II. L'ACCORD QUADRIPARTITE DE KARLSRUHE : UN CADRE GÉNÉRAL QUI DÉFINIT UN ORGANISME ADAPTÉ À LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE

L'accord quadripartite de Karlsruhe trouve son origine dans des discussions franco-allemandes qui ont débouché, le 3 mai 1995, sur un accord bilatéral signé à Paris. Cet accord a été étendu quelques mois plus tard à la partie luxembourgeoise, la signature ayant eu lieu le 23 octobre 1995 à Luxembourg. Enfin, l'association de la Suisse était officialisée à Berne le 14 décembre 1995.

L'accord quadripartite entre la France, l'Allemagne, le Luxembourg et la Suisse sur la coopération transfrontalière entre les collectivités territoriales et les organismes publics locaux pouvait alors être signé à Karlsruhe le 23 janvier 1996.

Comme le rappelle le préambule, cet accord a pour objet principal la coopération transfrontalière approfondie entre collectivités territoriales en complétant le cadre juridique offert par la convention-cadre européenne du 21 mai 1980.

Le principe du respect du droit interne, et notamment des domaines de compétences propres à chaque collectivité, ainsi que des engagements internationaux des Etats parties est rappelé dès l'article premier de la convention.

A. LE CHAMP D'APPLICATION DE L'ACCORD

L'accord ne définit pas précisément les types d'action qui peuvent être mis en oeuvre, laissant aux collectivités locales une large liberté de choix des domaines de la coopération, sous réserve, bien entendu, que ces domaines entrent dans leur compétence, conformément aux législations nationales. Le champ d'application est donc essentiellement géographique puisque l'accord énumère les collectivités locales concernées.

1. En France

Il s'agit de la région Alsace et de la région Lorraine, ainsi que les départements et les communes, ainsi que leurs groupements.

Les établissements publics dépendant de ces collectivités sont également concernés lorsque celles-ci participent à la coopération transfrontalière.

2. En Allemagne

Les collectivités visées sont les trois Länders frontaliers, le Bade-Wurtemberg, la Rhénanie-Palatinat et la Sarre, ainsi que les communes et les Landkreise, qui constituent un échelon intermédiaire entre la commune et le Land.

S'ajoutent à cela, des collectivités propres à chaque Land :

- les « Verbandsgemeinden » (groupements de communes) qui constituent une structure propre à la Rhénanie-Palatinat et interviennent dans les domaines de compétence des communes à un échelon inférieur au Landkreis,

- le « Bezirksverband Pfalz » (fédération régionale des communes du Palatinat), établissement public très ancien qui gère certaines institutions sanitaires, sociales ou éducatives,

- le « Stradtverband Saarbrücken » (communauté urbaine de Sarrebruck) qui, aux côtés de cinq Landkreise, constitue la sixième entité administrative de la Sarre.

3. Au Luxembourg

L'accord vise les communes et leurs établissements publics, ainsi que les syndicats de communes. Il évoque également des parcs naturels en tant qu'organismes publics territoriaux.

4. En Suisse

La particularité de l'organisation politique et administrative suisse apparaît dans la dénomination même de l'accord, le Conseil fédéral agissant au nom des cantons de Soleure, de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne, d'Argovie et du Jura.

En effet, selon la Constitution helvétique, les cantons sont des entités souveraines. Leurs Parlements devront notamment ratifier l'accord.

Toutefois, la France ne reconnaissant comme entité souveraine en matière de relations internationales que la Confédération Helvétique, les cantons suisses ont dû charger le Conseil fédéral d'agir en leur nom.

Outre les cinq cantons précités, l'accord concerne les communes.

Dans le canton de Soleure et celui du Jura, les districts sont également concernés : il s'agit de regroupements de communes régis par la législation cantonale et dépouvus de personnalité juridique. Les trois autres cantons n'ont pas souhaité mentionner les districts dans l'accord.

Cet aperçu des différentes collectivités concernées illustre la diversité des organisations territoriales d'autant que d'un pays à l'autre, une même notion peut recouvrir des réalités différentes.

En Allemagne par exemple, le statut et la compétence des communes ne relèvent pas de la législation fédérale, mais de celle de chaque Land, ce qui signifie que les attributions des communes peuvent différer d'un Land à l'autre.

Au Luxembourg, en vertu du principe de subsidiarité, les compétences des communes ne sont pas limitées.

Les compétences des Länder allemands et des cantons suisses dépassent largement celles des régions françaises. L'article 2 § (2) de l'accord précise que Länder et cantons peuvent conclure directement entre eux des conventions de coopération transfrontalière.

Le paragraphe (3) de l'article 2 confie aux préfets de région et de département le soin de faciliter les initiatives transfrontalières entre collectivités françaises et les Länder ou les cantons lorsque les différences de droit interne en compromettent l'efficacité.

En Allemagne, et sous réserve de certaines conditions particulières et du respect des dispositions constitutionnelles, les Länder peuvent opérer des transferts de compétences considérés comme relevant de l'Etat par la Constitution, à des institutions de coopération de voisinage (article 3 § (3) de l'Accord).

Enfin, le paragraphe (4) de l'article 2 permet aux Etats parties de convenir par écrit d'étendre l'accord à d'autres collectivités territoriales, groupements ou établissements publics territoriaux que ceux mentionnés dans le texte, ainsi qu'à d'autres personnes morales de droit public lorsque leur participation est autorisée par le droit interne. Cette disposition permettrait par exemple de viser les organismes consulaires (chambres de commerce et d'industrie, chambres des métiers, chambres d'agriculture), dont certains ont joué un rôle pionnier en matière de coopération transfrontalière.

B. LES INSTRUMENTS DE LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE

L'accord de Karlsruhe prévoit que la coopération transfrontalière s'exerce par le biais d'une convention de coopération et elle énumère les types d'organismes de coopération.

1. Les conventions de coopération

Selon l'article 3 de l'accord, les conventions de coopération conclues entre collectivités territoriales dans les domaines de compétence commune doivent « permettre aux partenaires de coordonner leurs décisions, de réaliser et de gérer ensemble des équipements ou des services publics d'intérêt local commun ».

Ces conventions doivent respecter les procédures et les contrôles résultant du droit interne, ce qui, pour la France, implique la transmission au préfet.

L'article 4 stipule que ces conventions ne peuvent porter sur les pouvoirs qu'une autorité locale exerce au nom de l'Etat, ni les pouvoirs de police, ni ceux de réglementation. Elles ne peuvent davantage avoir pour effet de modifier le statut ou les compétences d'une collectivité.

Toujours selon l'article 4, la convention doit définir un régime de responsabilité de chacune des collectivités concernées vis-à-vis des tiers. Elle doit également préciser le droit applicable, notamment en cas de contentieux, qui est nécessairement celui de l'une des parties.

L'article 5 prévoit que dans le cadre de la convention de coopération, une collectivité peut procéder au profit d'une autre collectivité partie à une délégation ou une concession de service public, dans les conditions prévues par le droit interne.

En matière de passation de marchés publics, l'article 6 précise que le droit applicable est celui de la collectivité ou de l'organisme de coopération qui en assume la responsabilité. Toutefois, la convention doit aussi prévoir les obligations de chacune des collectivités concernées finançant le marché, en matière de procédure de publicité, de mise en concurrence et de choix des entreprises. Le fait que le marché relève du droit interne d'une collectivité « pilote » n'affranchit en rien les autres collectivités parties prenantes du nécessaire respect de leurs obligations en droit interne pour la passation des marchés.

L'article 7 dégage la responsabilité des Etats signataires des conséquences des obligations contractuelles découlant, pour les collectivités, des conventions de coopération.

2. Les organismes de coopération

L'accord stipule que quel que soit le type d'organe de coopération envisagé, une autorisation préalable à la participation d'une collectivité est nécessaire si cet organisme se situe dans un Etat étranger.

Cette autorisation préalable était déjà prévue dans le droit français (article L 1112-4 du code général des collectivités territoriales) lorsqu'une collectivité locale souhaite adhérer à un organisme de droit public étranger ou participer au capital d'une personne morale de droit étranger. L'autorisation est donnée par décret en Conseil d'Etat.

En Allemagne, l'adhésion des Länder à un organisme de coopération étranger ne donne lieu qu'à contrôle a posteriori de l'Etat fédéral. En revanche, aux échelons inférieurs, les collectivités solliciteront l'autorisation des autorités du Land, selon les procédures propres à la Constitution de chaque Land.

Les communes luxembourgeoises, en vertu du droit interne, n'auront pas à solliciter d'autorisation préalable.

Enfin, les cantons suisses ne seront soumis qu'à un contrôle a posteriori du Conseil fédéral alors que les collectivités de l'échelon inférieur devront solliciter l'autorisation des autorités cantonales.

En ce qui concerne la possibilité pour les collectivités étrangères de participer à des organismes publics français de coopération transfrontalière, l'article 8 permet une double extension :

- géographique d'abord, car notre droit interne n'envisageait cette participation que pour les collectivités de pays de l'Union européenne alors que l'accord s'appliquera aussi aux collectivités suisses,

- juridique ensuite puisque cette participation ne pouvait s'effectuer, selon le droit interne, qu'au sein de sociétés d'économie mixte locales ou de groupements d'intérêt public ; l'accord vise aussi les établissements publics créés par les collectivités françaises.

L'article 8 distingue trois types d'organismes de coopération :

. les organismes dépourvus de personnalité juridique et d'autonomie budgétaire tels que les conférences, groupes de travail, groupes d'étude ou comités de réflexion, organismes dont les décisions n'engagent pas leurs membres ou des tiers,

. les organismes dotés de la personnalité juridique si le droit interne de ces organismes autorise la participation de collectivités étrangères, ce qui est le cas en France, sous certaines réserves, des sociétés d'économie mixte locales et des groupements d'intérêt public,

. le groupement local de coopération transfrontalière, notion nouvelle créée par le présent accord.

Le groupement local de coopération transfrontalière est une personne morale de droit public, dotée de l'autonomie budgétaire. Créé par les collectivités territoriales et les organismes publics locaux parties à la convention, il doit réaliser des missions et des services qui présentent un intérêt pour chacun d'entre eux. Il relève du droit interne applicable aux établissements publics de coopération intercommunale de la partie où il a son siège (article 11).

L'article 12 énumère les différentes questions devant être précisées dans les statuts, au rang desquelles notamment les modalités de contribution financière des différents membres et les règles budgétaires et comptables.

L'article 13 définit les organes du groupement local de coopération transfrontalière, à savoir l'assemblée, où chaque collectivité dispose d'un siège au moins, sans pouvoir dépasser la majorité, et le président assisté de vice-présidents issus des autres pays que le sien.

C'est le droit interne qui régit les modalités de désignation des représentants des collectivités à l'assemblée du groupement local.

Le financement du groupement local est constitué de deux sources (article 14) : les contributions de ses membres qui constituent pour ceux-ci des dépenses obligatoires, et les recettes éventuellement perçues au titre des prestations qu'il assume.

Le budget annuel est voté par l'assemblée et le groupement local établit un compte de résultat certifié par des experts indépendants. L'accord de tous les membres est requis pour le recours à l'emprunt.

Le contrôle financier du groupement local est effectué selon les procédures prévues par le droit interne applicable.

L'article 15 précise les modalités de dissolution groupement local.

Les dispositions transitoires et finales de l'accord (articles 16, 17 et 18) stipulent que les conventions de coopération transfrontalière existantes sont maintenues mais doivent être adaptées aux clauses de l'accord « dans toute la mesure du possible dans un délai de cinq ans après son entrée en vigueur ».

L'entrée en vigueur s'effectuera au premier jour du deuxième mois suivant la date à laquelle la dernière partie aura notifié aux autres l'accomplissement des formalités internes de ratification.

L'accord est conclu pour une durée indéterminée et peut être dénoncé avec un préavis d'un an au moins avant la fin d'un année civile.

L'accord est suivi d'une déclaration des signataires confirmant le maintien de la commission intergouvernementale germano-franco-suisse sur le suivi et la solution des questions de voisinage et de la commission intergouvernementale germano-franco-luxembourgeoise pour la coopération dans les régions frontalières. Ces commissions seront chargées du suivi de la mise en oeuvre de l'accord.

C. LES PERSPECTIVES D'APPLICATION DE L'ACCORD DE KARLSRUHE

L'accord de Karlsruhe fournit un cadre juridique mais laisse bien entendu aux collectivités transfrontalières le soin de définir leurs projets de coopération.

De nombreuses actions de coopération ont déjà pu être engagées en l'absence de tout accord interétatique, sur la base des possibilités déjà offertes par le droit interne de chaque Etat.

L'apport de l'accord de Karlsruhe est double :

- d'une part il permet quelques ajustements par rapport à notre droit interne : les collectivités étrangères pourront participer à des établissements publics locaux et non plus seulement à des groupements d'intérêt public ou des sociétés d'économie mixte locales, et cette possibilité ne sera plus limitée au cadre de l'Union européenne puisque les collectivités suisses en bénéficieront.

- d'autre part, il définit un nouveau type d'organe de coopération, le groupement local de coopération transfrontalière, dont les règles de fonctionnement sont suffisamment précises tout en préservant la souplesse nécessaire à une action efficace ; il s'agissait donc de trouver un instrument plus approprié que ceux existants pour la coopération transfrontalière entre collectivités territoriales.

L'accord quadripartite pourrait être appliqué à des organismes existants sans personnalité juridique ou à des projets en cours. Il peut également déboucher sur la création d'organismes nouveaux dotés de la personnalité juridique.

Au rang des organismes existants sans personnalité juridique, on peut citer les quatre agences INFOBEST (Instance d'information et de conseil sur les problèmes transfrontaliers) implantées à Lauterbourg, Kehl/Strasbourg, Vogelgrün et Palmrain. Créées par les collectivités locales alsaciennes, allemandes et suisses, avec l'appui de fonds européens INTERREG, elles ont vocation à répondre à toutes les questions posées tant par les particuliers que par les entreprises ou les administrations au sujet des problèmes transfrontaliers et des différentes législations des trois pays : problèmes fiscaux, démarches administratives, éducation, droit du travail, etc.

Autre initiative, l'Euro-institut de Kiel est un organisme de formation continue et de recherche sur les questions transfrontalières qui assure une formation des fonctionnaires aux pratiques des autres pays.

On peut également évoquer l'Institut franco-germano-suisse de recherche agricole (ITADA) et l'Institut franco-allemand de recherche sur l'environnement (IFARE).

Des discussions sont engagées entre la région Alsace, le département du Bas-Rhin et la communauté de communes de la vallée de la Sauer côté français, et le Land de Rhénanie-Palatinat côté allemand, en vue de la création d'un organisme de gestion transfrontalier de la forêt de Fleckenstein.

Avec le Bade-Wurtemberg, les collectivités alsaciennes envisagent également la création d'un Parc Rhénan frontalier.

Enfin, l'accord de Karlsruhe pourrait servir de cadre à la création de deux écoles d'ingénieurs, ce projet restant encore au stade des études.

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