECTRICITÉ DE FRANCE, UNE ENTREPRISE STRATÉGIQUE SOUS LE CONTRÔLE DU PARLEMENT ET DONT LA STRUCTURE A DÛ ÊTRE ADAPTÉE À L'ORGANISATION DU MARCHÉ DE L'ÉNERGIE

A. L'ORGANISATION DU GROUPE EDF RÉPOND À L'ORGANISATION ACTUELLE DU MARCHÉ DE L'ÉNERGIE AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE

La directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité distingue trois fonctions : la production d'électricité, le transport sur des lignes haute tension, et la distribution sur des lignes moyenne et basse tension.

Le transport et la distribution relevant de monopoles naturels, il est prévu que soit mis en place un mécanisme d'accès des tiers au réseau (ATR). La directive de 1996 dispose également que le gestionnaire du réseau de transport (GRT) doit être indépendant des autres activités lorsqu'il reste intégré au sein d'une entreprise de production.

Dans un premier temps, l'article 12 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité a introduit ce principe dans le droit interne en prévoyant l'indépendance de la gestion du réseau de transport, sans pour autant séparer strictement cette activité des autres activités d'EDF.

Quatre ans plus tard, l'article 7 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières sépare les activités de transport en créant la société RTE, distincte d'EDF, et « dont le capital est détenu en totalité par Électricité de France, l'État ou d'autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public. »4(*) Par ailleurs, l'article 13 de la loi prévoit la constitution d'un service chargé de la gestion du réseau de distribution « indépendant, sur le plan de l'organisation et de la prise de décision, des autres activités » Cette activité a été intégrée à une nouvelle filiale en janvier 2008 : Électricité réseau de distribution France (ERDF).

La directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE fixe l'essentiel des règles applicables à ce jour et constitue la pierre angulaire de la mise en oeuvre du marché de l'électricité. Elle renforce en particulier les conditions de la séparation entre les activités de production d'électricité et d'exploitation des réseaux, afin de garantir l'accès des tiers aux réseaux.

Ainsi, les activités de production et de commercialisation d'EDF ont été progressivement distinguées de la gestion des infrastructures de transport et de distribution. La structure capitalistique actuelle du groupe permet de répondre à l'exigence d'ouverture à la concurrence du marché, et aux règles européennes qui l'ont mise en oeuvre.

B. LA VIE DE L'ENTREPRISE EDF EST SOUMISE AU CONTRÔLE RÉGULIER DU PARLEMENT

Depuis la nationalisation de l'entreprise jusqu'à la libéralisation du marché de l'électricité, les principales évolutions de l'entreprise EDF ont été soumises à des votes du Parlement. En effet, alors que les avancées du marché européen de l'énergie ont été adoptées au sein de l'Union européenne par voie de directive, elles ont rendu nécessaire l'intervention du Parlement lors de la transposition des mesures de niveau législatif.

De plus, les règles de détention du capital d'EDF sont déterminées par la loi : ainsi, l'article L. 111-67 du code de l'énergie prévoit que la participation de l'État dans l'entreprise doit être supérieure à 70 % et que l'entreprise RTE, en vertu de l'article L. 111-42 du même code, doit être intégralement détenue par EDF, l'État, ou d'autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public.

Par ailleurs, le Parlement est saisi de plusieurs décisions majeures intéressant la vie de l'entreprise.

Ainsi, en vertu de l'article 13 de la Constitution et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, la nomination du président directeur général d'EDF est soumise au vote des commissions des affaires économiques de l'Assemblée nationale et du Sénat. Le Président de la République ne peut procéder à sa nomination lorsque l'addition des votes négatifs représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

De plus, les évolutions structurelles du marché de l'électricité donnent lieu à l'intervention du Parlement. En témoigne la loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes5(*), examinée l'an passé par le Parlement. De plus, en application de l'article L. 100-1 A du code de l'énergie, « avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique. » Alors que la loi aurait dû être promulguée avant le 1er juillet dernier, le rapporteur ne peut que déplorer que ce texte n'ait toujours pas été présenté au Parlement par le Gouvernement, et que le projet de loi « souveraineté énergétique » pourrait ne contenir que des dispositions très limitées sur la stratégie énergétique du Gouvernement.

Enfin, les évolutions des règles européennes issues du processus législatif en cours sur le « market design » seront également soumises au Parlement lors de la transposition des directives européennes.

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE : LE GEL, AU NIVEAU LÉGISLATIF, DU PÉRIMÈTRE DES ACTIVITÉS D'EDF

L'article 2, dans sa version issue de la première lecture du texte par l'Assemblée nationale, procède à la réécriture de l'article L. 111-67 du code de l'énergie. Il supprimait, ce faisant, la référence à la « société anonyme » et au seuil de détention par l'État de 70 % des parts de celle-ci.

L'article prévoyait également que l'entreprise EDF devait être « un groupe public unifié ». Cette formulation, qui n'a pas de définition juridique précise, était inspirée de celle retenue par le législateur à propos de la société nationale des chemins de fer français (SNCF).

Les 1°, 2° et 3° listaient les différentes activités d'EDF devant faire partie du groupe public unifié. Ainsi, étaient concernés « la production, le transport, la distribution, l'importation [...] l'exportation d'électricité, le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique [ou encore] la prestation de services énergétiques ».

Enfin, l'article prévoyait que le capital de l'entreprise était « intégralement détenu par l'État, ou, dans la limite de 2 % du capital, par des salariés de l'entreprise. Il est incessible. »

III. LA DISPOSITIF ADOPTÉ PAR LE SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE : L'ANCRAGE, AU NIVEAU LÉGISLATIF, DE LA DÉTENTION À 100 % PAR L'ÉTAT DU CAPITAL D'EDF

A. LA REMISE EN CAUSE D'UNE RÉDACTION SOURCE D'INSÉCURITÉ JURIDIQUE ET QUI N'ÉTAIT PAS CONFORME AUX RÈGLES DU MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ

1. La rédaction initiale de l'article était source d'insécurité juridique

La notion de « groupe public unifié », à laquelle a recours le présent article, n'a qu'un seul précédent, celui de la société nationale des chemins de fer français (SNCF). Hors cet exemple, elle ne connaît pas de définition juridique précise. Les indications données par l'auteur de la proposition de loi lors de la première lecture du texte à l'Assemblée nationale, à savoir « sauver l'unité de groupe EDF », empêcher « la vente d'Enedis, de Dalkia, ou d'EDF Énergies Nouvelles », laissent imaginer qu'il s'agissait de figer la structure capitalistique du groupe.

En effet, le caractère « incessible » des actions conduisait à considérer que les participations d'EDF dans l'ensemble des entreprises intervenant dans les secteurs mentionnés par l'article pouvaient ainsi être figées.

Si les débats à l'Assemblée nationale ont paru écarter du champ de l'article les cessions d'activités réalisées à l'étranger, l'article n'en était pas moins de nature à faire planer un risque juridique sur toute cession d'actifs de la part d'EDF.

2. Des évolutions qui entraient en contradiction avec le droit européen

En fixant le principe d'un « groupe public unifié », comprenant les activités de transport et dont les actions seraient incessibles, le dispositif de l'article s'inscrivait par ailleurs en contradiction explicite avec les règles issues du droit de l'Union européenne. En effet, l'entreprise Réseau de transport d'électricité (RTE) relève du statut d'opérateur de transport indépendant (ITO) prévu par le droit européen, c'est-à-dire que la détention majoritaire par EDF a été maintenue mais que RTE doit fournir des garanties très avancées d'indépendance de gestion.

Cependant, alors que les évolutions du statut d'ITO vers la séparation intégrale de la propriété ne peuvent être « en aucune circonstance empêchées »6(*), la rédaction initiale de l'article 2 s'inscrivait en contradiction avec cette règle. Elle conduisait à bloquer au niveau législatif toute évolution du statut de RTE, ce qui est contraire au droit de l'Union.

B. LA RÉDACTION RETENUE EN PREMIÈRE LECTURE PAR LE SÉNAT PERMETTAIT, SANS ENTRAVER SA GESTION, DE GARANTIR LA DÉTENTION PUBLIQUE D'EDF À 100 %, TOUT EN PRÉVOYANT LA POSSIBILITÉ D'UN ACTIONNARIAT SALARIÉ

1. L'inscription, au niveau législatif, de la détention à 100 % d'EDF par l'État, sans poser d'entrave à sa gestion

Le texte de l'article 2 tel que voté par le Sénat a augmenté le niveau minimal de détention par l'État dans l'entreprise EDF, prévue à l'article L. 111-67 du code de l'énergie, qui passait ainsi de plus de 70 % à 100 %. Cette modification doit permettre de garantir l'intervention du Parlement si le Gouvernement souhaitait procéder à la réouverture du capital de l'entreprise. Cette modification n'a pas pour objectif de figer définitivement la détention du capital d'EDF : une nouvelle loi pourra modifier ce seuil, mais il faudra que le Parlement en soit saisi.

Plutôt que d'énumérer de façon équivoque les activités d'EDF, le Sénat a inscrit dans la loi la détention intégrale par l'État de l'entreprise EDF, tout en maintenant la possibilité d'actionnaires salariés.

En effet, le Parlement n'a pas été formellement associé au processus de nationalisation d'EDF, réalisé selon une procédure d'offre publique d'achat simplifiée (OPAS), et a uniquement été appelé à voter les crédits budgétaires nécessaires à cette OPAS.

Par ailleurs, le texte adopté en première lecture par le Sénat, à la différence du texte issu de la première lecture à l'Assemblée nationale, maintient au niveau législatif le statut de société anonyme de l'entreprise EDF. Alors que la formule retenue par l'Assemblée nationale de « groupe public unifié » était facteur d'incertitudes et d'insécurité juridique, la rédaction issue du Sénat permettait de maintenir la possibilité pour EDF de procéder aux évolutions stratégiques et aux cessions qui lui seraient indispensables pour assurer la pérennité de son modèle économique.

Comme l'a relevé le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie M. Roland Lescure, en séance à l'Assemblée nationale, « le Sénat a [...] retiré de l'article 2 la référence aux activités d'un groupe unifié dont le capital aurait été incessible : cela aurait totalement entravé les opérations courantes de gestion d'actifs par EDF, et fragilisé sa capacité à investir. »7(*)

2. Le maintien de la possibilité d'un actionnariat salarié

Le texte issu de la première lecture au Sénat a également maintenu la possibilité de déroger à la détention intégrale du capital par l'État, au profit d'un actionnariat salarié, dans la limite de 2 % de détention du capital total. Alors que l'actionnariat était imposé dans le texte issu de la commission des finances du Sénat, il a été amendé en séance publique par le Gouvernement, pour prévoir que cet actionnariat était seulement possible.

En effet, comme l'a indiqué le ministre, M. Roland Lescure, en séance au Sénat : « nous ne [...] jugeons [l'actionnariat salarié] ni souhaitable ni même envisageable à très court terme, justement parce que l'État est en train de racheter 100 % du capital pour restaurer la capacité financière, la capacité opérationnelle et la capacité à investir de l'entreprise. Par conséquent, faire ce genre d'opération aujourd'hui ne serait sans doute pas faire un cadeau aux salariés, alors que la rédaction actuelle nous y forcerait dès le 1er janvier 2024, les forçant sans doute à faire une très mauvaise opération financière. Bien plus, ce serait évidemment totalement anachronique, alors que nous sommes exactement en train de faire le contraire, à savoir racheter les pourcentages des actionnaires minoritaires, ceux qui sont détenus dans le cadre de l'actionnariat salarié. »

Sur ce sujet, le rapporteur considère que l'État doit montrer l'exemple en maintenant au sein d'EDF la possibilité pour les salariés d'être actionnaires de leur entreprise et bénéficiaires de ses performances économiques. La présence d'un actionnariat salarié doit permettre, au moins à moyen terme, de pondérer le rôle de l'État, dont les principales décisions depuis une décennie ont considérablement affaibli EDF. Les salariés pourront ainsi être les garants de l'intérêt social de l'entreprise.

IV. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE : L'ACTIONNARIAT SALARIÉ DEVIENT UNE OBLIGATION ET L'ARTICLE RÉINTÈGRE UNE LISTE CONTRAIGNANTE D'ACTIVITÉS POUR EDF, DONT LA FORMULATION DEMEURE FLOUE ET LES EFFETS JURIDIQUES INCERTAINS

A. LE RETOUR À UNE LISTE CONTRAIGNANTES D'ACTIVITÉS POUR EDF, DONT LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES SONT ÉQUIVOQUES

1. Le retour de l'énumération des activités d'EDF

Lors de l'examen du texte en commission des finances de l'Assemblée nationale, l'article 2 a été modifié à l'initiative des co-rapporteurs du texte, MM. Philippe Brun et Sébastien Jumel, pour intégrer une liste d'activités : « le groupe Électricité de France assure notamment la production, le transport dans les zones non interconnectées, la distribution, la commercialisation, l'importation et l'exportation d'électricité, le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique et la prestation de services énergétiques. »

Cette liste n'était pas exhaustive, l'usage du « notamment » permettant à EDF d'avoir des activités dans d'autres secteurs d'activité. Ainsi, d'après le rapport sur le texte fait au nom de la commission des finances en deuxième lecture, l'amendement des rapporteurs réintroduisait une liste « explicitement non-limitative, des missions devant être assurées par EDF ou par ses filiales, en raison de leur caractère stratégique pour le service public de l'électricité, dans le but d'éviter que ces activités soient totalement privatisées. »8(*)

L'objectif du rapporteur, M. Philippe Brun, était donc de « grav[er] dans le marbre de la loi ses métiers essentiels au bon fonctionnement du service public de l'énergie. »9(*)

Le transport d'électricité dans les zones interconnectées avait néanmoins été écarté de la liste des activités, alors que le rapporteur du texte en première lecture à la commission des finances du Sénat, M. Gérard Longuet, avait souligné la contrariété de cette disposition avec le droit de l'Union européenne.

2. Des débats sur la portée de la liste d'activités d'EDF

Les débats en séance à l'Assemblée nationale ont mis en évidence les incertitudes sur la portée juridique de la liste d'activités introduite en commission des finances de l'Assemblée nationale en deuxième lecture. En effet, si pour le rapporteur M. Philippe Brun, « inscrire les métiers d'EDF dans la loi permet d'en empêcher le démantèlement d'activités très rentables [et] d'éviter un grand démantèlement d'EDF par l'abandon complet de certaines activités, par exemple celles d'EDF Énergies », cette lecture a été contestée tant par plusieurs députés du groupe majoritaire que par le Gouvernement. Ainsi, d'après notre collègue député M. Mathieu Lefèvre, la liste des activités au niveau législatif pourrait avoir pour conséquence « [d'] interdire toute rotation d'actifs [...] et toute réorganisation, même minime. »

Pour le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie, M. Roland Lescure, « si l'article est adopté, M. Rémont devra venir devant la commission des finances et moi dans l'hémicycle chaque fois que nous souhaiterons vendre une activité connexe d'EDF ! En faisant croire que vous protégez EDF, vous lui coupez les ailes. Connaissant votre attachement à l'opérateur national et notre volonté à tous de développer le nucléaire, je pense que vous commettez une erreur stratégique en défendant la proposition de loi. »

Dans l'une de ses interventions en séance, le rapporteur, M. Philippe Brun, avait indiqué que cette liste correspond aux « activités dont nous pensons que l'opérateur national doit assurer la maîtrise [ces activités pouvant être] exercées soit directement par la holding de tête, soit par des filiales auprès desquelles peuvent d'ailleurs intervenir des participations privées. »

B. UN ACTIONNARIAT SALARIÉ IMPOSÉ PAR LA LOI

Un amendement de séance du rapporteur du texte, M. Philippe Brun, avait également introduit des dispositions visant à rendre obligatoire l'actionnariat salarié. Ainsi, alors que le texte issu du Sénat prévoyait uniquement la possibilité de déroger aux 100 % de détention par l'État, le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoyait directement les conditions d'une opération de cession du capital aux salariés.

En application de ces dispositions, une opération d'ouverture du capital, portant au minimum sur 1,50 % du capital de l'entreprise, devait être réalisé en faveur des salariés et anciens salariés qui détenaient des actions dans l'entreprise le 22 novembre 2022, le prix initial ne pouvant être supérieur à 12 euros, et un rabais spécifique devant être proposé « si les salariés s'engagent à une période de détention minimum de deux ans. »10(*)

Il est à noter que l'amendement qui réintroduisait ces dispositions réintégrait par ailleurs la disposition introduite au Sénat et supprimée en commission des finances de l'Assemblée nationale, qui indiquait que « l'entreprise "Électricité de France" exerce ses activités conformément aux dispositions du présent code. »

V. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LE SÉNAT EN DEUXIÈME LECTURE : DONNER DES OBJECTIFS À EDF, PLUTÔT QUE D'AJOUTER DES CONTRAINTES, ET SANCTUARISER SA PARTICIPATION DANS ENEDIS

A. DANS UN MARCHÉ DE L'ÉNERGIE EN MUTATION, LA PRIORITÉ DOIT ÊTRE DE PERMETTRE À EDF DE PRODUIRE UNE ÉNERGIE DÉCARBONÉE ET COMPÉTITIVE

1. Donner des objectifs plutôt que fixer des contraintes

La rigidité de fonctionnement et de gestion proposée par l'article 2 tel qu'issu des travaux de l'Assemblée nationale en deuxième lecture s'inscrivait en contradiction avec la fluidité et le caractère mouvant du marché de l'électricité.

La priorité de l'entreprise doit être de produire massivement une électricité décarbonée et compétitive. Les dispositions de la proposition de loi, aussi bien intentionnées soient-elles, ignoraient ces réalités et ces enjeux : le déni des réalités d'un marché complexe risque uniquement d'affaiblir EDF. Il convient de laisser à EDF la capacité et les moyens de s'adapter pour faire face aux enjeux industriels, sociaux, environnementaux et économiques auxquels l'entreprise fait face.

Ainsi, la commission des finances a remplacé les principales contraintes sur l'activité d'EDF introduites par l'Assemblée nationale par une logique d'objectifs, en les inscrivant dans la loi et en prévoyant qu'ils seront déclinés dans une convention décennale entre l'État et l'entreprise, révisée tous les trois ans.

Outil opérationnel permettant de fixer les objectifs d'investissement d'EDF, ce nouveau contrat permettra de clarifier dans la durée la relation entre l'État et EDF. L'entreprise pourra ainsi bénéficier de la visibilité qui lui a manqué au cours des dix dernières années sur les décisions du Gouvernement, et qui ont conduit ce dernier à plusieurs décisions néfastes pour l'entreprise (fermeture de Fessenheim, augmentation du volume d'Accès régulé au nucléaire historique (Arenh), etc.). La commission des finances du Sénat permet ainsi de clarifier les perspectives d'évolution des capacités de production d'électricité de l'entreprise.

Le contrat déclinera de façon opérationnelle les trois objectifs majeurs d'EDF, à savoir, la décarbonation de la production d'électricité, la maîtrise des prix pour les ménages et les entreprises, et l'adaptation des capacités de production à l'évolution de la demande d'électricité.

2. Le maintien d'Enedis comme filiale d'EDF

Alors que l'objectif initial de l'auteur de la proposition de loi était d'empêcher tout démantèlement de l'entreprise EDF, le rapporteur avait souhaité maintenir l'entreprise Enedis comme filiale de l'entreprise EDF. En effet, comme l'a relevé le président directeur général d'EDF, M. Luc Rémont, lors de son audition par le rapporteur, « dans les autres États où nous n'avons pas un opérateur national qui tient l'ensemble du système, il y a des disparités de compréhension entre les opérateurs, qui se traduisent par des difficultés opérationnelles. »

Il était donc apparu légitime, tant du point de vue constitutionnel que de celui du bon fonctionnement du système électrique, de figer la participation d'EDF dans l'entreprise. L'amendement adopté en commission permettait également de maintenir dans le texte une disposition allant dans le sens de l'intention initiale de la proposition de loi.

B. LE MAINTIEN D'UNE OPÉRATION D'ACTIONNARIAT SALARIÉ DONT LES CONDITIONS AURAIENT ÉTÉ DÉFINIES AU NIVEAU LÉGISLATIF

Alors que la commission des finances avait supprimé l'opération spécifique prévue par le texte de l'Assemblée nationale, elle avait également étendu aux anciens salariés la possibilité de détenir du capital de l'entreprise. Cette suppression se justifiait par plusieurs raisons : d'abord, la question de la valorisation des actions doit faire l'objet d'une évaluation précise et ne pouvait être décidée uniquement par référence à l'offre publique d'achat sans risquer de porter atteinte aux intérêts patrimoniaux de l'État. Ensuite, le texte prévoyait uniquement « une » opération d'ouverture du capital, ce qui n'était pas satisfaisant. Pour une réelle participation des salariés, le capital d'EDF devait pouvoir leur être ouvert au-delà d'une seule opération et il ne revenait pas à la loi d'en déterminer les conditions.

Cependant, en séance publique, le texte de la commission des finances a été amendé pour réintroduire une opération spécifique d'ouverture du capital, dans des conditions proches de celles prévues par le texte issu de l'Assemblée nationale en deuxième lecture. Ainsi, l'opération devait porter au minimum sur 2 % du capital de l'entreprise, pour un prix de souscription hors rabais qui ne peut être supérieur à 12 euros, un rabais spécifique étant octroyé aux salariés et aux anciens salariés éligibles si les titres acquis ne peuvent être cédés avant une période de cinq ans.

VI. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN TROISIÈME LECTURE : UN TEXTE DE COMPROMIS ENTRE LES DÉPUTÉS ET LE GOUVERNEMENT, QUI S'ALIGNE SUR LES POSITIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT

A. UN TEXTE DE COMPROMIS ENTRE LES DÉPUTÉS ET LE GOUVERNEMENT, QUI REPREND POUR L'ESSENTIEL LES POSITIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT

Alors qu'un accord d'ensemble sur le texte a pu être trouvé en séance publique à l'Assemblée nationale entre le Gouvernement et les rapporteurs de la commission des finances, les dispositions de l'article 2 reprennent principalement les dispositions introduites par la commission des finances du Sénat, à savoir :

- la fixation, au niveau législatif, de la détention par l'État de 100 % du capital d'EDF. Cette disposition prend acte de l'opération de marché réalisée par l'État en 2022-2023 et contraint le Gouvernement, s'il souhaitait procéder à la réouverture du capital, à passer par le Parlement ;

- le maintien du statut de société anonyme de l'entreprise EDF, qui était remise en cause dans la proposition de loi votée en première lecture par l'Assemblée nationale ;

- la qualification « d'intérêt national » de l'entreprise ;

- la détermination des objectifs d'EDF, à savoir la « décarbonation de la production d'électricité, [la] maîtrise des prix pour les ménages et pour les entreprises ainsi que [l]'adaptation des capacités de production à l'évolution de la demande d'électricité » ;

- la mise en place d'un contrat décennal, faisant l'objet d'une révision tous les trois ans, afin de déterminer la trajectoire financière et d'investissement de l'entreprise et de décliner au plan opérationnel ses objectifs.

Néanmoins, les dispositions introduites par la commission des finances du Sénat relatives à l'entreprise Enedis, qui contraignaient à sa détention intégrale par EDF, ont été supprimées. D'après l'un des deux rapporteurs du texte, M. Philippe Brun, ce sujet aurait « constitu[é] une ligne rouge pour le Gouvernement, qui souhaite ouvrir une partie du capital d'Enedis, sans pour autant l'extraire du groupe EDF, afin que ce dernier reste maître de l'entreprise. » La référence aux dispositions du code de l'énergie, dans le cadre desquels l'entreprise EDF doit exercer ses activités, a également été supprimée.

Par ailleurs, à l'occasion de l'adoption d'un amendement rédactionnel des rapporteurs du texte, MM. Philippe Brun et Sébastien Jumel, l'Assemblée nationale a modifié les dispositions relatives au contrat décennal introduit par la commission des finances du Sénat, en supprimant la mention « pour une durée de dix ans ».

Cet amendement nuit à la clarté du texte. En effet, la mention supprimée permettait préciser qu'il s'agissait de prévoir un contrat de dix ans glissants : l'actualisation intervenant tous les trois ans conduisait, dans le texte voté par le Sénat, à un nouveau contrat décennal. Dans la version amendée par l'Assemblée nationale, on pourrait également comprendre que les paramètres du contrat décennal sont actualisés tous les trois ans, sans conduire à la signature d'un nouveau contrat de dix ans.

B. LA MISE EN PLACE, DE FAÇON FACULTATIVE, D'UN ACTIONNARIAT SALARIÉ

Alors que la commission des finances du Sénat avait aussi, à chacune des deux précédentes lectures du texte, voté des dispositions visant à garantir la mise en oeuvre de l'actionnariat salarié au sein de l'entreprise EDF, le texte de compromis voté par l'Assemblée nationale maintient des dispositions relatives à l'actionnariat salarié, mais sans en consacrer le caractère obligatoire.

En effet, le Gouvernement a souhaité ne pas être contraint d'organiser une opération d'ouverture du capital dès maintenant. Comme l'a indiqué M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et de l'énergie, « une réouverture du capital d'EDF n'est pas d'actualité alors que l'État vient de remonter à 100 % du capital. Nous devons cependant laisser ouverte la question du partage de la valeur au sein d'EDF, qui pourra être discutée en temps voulu. »

Ainsi, les termes retenus n'offrent aucune garantie sur la mise en place effective de l'actionnariat salarié : il s'agit uniquement d'une possibilité. En application de ces dispositions, la détention à 100 % de l'entreprise EDF par l'État peut être minorée par la part détenue par les salariés.

VII. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UN TEXTE GLOBALEMENT ALIGNÉ AVEC LES POSITIONS DU SÉNAT LORS DES PRÉCÉDENTES LECTURES DU TEXTE

Comme indiqué plus haut, le texte qui a fait l'objet d'un accord entre les députés et le Gouvernement correspond, dans sa quasi-intégralité, à des dispositions issues des travaux de la commission des finances du Sénat.

Les dispositions proposées par la commission des finances du Sénat ont ainsi permis de poser clairement les termes du débat et d'offrir des réponses adaptées : sanctuariser la détention publique d'EDF au niveau législatif, définir le cadre de la nouvelle relation entre EDF et son actionnaire unique, l'État, et fixer des objectifs clairs à l'entreprise.

En effet, la priorité, dans le contexte actuel, est qu'EDF soit en mesure de répondre aux objectifs proposés par le Sénat et validés tels quels par l'Assemblée nationale, à savoir les objectifs « de décarbonation de la production d'électricité, de maîtrise des prix pour les ménages et pour les entreprises ainsi que d'adaptation des capacités de production à l'évolution de la demande d'électricité ».

La logique de renforcement des contraintes, qui avait prévalu à l'Assemblée nationale lors des deux premières lectures, n'était pas en phase avec les grands défis auxquels est aujourd'hui confrontée l'entreprise EDF. Le rapporteur ne peut par conséquent que se féliciter du résultat des échanges entre le Gouvernement et les députés.

Enfin, le rapporteur déplore l'adoption par l'Assemblée nationale de l'amendement rédactionnel supprimant la mention « pour une durée de dix ans ». Loin de clarifier le sens du texte, il ôte une précision utile : il ne s'agit pas d'un contrat décennal qui fait l'objet d'une simple actualisation tous les trois ans, mais bien d'un contrat de dix ans signés tous les trois ans. En effet, l'objectif de ce contrat est précisément de donner de la visibilité à l'entreprise et de lui garantir, le plus possible, une vision à dix ans. Le rapporteur envisage par conséquent de porter un amendement en séance publique, afin que le Gouvernement clarifie sa lecture du texte.

Décision de la commission : la commission des finances a adopté cet article sans modification.


* 4 Article L111-42 du code de l'énergie.

* 5 Loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.

* 6 Article 43 de la directive 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/Union européenne.

* 7 Compte rendu de la séance publique du 4 mai 2023.

* 8 Rapport fait au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, en deuxième lecture sur la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement (n° 1076), par MM. Philippe Brun et Sébastien Jumel, 12 avril 2023.

* 9 Intervention en commission du rapporteur, mercredi 12 avril 2023.

* 10 Ce qui pourrait conduire, alors que le prix maximum est équivalent à celui de l'offre publique d'achat, à un gain pour les salariés qui auraient vendu leurs actions dans le cadre de l'OPA et achèteraient des actions lors de cette opération.

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