Rapport n° 329 (1995-1996) de M. Michel ALLONCLE , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 24 avril 1996

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N° 329

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 24 avril 1996

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi , adopté sans modification par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République orientale de l' Uruguay sur l' encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un protocole).

par M. Michel ALLONCLE

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, vice-présidents ; Mme Danielle Bidard-Reydet, Michel Alloncle, Jacques Genton, Jean-Luc Mélenchon, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Jean-Pierre Raffarin, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux,

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi qui nous est soumis tend à autoriser l'approbation d'un accord d'encouragement et de protection réciproques des investissements entre la France et l'Uruguay.

Au XVIe siècle, Franciscains et Jésuites furent les premiers à gagner la confiance des tribus indiennes vivant le long de la rivière Uruguay. En 1726 les Espagnols fondèrent Montevideo et colonisèrent la « banda oriental », région est du fleuve Uruguay. Objet d'une longue rivalité entre Argentins et Portugais du Brésil, l'Uruguay accéda à l'indépendance en 1828, après que les Britanniques eurent contraint Argentins et Brésiliens à l'accepter.

Aujourd'hui, la capitale du pays, Montevideo, regroupe plus de la moitié des 3 millions d'habitants. Le reste se répartit dans des villes moyennes et un espace de pampa propice à l'élevage.

Après avoir précisé les grandes lignes de la situation politique et économique du pays, votre rapporteur rappellera les principales dispositions de cet accord bilatéral de protection et d'encouragement réciproques des investissements.

I. L'URUGUAY AUJOURD'HUI

A. L'URUGUAY : UN PAYS LONGTEMPS ATYPIQUE DU SOUS-CONTINENT

1. Une des premières démocraties sud-américaines

L'histoire a fait de l'Uruguay un pays singulier en Amérique latine. Dès le début du siècle, sous les deux mandats du Président « colorado » José Battle y Ordonez, l'Uruguay devient le premier Etat moderne de l'Amérique latine. Outre une réelle démocratie, longtemps confortée par une attitude loyaliste de l'armée, y furent institués un enseignement laïc et gratuit, et des systèmes généreux de protection sociale, d'aides familiales et de retraite.

La stabilité politique du pays se traduisit par le maintien au pouvoir, pendant 90 ans, jusqu'en 1958, de la famille politique « colorado » regroupant les forces libérales. A cette date, les élections furent remportées par les « blancos » conservateurs.

2. La crise terroriste et la dictature militaire

Se greffant sur une grave crise économique et sociale qui succédait à une longue période de prospérité, le développement des menées terroristes du mouvement « Tupamaros » incita l'armée à intervenir dans la conduite politique du pays. En février 1973, l'armée prit le pouvoir dans le cadre du nouveau Conseil National de Sécurité. Il s'ensuivit une dictature militaire particulièrement pesante qui dura onze années : dissolution du Parlement, du principal syndicat et des partis politiques, répression sévère du mouvement Tupamaros, considéré comme éradiqué en 1975.

Comme elle s'y était engagée en 1981, la junte militaire organisa, en novembre 1984, des élections générales qui clorent la période dictatoriale par l'accession de M. Julio Maria Sanguinetti à la tête de l'Etat. Ce retour à la démocratie fut associé à l'effacement du passé : libération et amnistie des détenus politiques tupamaros dont le chef du mouvement Raul Sendic. En revanche, « l'oubli » des exactions commises par les militaires pendant la dictature, à travers l'adoption d'une « loi de caducité» suscita de nombreuses réticences et fut à l'origine de tensions entre partis, alors qu'un accord général était cependant trouvé en 1986 sur le programme « de croissance économique et d'amélioration sociale du pays ».

3. La démocratie consacrée

Les élections du 26 novembre 1989 ont consacré le retour à la démocratie en provoquant l'alternance. M. Alberto Lacalle, du courant « blanco » a été élu Président de la République alors qu'un candidat du Fronte amplio (Front élargi), regroupant des forces de gauche, accédait à la mairie de Montevideo.

Les dernières élections du 27 novembre 1994 ont porté à nouveau au pouvoir M. Sanguinetti. Aucune formation ne disposant de la majorité, le gouvernement, à majorité « colorado », comprend 4 représentants « blanco ». Cette coalition fonctionne correctement et a permis la réalisation de réformes dont celle des retraites. Sur le plan économique, l'inflation est maîtrisée ainsi que le déficit fiscal. Pour l'avenir, le gouvernement s'est assigné la réforme de l'Etat, celles de la constitution et du système éducatif.

B. UNE ÉCONOMIE CONVALESCENTE

1. Une évolution positive

Sur le plan économique, la décennie 1980-1990 a été difficile pour l'Uruguay : inflation, ralentissement de la croissance, faiblesse des investissements, fort déficit public.

Depuis 1990, la croissance a repris (+13,8 % entre 1990 et 1994) et l'inflation, de 130 % en 1990, est passée à 35 % en 1995. Le déficit public a été réduit et l'excédent de balance des paiements persiste. Le chômage est stabilisé à 9 % de la population active et l'investissement a augmenté de 10 % de 1993 à 1994.

2. Les structures de l'économie uruguayenne

L'Uruguay dispose d'une agriculture prospère : les principales richesses sont liées à l'élevage avec un important cheptel ovin (26 millions) et bovin (plus de 10 millions). En outre, le bois et la pêche permettent à l'Uruguay d'avoir une balance agricole excédentaire.

Sur le plan industriel, outre les activités dérivées de l'agriculture -laines, peaux, textiles-, l'Uruguay bénéficie d'une capacité d'énergie hydroélectrique considérable qui en fera un exportateur d'électricité grâce au barrage de Yacireta.

3. L'intégration régionale : un enjeu essentiel

La mise en oeuvre, le 1er janvier 1995, du Marché commun des pays du Cône sud (Mercosur) qui regroupe l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay -et qui prévoit à compter de cette date la suppression des barrières douanières entre ces quatre pays-, est un élément particulièrement important pour l'Uruguay. Sa position géographique, qui enserre ce petit pays de 175 215 km² entre ses deux puissants et vastes voisins que sont l'Argentine au sud et le Brésil au nord, légitime plus encore que pour tout autre pays, cette démarche d'intégration économique subrégionale vers un vaste marché de 300 millions d'habitants qui constitue aussi l'axe essentiel de la diplomatie uruguayenne. L'Uruguay est également un membre actif de l'Association Latino-américaine d'intégration (ALADI), dont le siège est d'ailleurs établi à Montevideo.

Cette intégration économique est source d'ambitieux projets d'infrastructure, en particulier dans le domaine des voies de communication destinées à relier, à travers l'Uruguay, ses deux grands voisins, brésilien et argentin.

C. LES RELATIONS DE L'URUGUAY AVEC LA FRANCE

Nos relations politiques, qui avaient souffert de la période dictatoriale, ont repris leur densité depuis 1985 avec le retour au pouvoir d'un gouvernement civil ; la prochaine visite en France du Président Sanguinetti, prévue pour octobre 1996, devrait conforter la bonne qualité de ces rapports bilatéraux.

Sur le plan économique, la situation est contrastée : si nous ne sommes que le 12e client de l'Uruguay et son 7e fournisseur, avec une balance excédentaire en notre faveur depuis 1991, nous sommes particulièrement présents -situation assez rare dans la région- par la force de nos investissements puisque nous nous classons, selon les années, en deuxième ou troisième place, derrière les Etats-Unis et l'Argentine. Notre stock d'investissement s'élevait en 1993 à 144 millions de dollars. Notre présence est particulièrement notable dans les secteurs de la parachimie et de la pharmacie (Rhône-Poulenc, Mérieux), de l'agro-alimentaire et des banques (BNP). Notre part est ainsi substantielle dans le secteur lainier avec les groupes Chargeurs SA et Devawrin.

Les sociétés Alcatel, Air Liquide, Sogreah, Sade (groupe CGE) sont également présentes en Uruguay. Enfin, en septembre 1994, une filiale de Gaz de France a obtenu la concession du gaz de Montevideo.

La coopération culturelle est traditionnellement assez dense avec l'Uruguay. Elle représentait en 1995, 20,8 millions de francs dont 4,12 millions en crédits d'intervention. Le lycée français de Montevideo traverse en ce moment une phase difficile. Pour différentes raisons, son image n'est plus aussi attractive qu'auparavant et nombreuses sont les familles uruguayennes, notamment les plus aisées, qui lui préfèrent l'enseignement privé, voire d'autres établissements du secteur public. La non-reconnaissance du baccalauréat français en Uruguay en est l'une des causes, le lycée scolarisant une très grande majorité d'élèves nationaux. De surcroît, la langue française ne bénéficie plus de l'accueil qui lui était autrefois réservé. Les parents d'élèves et le corps enseignant uruguayens semblent considérer l'anglais comme davantage prioritaire. Un dialogue s'est engagé avec le gouvernement uruguayen afin de redonner à cet établissement la spécificité et la qualité qui caractérisent la très grande majorité de nos établissements à l'étranger.

II. L'ACCORD DU 14 OCTOBRE 1993

La France a déjà conclu 68 accords de cette nature dont 47 sont entrés en vigueur. Votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées est désormais familière des principales dispositions de ce type d'accord dont votre rapporteur rappellera l'économie générale.

A. LE DISPOSITIF D'ENCOURAGEMENT

Après avoir défini précisément la notion d' « investissements », de « sociétés » et de « revenus », entrant dans le champ d'application de l'accord (article 1), le texte pose le principe de l'admission et de l'encouragement des investissements français en Uruguay et uruguayens en France.

Le traitement proposé aux investissements de l'autre partie devra reposer sur les principes de justice et d'équité. Aucune entrave, ni de droit, ni de fait, n'est susceptible d'affecter l'exercice ainsi reconnu du « droit à l'investissement » sur le territoire de l'autre partie (article 3).

Le traitement national sera proposé aux investissements de l'autre partie, ce qui signifie que ces derniers ne seront pas traités moins favorablement que les investissements nationaux, ni, en tout état de cause, que les investissements provenant de sociétés ou de nationaux de la nation la plus favorisée.

Traditionnellement, ces traitements ne comportent pas les privilèges spécifiques reconnus aux investissements émanant de sociétés ou de nationaux d'Etats tiers liés à l'un des deux Etats parties dans le cadre d'une zone de libre-échange, d'une union douanière ou d'un marché commun.

B. LE DISPOSITF DE PROTECTION

Les garanties offertes concernent en premier lieu les hypothèses d'expropriation ou de nationalisation ou toute autre mesure tendant à déposséder, directement ou indirectement, les nationaux ou sociétés d'une des parties ayant investi sur le territoire de l'autre.

Si de telles mesures devaient intervenir, elles donneraient lieu au paiement d'une indemnité « prompte et adéquate ».

En outre, si l'investisseur d'une des parties subit des pertes liées à une guerre, un conflit armé, une révolution, ou tout événement de cette nature qui surviendrait dans l'autre Etat, il bénéficiera, de la part de ce dernier, d'un « traitement non moins favorable que celui accordé à ses propres nationaux ou sociétés ».

Par ailleurs, le principe est posé du libre transfert, du pays où l'investissement est réalisé vers le pays d'où est originaire l'investisseur, des ressources générées par l'investissement : intérêts, dividendes, bénéfices, produits de la vente partielle ou totale, etc ... Les nationaux de chacun des pays, appelés à travailler dans l'autre Etat dans le cadre des investissements autorisés, peuvent rapatrier leur rémunération.

Enfin, les investissements dûment agréés par l'Etat d'accueil pourront bénéficier d'une garantie de l'Etat d'origine de l'investisseur (article 7).

C. LE DISPOSITIF DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

Pour le règlement des différends, deux procédures distinctes sont prévues :

- Litige entre un des deux Etats et un investisseur de l'autre Etat

Si le différend ne peut faire l'objet d'un règlement amiable dans les six mois qui suivent son apparition, il est soumis, à la demande de l'investisseur :

- soit aux juridictions uruguayennes s'il s'agit d'un investisseur français en Uruguay, soit aux juridictions françaises dans le cas d'un investisseur uruguayen en France ;

- soit à l'arbitrage international . Dans cette hypothèse, deux formules sont prévues : le recours au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ; ou le recours à un tribunal ad hoc de 3 membres, établis selon le règlement d'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI).

En tout état de cause, les sentences arbitrales s'imposeront aux parties au différend.

Le recours à l'arbitrage revêt un caractère définitif et est exclusif de toute autre procédure. Quant au recours devant les juridictions nationales, il exclut l'arbitrage international sauf si l'investisseur se désiste de la procédure judiciaire avant le jugement, ou si ce dernier n'est pas conforme aux dispositions de l'accord.

- Litige sur l'interprétation ou l'application de l'accord

La voie diplomatique est d'abord privilégiée. Si elle n'aboutit pas dans un délai d'un an, le différend est soumis, à la demande de l'une des parties contractantes, à un tribunal d'arbitrage de trois membres, qui prend ses décisions à la majorité de voix. Ses décisions sont définitives et exécutoires de plein droit pour les parties en cause.

CONCLUSION

Après les récents accords d'investissements conclus avec le Brésil, la Bolivie, le Pérou et l'Equateur, la présente convention avec l'Uruguay traduit l'intérêt, pour les entreprises françaises, d'accroître et d'assurer leur présence sur un continent qui tend vers son unification commerciale dans un contexte de forte croissance.

Pour ces raisons, votre rapporteur ne peut que vous recommander l'adoption du projet de loi qui nous est soumis.

EXAMEN EN COMMISSION

Votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 24 avril 1996.

La commission a approuvé le projet de loi qui lui était soumis.

PROJET DE LOI

(Texte adopté par l'Assemblée nationale)

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République orientale de l'Uruguay sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements, signé à Paris le 14 octobre 1993 et dont le texte est annexé à la présente loi. 1 ( * )

* 1 Voir document Sénat n°290 (1995-1996).

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