Rapport n° 163 (1995-1996) de M. Jacques GENTON , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 17 janvier 1996

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N° 163

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 janvier 1996

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, autorisant l'approbation de l' accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d' Ouzbékistan sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements

Par M. Jacques GENTON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, vice-présidents ; Mme Danielle Bidard-Reydet, Michel Alloncle, Jacques Genton, Jean-Luc Mélenchon, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Paul Chambriard, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Jean-Pierre Raffarin, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux, Serge Vinçon.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi tend à autoriser l'approbation de l'accord sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements, conclu entre la France et l'Ouzbékistan le 27 octobre 1993.

Cet accord -comme le traité d'amitié du 27 octobre 1993 et l'accord sur la liberté de circulation du 26 avril 1994, récemment examinées par notre commission 1 ( * ) - complète l'adaptation du cadre juridique des relations franco-ouzbèkes au contexte résultant de l'indépendance de l'Ouzbékistan qui, le 31 août 1991, a mis fin à la période russe, puis soviétique, de l'histoire de ce pays.

Votre rapporteur se permettra donc de renvoyer à son précédent rapport, consacré au traité d'amitié et à l'accord sur la liberté de circulation, en ce qui concerne le contexte bilatéral et interne dans lequel s'inscrit le présent accord.

Celui-ci est très comparable aux quelque quarante conventions de même objet conclues par la France. Ses stipulations, fidèles au modèle-type établi par l'OCDE, sont donc des plus familières à notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Destiné à contribuer à la sécurité des investissements français à l'étranger, ce type d'accord se réfère, de manière très classique, aux notions suivantes :

- traitement juste et équitable des investissements (au moins égal au traitement des nationaux ou à celui de la nation la plus défavorisée),

- libre transfert du capital investi et des revenus de l'investissement,

- indemnisation en cas de dépossession,

- recours à l'arbitrage en cas de différend entre un investisseur et le pays d'accueil, ou entre les deux Parties.

L'accord franco-ouzbek du 27 octobre 1993 vise donc à encourager le développement des investissements et de la présence économique de la France en Ouzbékistan (on ne relève, à ce jour, aucun investissement ouzbek en France).

*

* *

I. L'INSUFFISANTE PRÉSENCE FRANÇAISE EN OUZBÉKISTAN

Encore à ce jour très modeste, la présence économique française en Ouzbékistan pourrait être très opportunément développée, que l'on se réfère aux besoins de ce nouveau partenaire ou aux opportunités offertes par le marché ouzbek.

A. DES INVESTISSEMENTS FRANÇAIS RARES ET MODESTES

Les investissements français en Ouzbékistan se bornent à deux sociétés mixtes (sur les 1 600 joint-ventures à capitaux étrangers en Ouzbékistan -500 en fait si l'on considère les entreprises véritablement actives-) : Biomed, dans le secteur pharmaceutique, et Origate, dans l'équipement hôtelier et hospitalier et le traitement du coton.

Par ailleurs, on relève la participation française à la réalisation de grands travaux d'équipement. C'est ainsi que Technip contribue à la construction d'une raffinerie de pétrole dans la région de Boukhara. Ce projet s'inscrit dans la volonté de limiter la dépendance énergétique ouzbèke à l'égard de la Russie. Dans le domaine des transports, Thomson participe à la modernisation du système de contrôle de la circulation aérienne. D'autres projets, en voie de finalisation, concernent la participation de Bouygues à un investissement hôtelier à Tachkent, ainsi que la participation de la société Clextral à la modernisation d'une papeterie à Tachkent. Notons que la faiblesse de nos investissements handicape nos entreprises face à leurs concurrents occidentaux (américains, britanniques, coréens, allemands, italiens) qui disposent d'une présence plus étoffée sur le marché ouzbek.

B. DES ÉCHANGES ÉCONOMIQUES POTENTIELLEMENT PROMETTEURS

Ainsi que votre rapporteur le soulignait à l'occasion de son analyse du traité d'amitié franco-ouzbek 2 ( * ) , l'indépendance de l'Ouzbékistan et l'orientation de ce pays vers la transition économique post-soviétique ont ouvert des opportunités aux partenaires occidentaux de Tachkent.

. Les secteurs les plus prometteurs sont probablement les secteurs prioritaires de la coopération, définis par l'article 11 du traité d'amitié du 27 octobre 1993 : industrie, énergie, ressources minières, transports, télécommunications et agriculture. A ces secteurs s'ajoutent également les services de santé et la distribution d'eau potable, auxquels les autorités ouzbèkes attachent une grande importance.

. L' enjeu du développement de la présence économique française en Ouzbékistan est donc, d'une part, d'encourager la réussite des réformes économiques conduites en Ouzbékistan dans le contexte de la transition post-soviétique et, à ce titre, de favoriser l'ouverture de l'Ouzbékistan aux lois du marché ainsi que la diversification d'une économie excessivement spécialisée dans la monoculture du coton pendant la période soviétique.

D'autre part, le développement de la présence économique française en Ouzbékistan peut permettre à nos investisseurs de profiter des nombreuses potentialités offertes par ce marché. Rappelons, en effet, que le sous-sol de l'Ouzbékistan est riche en métaux non ferreux, en or, en charbon, et que les ressources en gaz et en pétrole sont relativement substantielles. Par ailleurs, il convient de souligner que l'Ouzbékistan était la troisième république soviétique par le volume des exportations, après la Russie et l'Ukraine, et que la présence dans ce pays de sites industriels non négligeables, notamment dans le secteur des constructions aéronautiques, plaide en faveur du développement des échanges franco-ouzbeks.

. Or, on remarque que la France possède une part modeste du marché ouzbek , n'occupant que le 19e rang parmi les fournisseurs hors CEI de l'Ouzbékistan , et se situant au 29e rang parmi ses clients non membres de la CEI. Les produits alimentaires de base (sucre, viande, céréales, produits laitiers) constituent l'essentiel de nos exportations, et le coton représente l'essentiel de nos importations.

*

* *

Tel est donc le contexte dans lequel se situe l'accord du 27 octobre 1993 sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements entre la France et l'Ouzbékistan.

II. UN ACCORD OPPORTUN AUX CLAUSES TRÈS CLASSIQUES

Fondé sur la volonté des deux Parties d'appliquer dans leurs relations en matière d'investissement les principes du droit international, le présent accord est susceptible de contribuer à consolider l'environnement juridique des investisseurs français et, à ce titre, rendre plus motivant le développement de notre présence économique dans un pays où l'insuffisance des garanties juridiques peut décourager nos investisseurs.

Comme tous les accords de même objet conclus par la France, et inspirés du modèle-type établi par l'OCDE, l'accord franco-ouzbek du 27 octobre 1993 définit un champ d'application élargi, prévoit un régime favorable aux investissements de l'autre partie, et se fonde sur un système de garanties renforcées par les procédures habituelles de règlement des différends.

A. UN CHAMP D'APPLICATION ÉLARGI

Conformément à toutes les conventions relatives à l'encouragement et à la protection des investissements, le présent accord s'appuie sur une définition extensive des investissements protégés, de manière à limiter les éventuels litiges.

- C'est ainsi que l'article 1 présente une énumération non limitative des investissements concernés par la convention. Le terme d'investissements renvoie donc « non exclusivement » aux biens meubles et immeubles, aux actions, aux obligations et créances, aux droits de propriété intellectuelle, commerciale et industrielle et aux concessions, sans que la modification juridique de la forme d'investissement n'affecte leur qualification d'investissement. A cet égard, la seule condition posée par l'article 1 vise la conformité aux lois de la partie contractante sur le territoire de laquelle est réalisé l'investissement.

- La définition de l' investissement qui résulte de l'article 1 est tout-à-fait classique (il s'agit de « toute personne physique possédant la nationalité de l'une des Parties contractantes », et de « toute personne morale constituée sur le territoire de l'une des Parties contractantes (...) et y possédant son siège social (...) »).

- Les revenus protégés par le présent accord sont, comme il est de coutume dans ce type de convention, « toutes les sommes produites par un investissement tels que bénéfices, redevances ou intérêts », ainsi que les revenus de l'éventuel réinvestissement. Les revenus de l'investissement et, le cas échéant, du réinvestissement bénéficient de la même protection que l'investissement.

- Notons que, à la différence de certains accords qui prévoient une date à partir de laquelle est effective la protection des investissements 3 ( * ) , l'accord franco-ouzbek applique ses garanties aux investissements effectués « avant ou après son entrée en vigueur » (art. 1).

B. UN RÉGIME FAVORABLE ASSORTI DE GARANTIES

En vertu de l'article 2, les Parties s'engagent à admettre et à encourager les investissements de l'autre Partie. Dans ce contexte, les articles 3 à 6 définissent un régime protecteur pour les investissements de l'autre Partie, qui constitue un régime de droit commun ne faisant pas obstacle à l'existence d'engagements plus favorables résultant, le cas échéant, d'accords particuliers.

1. Le principe du traitement juste et équitable (art. 3)

. L'article 3 prescrit d'assurer un traitement juste et équitable aux investissements des investisseurs de l'autre Partie. Dans cet esprit, les Parties s'engagent à ce que « l'exercice du droit ainsi reconnu ne soit entravé ni en droit ni en fait ». Sont notamment considérées comme entraves de droit ou de fait « toutes restrictions à l'achat et au transport de matières premières et de matières auxiliaires d'énergie et de combustibles, ainsi que des moyens de production et d'exploitation de tout genre ».

Chaque Partie s'engage également à examiner « avec bienveillance » les demandes d'entrée et d'autorisation de séjour et de travail présentées au titre d'un investissement réalisé par un investisseur de l'autre Partie.

. De manière générale, l'article 4 définit le « traitement juste et équitable » comme le traitement appliqué par chaque Partie à ses investisseurs ou à ceux de la Nation la plus favorisée , si celui-ci est plus avantageux.

L'article 4 préserve toutefois, comme tous les accords sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements, les privilèges accordés sur la base de l'appartenance à une union douanière, un marché commun ou « toute autre forme d'organisation économique régionale ».

2. Les garanties protectrices (art. 5)

L'article 5 assure aux investissements une « protection et une sécurité pleines et entières ».

Sont ainsi proscrites les mesures de dépossession (expropriation, nationalisation) à l'encontre des investisseurs de l'autre Partie, sauf cause d'utilité publique, et à condition que ces mesures donnent lieu au paiement d'une « indemnité prompte et adéquate dont le montant (...) doit être évalué par rapport à une situation économique normale et antérieure à toute menace de dépossession », qui doit être versée sans retard et librement transférable, et qui produit des intérêts jusqu'à la date de versement.

Par ailleurs, le risque politique (guerres ou tout autre conflit armé, révolution, état d'urgence national ou révolte) est garanti par l'article 5-3, qui précise que les pertes dues à ces événements bénéficieront d'un traitement qui ne serait pas moins favorable que celui accordé à ses propres investisseurs par le pays concerné.

Mentionnons toutefois que les garanties prévues par l'article 5 ne se substituent pas aux garanties susceptibles d'être accordées à tout investisseur par leur Etat d'origine, sous réserve que le projet d'investissement ait reçu l'agrément du pays d'accueil.

3. Le principe de la liberté des transferts (art. 6)

L'article 6 garantie le libre transfert des revenus de l'investissement, du produit de leur cession, des remboursements d'emprunt, des redevances, des indemnités de dépression ou de perte, ainsi que d'une « quotité appropriée » de la rémunération des personnes physiques. Ces transferts sont effectués au « taux de change normal officiellement applicable à la date du transfert ».

C. LE DOUBLE SYSTÈME DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

De manière classique, le présent accord prévoit deux procédures distinctes de règlement des différends, selon que ceux-ci opposent un investisseur à un Etat, ou les deux Etats entre eux.

1. Différends opposant un investisseur à un Etat (art. 8)

Les différends relatifs aux investissements entre l'Etat français ou l'Etat ouzbek et un investisseur de l'autre Partie sont réglés, si possible, à l'amiable. Ils relèvent de l'arbitrage du CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements) si aucun résultat n'a été atteint dans un délai de six mois.

2. Différends entre Etats (art. 11)

L'article 11 privilégie la voie diplomatique en vue du règlement des différends entre Etats. Le recours à un tribunal d'arbitrage est néanmoins prévu au terme d'un délai de six mois. L'article 11 prévoit en outre l'intervention du Secrétaire général des Nations Unies au cas où ledit tribunal d'arbitrage ne serait pas constitué dans le délai de deux mois prévu par l'article 11-3.

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* *

Sous le bénéfice de ces observations, votre rapporteur vous invite à émettre un avis favorable à l'approbation de l'accord franco-ouzbek de protection des investissements, dans l'espoir que celui-ci encouragera le développement de la présence économique française en Ouzbékistan et, ce faisant, favorisera le succès des réformes mises en oeuvre par les autorités ouzbèkes en vue de réussir la transition post-communiste.

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EXAMEN EN COMMISSION

Votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées avait approuvé, au cours de sa réunion du 30 novembre 1995, les projets de loi autorisant l'approbation de l'accord franco-ouzbek sur la liberté de circulation et la ratification du traité d'amitié et de coopération conclu entre la France et l'Ouzbékistan le 27 octobre 1993.

Votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du 17 janvier 1996.

A la suite de l'exposé de M. Jacques Genton, M. Xavier de Villepin a regretté la faiblesse de la présence économique française en Ouzbékistan, notant que ce pays possède d'intéressantes potentialités à explorer, et soulignant, avec le rapporteur, que l'Ouzbékistan peut être considéré comme un rempart contre l'islamisme dans une région où les enjeux stratégiques sont très importants.

Puis la commission a, suivant l'avis du rapporteur, adopté le présent projet de loi à l'unanimité.

PROJET DE LOI

(Texte proposé par le Gouvernement)

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Ouzbékistan sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements, signé à Paris le 27 octobre 1993 et dont le texte est annexé à la présente loi. 4 ( * )

* 1 Rapport n° 107, 1995-1996

* 2 Rapport n° 107, 1995-1996

* 3 ainsi l'accord franco-hongrois du 6 novembre 1986 ne concerne-t-il que les investissements effectués à partir du 31 décembre 1972.

* 4 Voir le texte annexé au document Sénat n° 116 (1995-1996)

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