XII. ARTICLE 11 -

INTÉGRATION DU RÉSEAU FERRÉ NATIONAL À LA GRANDE VOIRIE

L'article 11 du projet qui nous est soumis étend à l'ensemble du réseau ferré national les dispositions de l'article premier de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer. Rappelons les termes de cet article premier :

" Les chemins de fer construits ou concédés par l'État font partie de la grande voirie ".

Par grande voirie -terme fort ancien de notre droit- il faut entendre les fossés, talus, levées, ouvrages d'art et propriétés riveraines des routes et, depuis 1845, des chemins de fer. L'effet de l'article 11 du projet qui nous est soumis est de confirmer l'application du caractère de grande voirie au réseau ferré national, tel qu'il est transféré à l'établissement public RFN.

Il convient de préciser que cette confirmation emporte, sur la base de la loi du 15 juillet 1845, un certain nombre d'interdictions :

- pacage des bestiaux ;

- dépôts de terre et autres objets quelconques.

Elle emporte, en outre, des servitudes :

- alignement,

- écoulement des eaux,

- occupation temporaire des terrains en cas de réparation,

- distance à observer pour les plantations et l'élagage des arbres plantés,

- modes d'exploitation des mines, tourbières et sablières ;

- extraction des matériels nécessaires aux travaux publics,

- clôture du terrain des deux côtés et sur toute l'étendue de la voie,

- établissement de barrières à la croisée des routes ;

- interdiction des constructions à moins de deux mètres de l'arrête du remblai ou du déblai de la voie ;

- interdiction -sans autorisation préalable- des excavations dans les remblais de plus de trois mètres au-dessus du terrain naturel ;

- interdiction d'établissement, à moins de 20 mètres des voies, des couvertures en chaume, de meules de paille ou de fouin ou de dépôts de matières inflammables et, à moins de cinq mètres des voies, de dépôts de pierres ou objets non inflammables.

Les sanctions de ces interdictions et servitudes constituent ce qu'il est convenu d'appeler des contraventions de grande voirie . Dans le cas précis, les contraventions de grande voirie sanctionnent les atteintes portées aux dépendances du domaine public ferroviaire.

Ces contraventions relèvent de la compétence du juge administratif.

La notion même de " contravention de grande voirie " a pu paraître à certains commentateurs contestable. En effet, cette notion s'applique à des dépendances domaniales -comme par exemple les lignes télégraphiques et téléphoniques- qui ne font évidemment pas partie de la voirie au sens étroit. Bien plus, certaines voies publiques, telles que les routes nationales et départementales qui ont été rangées dans la grande voirie, sont soustraites au régime des conventions de grande voirie. Cependant, la dénomination " contravention de grande voirie " est la seule employée par les tribunaux pour caractériser les atteintes aux dépendances du domaine public autres que les voies publiques terrestres. Force est donc de continuer à l'utiliser nonobstant les équivoques et les ambiguïtés qu'elle recèle.

Comme les contraventions de voirie routière, les contraventions de grande voirie répondent à deux préoccupations :

* elles ont d'abord pour objet de protéger l'intégralité matérielle du domaine public. A cet égard, les faits constitutifs de contraventions de grande voirie peuvent être très divers :

- les travaux et ouvrages exécutés sans autorisation ;

- l'exécution de travaux et d'ouvrages excédant soit par leur nature, soit par leur importance ceux qui avaient été prévus par l'acte d'autorisation ;

- le maintien d'installations établies sur le domaine public après le retrait ou l'expiration d'une autorisation d'occupation ;

- l'édification de constructions interdites sur certaines dépendances domaniales ;

- les extractions effectuées sur le domaine public en l'absence de toute autorisation ou en dehors des limites autorisées ;

- la violation des servitudes administratives instituées au profit du domaine public ;

- les dégradations causées aux diverses dépendances du domaine public.

Elles répriment, en second lieu, les faits de nature à compromettre l'usage auquel le domaine public est légalement destiné.

D'une manière plus générale, on peut dire que toute occupation sans titre du domaine public, même lorsqu'elle est réalisée sans emprise, constitue une contravention de grande voirie dès lors que cette occupation est contraire à un texte ayant pour objet d'assurer la protection du domaine : en l'occurrence, la loi de 1845.

Il faut aussi souligner qu'une activité de nature à causer des dommages au domaine public est constitutive d'une contravention de grande voirie, alors même que le domaine n'aurait subi aucun dommage effectif à la date du procès-verbal. Pour qu'il y ait contravention, il suffit que l'on se trouve en présence d'un fait susceptible de porter atteinte à l'intégrité du domaine ou d'en compromettre l'usage.

La contravention de grande voirie présente un caractère matériel . L'absence d'élément intentionnel de la part du contrevenant ne constitue pas une cause d'exonération ; la responsabilité de celui-ci est engagée dès lors que la matérialité de l'atteinte au domaine public est établie. Encore convient-il de préciser que la contravention de grande voirie n'implique pas nécessairement u acte positif ; elle peut résulter d'une négligence ou d'une abstention et, notamment, d'une absence d'entretien d'un ouvrage domanial.

Étant donné qu'une contravention de grande voirie n'existe que dans le cas où elle a été instituée par un texte spécial, la question se pose de savoir qui -du parlement ou du gouvernement- a qualité pour établir une telle contravention dans le cadre des articles 34 et 37 de la Constitution qui déterminent les domaines respectifs de la loi et du règlement.

Cette question a été résolue par l'importante décision du Conseil constitutionnel (n° 87-151) du 23 septembre 1987 (RFDA 1988 p. 280, AJDA 1988 II p. 60 note Pretot ; Rev. dr. imm. 1988 p. 277, chr Auby-Lavroff).

Le Conseil constitutionnel avait été saisi, en application de l'article 37, alinéa 2, de la Constitution, d'un membre de phrase inséré à l'article L.69-1 du code des postes et télécommunications concernant les dégradations causées au réseau souterrain des télécommunications. Cet article ayant porté le montant de l'amende encourue de 2.000 francs à 30.000 francs, en précisant qu'il y aurait autant amendes que de câbles détériorés. En même temps, le 3° alinéa de l'article L.69-1 avait prévu une cause d'exonération : " lorsque, sur demande du maître de l'ouvrage ou du maître d'oeuvre d'opérations de travaux publics ou privés, l'administration n'a pas donné connaissance à l'entreprise, avant l'ouverture du chantier, de l'emplacement des réseaux souterrains existant dans l'emprise des travaux projetés ". Conformément aux prévision de l'article L.69-1, un décret en Conseil d'État n° 78-1249 du 28 décembre 1978 -inséré dans les articles R.44-1 et R.44-2 du code des P et T -définissait les conditions dans lesquelles l'information était donnée à l'entreprise.

Il était demandé au Conseil constitutionnel de définir la nature juridique des mots " du maître de l'ouvrage ou du maître d'oeuvre d'opérations de travaux publics " que le gouvernement envisageait de remplacer par l'indication de l'entreprise chargée de l'exécution des travaux.

Pour le Conseil constitutionnel, " la désignation des personnes ayant qualité pour demander des informations à l'administration sur l'emplacement des réseaux souterrains de télécommunications " relevait du domaine du règlement.

Pour en décider ainsi, le Conseil a pris en considération le montant de l'amende encourue par le contrevenant. En effet, tout en affirmant que les contraventions de grande voirie ne constituent pas des crimes ou des délits pénaux, il a estimé que le législateur n'en est pas moins compétent pour instituer de telles infractions, en définir les éléments constitutifs, aussi bien que pour édicter d'éventuelles causes d'exonération, dès lors que ces infractions, sans perdre leur caractère de contravention de grande voirie, sont passibles de peines d'amende dont le montant excède celui prévu pour les contraventions de police.

On rappellera qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, c'est au Législateur qu'il appartient de fixer les règles concernant " la détermination des crimes et délits, ainsi que les peines qui leur sont applicables ". Ainsi, bien que les contraventions de grande voirie ne soient pas de nature pénale (voir n° 86), le Conseil constitutionnel n'a pas hésité à leur appliquer les règles de répartition des compétences prévues par l'article 34 de la Constitution pour les crimes, les délits et les contraventions de police.

On ne saurait reprocher au raisonnement du Conseil constitutionnel un quelconque défaut de cohérence, dès lors que la jurisprudence du Conseil d'État, depuis longtemps déjà, applique par analogie aux amendes infligées pour contravention de grande voirie certaines règles du droit pénal et notamment celles relatives à l'amnistie et à la prescription. En tout état de cause, la solution consacrée par le Conseil constitutionnel donne aux administrés la garantie qu'au-delà d'un certain seuil le taux de l'amende, en cas d'atteinte au domaine public, sera arrêté par le Législateur et que les textes revalorisant le taux des amendes de police ne sont pas applicables aux contraventions de grande voirie.

Au total, s'agissant de contravention de grande voirie, la compétence réglementaire du gouvernement ne pourra s'exercer que s'il s'agit, soit de fixer une amende dont le montant ne dépasse pas le plafond applicable aux contraventions de police, soit d'adopter des mesures complémentaires ne constituant ni des causes d'exonération, ni des éléments constitutifs de l'infraction définie par le Législateur.

Sous le bénéfice des remarques qui précèdent, votre commission vous propose d'adopter l'article 11 sans modification.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page