N° 421
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 12 juin 1996.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, relatif au développement et à la promotion du commerce et de l 'artisanat.
Par M. Pierre HÉRISSON,
Sénateur.
1 Celle commission est composée de MM. Jean François-Poncet, président ; Gérard Larcher, Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy. Gérard César, Louis Minetti, vice présidents ; Georges Berchet, William Chervy, Jean-Paul Émin. Louis Moinard, secrétaires , Louis Althapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jean Besson, Claude Billard, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat, Marcel-Pierre Cleach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Jacques Dominati, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Jean Paul Emorine, Léon Fatous, Philippe François, Aubert Garcia, François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Edmond Lauret, Jean-François Le Grand, Félix Leyzour, Kléber Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean Marc Pastor, Jean Pépin, Jean Peyrafitte, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Mme Danièle Pourtaud, MM. Jean Puech, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger Rinchet, Jean Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan, René Rouquet, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Jacques Sourdille, André Vallet, Jean-Pierre ViaI.
Voir les numéros
Assemblée nationale (l0ème législ) : 2749. 2787 et T.A. 538
Sénat 381 (1995-1996)
Commerce et artisanat.
Mesdames, Messieurs,
Le projet de loi, soumis à l'examen de notre Haute Assemblée, a été examiné en première lecture par l'Assemblée nationale les 22 et 23 mai dernier.
Il traduit l'ambition du Gouvernement d'aider les commerçants et artisans à sortir de la crise actuelle et à résoudre certaines difficultés structurelles. Cette ambition avait inspiré le « plan PME-artisanat pour la France », présenté par le Premier ministre à Bordeaux le 27 novembre dernier, et que le présent projet de loi tend à mettre en oeuvre.
En proposant une adaptation de la réglementation applicable à ces secteurs pour tenir compte de l'évolution de leurs pratiques, ce texte se propose, d'une part, de mieux maîtriser le développement de la grande distribution et, d'autre part, de promouvoir l'artisanat.
Ce faisant, il répond également aux préoccupations des Français en termes d'emploi, d'environnement et d'aménagement du territoire.
Votre commission ne peut, dans ces conditions, que saluer la démarche qui l'inspire.
Au cours de ses travaux, elle a été animée du souci d'améliorer la réglementation tant des implantations commerciales que celle concernant le secteur artisanal, tout en cherchant à éviter de tomber dans le piège d'une économie administrée qu'elle ne souhaite pas voir mise en place, sans oublier de tenir compte de l'intérêt des consommateurs.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. UNE NÉCESSAIRE RÉFORME DE LA LOI ROYER
A. EN DÉPIT DES AMÉLIORATIONS APPORTÉES AU DISPOSITIF EN MATIÈRE D'ÉQUIPEMENT COMMERCIAL, LA PRÉÉMINENCE DE LA GRANDE DISTRIBUTION S'AFFIRME TOUJOURS DAVANTAGE
1. L'évolution du dispositif réglementaire
La loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat, dite loi Royer, avait pour objectif de permettre un développement équilibré des différentes formes de commerce et de protéger le petit commerce d'une croissance désordonnée des nouvelles formes de distribution.
En soumettant à autorisation les ouvertures ou extensions de surfaces de ventes supérieures à 1.000 m 2 pour les villes de moins de 40.000 habitants et de 1.500 m 2 pour les villes de plus de 40.000 habitants, la loi Royer a certes permis d'éviter un « écrasement brutal » du petit commerce et de ralentir, en les étalant dans le temps, les implantations de grandes surfaces.
Les surfaces de vente ont cependant connu un développement très important et près de 19 millions de mètres carrés ont ainsi été autorisés depuis l'entrée en vigueur de la loi, avec une croissance particulièrement importante jusqu'en 1993.
Le dispositif, a, en réalité, entraîné des prises de décisions au coup par coup, sans réelle prise en compte par les commissions départementales d'urbanisme commercial (CDUC) de leurs conséquences en termes d'emplois, d'aménagement du territoire ou d'environnement.
La loi du 3 janvier 1993, dite loi Sapin, a substitué à ces instances des commissions départementales d'équipement commercial (CDEC), dont la composition est différente (quatre élus pour deux représentants des professionnels et un représentant des consommateurs). Elle a, par ailleurs, supprimé la procédure d'appel auprès du ministre chargé du commerce et institué la commission nationale d'équipement commercial (CNEC), composée de 7 hauts fonctionnaires et personnalités.
Elle a également eu pour mérite de mettre en place les observatoires départementaux d'équipement commercial, dont les travaux doivent être pris en compte par les CDEC pour émettre une décision sur les demandes d'autorisation.
Autre novation, a priori positive : l'étude d'impact, dorénavant exigée des demandeurs d'autorisation depuis le décret du 16 novembre 1993, aide les membres des commissions à apprécier l'impact économique et social des projets de leurs conséquences sur l'appareil commercial existant. Ce renforcement des conditions de dépôt des demandes a sans doute freiné quelques velléités.
Mais, on ne peut cependant qu'estimer décevant le bilan de ces réformes.
2. L'évolution de l'appareil commercial
Au total, à l'issue de la pause décrétée par le Premier ministre M. Edouard Balladur, le 25 avril 1993, le rythme des autorisations est reparti sur une base accélérée et inquiétante, comme l'illustre le tableau ci-dessous :
AUTORISATIONS ACCORDÉES DE 1990 À 1995
ANNÉE |
NOMBRE |
SURFACE DE VENTE |
1990 |
590 |
1702 598 m 2 |
1991 |
873 |
1 852 281 m 2 |
1992 |
936 |
1 925 571 m 2 |
1993 |
123 |
206 915 m 2 |
1994 |
736 |
969 259 m 2 |
1995* |
769 |
813 644 m 2 |
TOTAL |
4.027 |
7 470 268 m 2 |
* Situation provisoire au 22 mai 1996
En outre, entre le 1er janvier et le 22 mai 1996, environ 158.000 m 2 ont fait l'objet d'une autorisation, ce qui porte à plus de 2 millions le nombre de m 2 autorisés entre 1993 et mai 1996.
3. La prééminence croissante de la grande distribution
Depuis les années 80, le paysage commercial français s'est profondément transformé. Le phénomène le plus spectaculaire a été l'essor des grandes surfaces : hypermarchés 1 ( * ) , supermarchés, mais aussi grandes surfaces spécialisées de bricolage, d'électroménager, d'articles de sport ou même d'habillement...
Dans l'ensemble, entre 1982 et 1992, le nombre de magasins couvrant une surface de vente de plus de 400 m 2 a progressé de 51%. Parallèlement, le nombre de points de vente de moins de 400 m 2 s'est réduit de 11 %.
Les hypermarchés et supermarchés se sont particulièrement imposés dans la distribution française. Avec les magasins populaires, de moins en moins nombreux, l'ensemble des grandes surfaces à prédominance alimentaire a réalisé 41 % du chiffre d'affaires du commerce de détail en 1994, contre 23 % en 1980. Sur le seul marché alimentaire, leur part est passée de 36 % à 69 %. Les commerces d'alimentation générale de proximité et, dans une moindre mesure, les magasins alimentaires spécialisés (bouchers, fruits et légumes...) ont surtout souffert de cette concurrence : entre 1980 et 1994, leur chiffre d'affaires en volume a régressé respectivement de - 46 % et de - 28 %. Les boucheries de proximité, par exemple, n'occupent plus que 30 % des parts de marché.
La France se trouve ainsi avoir l'équipement de grandes surfaces de commerce de détail le plus développé de l'ensemble de la Communauté européenne, avec 1,5 hypermarché pour 100.000 habitants (chiffres 1991).
Au premier janvier 1995, elle disposait de 1.048 hypermarchés, dont 253 de plus de 7.500 m 2 .
4. Des conséquences contrastées
Soulignons, tout d'abord, que la modernisation de l'appareil commercial français qui a accompagné le développement de la grande distribution présente des aspects positifs :
- elle a permis de contenir l'inflation et, à ce titre, a été encouragée par les pouvoirs publics ;
- elle a apporté aux consommateurs une diversité de choix et un confort d'achat, en proposant « tout sous le même toit ».
À cet égard, une étude de l'observatoire Celelem, de 1994, montre que 81 % des consommateurs jugent essentielle l'étendue du choix des produits qui leur sont proposés dans les commerces ;
- elle a fait de la distribution française un secteur performant et dynamique qui se développe à l'étranger.
•
L'impact du développement de la
grande distribution s'avère plus discutable et plus délicat
à déterminer sur l'emploi.
L'étude d'impact qui est annexée au présent projet de loi se fonde sur une récente étude de l'INSEE pour tenter de l'évaluer.
On peut, en première analyse, estimer que l'évolution de l'appareil de distribution a eu un impact positif. En effet, au cours de la période 1980-1994, les effectifs employés dans le commerce de détail à prédominance alimentaire se sont accrus de 54.000 personnes, soit environ + 4.000 personnes par an. Ce résultat repose entièrement sur les hypermarchés et les supermarchés qui ont créé 243.500 emplois nets, alors que les commerces alimentaires traditionnels perdaient 189.500 emplois nets.
Deux éléments amènent à penser que les effets réels sur l'emploi de la grande distribution sont encore plus importants :
- d'une part, l'abaissement des prix pratiqués par les grandes surfaces a permis de dégager des moyens supplémentaires de nature à encourager la consommation, ce qui a soutenu l'activité et donc l'emploi ;
- d'autre part, les grandes surfaces ont beaucoup recours à certains services comme la publicité ou l'informatique et sous-traitent de nombreuses activités, comme le nettoyage ou le gardiennage. On estime que leur développement a induit, entre 1980 et 1994, la création d'environ 10.000 emplois dans les services.
On pourrait conclure de l'ensemble de ces observations que la grande distribution est globalement créatrice d'emplois. Ce jugement mérite cependant d'être nuancé pour plusieurs raisons :
- La progression de 243.500 emplois dans les hypermarchés et les supermarchés s'explique pour plus de 70 % par des prises de parts de marché et les créations d'emploi auraient été plus nombreuses si la structure de la distribution ne s'était pas déformée au profit des grandes surfaces. On estime, en effet, que ce phénomène a entraîné la perte de 95.500 emplois sur la période 1980-1994, soit environ 7 000 emplois en moins chaque année.
- Les grandes surfaces utilisent beaucoup les emplois à temps partiel et cet élément amène à relativiser les gains annoncés. Ainsi, entre 1989 et 1993, le nombre de personnes employées dans le commerce de détail à prédominance alimentaire a augmenté de 4 000, mais le nombre d'emplois en équivalent plein temps aurait diminué de 2 000 à 3 000 personnes.
- Les statistiques ne prennent pas en compte certaines destructions d'emplois dans le commerce de proximité, comme les aides familiales.
Au total, il est loin d'être évident que le développement de la grande distribution a été positif pour l'emploi.
Sur ce point, l'étude d'impact précitée conclut qu'« une lecture directe du solde d'emplois créés par la distribution est sujette à un grand nombre d'incertitudes, qui renversent une appréciation positive initiale ».
• Par ailleurs, les conséquences sur
l'urbanisme et l'environnement sont clairement négatives.
Attirées par l'espace, le faible coût du foncier etc..., les grandes surfaces se sont multipliées à la périphérie des villes, enlaidissant nos entrées de ville.
Elles ont entraîné un processus de dévitalisation des centres-villes et contribué à la désertification des zones rurales.
* 1 Magasins de détail à prédominance alimentaire d'une surface de vente supérieure à 2.500 m 2 .