II. LA MISSION DU LEGISLATEUR ORGANIQUE : TIRER PLEINEMENT PARTI DES POTENTIALITÉS DE LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE TOUT EN RESTANT DANS LE CADRE FIXE PAR LE CONSTITUANT

La préoccupation première du législateur organique doit être de mettre en oeuvre 1' « habilitation constitutionnelle » qu'il tient de la révision du 22 février 1996 de telle sorte que le Parlement puisse, le moment venu, exercer pleinement ses responsabilités sans sortir toutefois du cadre assigné par le Constituant.

À cet égard, votre rapporteur, lors de ses travaux préparatoires, a constaté avec satisfaction que les rédacteurs du projet de loi organique s'étaient soigneusement gardés d'introduire dans ce texte des dispositions portant, non pas sur les lois de financement proprement dites mais sur la sécurité sociale elle-même.

Dans cette optique, votre rapporteur considère que la loi organique soumise à l'examen du Sénat doit demeurer une « loi de procédure » . Or, la frontière séparant la forme et le fond est parfois difficile à tracer.

Les débats de l'Assemblée nationale en ont d'ailleurs apporté la démonstration, en particulier au moment de l'élaboration de l'article L.O. 111-5 du code de la sécurité sociale relatif aux besoins de trésorerie en cours d'exercice des régimes obligatoires de base.

A. LES TRAVAUX DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE : UN ENRICHISSEMENT SIGNIFICATIF DU PROJET DE LOI ORGANIQUE

Le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale diffère assez sensiblement du projet de loi organique initial et a donné lieu à un débat approfondi aboutissant sur nombre de points à des avancées significatives.

Votre commission des Lois relève d'ailleurs que le Gouvernement a émis un avis favorable sur la plupart de ces modifications ou qu'il a accepté, pour certaines, de s'en remettre à la sagesse des députés.

En dehors de plusieurs amendements de forme, qui sont commentés dans la seconde partie du présent rapport, on peut récapituler les principales modifications adoptées par l'Assemblée nationale sous deux rubriques : le contenu des lois de financement et leur procédure d'élaboration.

1. Le contenu des lois de financement

Selon le texte initial présenté par le Gouvernement, les lois de financement pourraient comporter cinq types de dispositions, dont l'Assemblée nationale a précisé le contenu dans l'optique d'être la plus fidèle possible au cadre assigné par le Constituant.

a) La détermination des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale.

Dans le projet de loi organique présenté par le Gouvernement, la loi de financement de la sécurité sociale se limiterait à « approuver les orientations et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale » .

En pratique, cette approbation serait donnée par le vote d'un rapport dont le ministre a clairement précisé qu'à ses yeux, il serait amendable par le Parlement.

Ce rapport est mentionné à l'article L.O. 111-4 du projet de loi organique. Il présenterait dans un cadre pluriannuel les orientations et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale.

Sur proposition de sa commission spéciale, l'Assemblée nationale a supprimé la référence au cadre pluriannuel de présentation des orientations et des objectifs.

S'agissant de l'acte d'approbation lui-même, l'Assemblée nationale avait, dans un premier temps, estimé préférable -contre l'avis de sa commission spéciale et du Gouvernement- de supprimer purement et simplement l'alinéa correspondant (amendement n° 30 de M. Jean-Pierre Delalande).

La crainte de M. Jean-Pierre Delalande était double :

- d'une part, que le rapport dont l'approbation serait demandée au Parlement ne donne lieu à un interminable débat d'amendements,

- d'autre part, que l'approbation d'un rapport amendable ne dénature les lois de financement en les transformant en textes fourre-tout ou en une sorte de DMOS.

Cette crainte est tout à fait fondée à partir du moment ou un rapport d'orientation comporte inévitablement des développements les plus divers.

Toutefois, en seconde délibération, à la demande du Gouvernement, l'Assemblée nationale a rétabli le texte dans une formulation légèrement différente.

Sur le plan des principes, en effet, il est indispensable de définir l'objet du vote -c'est-à-dire ce sur quoi les assemblées devront statuer- car en l'absence d'une disposition expresse, on voit mal comment le Parlement pourrait se prononcer sur les conditions générales de l'équilibre financier.

Dès lors, le silence du texte n'aurait pas permis de respecter le cadre fixé par la Constitution.

En l'état, le texte rétabli par l'Assemblée nationale dispose ainsi que la loi de financement de l'année « approuve les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale » .

Cette approbation serait exprimée par le vote sur le rapport visé à l'article L.O. 111-4.

b) Les prévisions des recettes

Dans le projet de loi organique initial, le Parlement ne se serait pas prononcé sur les recettes, mais aurait seulement disposé d'un état prévisionnel desdites recettes, au vu duquel il aurait fixé les objectifs de dépenses.

L'Assemblée nationale a jugé à juste titre que ce mécanisme demeurait en deçà du cadre assigné par le Constituant, à partir du moment où l'article 34 de la Constitution dispose bien que les lois de financement de la sécurité sociale comportent des prévisions de recettes. Là encore, cela implique que le Parlement puisse d'une façon ou d'une autre émettre un vote sur ces prévisions de recettes.

En d'autres termes, les recettes doivent figurer dans le corps même de la loi pour que celle-ci respecte le cadre constitutionnel.

Sur proposition de sa commission spéciale, assortie d'un sous-amendement du Gouvernement (destiné à intégrer non seulement les recettes des régimes obligatoires de base, mais aussi celles des organismes créés pour concourir à leur financement), l'Assemblée nationale a donc décidé de permettre clairement au Parlement de statuer sur les prévisions de recettes dans la loi de financement elle-même et non par le simple détour d'une annexe informative qui n'aurait pas été amendable.

c) Les objectifs de dépenses

L'Assemblée nationale a approuvé le principe proposé par le Gouvernement de distinguer :

- d'une part, les objectifs de dépenses de l'ensemble des régimes obligatoires de base comportant plus de vingt mille cotisants,

- d'autre part, un objectif national de dépenses d'assurance maladie.

À la différence du projet de loi organique, toutefois, l'Assemblée nationale a jugé préférable que les objectifs autres que l'objectif national des dépenses d'assurance maladie soient fixés par branche (branche « vieillesse », branche « famille », etc.), jugeant qu'un vote par régime aurait été peu significatif compte tenu du nombre et de la très grande diversité des régimes concernés.

L'objectif national de dépenses d'assurance maladie devra quant à lui être fixé en montant et non en pourcentage d'évolution d'une année sur l'autre, contrairement à ce qu'avait initialement envisagé le Gouvernement.

d) Les autres dispositions législatives susceptibles d'être incluses dans les lois de financement de la sécurité sociale.

À s'en tenir au projet de loi organique initial, les lois de financement auraient pu contenir en outre « toutes dispositions législatives contribuant à l'équilibre financier prévisionnel des régimes obligatoires de base » .

Fidèle à l'objectif du Constituant de limiter dans toute la mesure du possible l'introduction de « cavaliers sociaux » dans les lois de financement -pour ne pas faire tomber dans la dérive des DMOS ni susciter d'interminables débats- l'Assemblée nationale a précisé cette rédaction initiale dans un sens plus limitatif.

Ainsi, les lois de financement ne pourraient contenir, outre les objectifs et prévisions précédemment évoqués, que des dispositions de nature législative « contribuant à assurer » l'équilibre financier prévisionnel de la sécurité sociale.

D'autre part, l'Assemblée nationale a établi un mécanisme de protection du domaine des lois de financement, inspiré de celui applicable aux lois de finances.

Ce mécanisme, retracé plus en détail dans la seconde partie du présent rapport, prévoit en particulier l'irrecevabilité des amendements et la disjonction des articles non conformes aux dispositions limitant le domaine des lois de financement de la sécurité sociale.

e) La fixation des limites de couverture des besoins de trésorerie des régimes de sécurité sociale par des ressources externes

Dans sa rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, l'article L.O. 111-5 adopté par l'Assemblée nationale dispose que la loi de financement de la sécurité sociale fixerait les limites dans lesquelles les besoins de trésorerie en cours d'exercice des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement pourraient être couvertes par des ressources externes.

Cette disposition a donné lieu à un débat approfondi, d'abord au sein de la commission spéciale puis en séance publique.

Elle pose en effet le problème très délicat de ce qu'on peut appeler « l'endettement » de la sécurité sociale, même si sur le plan strictement juridique, les mécanismes d'avances actuellement mis en oeuvre maintiennent la fiction de son non-endettement.

La commission spéciale de l'Assemblée nationale souhaitait que le Parlement puisse se prononcer, non seulement sur les ressources de trésorerie proprement dites, mais aussi sur les éventuels emprunts à moyen et long terme des organismes de sécurité sociale.

Le Gouvernement s'est opposé à cette initiative, au motif « que ce serait reconnaître par avance que la sécurité sociale vit avec des ressources d'emprunt, et il faudrait craindre que s'instaure une sorte d'habitude » .

Au terme d'une longue discussion et d'une suspension de séance, la commission spéciale, compte tenu des objections du Gouvernement, a proposé un nouvel amendement dont son rapporteur a bien souligné qu'« il ne correspond pas tout à fait à l'ambition » de cette commission. Il a cependant souligné que « dans un régime bicaméral, il y a des navettes et le Sénat pourra donc approfondir le débat sur ce sujet » .

Le texte qui nous est présenté doit donc être considéré comme seulement transitoire, le Gouvernement ayant assuré de son côté qu'il ne manquerait pas d'« apporter lui aussi ses lumières » dans la suite de ce débat.

2. La procédure d'élaboration des lois de financement

Sur ce point, le projet de loi organique initial ne comportait que deux dispositions :

- la première, selon laquelle le projet de loi de financement de la sécurité sociale de l'année serait déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale trente jours au plus tard après l'ouverture de la session ordinaire (article L.O. 111-6).

- la seconde, prévoyant que le Gouvernement saisit le Sénat du texte qu'il a initialement présenté, modifié le cas échéant par les amendements votés par l'Assemblée nationale et acceptés par lui, dans l'hypothèse où celle-ci n'aurait pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet de loi de financement dans le délai prévu par l'article 47-1 de la Constitution, soit vingt jours.

L'Assemblée nationale, tout en approuvant le texte du Gouvernement, a sensiblement accru ces dispositions de procédure, dont le détail est retracé dans la seconde partie du présent rapport.

Ses adjonctions les plus notables, au nombre de trois, méritent une mention particulière :

a) Un délai de vingt jours accordé au Sénat pour l'examen en première lecture du projet de loi de finances.

Alors même que la Constitution n'avait pas prévu de délai particulier pour le Sénat (sauf dans le cas où l'Assemblée nationale ne se serait pas prononcée dans les vingt jours), l'Assemblée nationale a jugé opportun d'accorder au Sénat vingt jours pour l'examen du projet de loi de financement en première lecture, c'est-à-dire le même délai qu'à elle-même.

Sensible à cette mesure allant dans le sens d'un bicaméralisme plus équilibré, votre commission des Lois n'en observe pas moins qu'elle pourrait se révéler difficilement compatible avec le rythme de travail du Sénat en automne.

Le Sénat doit en particulier tenir compte de ses propres contraintes d'examen de la loi de finances, qui sont évidemment très différentes de celles de l'Assemblée nationale puisqu'il ne dispose à cette fin que de vingt jours au lieu de quarante.

Dans ces conditions, votre commission des Lois, en plein accord avec la commission des Affaires sociales et la commission des Finances, considère que ce délai de vingt jours proposé au Sénat par l'Assemblée nationale aurait sans doute plus d'inconvénients que d'avantages.

b) L'examen du projet de loi de financement selon la procédure d'urgence

Comme la loi de finances, la loi de financement serait examinée selon la procédure d'urgence, c'est-à-dire que la commission mixte paritaire pourrait être réunie après une seule lecture dans chaque assemblée.

Compte tenu du délai total d'examen de la loi de financement accordé au Parlement par l'article 47-1 de la Constitution, soit cinquante jours, l'Assemblée nationale a été animée par le souci de permettre l'achèvement de la procédure avant la fin de l'année, de façon à ce que la loi de financement puisse être mise en application dès le début de l'année suivante.

Le recours à la procédure d'urgence avait d'ailleurs été envisagé comme une perspective probable lors des travaux sur la révision constitutionnelle.

Votre commission des Lois rappelle néanmoins que la convocation d'une commission mixte paritaire n'est jamais une obligation pour le Premier ministre. Il s'agit seulement d'une faculté, dont il est libre d'user ou de ne pas user.

c) L'institution d'un mécanisme de sauvegarde si l'objectif national de dépenses d'assurance maladie n'a pu être fixé avant le début de l'exercice.

Sur le plan de la procédure, la troisième adjonction la plus notable de l'Assemblée nationale résulte d'un amendement de M. Jean-Pierre Delalande.

L'article L.O. 111-8 instaure un mécanisme de sauvegarde dans l'hypothèse où l'objectif national de dépenses d'assurance maladie n'aurait pas pu être fixé avant le début de l'exercice. Dans ce cas, l'objectif de l'année précédente serait reconduit.

Peu convaincu que ce dispositif trouve réellement à s'exercer. Gouvernement s'est contenté sur ce point de s'en remettre à la sagesse de l'Assemblée nationale.

B. LES ORIENTATIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : RECENTRER LA LOI DE FINANCEMENT SUR L'ESSENTIEL ET RENDRE SON EXAMEN COMPATIBLE AVEC CELUI DE LA LOI DE FINANCES

Lors la révision constitutionnelle, le Sénat a vivement souhaité que les lois de financement de la sécurité sociale soient des lois brèves, centrées sur l'essentiel, et dont l'examen en séance publique n'excède pas des durées raisonnables.

De même, il est très vite apparu qu'il serait impératif d'organiser une conciliation la plus rationnelle possible entre le calendrier d'examen de la loi de financement et celui de la loi de finances, notamment au Sénat qui dispose seulement de vingt jours pour examiner le budget en première lecture, à la différence de l'Assemblée nationale qui dispose de quarante jours.

*
* *

Dans son rapport écrit, le rapporteur de la commission spéciale de l'Assemblée nationale estimait que « le contenu des lois de financement demeure perfectible » et que « les dispositions procédurales doivent être complétées » .

Votre commission des Lois a partagé le même point de vue à propos du texte dont elle était saisie, et s'est efforcée de prolonger la démarche de l'Assemblée nationale en fonction des objectifs qui viennent d'être rappelés.

1. Les lois de financement de la sécurité sociale doivent permettre au Parlement de se prononcer de façon claire sur des choix essentiels

Conformément à la Constitution, les lois de financement doivent déterminer les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale.

Pour satisfaire à cette exigence constitutionnelle, il est nécessaire que certains choix fondamentaux qui déterminent ces conditions générales puissent figurer dans le corps même de la loi de financement.

Or, dans la rédaction retenue par l'Assemblée nationale, le Parlement se contenterait d'approuver un rapport présenté par le Gouvernement.

Cette formule ne paraît pas conférer sa pleine effectivité à l'article 34 de la Constitution, car elle se limite à l'approbation d'un rapport purement descriptif.

Pour demeurer aussi proche que possible du texte constitutionnel, votre commission des Lois présente un amendement conférant un contenu à la fois plus concret et plus normatif à la loi de financement en ce qui concerne la détermination des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale.

2. L'exercice du droit d'amendement doit pouvoir s'exercer pleinement mais sans conduire à une surcharge de la séance publique

Le système d'approbation d'un rapport aurait outre un inconvénient pratique non négligeable : celui de déplacer l'exercice du droit d'amendement sur le rapport, non sur la loi de financement elle-même.

Or l'expérience enseigne qu'en pareil cas, le risque de dérive n'est pas négligeable, comme on le constate souvent lors de la discussion de lois d'orientation approuvant des rapports annexés, notamment les lois de Plan.

En pratique, ces rapports se présentent généralement comme des exercices plus descriptifs -voire plus littéraires- que réellement normatifs. Ils peuvent, comme tels, donner prise à une multitude d'amendements.

Votre commission des Lois y a vu un motif supplémentaire pour proposer au Sénat un autre dispositif selon lequel le rapport ne serait conçu que comme un simple document informatif laissé à l'entière responsabilité du Gouvernement. Ce rapport ne serait donc plus amendable.

Le droit d'amendement porterait en revanche sur le texte même de la loi, ce qui éviterait les dérives si, comme il se doit, la loi de financement demeure un texte concis, axé sur l'essentiel.

D'autre part, votre commission des Lois propose au Sénat plusieurs modifications relatives aux règles de recevabilité des amendements adoptées par l'Assemblée nationale. Loin de les contredire, elles tendent au contraire à leur conférer une plus grande efficacité, tout en demeurant compatibles avec la pratique de chaque assemblée.

3. Les conditions d'examen de la loi de financement doivent être compatibles avec la discussion de la loi de finances au Sénat

Dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, la période de l'année durant laquelle la loi de financement devrait être discutée se situe en automne.

Lors de la révision constitutionnelle, votre rapporteur avait pourtant souligné que l'article 47-1 de la Constitution fixait des délais mais qu'il ne fixait pas le moment du dépôt du projet de loi de financement.

En pratique, plusieurs périodes ont pu être envisagées : l'une en automne -c'est celle que l'Assemblée nationale a finalement retenue sur la proposition du Gouvernement- l'autre en janvier, voire plus tard, comme l'avait préconisé le président de la commission des Finances du Sénat, M. Christian Poncelet, lors de la révision constitutionnelle, ou au printemps, comme M. Jean-Pierre Delalande l'a proposé à l'Assemblée nationale.

Pour le Président Christian Poncelet, l'objectif essentiel était d'éviter le « télescopage » entre l'examen de la loi de financement et celui de la loi de finances, en particulier au Sénat, car celui-ci ne dispose que de vingt jours pour examiner le budget en première lecture.

De cette période de vingt jours, il serait matériellement impossible de divertir quinze jours pour l'examen du projet de loi de financement.

Le problème ne se poserait pas s'il avait été prévu que le projet de loi de financement soit déposé sur le Bureau du Sénat plutôt que sur celui de l'Assemblée nationale. Le Sénat aurait alors pu examiner ce projet pendant que l'Assemblée aurait examiné le projet de loi de finances.

C'est la formule qu'avait préconisée notre excellent Collègue, M. Jacques Oudin, dans un amendement dont l'exposé des motifs mérite d'être cité :

« La discussion en parallèle de la loi de financement de la sécurité sociale et de la loi de finances va poser un problème pratique d'encombrement de l'ordre du jour, qui risque de rendre inconciliables les délais impératifs fixés pour chacune de ces deux lois.

« Une solution pragmatique consisterait à déposer la loi de financement d'abord sur le Bureau du Sénat. Celui-ci pourra ainsi se prononcer avant d'engager la discussion budgétaire, puis l'Assemblée nationale pourra à son tour se prononcer après avoir adopté la loi de finances. De cette façon, les discussions des deux catégories de lois alterneront harmonieusement au lieu de se contrarier (...) » .

Le Président Michel Dreyfus-Schmidt a défendu le même point de vue en séance publique, mais le Constituant a finalement opté pour le dépôt en premier sur le Bureau de l'Assemblée nationale.

Quoi qu'il en soit, fidèle à la position qu'il avait soutenue lors de la révision constitutionnelle, le Gouvernement a souhaité que la discussion du projet de loi de financement de l'année intervienne durant l'automne, afin de faire prévaloir la coordination la plus étroite possible entre la loi de finances et la loi de financement.

Pour M. Jacques Toubon, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, le principe devant guider l'examen de ces deux textes était en effet résumé dans la formule suivante : « dépôt décalé, discussion intercalée, adoption quasi simultanée » .

Votre commission des Lois n'a pas remis en cause le choix de l'automne pour l'examen de la loi de financement, même s'il ne résulte aucunement d'une obligation constitutionnelle. Mais elle a dû tirer les conséquences de ce choix, en réaménageant le calendrier proposé par l'Assemblée nationale.

Dans ce cadre, reste à s'interroger sur la date du dépôt du projet de loi de financement.


• L'Assemblée nationale propose que ce dépôt intervienne trente jours au plus tard après l'ouverture de la session ordinaire, c'est-à-dire, en pratique, aux alentours du 30 octobre.

Le problème est qu'en l'espèce, le calendrier d'examen du projet de loi de finances est enserré comme celui de la loi de financement dans des délais constitutionnels stricts dont il convient de rechercher la meilleure conciliation possible.

La date de dépôt du projet de loi de financement de l'année est donc d'une importance capitale dans la mesure où elle commande la suite du programme d'examen de ces deux textes.

Ainsi qu'il a été dit, une des principales préoccupations du Sénat, lors de la révision constitutionnelle, était d'éviter dans toute la mesure du possible le chevauchement entre l'examen en séance publique de la loi de finances et de la loi de financement.

Car il ne faudrait pas que l'extension des compétences du Sénat en matière d'équilibre financier de la sécurité sociale soit au détriment de ses pouvoirs budgétaires.

Or, le Sénat ne dispose que de vingt jours pour examiner la loi de finances en première lecture, alors que l'Assemblée nationale dispose de quarante jours.

Il en résulte que la discussion du budget en séance publique débute au Sénat dès que celui-ci est saisi du texte voté par l'Assemblée nationale et qu'elle se déroule selon un calendrier particulièrement serré.

Dans ces conditions, il est impossible pour le Sénat d'insérer la discussion de la loi de financement dans celle de la loi de finances.

Pour éviter cet écueil, il faut donc que le Sénat soit saisi du projet de loi de financement assez tôt pour qu'il ait eu le temps d'en achever l'examen en première lecture avant que ne commence celui de la loi de finances.

Or, puisque le Sénat intervient en second, cet objectif ne pourra être respecté que si le projet de loi de financement est déposé assez tôt sur le Bureau de l'Assemblée nationale.

La formule proposée aujourd'hui par le Gouvernement et adoptée par l'Assemblée ne répond pas à cette préoccupation du Sénat.

C'est pourquoi votre commission des Lois, en plein accord avec la commission des Finances et la commission des Affaires sociales, propose au Sénat de prévoir que le projet de loi de financement soit déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale, non pas trente jours au plus tard, mais au plus tard le quinze octobre, ou le premier jour ouvrable qui suit si cette date tombe un jour férié.

De cette sorte, même si l'Assemblée nationale utilise intégralement son délai de vingt jours pour examiner en première lecture le projet de loi de financement, le Sénat serait saisi du texte le 5 novembre.

Le projet de loi de finances ne lui étant transmis qu'aux alentours du 20 novembre -soit quinze jours plus tard- le Sénat serait ainsi à même d'avoir achevé l'examen en séance publique du projet de loi de financement avant que débute l'examen en séance publique du projet de loi de finances, pour peu toutefois qu'il ne consacre pas plus de quinze jours à la loi de financement.

Bien entendu, cet échéancier suppose que le Gouvernement respecte effectivement les délais prévus et même qu'il s'efforce de déposer le projet de loi de financement sur le Bureau de l'Assemblée nationale un peu avant la date limite prévue par la loi organique.

En cas de dépôt tardif, en revanche, il faudrait :

- soit interrompre la discussion budgétaire au Sénat pour permettre l'examen du projet de loi de financement, ce qui n'est pas envisageable car le budget doit impérativement être votée aux alentours du 20 décembre de manière à être promulgué avant le commencement de l'exercice suivant ;

- soit différer l'examen du projet de loi de financement, avec tous les inconvénients que cela implique.

C'est pourquoi votre commission des Lois considère que cette date du 15 octobre constitue à la fois une sauvegarde indispensable et une garantie de pouvoir adopter à temps la loi de financement de la sécurité sociale sans porter atteinte aux pouvoirs budgétaires du Sénat.

En définitive, la date du 15 octobre représente la conséquence nécessaire du dépôt du projet de loi de financement sur le Bureau de l'Assemblée nationale.

Si le projet devait être déposé à une date plus tardive, il faudrait envisager de reporter l'examen de la loi de financement à une date ultérieure. Or, la commission des Affaires sociales insiste sur le fait que le calendrier doit permettre d'établir clairement les règles du jeu avec les professions de santé dans un processus qui doit impérativement s'achever au plus tard dans le courant du mois de février de leur année d'application. Il lui paraît donc indispensable que la loi de financement soit votée définitivement avant le 31 décembre de l'année précédente.


Mais surtout, la proposition formulée par votre commission des Lois, de ramener au 15 octobre la date du dépôt du projet de loi de financement, n'a de portée pratique que si le Sénat s'en tient à quinze jours.

Votre commission des Lois est certes très sensible au fait que l'Assemblée nationale ait jugé opportun d'accorder au Sénat le même délai qu'à elle-même. Mais tout en se félicitant de cette initiative conforme à l'esprit du bicaméralisme, elle constate que ce délai de vingt jours pourrait comporter plus d'inconvénients que d'avantages en risquant de provoquer un chevauchement entre l'examen de la loi de financement et l'examen de la loi de finances.

D'ailleurs, sans préjuger des délais qui seront réellement nécessaires pour examiner la loi de financement en première lecture, il est souhaitable que les débats sur ce texte n'excèdent pas une durée raisonnable, ainsi que chacun s'est accordé à l'admettre lors de la révision constitutionnelle.

En effet, la loi de financement de la sécurité sociale devra rester un texte bref, parfaitement centré sur son objet constitutionnel.

Dans ces conditions, il ne nécessitera pas d'interminables débats en séance publique et ne devra pas donner prise à d'innombrables amendements.

Dans le cas contraire, outre le risque d'allongement des débats, la loi de financement y perdrait de sa lisibilité et de sa consistance -sans y gagner pour autant de valeur normative- et s'écarterait totalement des objectifs définis par le Constituant.

C'est pourquoi votre commission des Lois, en plein accord avec la commission des Affaires sociales et la commission des Finances, propose au Sénat de ramener de vingt à quinze jours le délai dont il disposera en vertu de la loi organique pour examiner en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

4. Le projet de loi organique doit être complété en vue d'un meilleur contrôle parlementaire de l'application des lois de financement

L'article 47-a, alinéa 4, de la Constitution dispose que la Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l'application des lois de financement.

Cette disposition, inspirée de celle applicable au contrôle de l'application des lois de finances, fonde le principe constitutionnel, non seulement de l'assistance de la Cour des comptes, mais également d'un contrôle particulier du Parlement sur ces deux catégories de loi.

Pour être pleinement efficace, ce contrôle suppose que des procédures particulières soient instituées, faute de quoi il ne se différencierait en rien du contrôle classique que le Parlement effectue sur l'application des autres textes législatifs.

Pour la loi de finances, ces procédures existent. Les commissions des Finances de chaque assemblée disposent ainsi de différents instruments pour remplir leur mission spécifique.

Or, le texte adopté par l'Assemblée nationale ne comporte pratiquement aucune disposition sur le contrôle de l'application des lois de financement de la sécurité sociale.

Sur ce point, votre commission des Lois a jugé souhaitable de le compléter avec là encore, le souci de permettre au Parlement d'exercer pleinement les compétences nouvelles qui résultent de la révision constitutionnelle du 22 février 1996.

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