N° 743

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi,
rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée,
relative aux
résultats de la gestion et portant approbation des comptes
de l'année 2024,

Par M. Jean-François HUSSON,
Rapporteur général,

Sénateur

TOME II
CONTRIBUTION DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 11b
Écologie, développement et mobilité durables

(Programmes 203 « Infrastructures et services de transports »
et 205 « Affaires maritimes, pêche et aquaculture »)

Rapporteurs spéciaux : M. Hervé MAUREY et Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson,
rapporteur général ;
MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet,
M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel,
Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient,
Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 1285, 1492 et T.A. 138

Sénat : 718 (2024-2025)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. Pour contribuer à atténuer le dérapage inédit des finances publiques, l'effort d'économies réalisé en 2024 sur les dépenses effectives de l'État en faveur des transports s'est élevé à 490 millions d'euros. La détérioration massive et inédite des comptes publiques en 2023 puis en 2024 supposait des mesures d'économies ambitieuses auxquelles la plupart des politiques publiques devaient prendre leur part. Il est cependant absolument nécessaire que les efforts d'économies soient prioritairement ciblés sur les dépenses de fonctionnement ainsi que les projets nouveaux. En revanche, les investissements dans la régénération, l'entretien et la modernisation des infrastructures de transport existantes doivent être sanctuarisés et continuer d'évoluer de façon dynamique.

2. Alors que les investissements dans les infrastructures de transport supposent une stratégie cohérente inscrite dans le temps long, il est nécessaire que la loi garantisse une visibilité suffisante quant à leur financement à travers une programmation pluriannuelle des dépenses de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Cette exigence est d'ailleurs explicitement prévue par les dispositions de l'article 3 de la loi d'orientation des mobilités (LOM). 

3. Dans un paysage devenu concurrentiel, la SNCF ne pourra pas structurellement financer à elle-seule, comme ce sera le cas jusqu'en 2027, l'augmentation indispensable des investissements de régénération et de modernisation du réseau ferroviaire existant. Des sources complémentaires de financement devront nécessairement être dégagées d'ici là.

4. À l'initiative de la commission des finances du Sénat, la loi de finances pour 2025 a permis d'apporter une première réponse concrète aux enjeux de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) de province à travers l'instauration d'un fonds de financement des mobilités du quotidien de 50 millions d'euros par an alimenté par les ressources provenant des mises aux enchères de quotas carbone. Ce fonds aura notamment vocation à cibler les besoins de financement des services de mobilité en zones rurales.

5. Compte-tenu de l'état dégradé du réseau routier national non concédé, les investissements nécessaires à sa régénération et à son entretien doivent être sanctuarisés.

I. L'EXÉCUTION DES CRÉDITS DES PROGRAMMES 203 « INFRASTRUCTURES ET SERVICES DE TRANSPORT » ET 205 « AFFAIRES MARITIMES »

A. EN 2024, LE PROGRAMME 203 A PARTICIPÉ À ATTÉNUER LE DÉRAPAGE INÉDIT DES FINANCES PUBLIQUES

Sur le programme 203, la loi de finances pour 20241(*) avait autorisé des crédits budgétaires à hauteur de 4,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 4,4 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). À ces montants, il convient d'ajouter les très importants crédits issus de fonds de concours, provenant principalement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) qui alimentent ce programme budgétaire.

Aussi, au total, la loi de finances pour 2024 prévoyait-elle l'ouverture de 8,5 milliards d'euros d'AE et de 8,4 milliards d'euros de CP, soit des augmentations très significatives, respectivement de 35 % et de 18 % par rapport aux montants qui avaient été prévus en loi de finances initiale pour 2023.

Il est à noter qu'en 2024, les reports de crédits non consommés en 2023 ont représenté 638 millions d'euros en AE et 378 millions d'euros en CP.

1. Un exercice marqué par des annulations de crédits destinées à contribuer à l'atténuation de la dégradation inédite des finances publiques

Cependant, la gestion 2024 a surtout été marquée par les conséquences de la dégradation inédite des finances publiques qui a conduit à devoir réaliser des économies en cours d'exercice budgétaire sur de nombreux programmes du budget de l'État. Les crédits relatifs aux transports, notamment ceux inscrits sur le programme 203, mais aussi le budget de l'AFITF, ont ainsi été amenés à contribuer à cet effort collectif d'atténuation du dérapage des comptes publics.

Cette contribution s'est principalement réalisée en deux temps :

- d'une part à travers le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits ;

- d'autre part via la loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024.

Le décret d'annulation du 21 février 2024 a ainsi procédé à l'annulation de 341 millions d'euros (AE=CP) des crédits inscrits sur le programme 2032(*). Trois autres décrets3(*) ont par ailleurs conduit à réduire les crédits de fonds de concours dont l'allocation était prévue au programme 203 en 2024 pour un total de 64 millions d'euros en AE et 14 millions d'euros en CP.

S'agissant des annulations prévues par le décret du 21 février, le rapport annuel de performances du programme 203 pour l'année 2024 souligne que « compte-tenu de la structure de ses dépenses, notamment de l'importance des dépenses obligatoires, le programme ne pouvait pas supporter une annulation d'une telle ampleur ». La contribution à l'atténuation du dérapage des finances publiques des dépenses de l'État relatives aux transports a ainsi été répartie entre les crédits du programme 203 et le budget de l'AFITF.

L'effort d'économie budgétaire de 399 millions d'euros (de dépenses effectives) demandé à l'AFITF sur l'exercice 2024 s'est décomposé en deux parts :

- une réduction de 199 millions d'euros des dépenses de fonds de concours de l'AFITF ;

- une ponction de 200 millions d'euros sur sa trésorerie.

Cette répartition de la contribution au redressement des finances publiques des dépenses de l'État consacrées aux transports s'est concrétisée dans le cadre de la loi de finances de fin de gestion (LFFG) pour 2024. Celle-ci a en effet réduit de 399 millions d'euros les recettes affectées en 2024 à l'AFITF tout en réouvrant sur le programme 203 une partie des crédits préalablement annulés par le décret du 21 février, à hauteur de 49 millions d'euros en AE et de 250 millions d'euros en CP.

Au total, l'effort d'économies réalisé en 2024 sur les dépenses de l'État en faveur des transports s'est ainsi élevé à 387 millions d'euros en AE et 490 millions d'euros en CP.

Économies réalisées en 2024 sur les dépenses de l'État
relatives au secteur des transports

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Le rapport annuel de performances précise que « ces économies ont très majoritairement concerné le développement des nouvelles infrastructures (...). Les moyens d'entretien et de régénération des réseaux ont, dans ce cadre, été préservés ».

L'effort porté par le seul programme 203 s'est ainsi élevé à 292 millions d'euros en AE et 91 millions d'euros en CP. Ces économies se sont principalement décomposées de la façon suivante :

- une baisse de 244 millions d'euros en AE et de 44 millions d'euros en CP des dépenses relatives à la couverture du déficit d'exploitation des trains d'équilibre des territoires (TET), essentiellement à travers un report à 2025 du contrat d'ouverture à la concurrence des lignes Nantes-Lyon et Nantes-Bordeaux ;

- une baisse de 20 millions d'euros en AE et de 5 millions d'euros en CP des dépenses relatives au transport aérien ;

- une baisse de 24 millions d'euros en AE et de 27 millions d'euros en CP des aides au fret ferroviaire ;

- une baisse de 6 millions d'euros en AE et de 5 millions d'euros en CP des dépenses relatives aux tarifs sociaux ferroviaires ;

- une baisse de 5 millions d'euros (AE=CP) des dépenses relatives au dragage des ports ;

- une baisse de 4 millions d'euros (AE=CP) des études d'innovation.

Dans son analyse de l'exécution budgétaire pour 20244(*), la Cour des comptes souligne cependant que « le schéma d'annulation implique davantage des reports de charge sur les exercices ultérieurs que de réelles économies ». C'est le cas de la réduction des dépenses prévues dans le budget de l'AFITF comme de la baisse des crédits du programme 203 dont la principale composante relève du report de quelques mois du calendrier de l'ouverture à la concurrence des lignes de TET Nantes-Lyon et Lyon-Bordeaux.

Les rapporteurs spéciaux ont conscience que la détérioration massive et inédite des comptes publics en 2023 puis en 2024 supposait des mesures d'économies ambitieuses auxquelles la plupart des politiques publiques devaient prendre leur part. Cependant, en particulier en matière de transport et surtout de financement des infrastructures, ils considèrent que la diminution aveugle et indiscriminée des dépenses pourrait s'avérer extrêmement délétère et emporter des conséquences potentiellement irrémédiables, notamment sur l'état des réseaux de transport existants ferroviaire, routier comme fluvial.

C'est pour cette raison qu'ils soulignent la nécessité que les efforts d'économies soient prioritairement ciblés sur les dépenses de fonctionnement ainsi que les projets nouveaux. En revanche, il est primordial que les investissements dans la régénération, l'entretien et la modernisation des infrastructures de transport existantes soient sanctuarisés et continuent d'évoluer de façon dynamique.

À ce stade, en 2025 plus encore qu'en 2024, il leur semble que c'est la logique qui a présidé à la définition des mesures d'économies par le ministère des transports. Cependant, compte-tenu des besoins qui résultent entre autres d'un historique de sous-investissements chroniques ou encore des exigences de la transition écologique, les leviers d'optimisation de la dépense dans le domaine des transports ont leur limite et les rapporteurs veilleront à ce que la pérennité des infrastructures existantes ne soit pas mise en péril par des mesures d'économies inappropriées.

Compte tenu de l'état de dégradation déjà avancé des réseaux ferroviaire, routier et fluviaux, de nouveaux renoncements pourraient leur être fatals et supposeraient à l'avenir, pour les réhabiliter, des investissements autrement plus massifs, une situation très délicate qu'il nous faut à tout prix éviter et dans laquelle se trouve aujourd'hui l'Allemagne5(*).

2. Depuis 2022 environ 9 milliards d'euros sont dépensés chaque année sur le programme 203

Le total des crédits ouverts sur le programme 203 en 2024 a ainsi atteint 11,2 milliards d'euros en AE et 9,2 milliards d'euros en CP.

Crédits de paiement ouverts en 2024 sur le programme 203

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les crédits réellement consommés en 2024 sur le programme 203 se sont quant à eux élevés à 8,7 milliards d'euros en AE et 8,6 milliards d'euros en CP. Après une augmentation forte et continue entre 2019 et 2022, les dépenses annuelles effectives du programme, portées par l'augmentation des crédits de fonds de concours (voir infra), se sont stabilisées entre 8,6 et 8,8 milliards d'euros.

Évolution des montants de crédits consommés sur le programme 203 (2019-2024)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En partie du fait des efforts de réduction de dépenses mis en oeuvre pour faire face à la dégradation des finances publiques, tout particulièrement s'agissant des CP, les taux de consommation de crédits du programme sont faibles au regard des montants initialement prévues en loi de finances : 78 %6(*) pour les AE et 93 % pour les CP7(*).

Évolution des crédits du programme 203
entre 2023 et 2024

(en millions d'euros)

 

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Programme 203

Exéc. 2023

LFI 2024 y.c. FDC et ADP

Exéc. 2024

Écart exéc. 2024 / 2023

Écart exéc. 2024 / LFI 2024

Exéc. 2023

LFI 2024 y.c. FDC et ADP

Exéc. 2024

Écart exéc. 2024 / 2023

Écart exéc. 2024 / LFI 2024

01-Routes-développement

560,0

676,2

318,6

- 43,1 %

- 52,9 %

699,8

910,2

605,9

- 13,4 %

- 33,4 %

04-Routes-entretien

1016,4

1 013,5

1 035,2

+ 1,8 %

+ 2,1 %

979,7

1 025,5

969,0

- 1,1 %

- 5,5 %

41-Ferroviaire

4743,6

4 734,8

5 240,0

+ 10,5 %

+ 10,7 %

4796,3

4 461,4

5 066,4

+ 5,6 %

+ 13,6 %

42-Voies navigables

250,3

265,3

260,4

+ 4,0 %

- 1,8 %

251,2

265,3

257,4

+ 2,5 %

- 3,0 %

43-Ports

144,4

224,4

282,6

+ 95,7 %

+ 25,9 %

153,7

170,9

162,4

+ 5,7 %

- 5,0 %

44-Transports collectifs

929,1

970,6

903,4

- 2,8 %

- 6,9 %

1276,6

1 039,9

1 007,6

- 21,1 %

- 3,1 %

45-Transports combinés

199,3

331,8

270,8

+ 35,9 %

- 18,4 %

184,1

243,3

188,8

+ 2,6 %

- 22,4 %

47-Fonctions support

72,6

59,3

125,5

+ 72,9 %

+ 111,6 %

70,7

59,3

120,3

+ 70,2 %

+ 102,9 %

50-Transport routier

127,5

167,3

167,5

+ 31,4 %

+ 0,1 %

129,6

167,3

167,3

+ 29,1 %

- 0,0 %

51-Sécurité ferroviaire

37,3

45,0

16,3

- 56,3 %

- 63,8 %

40,8

45,0

23,8

- 41,7 %

- 47,1 %

52-Transport aérien

35,9

51,4

29,9

- 16,7 %

- 41,8 %

41,5

46,7

29,9

- 28,0 %

- 36,0 %

TOTAL

8 113,5

11 150,6

8 650,3

+ 6,6 %

- 22,4 %

8 624,0

9 230,8

8 598,9

- 0,3 %

- 6,8 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les explications des principales évolutions constatées en matière de consommation de crédits sur le programme 203 en 2024 sont les suivantes.

Particulièrement ciblés par les efforts d'économies réalisés en 2024, les crédits de l'action 01 « Routes développement », issus de fonds de concours et consacrés au développement de nouvelles infrastructures routières, sont en baisse sensible. Par ailleurs, les investissements routiers des volets transport des contrats de plan État-régions (CPER) 2023-2027 ayant été réduits par rapport aux contrats précédents, les crédits de cette action devraient structurellement être orientés à la baisse au cours des années à venir.

Les dépenses en nette augmentation de l'action 41 « Ferroviaire » s'expliquent par la forte hausse du montant versé par la SNCF afin d'alimenter le fonds de concours destiné à financer la régénération et la modernisation du réseau ferré (voir infra).

Dans le cadre de la stratégie portuaire et pour financer les projets d'investissement prévus dans les projets stratégiques des grands ports maritimes (GPM) financés via les CPER, les autorisations d'engagement relatifs aux fonds de concours versés par l'AFITF à l'action 43 « Ports » ont augmenté de plus de 150 millions d'euros en 2024.

La baisse des crédits de paiements exécutés en 2024 sur l'action 44 « Transports collectifs » est conjoncturelle et s'explique par l'aide exceptionnelle de 300 millions d'euros qui avait été attribuée par l'État aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) à la fin de l'année 2023.

La hausse sensible des crédits exécutés sur l'action 47 « Fonctions supports » s'explique principalement par la réalisation de deux dépenses exceptionnelles :

- 55,5 millions d'euros acquittés dans le cadre des condamnations de l'État et des protocoles transactionnels relatifs au contentieux avec les sociétés habilitées au télépéage suite à l'abandon du contrat de « l'écotaxe poids lourds » ;

- 12 millions d'euros pour financer le programme de gestion de la demande de transport, dans le cadre des jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.

L'augmentation apparente de la consommation des crédits de paiement sur l'action 50 « Transport routier » s'explique par la restitution de 42 millions d'euros effectuée en 2023 par l'agence de service et de paiement (ASP) du fait d'une sous-consommation de l'aide exceptionnelle au transport routier accordée en 2022 dans le cadre de la crise des prix de l'énergie.

La baisse apparente des crédits de l'action 51 « Sécurité ferroviaire » s'explique principalement par la dépense exceptionnelle de 21,2 millions d'euros qui avait été consentie en 2023 pour régler à un opérateur ferroviaire une indemnité transactionnelle liée au Brexit.

Enfin, la diminution des crédits consommés sur l'action 52 « Transport aérien » a pour origine le décalage dans le temps d'opérations d'investissement dans les infrastructures aéroportuaires.

3. Toujours plus élevés, les crédits de fonds de concours constituent désormais la majorité des dépenses exécutées sur le programme

Après une hausse importante en 2023, les crédits de fonds de concours consommés sur le programme 203 ont encore significativement progressé en 2024. Les AE consommées ont augmenté de 1,3 milliard d'euros (+ 38,6 %) pour s'établir à 4,7 milliards d'euros tandis que l'exécution de CP s'est élevée de 1 milliard d'euros (+ 29,0 %).

En raison de cette évolution, en 2024, les crédits de fonds de concours ont été majoritaires dans le total des crédits consommés sur le programme 203, à hauteur de 55 % pour les AE et de 53 % pour les CP.

Montants des fonds de concours
et attributions de produits du programme 203 en 2024

(en millions d'euros)

Programme 203

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

01- Routes - développement

500,0

766,4

04- Routes - entretien

760,3

797,4

41- Ferroviaire

2 372,8

2 096,4

42- Voies navigables

5,2

2,9

43- Ports

199,3

98,5

44- Transports collectifs

754,0

716,7

45- Transports combinés

95,3

72,4

47- Fonctions support

2,8

2,8

50- Transport routier

1,0

0,2

51- Sécurité ferroviaire

45,0

23,5

52- Transport aérien

0,0

0,0

TOTAL

4 735,8

4 577,3

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette hausse a pour principale origine l'augmentation très sensible (1,1 milliard d'euros en AE et 0,9 milliard d'euros en CP) des crédits de fonds de concours alloués à l'action 41 « Ferroviaire », qui résulte principalement (pour 0,6 milliard d'euros) de l'accroissement des sommes versées par la SNCF au fonds de concours dédié au financement de la régénération et de la modernisation du réseau ferroviaire (voir infra).

Dans une moindre mesure, cette progression s'explique aussi par la hausse (300 millions d'euros en AE et 68 millions d'euros en CP) des crédits de fonds de concours versés par l'AFITF et destinés à contribuer au financement des volets ferroviaires des CPER.

B. AU COURS DE LA GESTION 2024, 4 % DES CRÉDITS DE PAIEMENT DU PROGRAMME 205 ONT ÉTÉ ANNULÉS

350 millions d'euros en AE et 312 millions d'euros en CP avaient été autorisés en loi de finances pour 2024 au titre du programme 205. Les reports de crédits non consommés au cours de l'exercice précédent ont représenté 7,1 millions d'euros. Les fonds de concours et attributions de produits ont quant à eux contribué à abonder le programme de 7,6 millions d'euros.

Le décret précité du 21 février 2024 a annulé 10 millions d'euros (AE=CP) de crédits sur le programme 205 correspondant au montant de la réserve de précaution du programme. Par ailleurs, après l'application d'un « surgel » de crédits en cours d'année, la loi de finances de fin de gestion pour 2024 a procédé à de nouvelles annulations à hauteur de 9,8 millions d'euros en AE et de 3,1 millions d'euros en CP.

Les annulations de CP en cours d'année ont ainsi représenté 13,1 millions d'euros soit 4 % du total des crédits prévus en loi de finances initiale.

Mouvements de crédits de paiement intervenus en gestion
pendant l'exercice 2024

(en millions d'euros)

Affaires maritimes

LFI 2024 

Reports entrants

Décret d'annulation de crédits

LFFG

Mouvements réglementaires

FDC / ADP

Total crédits ouverts

Total crédits consommés

Pourcentage d'exécution des crédits

Crédits de paiement

312,1

7,1

- 10,0

- 3,1

- 0,2

7,6

313,4

313,2

99,9 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Sur la gestion 2024, le total des crédits ouverts a ainsi atteint 344 millions d'euros en AE et 313 millions d'euros en CP. La consommation des crédits a quant à elle atteint 339 millions d'euros pour les AE et 313 millions d'euros pour les CP, soit des taux d'exécution tutoyant les 100 %.

Évolution des crédits du programme 205

(en milliers d'euros)

 

Exécution 2023

LFI 2024

Exécution 2024

Variation
exécution 2024 / 2023

Variation
LFI 2024 / exécution 2024

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

01- Sécurité et sûreté maritimes

45 025

41 466

50 564

45 934

41 932

40 665

- 6,9 %

- 1,9 %

- 17,1 %

- 11,5 %

02- Gens de mer et enseignement maritime

35 962

32 782

34 760

36 458

34 388

36 190

- 4,4 %

+ 10,4 %

- 1,1 %

- 0,7 %

03- Flotte de commerce

104 741

105 341

105 284

105 284

108 319

108 289

+ 3,4 %

+ 2,8 %

+ 2,9 %

+ 2,9 %

04- Action interministérielle de la mer

9 980

10 082

38 937

18 268

36 945

12 379

+ 270,2 %

+ 22,8 %

- 5,1 %

- 32,2 %

05- Soutien au programme

15 041

13 586

11 519

12 113

13 681

13 667

- 9,0 %

+ 0,6 %

+ 18,8 %

+ 12,8 %

07- Pêche et aquaculture

144 188

144 628

89 907

86 617

84 859

88 887

- 41,1 %

- 38,5 %

- 5,6 %

+ 2,6 %

08- Planification et économie bleue

12 990

8 699

31 162

19 662

18 642

13 114

+ 43,5 %

+ 50,8 %

- 40,2 %

- 33,3 %

Total programme 205

367 928

365 585

362 133

324 335

338 766

313 192

- 7,9 %

- 14,3 %

- 6,5 %

- 3,4 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En 2024, les crédits consommés sur le programme affichent une baisse de 7,9 % en AE (29 millions d'euros) et de 14,3 % en CP (52 millions d'euros). Cette diminution apparente s'explique principalement par le montant de crédits exceptionnel qui avait été constaté en 2023 sur l'action 07 « Pêche et aquaculture » en raison de l'allocation de crédits de fonds de concours liés à la contribution de l'Union européenne aux dépenses engagées en réponse aux effets du Brexit8(*).

II. LES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

A. LE FINANCEMENT DES INFRASTRUCTURES DE TRANSPORT SUPPOSE UNE VISIBILITÉ PLURIANNUELLE

1. Au cours de l'exercice 2024, pour atténuer la dérive inédite des finances publiques, les recettes affectées à l'AFITF ont été réduites de 399 millions d'euros

Compte-tenu des besoins en matière de financement des infrastructures les lois de finances initiales 2023 puis 2024 avaient conduit à augmenter de manière significative le cumul des plafonds d'affectation à l'AFITF du rendement des taxes composant son panier de ressources. Ainsi, selon les prévisions de la loi de finances initiale pour 2024, les recettes affectées à l'AFITF9(*) au titre de cette année devaient-elles atteindre près de 4,6 milliards d'euros contre 3,7 milliards d'euros en 2023 et 3,2 milliards d'euros en 2022, soit une hausse de 1,3 milliard d'euros (+ 40 %) en deux ans. Par rapport aux ressources affectées à l'agence en 2019, l'augmentation devait même représenter 2 milliards d'euros (+ 85 %).

Cependant, comme indiqué supra, dès l'exercice 2024, le budget de l'AFITF a été amené à contribuer à l'effort d'atténuation du dérapage inédit des finances publiques. Cette contribution s'est matérialisée, dans le cadre de la loi de finances de fin de gestion pour 2024, par la réduction de 399 millions d'euros du plafond d'affectation de l'accise sur les énergies10(*). Aussi, et alors que l'exécution effective d'autres ressources affectées à l'AFITF a différé des prévisions initiales, les recettes de l'agence se sont-elles établies à 4,2 milliards d'euros en 2024, soit un recul de 8 % par rapport à la prévision initiale. Ce montant demeure néanmoins supérieur de 0,9 milliard d'euros (+ 29 %) par rapport aux recettes constatées en 2023 et de 1,7 milliard d'euros par rapport à 2019 (+ 70 %).

Les recettes de l'AFIT en 2024

(en millions d'euros)

 

2019

2020

2021

2022

2023

LFI 2024

Exécution 2024

Variation exécution 2024/2023

Variation LFI 2024 / exécution 2024

Taxe d'aménagement du territoire

523

459

561

561

561

561

561

-

-

Redevance domaniale

357

365

336

370

402

411

422

+ 5,0 %

+ 2,7 %

Amendes radars

228

167

271

178

178

252

134

- 24,9 %

- 47,0 %

TICPE

1 206

1 587

1 285

1 248

1 908

2 050

1 651

- 13,5 %

- 19,5 %

Écocontribution billets d'avion

-

-

-

138

226

250

254

+ 12,6 %

+ 1,8 %

Taxe sur les infrastructures de transport de longue distance

-

-

-

-

-

600

549

-

- 8,5 %

Plan de relance autoroutier

60

58

-

-

-

-

188

-

-

Produits exceptionnels

89

-

-

2

4

30

10

+ 160,0 %

- 65,0 %

Dotations budgétaires diverses de l'État

-

250

100

82

-

-

-

-

-

Versements de la mission « Plan de relance »11(*)

-

-

599

660

409

397

411

+ 0,5 %

+ 3,6 %

Total

2 462

2 886

3 152

3 239

3 689

4 550

4 180

+ 13,3 %

- 8,1 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les budgets et rapports d'activité de l'AFITF

S'agissant des recettes de l'AFITF en 2024, deux autres évolutions notables sont à souligner.

Il s'agit d'une part de la première année de rendement de la nouvelle taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance12(*). Le produit de la taxe a atteint 549 millions d'euros, en retrait toutefois par rapport au produit initialement attendu à hauteur de 600 millions d'euros.

Les rapporteurs soulignent qu'en 2024, en affectant l'intégralité du produit de cette nouvelle taxe, le Gouvernement n'a pas appliqué la disposition législative qui prévoit que deux fractions d'un douzième de son rendement soient versées chaque année aux communes et aux départements afin de contribuer au financement de leur voirie. En effet, son intention initiale, lors du dépôt du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 était d'abroger cette disposition avec un effet rétroactif au 1er janvier 2024. Cependant, le Parlement a confirmé cette disposition dans le cadre de l'examen de ce projet de loi. Le texte promulgué n'a pas prévu son abrogation. Aussi, les rapporteurs constatent-ils que l'État est désormais débiteur de 92 millions d'euros à l'égard des départements et des communes au titre du produit de la taxe perçu en 2024.

D'autre part, après un arrêt du tribunal administratif de Cergy Pontoise du 14 mars 2024, les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont été contraintes de verser à l'AFITF les échéances 2021, 2022 et 2023 d'une contribution volontaire qu'elles s'étaient engagées à verser à l'agence dans le cadre du plan de relance autoroutier de 2015, soit 188 millions d'euros.

En contentieux avec l'État au sujet de l'indexation partielle de la taxe d'aménagement du territoire (TAT) sur l'inflation, les sociétés d'autoroutes refusaient de s'acquitter de cette contribution depuis 2021.

S'ils sont satisfaits que cette dette ait pu être enfin acquittée, les rapporteurs ne peuvent néanmoins cacher leur désapprobation quant au comportement des sociétés d'autoroutes qui s'apparente à une forme de prise d'otage du financement des infrastructures de transport à travers l'agence qui les financent. C'est ainsi avec regret qu'ils ont appris que les sociétés d'autoroutes avaient à nouveau choisi de refuser de verser la somme de 60 millions d'euros qu'ils devaient à l'AFITF au titre de l'année 2024. Ils continueront à suivre avec attention cette situation à l'heure où, par ailleurs, l'avenir des concessions autoroutières est en grande partie en train de se jouer.

2. Bien que réduites par les efforts d'économies en cours de gestion, les dépenses de l'AFITF ont atteint un niveau record en 2024

En 2024, la consommation effective de crédits de l'AFITF s'est élevée à 4,8 milliards d'euros en AE et 4,3 milliards d'euros en CP. Essentiellement du fait de la contribution des dépenses d'investissement dans les infrastructures de transport à la limitation du dérapage des finances publiques (voir supra), ces montants sont inférieurs d'environ 270 millions d'euros aux prévisions du budget initial, soit un peu moins de 6 % des CP programmés en début d'exercice.

Ces montants restent néanmoins nettement supérieurs à ceux constatés au cours des années précédentes. Ainsi, entre 2022 et 2024, les dépenses effectives de l'AFITF ont-elles progressé de 1,1 milliard d'euros, soit 32 %. Depuis 2019, la hausse a atteint 1,9 milliard d'euros (+ 76 %).

Crédits de paiement consommés annuellement par l'AFITF (2016-2024)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les budgets et rapports d'activité de l'AFITF

Le total des crédits consommés en 2024 par l'AFITF selon les différents modes de transports est présenté dans le tableau suivant :

Dépenses de l'AFITF par destination en 2024

(en millions d'euros)

Domaine

AE

 %

CP

 %

Ferroviaire

2 466,9

51,3 %

1 674,8

38,5 %

Routes

1 211,2

25,2 %

1 368,2

31,5 %

Fluvial

171,0

3,6 %

248,6

5,7 %

Maritime

150,3

3,1 %

63,4

1,5 %

Transports en commun et mobilités actives

760,5

15,8 %

878,9

20,2 %

Divers et support

45,9

1,0 %

113,5

2,6 %

Totaux

4 805,8

-

4 347,3

-

Source : commission des finances du Sénat, d'après le budget exécuté de l'AFITF

Alors qu'elles s'étaient stabilisées depuis 2020, les dépenses de l'AFITF dans les infrastructures ferroviaires ont fortement augmenté en 2024 pour s'établir à 1,7 milliard d'euros, soit près de 40 % du total de la consommation des CP de l'agence.

Les dépenses de l'agence dans les domaines routiers comme en faveur des transports en commun et des mobilités actives ont également poursuivi leur progression en 2024.

Évolution des crédits de paiement consommés par l'AFIT en faveur des infrastructures ferroviaires, routières et des transports en commun
et mobilités actives (2017-2024)

(en millions d'euros)

TCM : transports en commun et mobilité verte

Source : commission des finances du Sénat, d'après les budgets et rapports d'activité de l'AFITF

3. Inscrits par nature dans le temps long, les investissements dans les infrastructures de transport ne peuvent se satisfaire d'un horizon annuel

La trajectoire pluriannuelle des investissements de l'AFITF dans les infrastructures prévues par la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) ne courait que jusqu'en 2023. Depuis, les investissements dans les infrastructures de transport en France ne bénéficient presque plus de visibilité pluriannuelle.

Alors que les investissements dans leurs infrastructures supposent une stratégie cohérente inscrite dans le temps long, les rapporteurs considèrent qu'il est nécessaire que la loi prévoie les grandes lignes de cette stratégie et garantisse une visibilité suffisante quant à son financement à travers une programmation pluriannuelle des dépenses de l'AFITF. Au demeurant, les rapporteurs rappellent que cette exigence est explicitement prévue par les dispositions de l'article 3 de la LOM. 

B. LA SNCF NE POURRA PAS FINANCER À ELLE SEULE L'AUGMENTATION INDISPENSABLE DES INVESTISSEMENTS DANS LE RÉSEAU FERROVIAIRE EXISTANT

Après avoir déjà augmenté de 26 % l'année précédente, en 2024, les concours versés à SNCF Réseau inscrits à l'action 41 « Ferroviaire » du programme 203 ont progressé de 6 %. Cette hausse s'explique par deux facteurs : d'une part l'augmentation des redevances ferroviaires, les péages ferroviaires, et, d'autre part, la réévaluation à la hausse des sommes versées par la SNCF au fonds de concours destiné à financer la régénération et la modernisation du réseau ferré.

Les dépenses consacrées aux redevances d'accès au réseau versées par l'État pour les trains express régionaux (TER), les trains d'équilibre du territoire (TET) ainsi que la compensation dédiée aux activités de fret ferroviaire ont augmenté de 9 % en 2024 pour s'établir à 2,9 milliards d'euros. Cette augmentation s'explique par la très forte hausse (+ 10 %) des péages ferroviaires en 2024.

Dans un rapport d'information de mars 202213(*) les rapporteurs spéciaux Hervé Maurey et Stéphane Sautarel avaient souligné et documenté un déficit d'investissements dans la régénération des infrastructures ferroviaires qui menaçait la pérennité du réseau ferré. Aussi, avaient-ils recommandé de majorer d'un milliard d'euros par an les investissements dans la régénération du réseau. En outre, en raison des retards considérables de la France en la matière, ils avaient également recommandé de programmer et de financer les programmes de modernisation du réseau ferroviaire que sont la commande centralisée du réseau (CCR)14(*) et l'ERTMS15(*). Un rapport publié en février 2023 par le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) était arrivé aux mêmes conclusions et la première ministre de l'époque, Madame Elisabeth Borne, s'était également appuyée sur ces constats pour annoncer un plan d'investissements dans le ferroviaire de 100 milliards d'euros.

Dans le cadre de ce plan, l'État avait alors pris l'engagement de réévaluer les investissements annuels dans la régénération et la modernisation à hauteur de 1,5 milliard d'ici à 2027 : 1 milliard d'euros par an supplémentaires pour la régénération et 0,5 milliard d'euros pour la modernisation. À la fin de l'année 2023 et jusqu'à cet horizon de 2027, le Gouvernement a fait le choix, traduit à partir de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, de faire exclusivement financer par la SNCF cette augmentation des investissements annuels dans le réseau ferré existant.

Entre 2024 et 2027, la SNCF a en effet, à la demande expresse de l'État, pris l'engagement de financer en totalité la montée en puissance des investissements dans la régénération et la modernisation du réseau. Cet engagement doit se traduire concrètement par des versements complémentaires16(*) au fonds de concours qui alimente chaque année l'action 41 du programme 203 pour contribuer à financer la régénération et la modernisation du réseau ferroviaire existant, à hauteur de 2,3 milliards d'euros sur l'ensemble de la période, soit près de 600 millions d'euros par an en moyenne.

Ainsi, alors que le contrat de performance de SNCF Réseau prévoyait que la SNCF alimente ce fonds de concours à hauteur d'un milliard d'euros en 2024, elle l'a finalement abondé à hauteur de 1,7 milliard d'euros17(*), soit un effort inédit pour le groupe. Il convient de préciser que cet abondement est essentiellement constitué d'un prélèvement effectué sur les bénéfices réalisés par la société SNCF Voyageurs. Ce prélèvement est considéré par l'État comme son propre renoncement au versement de dividendes par un groupe dont il est l'unique actionnaire.

Abondement du fonds de concours dédié à la régénération du réseau ferroviaire par les dividendes de SNCF Voyageurs et le plan de relance ferroviaire
depuis 2016

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les rapporteurs ont déjà eu l'occasion de manifester leurs interrogations quant au choix de cette modalité de financement qui présente plusieurs risques :

- un accroissement du lien de dépendance financière entre SNCF Réseau, le gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire, et l'opérateur de transport de voyageurs historique SNCF Voyageurs ;

- un potentiel effet d'éviction au détriment d'autres investissements de la SNCF, notamment en matière de renouvellement de son matériel roulant ;

- un effet inflationniste sur le prix des billets.

Alors que la concurrence se développe progressivement dans les différents segments du transport ferroviaire de passagers, ce système de financement n'est pas soutenable à terme. En effet, outre le fait qu'il handicape SNCF Voyageurs face à ses concurrents, il conduit la société publique à financer, dans des proportions importantes, un réseau qui sera de plus en plus utilisé par d'autres opérateurs ferroviaires avec lesquels il se trouve en compétition.

Les rapporteurs ont noté que la SNCF a annoncé18(*) être en mesure de financer structurellement, à compter de 2027, un tiers des investissements supplémentaires requis en matière de régénération et de modernisation du réseau ferroviaire, soit 500 millions d'euros par an. À cet horizon, afin d'éviter une dégradation rapide et potentiellement catastrophique de l'état du réseau ferroviaire structurant, il conviendra de trouver les ressources complémentaires permettant de sécuriser sur la durée la revalorisation des dépenses d'investissements annuelles dans les infrastructures ferroviaires existantes.

C. À L'INITIATIVE DU SÉNAT, DE PREMIÈRES RÉPONSES AUX ENJEUX DE FINANCEMENT DES MOBILITÉS DU QUOTIDIEN ONT ÉTÉ APPORTÉES PAR LA LOI DE FINANCES POUR 2025

Malgré les enjeux relatifs au nécessaire développement de l'offre de mobilité collective du quotidien, les problématiques relatives au financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) ont longtemps été négligées par l'exécutif. En juillet 2023, le rapport de la mission d'information de la commission des finances du Sénat sur les modes de financement des AOM19(*) avait rappelé ces enjeux, dressé le constat des besoins de financement et formulé des recommandations.

À l'automne 2023, sous la pression, le Gouvernement de l'époque avait accepté de signer un protocole de financement pluriannuel des transports collectifs parisiens composé notamment de mesures fiscales qui ont été introduites par des amendements de l'exécutif au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2024.

Si ce protocole consacré à l'Île-de-France était nécessaire et allait dans le sens des recommandations formulées par la mission d'information de la commission des finances, une telle compartimentation de la problématique, n'était pas tenable tant elle a suscité de l'incompréhension et de la frustration au sein des AOM de province qui ont eu le sentiment d'être ignorées voire méprisées.

Fort heureusement, à l'initiative de la commission des finances du Sénat qui avait repris l'une des recommandations de la mission d'information précitée, la loi de finances pour 2025 a permis d'apporter une première réponse concrète aux enjeux de financement des AOM de province à travers l'instauration d'un fonds de financement des mobilités du quotidien de 50 millions d'euros par an alimenté par les ressources provenant des mises aux enchères de quotas carbone. Dans une logique de péréquation, ce fonds, dont le montant aura vocation à être réévalué au fil des ans, doit notamment permettre de remédier à l'abandon de la mobilité du quotidien dans les territoires ruraux, aujourd'hui confrontée à une absence totale de sources de financement. Cette même loi de finances a également créé, à l'initiative du Sénat, un versement mobilité pour les régions.

D. LA NÉCESSAIRE SANCTUARISATION DES DÉPENSES DE RÉGÉNÉRATION ET D'ENTRETIEN DU RÉSEAU ROUTIER NATIONAL

Les crédits consacrés aux infrastructures routières ont diminué en 2024, représentant 1,4 milliard d'euros en AE et 1,6 milliard d'euros en CP contre respectivement 1,6 et 1,7 milliard en 2023. Ces montants se décomposent en deux parts :

- le développement de nouvelles infrastructures (action 01 « Routes - développement ») ;

- l'entretien courant et la régénération du réseau routier national non concédé actuel (action 04 « Routes - entretien »).

Évolution de la consommation des AE et CP consacrés à la route
(action 01 et 04 du programme 203) entre 2018 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

En 2024, 969 millions d'euros ont été consacrés à l'entretien et à la régénération du réseau routier national non concédé, soit une baisse de 11 millions d'euros des crédits par rapport à l'année passée, la première depuis 2020, année marquée par les retards de chantiers liés à la crise sanitaire. Hors crise sanitaire, il faut remonter à 2017 pour constater une telle inflexion. Sur ces 969 millions d'euros, 632 millions ont été alloués à la régénération des infrastructures (soit une baisse de 15 millions d'euros par rapport à 2023) et 337 millions d'euros à leur entretien.

Évolution des crédits de paiement consacrés à l'entretien
et à la régénération du réseau routier national (2012-2024)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Les rapporteurs avaient souligné l'année dernière que l'augmentation continue des dépenses d'entretien et de régénération du réseau routier national depuis 2012 restait insuffisante pour résorber la tendance à la dégradation des infrastructures. Aussi, l'inflexion constatée en 2024 a-t-elle suscité chez eux une vive préoccupation.

Cependant, comme ils ont pu le souligner dans leur rapport consacré à l'examen du projet de loi de finances pour 2025, les rapporteurs ont été en partie rassurés par les choix budgétaires effectués dans le cadre de l'exercice 2025. En effet, en dépit des efforts d'économies significatifs réalisés dans le domaine des transports, le Gouvernement de Monsieur Michel Barnier avait décidé de sanctuariser les investissements dans les infrastructures existantes. Une position qui a été confirmée par l'actuel Gouvernement. Aussi, la loi de finances pour 2025 prévoit-elle de réévaluer les crédits consacrés à la régénération et à l'entretien du réseau routier pour les porter à 1 044 millions d'euros.

Les rapporteurs soulignent que la sanctuarisation des dépenses de régénération et d'entretien dans le réseau routier national non concédé est d'autant plus nécessaire que celui-ci sera de plus en plus soumis, dans les années à venir, aux conséquences des dérèglements climatiques. Le rapport annuel de performances du programme 203 note ainsi en 2024 « une nette augmentation des évènements climatiques majeurs qui ont affecté, parfois de manière spectaculaire, les infrastructures routières et leur capacité à rendre le service dû à nos concitoyens et à notre économie ». Afin d'anticiper les incidences de ces phénomènes, la DGITM pilote actuellement une étude de vulnérabilité du réseau routier national aux conséquences du réchauffement climatique.

E. LE DYNAMISME DES DÉPENSES ET DES EFFECTIFS DE LA SOCIÉTÉ DES GRANDS PROJETS (SGP) SE CONFIRME MAIS DE NOUVEAUX RETARDS VIENNENT D'ÊTRE ANNONCÉS

La loi n° 2023-1269 du 27 décembre 2023 relative aux services express régionaux métropolitains a conduit à étendre les missions de la Société du grand Paris (SGP) et à la rebaptiser en « Société des grands projets ». Ces évolutions ont vocation à permettre à la SGP de contribuer à la réalisation ainsi qu'au financement de certaines opérations de services express régionaux métropolitains (SERM).

Évolution de la consommation des CP de la SGP entre 2014 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Après une période de stagnation entre 2020 et 2022, les dépenses annuelles effectives de la SGP ont progressé de 35 % pour s'établir à 4,9 milliards d'euros en 2024. Afin d'éviter le risque que des chantiers puissent être retardés en cours d'année pour des raisons de disponibilité de crédits budgétaires, la SGP procède à une surestimation systématique et délibérée des dépenses prévues dans son budget initial. En 2024, à l'instar des années précédentes, les dépenses inscrites en début d'année ont ainsi été supérieures de 763 millions d'euros (13 %) aux dépenses effectivement exécutées.

Comparaisons des dépenses prévues et réalisées entre 2020 et 2024 (en CP)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Alors qu'une stabilisation puis une baisse sensible et rapide des effectifs de la SGP était initialement prévue à compter de 2024, la participation de la SGP à certains projets de services express régionaux métropolitains (SERM) a conduit à remettre en cause cette trajectoire prévisionnelle. Notamment parce que les tutelles de l'établissement l'ont autorisé à sur-exécuter de 25 ETP le schéma d'emploi initialement prévu, les effectifs rémunérés par la SGP ont de nouveau significativement augmenté en 2024 pour s'établir à 1 108 ETPT.

Évolution des effectifs de la SGP entre 2018 et 2024

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Du fait de cette dynamique, les charges de personnel de la SGP ont poursuivi leur forte progression en 2024 (+ 10 %) pour s'établir à 137 millions d'euros.

Par ailleurs, comme en 2023, le montant des recettes fiscales affectées à la SGP a progressé de 8 % en 2024 pour s'établir à 904 millions d'euros.

Enfin, les rapporteurs regrettent les nouveaux retards annoncés en février 2025 en ce qui concerne les mises en service des lignes 15 sud, 16 et 17.

F. EN 2024, VOIES NAVIGABLES DE FRANCE (VNF) A BÉNÉFICIÉ DE LA REVALORISATION DE LA TRAJECTOIRE FINANCIÈRE DE SON CONTRAT D'OBJECTIFS ET DE PERFORMANCE

Portées par le plan de relance, les dépenses d'investissements de Voies navigables de France (VNF) avaient atteint des montants exceptionnels en 2022 puis en 2023. En 2024 ils se sont repliés à 303 millions d'euros, un montant qui reste nettement supérieur aux dépenses constatées avant le renfort des crédits alloués par le plan de relance. Ce niveau d'investissements est par ailleurs conforme au contrat d'objectifs et de performance (COP) de l'opérateur qui avait été revalorisé en décembre 2023 en cohérence avec les conclusions du rapport publié par le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) quelque mois plus tôt.

Trajectoire des dépenses d'investissements de VNF entre 2017 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En cohérence également avec le COP20(*), en 2024, la subvention pour charges de service public (SCSP) versée à VNF a progressé de 5 millions d'euros pour s'établir à 252 millions d'euros, tandis que la subvention allouée par l'AFITF pour régénérer et moderniser le réseau fluvial a progressé de 37 millions d'euros (+ 29 %), pour s'établir à 166 millions d'euros.

En loi de finances initiale pour 2024, le plafond d'affectation à VNF de la redevance domaniale de prise et de rejet d'eau, dite aussi « redevance hydraulique », avait été augmenté de 9 millions d'euros. La loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024 a relevé de 9 millions d'euros supplémentaires ce plafond, fixé à 145,6 millions d'euros.

Ce relèvement de plafond en loi de finances de fin de gestion s'explique par une perception tardive, en 2024, de recettes dues au titre de l'année 2023.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, les rapporteurs ont noté avec intérêt le lancement d'une réflexion visant à réformer cette redevance afin notamment d'élargir son assiette et de la rendre plus incitative d'un point de vue de la consommation de la ressource en eau. Cette réforme pourrait par ailleurs conduire à accroître son rendement et à renforcer son poids dans les ressources de l'établissement.


* 1 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

* 2 En pratique, ce montant d'annulation, supérieur à celui de la réserve de précaution, a conduit à appliquer un surgel aux crédits du programme à hauteur de 111,6 millions d'euros en AE et de 109,6 millions d'euros en CP, des crédits dont l'annulation est comprise dans les 341 millions d'euros annulés par le décret.

* 3 Les décrets n° 2024-685 du 5 juillet 2024, n° 2024-1164 du 4 décembre 2024 et n° 2025-103 du 4 février 2025 portant annulation de crédits.

* 4 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, mission « Écologie, développement et mobilités durables », Cour des comptes, avril 2025.

* 5 En ce qui concerne ses infrastructures de transport (en particulier ferroviaires) comme énergétiques (en particulier son réseau de transport d'électricité).

* 6 Un taux comparable à celui constaté au cours des exercices précédents.

* 7 Contre 96 % en 2023.

* 8 Les crédits exécutés avaient alors été supérieurs de 94 millions d'euros par rapport aux montants prévus en loi de finances initiale pour 2023.

* 9 Y compris les crédits alloués à l'agence au titre des opérations liées au plan de relance.

* 10 L'ancienne taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

* 11 Programmes 362 et 364.

* 12 Créée par l'article 100 de la loi de finances initiale pour 2024.

* 13 Comment remettre la SNCF sur rail ? Modèle économique de la SNCF et du système ferroviaire : il est grand temps d'agir, Rapport d'information n° 570 (2021 2022) de MM. Hervé MAUREY et Stéphane SAUTAREL, fait au nom de la commission des finances, 9 mars 2022.

* 14 La commande centralisée du réseau (CCR) doit se traduire par la création de « tours de contrôle » à grand rayon d'action permettant de centraliser la régulation des circulations. La CCR est un levier d'efficience considérable. Son déploiement permettrait de remplacer les 2 200 postes d'aiguillages actuels (1 500 pour le réseau structurant), auxquels plus de 13 000 agents sont affectés, par une quinzaine de tours de contrôle. D'après la Cour des comptes la baisse d'effectifs consécutive pourrait atteindre 40 %.

* 15 L'ERTMS est un système de signalisation de nouvelle génération, interopérable au niveau européen et permettant de réduire l'intervalle entre les trains. Aussi permet-il d'augmenter la cadence du trafic (de quatre trains par heure sur les LGV), d'accroître la performance du réseau, d'améliorer la régularité du trafic ainsi que l'offre de sillons, en particulier aux opérateurs de fret ferroviaire.

* 16 Par rapport à la trajectoire prévue par l'actuel contrat de performance de SNCF Réseau.

* 17 Dont 172 millions d'euros au titre de produits de cession, le reste étant prélevé sur les résultats de la filiale SNCF Voyageurs.

* 18 Dans la contribution écrite qu'elle a produite en mai 2025 dans le cadre de la conférence de financement des mobilités.

* 19 Rapport d'information n° 830 (2022 2023) fait au nom de la commission des finances sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité, par MM. Hervé Maurey et Stéphane Sautarel.

* 20 Et la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) en ce qui concerne la subvention versée par l'AFITF.

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