CHAPITRE IV

RÈGLES PRUDENTIELLES APPLICABLES AUX FONDS D'ÉPARGNE RETRAITE

ARTICLE 23

Engagements réglementés

Commentaire : le présent article définit les règles de concentration et de dispersion applicables aux engagements réglementés des fonds d'épargne retraite.

I. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le dispositif initial adopté par l'Assemblée nationale ne prévoyait aucune règle particulière de concentration concernant les placements dans les titres de sociétés cotées . Dans le silence de la loi, les règles de droit commun s'appliqueraient donc. En l'occurrence l'article R. 332-3-1 prévoit que ces placements ne peuvent excéder 5 % pour l'ensemble des valeurs émises et des prêts obtenus par un même organisme. Toutefois, ce ratio peut atteindre 10 % pour les titres d'un même émetteur, à condition que la valeur des titres de l'ensemble des émetteurs dont les émissions sont admises au-delà du ratio de 5 % n'excède pas 40 % du total.

S'agissant des placements dans les titres de sociétés non cotées , les dispositions en vigueur (article R. 332-3-1 et R. 332-2 du code des assurances), limitent ces placements à 0,5 % pour les titres émis par une même société ou un même fonds, dans la limite de 5 % du portefeuille.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture prévoyait de doubler ces ratios pour les fonds de pension et d'en étendre le champ aux parts de fonds communs de placement à risque, tels que définis par le chapitre IV de la loi n°88-1201 du 23 décembre 1988 et aux parts de fonds communs de placement dans l'innovation créés par l'article 102 de la loi de finances pour 1997.

Ainsi les fonds de pension, pourraient investir dans ces titres, au maximum 10 % des actifs gérés dans la limite de 1 % par émetteur.

En première lecture, le Sénat a :

- d'une part, limité les placements en titres de sociétés cotées à 5 % par émetteur ; cette règle, ne souffrant d'aucune dérogation possible, étant de surcroît appréciée par groupe de société ;

- d'autre part, accepté le ratio de concentration maximale de titres non cotés à 10 %, mais ramené le ratio de dispersion à 0,5 % par émetteur, afin de ramener les risques encourus au niveau prévalant actuellement.

En seconde lecture, l'Assemblée nationale, considérant sur la base des arguments développés par son rapporteur, qu'il était " artificiel d'opposer le souci d'un retour de l'épargne dans les entreprises et la sécurité des placements des fonds d'épargne retraite " [2] , a rétabli intégralement son texte de première lecture.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Loin de toute opposition " artificielle " le texte adopté par l'Assemblée nationale semble au contraire lourd d'ambiguïtés et de contradictions.

Les fonds de pension ont pour objet de verser des pensions. Leur existence a pour effet de renforcer le marché des actions et donc le financement en fonds propres de nos entreprises.

Chercher à maximiser à tout coût l'effet de levier sur le marché des actions, c'est prendre la cause pour l'effet et altérer la capacité des fonds à respecter leurs engagements.

L'idée même d'un " retour " doit être combattue, comme étrangère à la finalité des fonds de pension. En effet, si un fonds investit dans la société ayant souscrit un plan auprès de lui, ce doit être uniquement pour des raisons de rentabilité et de sécurité, jugées à l'aune de l'intérêt des adhérents et non à celui de l'entreprise.

Or, spontanément, les entreprises souscrivant des plans d'épargne retraite auront tendance à exiger des fonds de pension un " retour " dans leur capital de façon à s'assurer un autocontrôle. Dès lors toutes sortes de chantage sont à craindre, l'entreprise étant en mesure de menacer l'assureur de ne pas renouveler le ou les plans si le fonds ne vote pas comme la direction. Plus l'entreprise sera importante, plus les actifs confiés seront significatifs, plus le chantage sera efficace et les dangers pour les adhérents élevés.

C'est pourquoi, il est nécessaire d'encadrer cette possibilité dans des cadres prudentiels rigoureux, aussi bien pour les sociétés cotées que pour les sociétés non cotées.

S'agissant des sociétés cotées, la règle de concentration maximale de 5 % des actifs sur chaque émetteur, imposée par le Sénat en première lecture, constitue le miroir de la règle imposée par les autorités de place britanniques à la suite de l'affaire Maxwell.

Les retraités français méritent-ils moins de protection que leurs homologues britanniques ?

Quelle serait la viabilité d'un plan d'épargne retraite mis en place par Eurotunnel et pour lequel les dirigeants auraient, très légitimement, imposé au fonds de pension, lors de la souscription du contrat, que les avoirs des adhérents soient investis à hauteur de 10 % dans cette même société ?

Concernant les sociétés non cotées, les règles actuelles autorisent d'avoir au maximum 10 lignes de 0,5 % dans un portefeuille (10 X 0,5 % = 5%). En conséquence, il faudrait 8 défaillances sur dix pour absorber la marge de solvabilité du fonds fixée à 4 % (8 X 0,5 %).

Dans le dispositif proposé par l'Assemblée nationale un fonds de pension pourrait comporter, au maximum, 10 lignes de 1 % (10 X 1 %). En conséquence, il suffirait de 4 défaillances sur dix pour absorber la marge de solvabilité.

On voit donc qu'en doublant simplement les ratios, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale conduit également à doubler les risques, à un niveau qui n'est pas acceptable s'agissant de sociétés non cotées.

La volonté d'assurer le renforcement des fonds propres des entreprises est un objectif louable voire stratégique dans le cadre d'une économie mondialisée. Mais le législateur ne saurait lui sacrifier l'objectif premier qui est de tout mettre en oeuvre pour assurer la capacité des fonds de pension à remplir leur mission première : payer des pensions.

Inciter les fonds de pension à investir en titres de capital n'est légitime que parce que, d'après ce que nous sommes capables d'extrapoler des expériences passées, ces placements sont ceux qui assurent dans le long terme le maximum de rentabilité.

S'il s'avérait au contraire que, par exemple, les titres de taux assurent en définitive une meilleure rentabilité que les titres de capital, il ne faudrait pas hésiter à revenir sur les règles posées dans ce texte.

En première lecture, malgré beaucoup de réticences, le Sénat, à la demande de sa commission des finances, avait accepté la règle de concentration maximale en titres obligataires posées par l'Assemblée nationale ( article 22 ).

Or, clairement, cette règle répond davantage au souci de favoriser le marché des actions que de favoriser une gestion saine et prudente.

Cette disposition, qui figurait déjà dans la proposition initiale de M. Jean-Pierre Thomas, avait du reste été jugée sévèrement par les professionnels. Le rapport précité sur l'industrie de la gestion de capitaux du groupe de travail de Paris Europlace considérait en effet que :

" Contrairement aux souhaits exprimés par certains de voir fixé un seuil minimum de placement en actions, il est indispensable, du point de vue de la gestion, que les gérants conservent leur liberté totale dans ce domaine et ceci pour plusieurs raisons :

" D'une part, parce que les fonds d'épargne retraite doivent être gérés en fonction de l'intérêt de leurs souscripteurs. L'adjonction d'un second objectif parallèle visant à ce que les fonds concourent au développement du marché des actions risque de conduire à une confusion des genres et à un risque sérieux de voir l'intérêt de l'épargnant menacé .

"D'autre part, il est établi que le rendement des actions ne devient supérieur au rendement des titres de taux qu'au bout d'une longue période (15 ans minimum). Or compte tenu de la pyramide des âges actuelle, il est probable que les classes de population les plus nombreuses à souscrire des fonds de pension, au moins au démarrage du système, le feront pour des placements plus courts. Imposer des seuils de placement en actions risque d'aller à l'encontre de leurs besoins.

" Le groupe estime que la règle primordiale est celle d'une allocation d'actifs fondée sur les seuls objectifs de gestion et non pas définie par des textes législatifs visant d'autres objectifs de caractère macro-économique. La gestion doit être effectuée dans un cadre de relation actif-passif, personnalisée par tranche d'âges.

"L'expérience des fonds de pension américains montre que point n'est besoin de planchers réglementaires pour que ceux-ci soient investis en actions. De la même manière, le recours aux actions se développera progressivement, en France, au fur et à mesure de la diversification des portefeuilles."

Consciente de cet avertissement, votre commission des finances, en première lecture, a néanmoins accepté la règle de concentration maximale en obligations afin de ne pas accréditer l'idée absurde que le Sénat souhaiterait favoriser les placements obligataires.

Elle ne souhaite pas aujourd'hui aller plus loin en permettant la dilatation des ratios prudentiels existants ou l'application aux fonds de pension de règles qui n'ont pas été conçues pour eux.

En conséquence, elle vous demande de rétablir le texte adopté par le Sénat en première lecture.

Décision de la commission : votre commission vous demande de rétablir cet article dans le texte adopté par le Sénat en première lecture.

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