N° 716

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 juin 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail,

Par Mme Annick PETRUS,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; Mme Pascale Gruny, M. Jean Sol, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Dominique Théophile, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, MM. Xavier Iacovelli, Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade, Marie-Claude Lermytte, Monique Lubin, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, M. François Patriat, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, Nadia Sollogoub, Anne Souyris, M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) :

446, 1348 et T.A. 106

Sénat :

568 et 717 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

Les personnes engagées dans un parcours de PMA ou d'adoption peuvent être victimes de discriminations au travail et concilient difficilement leurs vies personnelle et professionnelle.

Cette proposition de loi, qui réaffirme l'interdiction de ces discriminations et qui étend le périmètre des bénéficiaires du régime des autorisations d'absence applicable dans le cadre d'un projet parental, a été adoptée sans modification par la commission.

I. LE PROJET PARENTAL PEUT S'ACCOMPAGNER DE DISCRIMINATIONS AU TRAVAIL ET DE DIFFICULTÉS À CONCILIER VIE PERSONNELLE ET VIE PROFESSIONNELLE

A. UN RISQUE AVÉRÉ DE DISCRIMINATIONS AU TRAVAIL, MALGRÉ LE RÉGIME DE PROTECTION EXISTANT

1. Dans le cadre d'un projet parental, une exposition accrue aux discriminations au travail

Les personnes engagées dans un projet parental, qu'il s'agisse d'une grossesse, d'un parcours de procréation médicalement assistée (PMA) ou d'un parcours d'adoption, peuvent subir des discriminations au travail, à l'embauche comme en matière d'évolution professionnelle.

Les situations de discrimination les plus documentées concernent les femmes enceintes : en 2024, 3 % des saisines reçues par le Défenseur des droits pour des cas de discrimination avaient pour motif la grossesse. Toutefois, les personnes engagées dans un parcours de PMA et, dans une moindre mesure, dans un processus d'adoption sont également exposées au risque d'être discriminées.

D'une part, l'arrivée d'un enfant impliquant le recours à un congé de maternité, de paternité ou d'adoption, l'employeur peut être amené à anticiper l'absence future du travailleur et la répercuter sur la décision d'embauche ou l'évolution professionnelle. D'autre part, ces parcours exigent la présence à de multiples rendez-vous médicaux ou administratifs, parfois sur le temps de travail. Enfin, tout projet parental peut être éprouvant sur les plans physique et psychologique (fatigue, stress, douleurs suite aux actes médicaux), ce qui peut réduire temporairement la productivité au travail et ainsi, altérer le regard de l'employeur sur la compétence professionnelle du travailleur.

2. Un régime de protection contre les discriminations au périmètre restreint

Le principe de non-discrimination trouve sa traduction à l'article L. 1132-1 du code du travail, qui énumère de manière non exhaustive les critères de discrimination proscrits comme la situation familiale, la situation de grossesse et l'état de santé. Le code général de la fonction publique consacre également le principe de non-discrimination des agents publics.

Le code du travail prévoit également un régime de protection contre les discriminations applicable aux femmes enceintes (articles L. 1225-1 à L. 1225-3 du code du travail) : l'employeur ne peut pas prendre en considération l'état de grossesse pour refuser l'embauche ou prononcer une mutation, une femme n'est pas tenue de révéler son état de grossesse à l'employeur et, en cas de litige, elle bénéficie d'un régime de faveur d'aménagement de la charge de la preuve.

Depuis 2016, les salariées qui bénéficient d'une assistance médicale à la procréation bénéficient également de ce régime.

Les hommes engagés dans un parcours de PMA et les personnes suivant un processus d'adoption ne sont, en revanche, pas inclus dans ce régime.

B. DES CONTRAINTES ASSOCIÉES AU PROJET PARENTAL QUI JUSTIFIENT L'EXISTENCE D'UN RÉGIME D'AUTORISATIONS D'ABSENCE SPÉCIFIQUE

1. Des contraintes liées au projet parental pouvant se répercuter sur le temps de travail

Les projets parentaux supposent de se rendre à un certain nombre de rendez-vous obligatoires sur le temps de travail.

La femme enceinte bénéficie, en vertu de l'article L. 2122-1 du code de la santé publique, d'une surveillance médicale de la grossesse et des suites de l'accouchement. À ce titre, elle doit réaliser sept examens médicaux obligatoires.

Dans le cadre d'un parcours de PMA, les personnes concernées sont soumises à des entretiens et à des actes médicaux souvent éprouvants physiquement et psychologiquement.

Chaque protocole suppose une série d'actes, qui varient selon la technique utilisée (insémination artificielle, fécondation in vitro ou accueil d'embryon) : consultations gynécologiques pour délivrance du traitement de stimulation ovarienne, suivi échographique, ponction ovocytaire, insémination artificielle, etc. Les hommes peuvent également être soumis à des traitements voire à des opérations (prélèvement chirurgical de spermatozoïdes).

Enfin, dans le cadre d'une procédure d'adoption, des entretiens sont prévus entre les intéressés et les services du conseil départemental, chargés de délivrer l'agrément. Les parents candidats à l'adoption font notamment l'objet de deux évaluations, sociale et psychologique, donnant chacune lieu à deux rencontres au moins avec des assistants de service social, éducateurs, psychologues et psychiatres.

2. Un régime d'autorisations d'absence qui ne s'applique qu'aux femmes enceintes ou suivant un parcours de PMA

Dans un souci de conciliation des temps de vie professionnel et personnel, le législateur a prévu un régime d'autorisations d'absence spécifique pour permettre aux travailleurs de se rendre aux rendez-vous mentionnés ci-avant.

Dans le secteur privé, ce régime s'applique aux salariées et à leurs partenaires dans le cadre d'une grossesse et, depuis 2016, dans le cadre d'un parcours de PMA. Ainsi, les salariées bénéficient d'une autorisation d'absence pour se rendre aux examens obligatoires et aux actes médicaux nécessaires ; et le partenaire bénéficie également d'autorisations d'absence (article L. 1225-16 du code du travail).

Dans le secteur public, des autorisations d'absence sont également prévues dans le cadre d'une grossesse ou d'un parcours de PMA, dans des conditions semblables (article L. 622-1 du code général de la fonction publique et circulaires).

Ainsi, ce régime exclut, d'une part, les hommes bénéficiant d'une assistance médicale à la procréation qui, eux aussi, peuvent subir des actes médicaux ; et d'autre part, les personnes engagées dans un processus d'adoption. Elles sont pourtant, elles aussi, fondées à solliciter des autorisations d'absence.

II. ÉTENDRE LES RÉGIMES DE PROTECTION CONTRE LES DISCRIMINATIONS ET D'AUTORISATIONS D'ABSENCE À TOUTE PERSONNE ENGAGÉE DANS UN PARCOURS DE PMA OU D'ADOPTION

A. INSCRIRE DANS LA LOI QUE L'INTERDICTION DE DISCRIMINER SUR LE FONDEMENT DU PROJET PARENTAL S'APPLIQUE AUX PERSONNES ENGAGÉES DANS UN PARCOURS DE PMA OU D'ADOPTION

L'article 1er, dans sa version adoptée par l'Assemblée nationale, établit que le régime de protection contre les discriminations s'applique à tous les salariés, hommes ou femmes, engagés dans un projet parental dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation ou d'une adoption.

La commission relève que dans les faits, cette disposition est déjà satisfaite : l'interdiction de discriminer sur le fondement de la situation de famille ou de l'état de santé, qui fait l'objet d'une large interprétation de la part des juges, permet déjà de condamner toute discrimination sur la base d'un projet de naissance ou d'adoption.

Cependant, l'extension explicite du régime de protection à tous les salariés, femmes ou hommes, engagés dans un projet parental représente une avancée symbolique et permet d'envoyer un signal aux employeurs. Le législateur affirme, par cette disposition, la nécessité de lutter contre les discriminations au travail dans le cadre d'un projet parental, quel qu'il soit, dans un contexte où le nombre de tentatives de PMA augmente fortement.

La commission a adopté l'article 1er sans modification.

B. ÉTENDRE LE BÉNÉFICE DES AUTORISATIONS D'ABSENCE À TOUTE PERSONNE ENGAGÉE DANS UN PARCOURS DE PMA OU D'ADOPTION

L'article 2, introduit par un amendement de la rapporteure Prisca Thevenot au stade de l'examen en commission à l'Assemblée nationale, étend le bénéfice du régime d'autorisations d'absence à toutes les personnes, hommes ou femmes, engagées dans un parcours de PMA ou d'adoption.

D'une part, il permet aux hommes de bénéficier d'autorisations d'absence pour réaliser les actes médicaux relatifs à la PMA, celles-ci n'étant aujourd'hui ouvertes qu'aux femmes, et ouvre également la possibilité, pour sa partenaire, de solliciter des autorisations d'absence pour l'accompagner.

D'autre part, il crée des autorisations d'absence spécifiques pour les salariés engagés dans une procédure d'adoption, afin qu'ils puissent se rendre aux entretiens obligatoires nécessaires à l'obtention de l'agrément. Le nombre maximal d'autorisations d'absence est défini par décret.

Enfin, l'article 2 inscrit, à l'article L. 622-1 du code général de la fonction publique, que les agents publics bénéficient notamment du régime d'autorisations d'absence prévu pour les salariés, leur garantissant un niveau minimal de droits. Cette disposition permet également d'étendre les autorisations d'absence aux conjoints, ces derniers n'étant pas mentionnés dans les circulaires en vigueur.

La commission estime que cet article représente un acquis pour les hommes en parcours de PMA et pour les candidats à l'adoption.

Elle remarque néanmoins que pour garantir l'effectivité des droits des travailleurs en matière d'autorisations d'absence liées au projet parental, il convient de lutter contre le non-recours en sensibilisant les travailleurs comme les employeurs aux dispositifs prévus par la loi.

La commission a adopté l'article 2 sans modification.

Réunie le mardi 10 juin 2025 sous la présidence de Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a adopté la présente proposition de loi sans modification.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Extension du régime de protection des salariées en parcours de PMA
à tous les salariés portant un projet parental

Cet article propose de préciser que le régime de protection contre les discriminations dont bénéficient les salariées ayant recours à une assistance médicale à la procréation soit étendu à tous les salariés engagés dans un tel parcours ou dans une procédure d'adoption.

La commission a adopté cet article sans modification.

I - Le dispositif proposé

A. Le droit du travail offre une protection particulière aux salariées enceinte ou engagées dans un projet parental

1. Le principe de non-discrimination protège de fait l'ensemble des salariés quel qu'en soit le motif

La tradition républicaine préfère le principe d'égalité à son pendant anglo-saxon de « non-discrimination »1(*), aussi l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 assure-t-il, d'une part « l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion », mais précise-t-il également que la loi « favorise l'égal accès des femmes et des hommes (...) aux responsabilités professionnelles et sociales. »

C'est le droit européen qui importe, notamment dans le domaine du droit du travail, la notion de « non-discrimination » en droit français2(*). Sont ainsi prohibées les discriminations directes, entendues comme le fait d'« être traité de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable », et indirectes lorsque « une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, (...) sans que cela ne soit objectivement justifié par un but légitime ».

Ce principe trouve sa traduction dans le code du travail à l'article L. 1132-1, qui dispose qu'« aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte ». Le même article énumère une série de motifs pouvant fonder cette discrimination au regard du juge :

- l'origine ;

le sexe ;

- les moeurs ;

- l'orientation sexuelle ;

- l'identité de genre ;

- l'âge ;

la situation de famille ;

la grossesse ;

- les caractéristiques génétiques ;

- la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique de la personne discriminée, apparente ou connue de son auteur ;

- l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race ;

- les opinions politiques ;

- les activités syndicales ou mutualistes ;

- l'exercice d'un mandat électif ;

- les convictions religieuses ;

- l'apparence physique ;

- le nom de famille ;

- le lieu de résidence ou de la domiciliation bancaire ;

- l'état de santé, la perte d'autonomie ou le handicap ;

- la capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français ;

- la qualité de lanceur d'alerte, de facilitateur ou de personne en lien avec un lanceur d'alerte3(*).

La lutte contre les discriminations freinée par la multiplication
des régimes de protection ?
4(*)

L'objectif de lutte contre les discriminations a conduit à une multiplication des régimes de protection par le législateur. Ainsi, le droit du travail, le droit de la fonction publique et le droit pénal retiennent tous trois des listes de critères de discrimination différentes, sans qu'il ne soit possible de les justifier autrement que par la stratification de dispositions mal coordonnées.

À titre d'exemple, le droit du travail retient plus de vingt motifs de discrimination tandis que le droit de la fonction publique n'en liste que quinze, sans conséquence effective pour la protection des agents publics.

Pour ce qui est du seul droit du travail, il n'existe pas de liste unique des motifs de discrimination, mais plusieurs listes qui ne se recoupent pas : celle présente à l'article 1er de la loi du 27 mai 2008, celle de l'article L. 1132-1 du code du travail déjà citée, et celle de l'article L. 1321-3 du même code concernant l'interdiction de mesures discriminatoires dans le règlement intérieur de l'entreprise.

Plus largement, la multiplication des motifs de discrimination interroge, dans la mesure où le juge bénéficie déjà d'une grande liberté pour caractériser une discrimination. La doctrine juridique identifie ce risque de longue date, Delphine Tharaud parlant par exemple d'une « lutte contre les symptômes au détriment de la lutte contre la maladie »5(*), tandis que Serge Slama appelle à une « simplification du droit et [une] mise en cohérence [qui] ne sera pas la recette miracle pour améliorer l'efficacité de la lutte contre les discriminations mais [pourrait] contribuer à ce que ce droit soit mieux compris, approprié par les acteurs sociaux et judiciaires et appliqué de manière plus efficace »6(*).

Par ailleurs, dans le secteur privé, la victime d'une discrimination au travail peut dénoncer ces faits devant le conseil des prud'hommes afin de voir annulée la mesure ou la décision fondée sur un motif discriminatoire, voire de demander réparation du préjudice subi. Cette action civile n'est pas exclusive d'une action devant les juridictions pénales.

S'agissant de la fonction publique, le principe de non-discrimination est consacré à l'article L. 131-1 du code général de la fonction publique et le tribunal administratif est compétent en cas de litige.

Enfin, le droit du travail7(*) comme celui de la fonction publique8(*) aménagent tous deux la charge de la preuve en faveur de la victime de discrimination, notamment en matière de discrimination indirecte.

2. Les salariées enceintes ou bénéficiant d'une assistance médicale à la procréation ont un régime de protection renforcé

Au gré des interventions du législateur, les salariées enceintes se sont vues forger un régime de protection contre les discriminations renforcé, au risque d'être parfois redondant.

En effet, la maternité, la paternité, l'adoption et le parcours d'assistance médicale à la procréation sont des composantes de la situation de famille et le salarié est protégé à ce titre à l'article L. 1132-1 du code du travail. Pour autant, la loi n° 2006-350 du 23 mars 20069(*) a allongé la liste des critères discriminatoires des articles L. 1132-1 du même code et 225-1 du code pénal, en mentionnant la prise en compte de la grossesse, même si celle-ci était déjà couverte par le critère du sexe.

Par ailleurs, l'article L. 1225-1 du code du travail précise également que la femme enceinte ne doit faire l'objet d'aucune discrimination liée à sa grossesse, que ce soit au niveau de l'embauche, du renouvellement de son contrat, du déroulement de sa carrière ou de sa rémunération.

Enfin, la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 a rendu applicables les dispositions protectrices relatives à la grossesse aux salariés bénéficiant d'une assistance médicale à la procréation10(*).

Une protection spécifique pour les mères et pères adoptifs

Les mères et les pères adoptifs bénéficient également d'une protection et de garanties semblables à celles applicables à la maternité. Pendant le congé, dont la durée est calquée sur les congés de maternité et de paternité :

le salarié bénéficie de la protection contre le licenciement ;

à sa demande le contrat de travail peut également être résilié sans préavis ;

et, comme pour le congé de maternité, le rattrapage salarial est de droit à l'issue du congé.

Source : Articles L. 1225-38 et L. 12225-44 du code du travail

B. Le dispositif proposé : une extension de la protection contre les discriminations dans le cadre d'un projet parental

Dans sa rédaction initiale, l'article unique de la proposition de loi de la députée Prisca Thevenot ajoutait aux motifs à raison desquels une discrimination était interdite celui de « projet parental ».

Le I du présent article complétait ainsi l'énumération de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, tandis que le II faisait de même au sein de l'article L. 1132-1 du code du travail.

II - Les modifications apportées par l'Assemblée nationale

Au stade de la commission, l'article 1er a fait l'objet d'un amendement de rédaction globale (n° AS17) de la part de la rapporteure, Mme Prisca Thevenot.

Le présent article propose ainsi désormais une nouvelle rédaction de l'article L. 1225-3-1 du code du travail. Ce dernier étendait les protections dont bénéficient les femmes enceinte en matière de maintien du contrat de travail11(*), d'aménagement de la charge de la preuve12(*) et d'embauche et rémunération13(*) pour les seules salariées de sexe féminin bénéficiant d'une assistance médicale à la procréation.

La nouvelle rédaction du même article étendrait ce bénéfice aux salariés de sexe masculin engagés dans un projet parental dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation, ainsi qu'à tous les salariés engagés dans une procédure d'adoption au sens du titre VIII du livre Ier du code civil.

L'Assemblée nationale a adopté cet article ainsi modifié.

III - La position de la commission

À l'issue des travaux de sa rapporteure, la commission relève que, dans les faits, le présent article est déjà satisfait. L'interdiction de discriminer sur le fondement de la situation de famille, du sexe ou de l'état de santé, qui fait l'objet d'une large interprétation de la part des juges, permet déjà de condamner toute discrimination sur la base d'un projet de naissance ou d'adoption.

Cependant, l'extension explicite du régime de protection à tous les salariés, femmes ou hommes, engagés dans un projet parental représente une avancée symbolique et permet d'envoyer un signal aux employeurs. Cette reconnaissance est d'autant plus sensible dans un contexte où le nombre de tentatives de PMA augmente fortement.

La commission appelle cependant à envisager une mise en cohérence des dispositions relatives au principe de non-discrimination afin d'en assurer une meilleure cohérence ainsi qu'une plus grande intelligibilité pour les salariés et leurs employeurs.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission a adopté cet article sans modification.

Article 2 (nouveau)
Extension du périmètre des personnes bénéficiant du régime d'autorisations d'absence applicable dans le cadre d'un projet parental

Cet article, inséré en commission à l'Assemblée nationale, propose d'étendre le périmètre du régime d'autorisations d'absence aujourd'hui applicable aux femmes enceintes et en parcours de procréation médicalement assistée (PMA) aux hommes également concernés par des traitements dans le cadre d'une PMA. Il crée des autorisations d'absence pour permettre aux personnes candidates à l'adoption de se rendre aux entretiens obligatoires pour l'obtention de l'agrément.

La commission a adopté cet article sans modification.

I - Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale : étendre le périmètre des personnes bénéficiant du régime d'autorisations d'absence applicable dans le cadre d'un projet parental

A. Le droit existant : les salariés et les agents publics bénéficient, dans le cadre d'une grossesse ou d'un parcours de procréation médicalement assistée, d'un régime d'autorisations d'absence spécifique

1. Les projets parentaux supposent de se rendre à un certain nombre de rendez-vous sur le temps de travail

Les personnes engagées dans un projet parental, qu'il s'agisse d'une grossesse, d'un parcours de procréation médicalement assistée (PMA) ou d'une procédure d'adoption, doivent se rendre à un certain nombre de rendez-vous obligatoires.

 La femme enceinte bénéficie, en vertu de l'article L. 2122-1 du code de la santé publique, d'une surveillance médicale de la grossesse et des suites de l'accouchement.

À ce titre, elle doit réaliser sept examens médicaux obligatoires. Le premier examen médical prénatal doit avoir lieu avant la fin du troisième mois de grossesse et les autres examens doivent avoir une périodicité mensuelle à partir du premier jour du quatrième mois et jusqu'à l'accouchement14(*). En outre, un examen médical postnatal doit être obligatoirement effectué dans les huit semaines qui suivent l'accouchement15(*).

• Dans le cadre d'un parcours de PMA, les personnes concernées sont soumises à des entretiens et à des actes médicaux.

Tout d'abord, la mise en oeuvre de l'assistance médicale à la procréation est précédée d'entretiens particuliers de la femme ou du couple demandeur avec un ou plusieurs médecins et d'autres professionnels de santé de l'équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire du centre16(*).

Ensuite, le parcours de PMA suppose une série de rendez-vous et d'actes médicaux, nécessaires à chaque protocole et variant selon la technique utilisée (insémination artificielle, fécondation in vitro (FIV) ou accueil d'embryon) : consultations gynécologiques pour délivrance du traitement de stimulation ovarienne, suivi échographique, ponction ovocytaire, insémination artificielle, transfert embryonnaire, etc. Les hommes sont également soumis à des traitements, voire à des opérations.

• Enfin, dans le cadre d'une procédure d'adoption, des entretiens sont prévus entre les intéressés et les services du conseil départemental, chargés d'accorder l'agrément.

Dans le cadre de la procédure d'agrément, des réunions d'information sont tout d'abord proposées aux candidats à l'adoption. Une fois leur demande d'agrément formellement déposée, ces derniers font l'objet d'investigations comportant notamment :

- une évaluation sociale portant sur la situation familiale, les capacités éducatives et les possibilités d'accueil en vue de l'adoption d'un enfant, confiée à des assistants de service social, éducateurs spécialisés ou des éducateurs de jeunes enfants ;

- et une évaluation psychologique, portant sur le contexte psychologique dans lequel est formé le projet d'adoption, confiée à des psychologues ou des psychiatres.

Ces évaluations donnent lieu, chacune, à deux rencontres au moins entre le demandeur et les professionnels qui en ont la charge. Elles peuvent durer jusqu'à six heures et sont le plus souvent planifiées en semaine, sur les horaires de travail17(*).

À l'issue des investigations, les candidats à l'adoption peuvent consulter les documents qui figurent à leur dossier et faire connaître leurs observations. Ils ont la possibilité d'être entendus par la commission d'agrément avant que celle-ci ne rende son avis au président du conseil départemental pour décision18(*).

Une fois l'agrément accordé et au plus tard au terme de la deuxième année de validité de l'agrément, le président du conseil départemental procède à un entretien avec la personne titulaire de l'agrément en vue de l'actualisation du dossier19(*).

2. Un régime d'autorisations d'absence s'applique dans le cadre d'une grossesse et d'un parcours de procréation médicalement assistée

Dans la mesure où les rendez-vous obligatoires mentionnés ci-avant supposent que les personnes concernées se rendent disponibles sur le temps de travail, afin de permettre aux travailleurs de concilier vie professionnelle et vie personnelle, le code du travail et le code général de la fonction publique prévoient un régime d'autorisations d'absence spécifique.

a) Dans le secteur privé

• Dans le secteur privé, ce régime s'applique aux salariées et à leurs conjoints dans le cadre d'une grossesse et, depuis 201620(*), dans le cadre d'un parcours de PMA21(*) . À ce titre :

- les salariées bénéficient d'une autorisation d'absence pour se rendre aux examens médicaux obligatoires dans le cadre de la surveillance médicale de la grossesse et des suites de l'accouchement ;

- les salariées suivant un parcours de PMA bénéficient d'une autorisation d'absence pour les actes médicaux nécessaires dans ce cadre ;

- et dans ces deux cas, le conjoint salarié de la femme enceinte ou suivant un parcours de PMA ou la personne salariée liée à elle par un pacte civil de solidarité (Pacs) ou vivant maritalement avec elle bénéficie également d'autorisations d'absence. Elles lui permettent de se rendre au maximum à trois de ces examens médicaux obligatoires ou des actes médicaux nécessaires pour chaque protocole du parcours de PMA.

Les partenaires sociaux, par la voie de la négociation collective, peuvent décider d'accorder des demi-journées supplémentaires en sus des autorisations d'absence légales pour permettre aux salariées enceintes d'assister à d'autres examens médicaux ou aux séances de préparation à l'accouchement.

Ces autorisations d'absence n'entraînent aucune diminution de la rémunération. Elles sont assimilées à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés et pour l'acquisition de droits légaux ou conventionnels acquis au titre de l'ancienneté.

a) Dans le secteur public

• Dans le secteur public, des autorisations d'absence sont prévues dans le cadre d'une grossesse ou d'un parcours de PMA, dans des conditions semblables.

Au titre de l'article L. 622-1 du code général de la fonction publique, les agents publics bénéficient d'autorisations spéciales d'absence « liées à la parentalité » et à l'occasion de « certains événements familiaux ». Ces autorisations d'absence sont sans effet sur la constitution de droits à congés annuels et ne diminuent pas le nombre des jours de congés annuels.

Dans le cadre d'une grossesse, les agents publics bénéficient comme les salariés d'une autorisation d'absence de droit pour se rendre aux examens médicaux obligatoires antérieurs ou postérieurs à l'accouchement. En outre, des autorisations d'absence peuvent être accordées par les chefs de service pour permettre aux femmes d'assister aux séances préparatoires à l'accouchement par la méthode psychoprophylactique22(*).

Les droits ouverts au partenaire de la femme enceinte ne sont pas explicitement mentionnés.

Les autorisations d'absence accordées aux agents publics dans le cadre d'un parcours de PMA ont été précisées par voie de circulaire en 201723(*), afin de s'aligner sur les droits ouverts aux salariés. Dans la fonction publique, les employeurs sont ainsi invités à accorder, dans les mêmes conditions que dans le secteur privé et sous réserve des nécessités de service, des autorisations d'absence dans les situations analogues.

• Enfin, après l'accouchement, les salariés et les agents publics peuvent bénéficier des différents congés liés à la naissance ou à l'arrivée d'un enfant (congé de maternité, congé de naissance, congé pour l'arrivée d'un enfant en vue de son adoption, congé d'adoption, congé de paternité et congé parental d'éducation).

B. Le droit proposé : étendre le bénéfice du régime d'autorisations d'absence à toutes les personnes, hommes ou femmes, engagées dans un parcours de PMA ou d'adoption

1. Le régime d'autorisations d'absence actuel exclut les hommes engagés dans un processus de PMA et les personnes suivant un parcours d'adoption

• Actuellement, dans le secteur privé comme dans le secteur public, les droits ouverts aux femmes dans le cadre d'un parcours de PMA ne sont pas ouverts aux hommes.

Les autorisations d'absence au titre des actes médicaux prévues par le code du travail ne visent que les « salariées »24(*). Pourtant, les hommes subissent également des examens et des actes médicaux dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation. Ils sont notamment amenés à réaliser des bilans médicaux, à suivre des traitements contre l'infertilité voire à subir des opérations.

De la même manière, seule la personne en couple avec la « femme [...] bénéficiant d'une assistance médicale à la procréation » peut prétendre à des autorisations d'absence pour l'accompagner dans la réalisation des actes médicaux. À l'inverse, si une femme souhaite accompagner son conjoint ou son mari à ses rendez-vous médicaux, elle n'est pas couverte par le régime d'autorisations d'absence.

Dans la fonction publique, les circulaires qui précisent le régime d'autorisations spéciales d'absence applicable aux agents ne font, elles non plus, pas mention des droits applicables aux hommes concernés par les examens médicaux relatifs au parcours de PMA.

• En outre, aucune disposition n'est prévue pour les personnes engagées dans une procédure d'adoption devant s'absenter sur le temps de travail.

2. Présentation du dispositif

L'article 2 a été introduit par un amendement (n° AS19) de la rapporteure, Prisca Thevenot, au stade de l'examen en commission à l'Assemblée nationale.

D'une part, il propose de modifier l'article L. 1225-16 du code du travail afin d'étendre le bénéfice du régime d'autorisations d'absence à toutes les personnes, hommes ou femmes, engagées dans un parcours de PMA ou d'adoption.

Ainsi, aux termes du dispositif proposé :

les autorisations d'absence pour les actes médicaux nécessaires dans le cadre d'un parcours de PMA bénéficieront aux « salariés » qu'ils soient femmes ou hommes, et non plus aux seules « salariées » ;

les autorisations d'absence allouées au conjoint de la femme qui subit les actes médicaux dans le cadre d'un parcours de PMA sont élargies aux conjointes des hommes également concernés par ce type de traitements ;

- et les salariés engagés dans une procédure d'adoption « bénéficient d'autorisations d'absence pour se présenter aux entretiens obligatoires nécessaires à l'obtention de l'agrément », le nombre maximal d'autorisations d'absence étant défini par décret.

D'autre part, l'article 2 vise à apporter une modification à l'article L. 622-1 du code général de la fonction publique relatif aux autorisations spéciales d'absence liées à la parentalité.

Cette modification permet de préciser que les agents publics bénéficient « notamment [des] autorisations d'absence prévues à l'article L. 1225-16 du code du travail », garantissant ainsi aux agents publics des droits au moins égaux à ceux des salariés en matière d'autorisations d'absence liées à une grossesse ou à un parcours de PMA. Ainsi, elle garantit un niveau minimal de droits aux agents publics et étend les autorisations d'absence aux conjoints des femmes enceintes, ces derniers n'étant pas mentionnés dans les circulaires en vigueur.

II - La position de la commission

La commission estime que l'extension du périmètre des bénéficiaires des autorisations d'absence dans le cadre d'un projet parental est une mesure bienvenue pour permettre aux travailleurs de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle. Elle représente en effet un acquis pour les hommes en parcours de PMA et les personnes candidates à l'adoption, qui pourront, grâce à ce dispositif, bénéficier d'autorisations d'absence spécifiques pour se rendre aux rendez-vous liés à leur projet parental.

Elle remarque néanmoins que, pour garantir l'effectivité des droits des travailleurs en matière d'autorisations d'absence liées au projet parental, il convient de lutter contre le non-recours en sensibilisant les travailleurs comme les employeurs aux dispositifs prévus par la loi. En effet, au cours des auditions, les associations ont souligné que de nombreuses personnes ne recouraient pas à ce droit, ignorant son existence.

La commission a adopté cet article sans modification.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 10 juin 2025, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Annick Petrus, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 568, 2024-2025) visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail.

M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle l'examen du rapport d'Annick Petrus et du texte de la commission sur la proposition de loi visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail, adoptée par l'Assemblée nationale le 5 mai 2025. Cette proposition de loi est inscrite à l'ordre du jour des travaux de la séance du jeudi 19 juin. Je vous indique qu'aucun amendement n'a été déposé sur ce texte.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - Cette proposition de loi de la députée Prisca Thevenot, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 5 mai 2025 a été inscrite à l'ordre du jour de nos travaux sur l'initiative du Gouvernement.

Le dispositif, intégralement réécrit par la rapporteure lors du passage en commission à l'Assemblée nationale, vise à répondre aux discriminations, directes ou indirectes, que peuvent vivre, dans le milieu professionnel, les personnes s'engageant dans un parcours de procréation médicalement assistée (PMA), ou dans un parcours d'adoption.

Sans plus de suspense, je vous invite à soutenir cette initiative, tant il est vrai que ces parcours sont durs pour les futurs parents, et qu'il n'est pas souhaitable d'ajouter aux épreuves subies dans la vie personnelle des obstacles dans la vie professionnelle. Une fois cette évidence rappelée, j'appelle cependant votre attention sur un risque qui me semble se présenter au législateur au gré des lois inscrivant de nouveaux motifs de discrimination, au risque de confondre la maladie et le symptôme.

Au préalable, permettez-moi de rappeler le cadre légal existant en matière de discrimination au travail de personnes ayant un projet parental.

Conformément aux principes au fondement de notre République, les codes du travail et de la fonction publique érigent un principe de non-discrimination dans le monde professionnel, qui s'applique aussi bien au recrutement et au licenciement qu'aux promotions et à la rémunération, ou encore aux conditions de travail et à l'accès à la formation. Les articles rappelant ce principe prévoient également une liste de motifs de discrimination parmi lesquels figurent notamment la situation familiale, la grossesse et l'état de santé. Le code du travail prévoit en outre un régime de protection contre les discriminations des femmes enceintes, qui s'applique depuis 2016 aux femmes salariées qui bénéficient d'une assistance médicale à la procréation.

Par ailleurs, face à l'augmentation croissante du nombre de recours à la PMA qu'occasionnent la diminution de la fertilité et le recul de l'âge moyen au premier enfant, le législateur a entendu faciliter la conciliation de la vie privée et professionnelle des personnes concernées. Il a mis en place à cette fin un régime d'autorisation d'absence des salariées du secteur privé de sexe féminin, afin que celles-ci puissent se rendre aux rendez-vous médicaux nécessaires. Sensible à la difficulté de ces moments, le législateur a également consacré des autorisations d'absence pour le partenaire qui accompagne la salariée.

Dans ce contexte, la présente proposition de loi part d'un constat de bon sens. L'adoption, comme le recours à la PMA, a ceci de particulier que le projet parental qu'ils portent nécessite une procédure et des rendez-vous que l'employeur peut discerner avant même le début d'une grossesse ou l'accueil d'un enfant.

L'article 1er, tel que transmis au Sénat, prévoit que les articles du code du travail relatifs à la protection contre les discriminations des femmes enceintes et des salariées suivant un parcours de PMA s'appliquent désormais à toute personne - homme ou femme - engagée dans un « projet parental », via un recours à une PMA ou via l'adoption.

Ainsi, la loi disposerait désormais que toute personne suivant un parcours de PMA ou d'adoption ne peut faire l'objet d'un refus d'embauche, d'une rupture de contrat ou d'une mutation. Par ailleurs, en cas de litige, la charge de la preuve incombera à l'employeur, ce qui est de droit commun en matière de discriminations.

Il faut être lucide, cet article 1er est d'ordre symbolique. Fort heureusement, le droit en vigueur protège déjà les salariées ayant un projet parental, ainsi que leurs conjoints, puisque le code du travail interdit les discriminations à raison de la situation familiale. Les services de l'administration nous ont d'ailleurs confirmé que les juges des prud'hommes se saisissent déjà de cette possibilité, et qu'il n'existe pas de déni de droit en la matière.

Cette disposition, symbolique, vous l'aurez compris, ne doit pas conduire à jeter l'opprobre sur les employeurs. Personne ici ne considère que le comportement délictuel d'une infime minorité d'entre eux serait représentatif de l'ensemble.

L'article 2 élargit, quant à lui, le périmètre des salariés bénéficiant du régime d'autorisations d'absence dans le cadre d'un projet parental. Il ouvre la possibilité aux hommes de bénéficier d'autorisations d'absence pour les actes médicaux nécessaires dans le cadre d'une PMA, ainsi qu'à leurs conjointes en tant qu'accompagnantes. Ce même article ouvre également la possibilité aux salariés des deux sexes engagés dans une procédure d'adoption de bénéficier d'autorisations d'absence. En effet, le processus d'agrément suppose, pour les candidats à l'adoption, de se rendre à un certain nombre d'entretiens obligatoires sur le temps de travail.

Enfin, cet article prévoit que, en cas de projet parental, les agents publics bénéficient des mêmes autorisations d'absence que celles qui sont attachées au régime de droit commun applicable aux salariés.

Contrairement à l'article 1er, ces dispositions apportent une avancée concrète pour les salariés, au profit d'une meilleure conciliation entre projet parental et vie professionnelle. Pour autant, le législateur n'a pas le monopole du bon sens, et de nombreuses branches professionnelles ou entreprises ont d'ores et déjà agi en ce sens par la voie de la négociation collective. Il en va de même pour le secteur public, où des circulaires existent en l'absence d'une base légale.

Avant de conclure, je souhaite vous faire part d'une réflexion plus personnelle sur le regard que nous devons porter aux discriminations en tant que législateur.

Lors de mes travaux, j'ai constaté une multiplication des régimes de protection contre les discriminations. L'article du code du travail listant les motifs a ainsi été modifié en moyenne une fois tous les deux ans depuis 2012, pour atteindre vingt-sept motifs aujourd'hui, parmi lesquels les discriminations à raison du sexe, de l'âge, de l'orientation sexuelle, mais également de la domiciliation bancaire ou des activités mutualistes. Entendons-nous bien : toutes ces discriminations doivent être combattues, mais ce combat est-il plus efficace en allongeant sans cesse une liste qui ne sera de toute manière jamais assez complète pour répondre à l'infinie diversité des situations individuelles ?

Légiférer de la sorte, c'est d'abord prendre le risque d'oublis ou d'incohérences ; le texte que nous examinons n'en est pas exempt : il n'inscrit pas dans le code de la fonction publique le nouveau motif de discrimination qu'il crée à l'article 1er.

Plus fondamentalement, en précisant sans cesse les motifs de discrimination proscrits par la loi, n'en vient-on pas à oublier le sens même de la non-discrimination ? Ce qui est interdit, ce n'est pas de discriminer sur l'un des motifs de la liste évoquée, mais c'est bien de discriminer tout court, c'est-à-dire de traiter un salarié de manière moins favorable qu'un autre dans une situation comparable.

Pour autant, le Gouvernement n'ayant pas engagé la procédure accélérée sur cette proposition de loi, et compte tenu de l'embouteillage législatif observé à l'Assemblée nationale, seule une adoption conforme assurerait une entrée en vigueur rapide de ce texte. Bien que modeste, cette avancée est attendue par les familles en procédure d'adoption ou en parcours de PMA, et je suis sûre qu'elles sauront nous trouver à leurs côtés, en faveur d'une meilleure prise en compte de la parentalité dans le monde du travail.

Je vous invite donc à adopter ce texte sans modification.

Pour terminer, et bien qu'aucun amendement n'ait été déposé, il m'appartient de vous proposer un périmètre, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents. Je vous propose de considérer que cette proposition de loi comprend des dispositions relatives aux discriminations au travail et aux modalités d'absence pour les procédures nécessaires dans le cadre d'un projet parental. En revanche, ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs à l'accès, aux procédures et à la recherche en matière de procréation médicalement assistée ; aux procédures d'adoption ; aux congés liés à la parentalité.

Il en est ainsi décidé.

Mme Silvana Silvani. - La protection des travailleurs engagés dans un projet parental est nécessaire ; pour autant, il me paraît important de rappeler que cette proposition ne règle pas les difficultés rencontrées par des salariés en raison de leur qualité de parents ou de leur projet parental. Des femmes, en particulier, sont ainsi amenées à travailler à temps partiel, voire à quitter leur emploi, parce que l'organisation du travail ne leur permet pas de combiner vie personnelle et vie professionnelle.

L'extension de la protection au conjoint, notamment aux hommes, est très positive. Il convient en effet de garder à l'esprit leur rôle dans la procédure.

Pour autant, la protection des salariés dépend surtout de son contrôle par l'inspection du travail, laquelle est malmenée sur le plan des effectifs au point que l'application de ces mesures risque de n'être jamais véritablement vérifiable.

Cette proposition de loi est donc surtout symbolique, mais nous pouvons considérer, avec un peu d'espoir, qu'elle enverra un message à destination des employeurs. À défaut de faire avancer les droits, on peut toujours tenter de faire évoluer les mentalités...

En revanche, je m'inquiète de plus en plus de la nécessité devant laquelle nous nous trouvons de voter ces textes dans la rédaction conforme de l'Assemblée nationale ; l'argument de l'embouteillage législatif me semble avoir une portée limitée.

Mme Florence Lassarade. - Pourquoi l'intitulé de la proposition de loi est-il si peu explicatif ? Pourrions-nous le rendre plus clair ?

Mme Laurence Rossignol. - Il faut bien que tout le monde laisse sa trace dans l'histoire, et dans le code...

La rapporteure a fait part de ses interrogations quant à la nécessité juridique de ce texte. C'est en effet accorder bien peu de confiance aux juges que de considérer que ceux-ci ne seraient pas capables d'étendre d'eux-mêmes la protection concernant la discrimination fondée sur la grossesse à ces cas particuliers : ils l'ont déjà fait, bien entendu, notamment à Douai. Bref, soyons tolérants.

La seule avancée de ce texte est le droit aux congés pour les hommes qui subissent le processus aux côtés de leur compagne. J'ai lu le rapport de l'Assemblée nationale, qui me semble pour le moins ambitieux : il indique que ce texte pourrait contribuer à une hausse de la natalité. Certes, les petits ruisseaux font les grandes rivières, mais tout de même : faisons preuve d'un peu de modestie, je vous en conjure !

Nous allons voter ce texte conforme, cela fera plaisir à Mme Thevenot.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - Concernant les contrôles, l'enjeu est plutôt la connaissance du régime des autorisations d'absence par les employeurs et par les salariés, afin de réduire le non-recours. Ceux-ci doivent s'emparer de ce texte et prendre connaissance de ses dispositions pour éviter d'en passer par les juges ou l'inspection de travail.

L'intitulé du texte correspond à la proposition de loi avant qu'elle ne soit enrichie des travaux de l'Assemblée nationale ; si nous le modifions, il faudra procéder à une deuxième lecture à l'Assemblée nationale, ce que nous souhaitons éviter.

Madame Rossignol, vous évoquez la formulation retenue dans le rapport de l'Assemblée nationale, nous ne prétendons pas, quant à nous, que ce texte réglera le problème de la natalité en France.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 2 (nouveau)

L'article 2 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS, ALINÉA 3,
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie »25(*).

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie26(*).

Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte27(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial28(*).

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des affaires sociales a arrêté, lors de sa réunion du mardi 10 juin 2025, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 568 (2024-2025) visant à protéger les personnes engagées dans un projet parental des discriminations au travail.

Elle a considéré que ce périmètre incluait des dispositions relatives :

- aux discriminations au travail ;

- aux modalités d'absence pour les procédures nécessaires dans le cadre d'un projet parental.

En revanche, la commission a estimé que ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs :

- à l'accès, aux procédures et à la recherche en matière de procréation médicalement assistée ;

- aux procédures d'adoption ;

- aux congés liés à la parentalité.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Auditions

· Prisca Thevenot, députée, auteure de la proposition de loi

· Direction générale du travail (DGT)

Sacha Reingewirtz, adjoint à la sous-directrice des relations du travail

Théo Albarracin, chef du bureau des relations individuelles du travail

Sophie Fleurance, adjointe au chef du bureau des relations individuelles du travail

Sylvie Thérouanne, chargée de mission

· Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP)

Alexis Dousselain, chef du département de l'organisation, des conditions et du temps de travail

Lucie Lacalmontie, adjointe du chef de département de l'organisation, des conditions et du temps de travail

Catherine Le Roy, adjointe à la chef de département des politiques de recrutement, d'égalité et de diversité

· Confédération générale du travail (CGT)

Sarah Vally, conseillère confédérale

· Collectif BAMP

Virginie Rio, co-fondatrice

Émilie Bernheim, bénévole à Paris

· Enfance et familles d'adoption (EFA)

Sébastien Testa-Le Mintier, vice-président

Contributions écrites

· Mouvement des entreprises de France (Medef)

· Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

· Union des entreprises de proximité (U2P)

· Confédération Force ouvrière (FO)

· Confédération française de l'encadrement-confédération générale des cadres (CFE-CGC)

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-568.html


* 1 Ferdinand Mélin-Soucramien, Le Principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, thèse publiée chez Economica-Puam, collection Droit public positif, Paris (1997).

* 2 Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

* 3 Au sens de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

* 4 Serge Slama, « La disparité des régimes de lutte contre les discriminations : un frein à leur efficacité ? », La Revue des droits de l'homme.

* 5 Delphine Tharaud, « Pour une réforme des motifs de discrimination, et peut-être un peu plus... », Revue générale du droit on line, 2019, numéro 30226.

* 6 Serge Slama, « La disparité des régimes de lutte contre les discriminations : un frein à leur efficacité ? », La Revue des droits de l'homme, 9|2016, mis en ligne le 27 juin 2016.

* 7 Article L. 1134-1 du code du travail.

* 8 Voir par exemple les décisions du Conseil d'État, Ass., 30 octobre 2009, n° 298348, Perreux ou 10 janvier 2017, n° 355268, Karen A.

* 9 Loi n° 2006-350 du 23 mars 2006 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes.

* 10 Article L. 1225-3-1 du code du travail.

* 11 Article L. 1225-1 du code du travail.

* 12 Article L. 1225-3 du code du travail.

* 13 Article L. 1142-1 du code du travail.

* 14 Article R. 2122-1 du code de la santé publique.

* 15 Article R. 2122-3 du code de la santé publique.

* 16 Article L. 2141-20 du code de la santé publique.

* 17 D'après l'audition de l'association Enfance et familles d'adoption (EFA).

* 18 Article R. 225-5 du code de l'action sociale et des familles.

* 19 Article R. 225-7 du code de l'action sociale et des familles.

* 20 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 relative à la modernisation de notre système de santé (article 87).

* 21 Article L. 1225-16 du code du travail.

* 22 Circulaires n° 1864 du 9 août 1995 relative au congé de maternité ou d'adoption et autorisations d'absence liées à la naissance dans la FPE et n° 96-152 du 29 février 1996 relative au congé de maternité ou d'adoption et aux autorisations d'absence liées à la naissance pour les agents publics hospitaliers.

* 23 Circulaire du 24 mars 2017 relative aux autorisations d'absence dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation (PMA).

* 24 Article L. 1225-16 du code du travail.

* 25 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 26 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 27 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 28 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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