IV. UNE PÉRIODE RICHE EN MUTATIONS

Votre commission a souhaité donner un "coup de projecteur" sur deux collectivités d'Outre-mer -la Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon- peut-être plus engagées encore que les autres dans des processus délicats de mutation économique et sociale. Non que les défis à relever ne soient aussi considérables à la Réunion, en Nouvelle-Calédonie ou partout ailleurs, mais la période récente a révélé dans ces collectivités à quel point les transitions pouvaient être douloureuses.

Votre rapporteur spécial conclura ces propos en insistant sur l'indispensable réflexion sur l'avenir institutionnel de l'Outre-mer et ses conséquences financières.

A. LA POLYNESIE FRANÇAISE

1. L'application du Pacte de progrès et la situation créée par la reprise des essais nucléaires 1 ( * )

Peu de temps après l'annonce de la cessation des essais nucléaires à Mururoa, l'État s'est engagé à apporter à la Polynésie des ressources financières qui permettraient de compenser la diminution des transferts liés au fonctionnement du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) et de favoriser le développement d'activités économiques susceptibles de prendre le relais du CEP en termes de création d'emplois et de valeur ajoutée.

Cet engagement a été formalisé dès le mois de janvier 1993 avec la signature, entre l'État et le Territoire, du "Pacte de progrès". Celui-ci prévoyait une série de mesures immédiates et concrètes identifiées sous le nom de "Plan de relance", qui consistait notamment à accélérer l'exécution des programmes contenus dans le Contrat de plan 1989-1993 et à y affecter une enveloppe de crédits supplémentaires. En outre, les deux parties définissaient un ensemble d'orientations générales et d'actions concrètes en convenant de formaliser celles-ci dans une loi d'orientation.

La loi d'orientation pour le développement économique, social et culturel de la Polynésie française a été promulguée le 5 février 1994. Elle définit, comme le précise l'article 1er, "pour une durée de dix ans, les conditions dans lesquelles la solidarité exprimée par la nation aidera le territoire de la Polynésie française à réaliser une mutation profonde de son économie afin de parvenir à un développement mieux équilibré et à une moindre dépendance à l'égard des transferts publics, en favorisant le dynamisme des activités locales et le progrès social".

La collaboration de l'État, au cours des années 1994 à 2004 de validité de la loi d'orientation, s'exercera en priorité dans les domaines suivants :

- l'amélioration de l'encadrement pédagogique et des infrastructures scolaires,

- la réforme du régime de santé et de protection sociale,

- la prise en charge d'une partie des ressources du Fonds intercommunal de péréquation, par lequel une partie des recettes fiscales du Territoire est redistribuée aux communes.

L'essentiel des concours de l'État dans les deux premiers domaines, s'effectue dans le cadre de conventions bilatérales entre le Territoire et les ministères concernés. Par ailleurs, la loi prévoyait que les principales actions communes en matière d'investissement et de formation feraient l'objet d'un contrat quinquennal, renouvelable, entre l'État et le Territoire.

Le Contrat de développement, signé le 4 mai 1994, met en oeuvre sur une période de cinq ans les engagements pris par l'État, dans la loi d'orientation décennale du 5 février 1994, envers la Collectivité territoriale. Rappelons que ce programme contractuel s'articule autour de trois objectifs majeurs :

1. favoriser le développement économique de la Polynésie française,

2. poursuivre l'équipement du Territoire et le désenclavement des archipels,

3. promouvoir l'insertion sociale et améliorer la couverture sanitaire.

Les opérations définies dans le Contrat portent sur un investissement total de 52.764 millions de francs CFP (2,9 milliards de francs français), dont la charge est répartie à parité entre l'État et le Territoire. Au 13 avril 1995, soit près d'un an après la signature du Contrat de développement, le montant total des dépenses liquidées s'établissait à 2.250 millions de francs CFP (4,3 % de l'enveloppe globale). Cette faiblesse du taux de réalisation du Contrat de développement traduisait la longueur des délais de préparation des dossiers et de lancement des opérations.

L'état d'avancement à cette date des différents programmes, ventilés selon les trois objectifs du contrat, se présentait comme suit :

État d'avancement du Contrat de développement (avril 1995)

Le rythme d'engagement des opérations du premier semestre 1995 ne permettant pas d'espérer une accélération, notamment en raison des difficultés financières conjoncturelles rencontrées par le Territoire, il a été décidé en loi de finances rectificative (4 août 1995) d'améliorer les paiements du FIDES section générale par l'ouverture nette de 119 millions de francs de crédits de paiement, mesure qui devait permettre, selon le ministère de l'Outre-mer "une vigoureuse relance des opérations d'ici la fin de l'année".

Enfin, afin de compléter le volet logement du contrat de développement qui ne répondait pas aux besoins en matière de logement social, dans le cadre de la loi de finances rectificative de juillet 1995, a été ouverte une autorisation de programme de 100 millions de francs sur le FIDES pour un programme complémentaire de logements en milieu diffus, couverte par une dotation de 55 millions de francs de crédits de paiement. Le solde sera mis en place en 1996.

Parallèlement à la mise en oeuvre du Pacte de progrès et suite à la décision de réaliser une dernière série d'essais nucléaires au second semestre 1995 et début 1996, le Président de la République, M. Jacques Chirac a annoncé sa décision de maintenir jusqu'en 2006 le niveau des flux financiers liés aux activités du centre d'expérimentation du Pacifique (CEP).

Une réunion s'est tenue le 16 novembre dernier au ministère de la Défense pour procéder à une évaluation, mais les premières évaluations font état d'une masse financière d'environ 2,2 milliards de francs.

M. de Peretti a indiqué, devant la commission des lois, qu'il conviendrait de préciser l'utilisation de ces crédits et qu'un comité de suivi serait chargé de déterminer leur programmation.

2. La difficile introduction de la contribution de solidarité territoriale

Conformément au Pacte de progrès et à la loi d'orientation du 5 février 1994, le territoire a entrepris une profonde réforme du dispositif de protection sociale.

Cette réforme vise à offrir à l'ensemble de la population une protection sociale et à distinguer le régime d'assurance et le régime de solidarité. Les trois régimes territoriaux autonomes qui ont été mis en place (salariés, non salariés et régime de solidarité) sont gérés par la caisse de prévoyance sociale.

Le financement de ce régime est assuré par des concours publics et par la contribution de solidarité territoriale dont l'institution s'est heurtée à des difficultés au cours des années 1994 et 1995.

Bien que l'Assemblée territoriale s'en soit défendue, la nature de l'impôt ne pouvait longtemps faire illusion : la CST est un impôt sur le revenu des personnes physiques, qu'on ne distingue de l'impôt sur le revenu applicable en métropole que par son assiette (il est tenu compte du revenu brut et non du revenu net) et par la modération du taux applicable (entre 0,5 et 5 % en Polynésie pour la CST1, contre 56,8 % en métropole).

Le tribunal administratif a annulé le 29 juillet 1994 la délibération de l'assemblée territoriale adoptée en 1993 instituant une contribution de solidarité territoriale (CST) au motif de la méconnaissance du principe d'égale répartition des charges publiques entre les citoyens. La rupture d'égalité devant l'impôt paraissait patente, notamment aux yeux du commissaire du gouvernement, qui estimait dans son mémoire qu' " il n'existe en effet aucune raison, rationnelle et effective, ni même aucun intérêt général, pour justifier le fait d'avoir assujetti les seuls salariés à l'impôt sur le revenu".

Cette annulation a eu pour conséquence de provoquer des tensions tant politiques que sociales. Un protocole d'accord a été signé le 13 septembre 1994 entre l'intersyndicale et le gouvernement du territoire mettant fin à une grève générale déclenchée par l'intersyndicale. Le gouvernement territorial s'est engagé à :

- présenter une nouvelle délibération à l'assemblée territoriale afin de faire participer dès le mois de septembre 1994 le secteur primaire au dispositif ;

- affecter l'ensemble des contributions de solidarité territoriale à la caisse de prévoyance sociale ;

- présenter une délibération relative à l'affectation à la caisse de prévoyance sociale de la taxe d'exportation sur les produits de la perliculture, à l'exception de la part affectée à la promotion de la perle de Tahiti.

Les membres de l'intersyndicale ont alors confirmé leur accord pour la perception de la contribution de solidarité territoriale sur les salaires à compter du mois de septembre 1994.

Parallèlement à l'appel introduit par le premier vice-président de l'assemblée territoriale et le président du gouvernement du territoire auprès du Conseil d'État, une procédure a été engagée par le gouvernement du territoire pour faire adopter une nouvelle délibération relative à la CST.

La commission permanente a adopté, le 29 août 1994, une délibération n° 94-107/AT portant modifications des dispositions du code des impôts pour recréer la contribution de solidarité territoriale.

Le produit de cette nouvelle contribution a été affecté à la caisse de prévoyance sociale par la délibération n° 94-110/AT du 7 septembre 1994 de l'assemblée territoriale réunie en session extraordinaire par le premier vice-président. Le même jour, l'assemblée territoriale par la délibération n° 94-111/AT a approuvé l'institution de la nouvelle CST (dite CST2).

Le tribunal administratif qui avait été saisi d'une demande de sursis à exécution des délibérations n oS 107 et 110 a par deux décisions en date du 29 décembre 1994, d'une part, rejeté la requête aux motifs que ces deux délibérations n'étaient pas exécutoires et a, d'autre part, annulé ces mêmes délibérations aux motifs qu'elles avaient été prises par une autorité incompétente pour la première et hors du temps des sessions pour la seconde.

Sans que le gouvernement du territoire entame de procédure d'appel, une nouvelle CST (dite CST3) a été instituée par la délibération n° 94-142 du 8 décembre 1994, qui a par ailleurs abrogé les deux délibérations relatives à la "CST2".

Le Conseil d'État par décision du 30 juin 1995 a confirmé le jugement du tribunal administratif de Papeete qui annulait l'institution de la première CST.

Cette décision implique la restitution de toutes les sommes perçues au titre des décisions annulées et constitue une charge pour le budget du territoire 1 ( * ) .

L'État s'est engagé à assurer la compensation au bénéfice du territoire des sommes perçues au titre de la CST1, qui auront été effectivement remboursées par le territoire. Les sommes correspondantes sont d'ailleurs prévues dans le cadre du collectif budgétaire de la fin de l'année 1995 pour un montant de 75,71 millions de francs.

Quant à la CST3, on peut enfin espérer que son assiette mettra un terme au "feuilleton à rebondissements" de ces deux dernières années. Entrée en vigueur au 1er janvier 1995, elle a élargi le champ de l'impôt aux activités perlicoles et agricoles, jusqu'alors quasiment exonérées de fiscalité, ainsi qu'à l'ensemble des activités non salariées. Celles-ci sont désormais soumises à un impôt sur les transactions. Le taux de la taxation varie de 0,25 % à 0,5 % selon les tranches et les secteurs d'activité concernés.

* 1 Les analyses qui suivent sont reprises du rapport pour 1994 de l'Institut d'émission d'Outre-mer.

* 1 14.470 demandes représentant 1.178 millions de francs CFP avaient déjà été déposées à fin 1994.

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